Archives de catégorie : Analyses et pratiques Professionnelles

> Lieu d’asile – Manifeste pour une autre psychiatrie

Sortie du livre de Thierry Najman.

Lieu d’asile
Manifeste pour une autre psychiatrie

Les mesures d’enfermement, de contrainte, d’isolement, de contention et de surveillance des patients se développent actuellement dans la psychiatrie hospitalière, colonisée par la logique sécuritaire ambiante.

Pour autant, la sécurité est-elle mieux assurée par la fermeture des portes des services de soins ? Les patients sont-ils ainsi mieux soignés ?

Thierry Najman est médecin, praticien hospitalier et chef d’un pôle de psychiatrie dans un hôpital de la région parisienne. Il a déjà publié, comme coauteur, un livre sur la psychanalyse de l’enfant Les Enjeux d’une psychanalyse avec un enfant.

Préface
Pierre Delion est médecin psychiatre, professeur à la faculté de médecine de l’université Lille-II.

Postface
Pierre Joxe est avocat, premier président honoraire de la Cour des comptes.

 

Lieu d'asile

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Suite au Meeting du 1er Novembre 2014: un groupe initié par le Collectif des 39 pour l’Enfance

Lors de ce meeting où nous  avons participé à un forum « pédopsy » relatif aux modalités actuellement proposées pour aider/ accompagner/éduquer/ soigner des enfants en grande difficultés. Certains membres des 39, travaillant plus spécialement auprès d’ enfants et leurs parents, ont souhaité pouvoir se rencontrer régulièrement afin de :
– faire connaître leurs lectures des situations institutionnelles, leurs positionnements et leurs idées à partir de leurs constats,
– créer dans chaque région des instances de réflexions et de lutte pour défendre l’accueil, l’hospitalité, le temps de penser et de se parler /d’écouter….compte-tenu du saisissement que ns subissons tous, en  réalisant  combien nos métiers, nos cadres de travail et nos valeurs sont  attaqués de façon de plus en plus violente et contraignante.
Le 15 décembre et le 22 janvier ont réunis  sur ces questions ceux et celles qui habitent Paris où sa proximité et nous avons décidé que les prochaines réunions devaient se tenir une fois par mois, un samedi pour permettre à ceux et celles qui habitent en province de nous rejoindre.
LA PROCHAINE REUNION SE TIENDRA  LE SAMEDI 14 MARS de 10H à 13H :
141 rue de Charenton PARIS 12
 -car la prochaine réunion des 39 se tiendra à la même adresse le vendredi 13 mars de 20H à 23h-.et chacun(e) y est le ou la bienvenu(e)-Ces réunions sont OUVERTES à tous ceux et toutes celles qui ont pris conscience de la gravité du « rouleau compresseur » qui menace, sous couvert de restrictions budgétaires, et orchestre une partition où soumission rime avec stigmatisation/exclusion.
Il est temps de fédérer nos luttes et nos îlots de résistance PLUS LARGEMENT ! Nous avons à conjuguer nos efforts de lucidité et nos colères avec nos volontés pour faire entendre combien CETTE CASSE DE L’ENFANCE DOIT CESSER tout autant que ce mépris haineux pour tous nos métiers de la relation HUMAINE, nos années de pratique et nos savoirs faire spécifiques et complémentaires.
J’invite  donc chacun (e) à  RESTER mobiliser activement  ET à MOBILISER tous ceux et celles qui sont empêchés d’exercer leur art et leur patience, ceux et celles interdits de parole, de pensées ou d’initiative, à nous rejoindre, pour que nous dépassions les constats de démantèlement d’équipes, de destruction de services, de suppression de postes, de disqualification des fonctions…..et que nous cherchions ensembledes voies  pour rester solidaires et créatifs et initier un contre-pouvoir.
Bien amicalement,
Liliane IRZENSKI
Ps : je vous transmets en PJ  l’annonce de 3 journées de travail où interviendront nos amies Janine Altounian et Christine Davaudian. L’entrée y est libre. A diffuser. Merci.
 document:
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l’AFPEP-SNPP à la journée STOP-DSM

Lors des journées de Lyon de l’AFPEP-SNPP, dont le thème était « Résistances », Patrick Landman nous a présenté son idée d’un colloque « Stop-DSM » (voir numéro 161 de la revue Psychiatries que tous les adhérents viennent de recevoir par la poste). La tentative « d’OPA » lancée par « l’entreprise DSM » sur le diagnostic en psychiatrie nous apparaît tant partie prenante de la main mise qui s’organise sur nos pratiques, que avons soutenu l’initiative de Patrick sur le champ. C’est à nos yeux un enjeu majeur.
Ne nous y trompons pas, l’objectif du DSM est la soumission des acteurs de la santé et de ses « consommateurs ». Une multitude diagnostique, telle que nous la présente le DSM, est sensée saturer les cas de figures en psychiatrie et rendre inutile toute réflexion singulière. C’est là le seul moyen de contrôler de bout en bout le marché des psychotropes. Il s ‘agit de cocher des cases pré-établies qui permettront à l’ordinateur de dicter l’ordonnance. Tout colloque particulier devient une entrave à cette démarche.
Les diagnostics DSM sont jetables selon les aléas du marketing. Inutile de se battre au sujet de leur essence, ils seront abandonnés d’un revers de main et remplacés par d’autres selon les péripéties du marché. Le combat ne se situe pas là. Le DSM a été récupéré par la finance qui a besoin de la prévisibilité des cours boursiers pour exercer son emprise. La soumission réclamée au psychiatre, la même que celle demandée au patient, rassure les investisseurs qui pourront ainsi asseoir leurs investissements sur des opportunités stables, statistiques à l’appui. Si nous feignons d’ignorer la stratégie politico-économique mise en avant avec le DSM, nous n’avons que peu de chance de tirer notre épingle du jeu, faut-il rappeler qu’il s’agit de celle de nos patients ! La lutte à laquelle on nous oblige se situe au niveau politique.
Mais revenons au plus près du diagnostic.
Classifier est un pouvoir social majeur et l’histoire de la psychiatrie en France est à cet égard bien éclairante. L’évolution de la psychiatrie française depuis deux siècles nous oblige à répondre à certaines questions et notamment: Comment se fait-il que le seul bouleversement politique d’envergure qui n’ait pas donné lieu à l’émergence d’un nouveau cadre diagnostic en psychiatrie soit le mouvement d’émancipation des années 60 ? Pourquoi la mise en place du secteur psychiatrique, de la psychiatrie de proximité, de la disparition de l’asile, n’a pas eu besoin d’un nouveau diagnostic mais bien plutôt d’un objectif éthique que nous pourrions appeler « le fou à délier » ? Vous en conviendrez, il ne s’agit pas là d’un diagnostic courant mais plutôt d’une perspective.
La révolution française a permis l’émergence de la monomanie, le retour de la monarchie après Bonaparte celle de la dégénérescence, la troisième république celle de l’hystérie et des psychoses chroniques, le nazisme celle du parasite, le néo-libéralisme actuelle celle de l’handicapé. L’émancipation des années 60 n’a non seulement pas été un événement historique radicalement violent mais a porté une évolution éthique de la société qui n’a pas eu besoin de stigmatiser ses concitoyens. Bien au contraire. Tous les changements politiques radicaux ont porté au pinacle un nouveau diagnostic psychiatrique. L’entreprise DSM conforte cette observation et  sa multitude peut se résumer à une seule question, celle du handicap. La révolution néo-libérale est un bouleversement politique de grande envergure qui possède un besoin massif de classification.
L’histoire nous enseigne également, et c’est là un fait et non une option partisane, que les courants humanistes ont porté, plutôt plus que moins, une psychopathologie tandis que les courants réactionnaires ont toujours préféré des théories dégénératives ou génétiques. Cela en dit long sur la révolution néo-libérale.
Comme vous le voyez, pas moyen de faire de psychiatrie sans en mesurer la dimension politique. Il y en a d’autres, bien évidemment, mais la volonté contemporaine d’enfermer la psychiatrie uniquement dans la science n’est-il pas un moyen de la dénier.
Faire un diagnostic, pour un soignant, est une nécessité. Mais il s’agit d’un cadre dans lequel les soins vont se développer et non d’une étiquette définitive sensée clore un processus. Une psychose décompensée, une névrose invalidante, un état limite ou une perversion, engageront la partie selon des modalités différentes. Les soins, dans le sens de prendre soin, ouvrent des perspectives à l’inverse d’un catalogage de l’autre qui ne serait plus qu’à éduquer. Le diagnostic en psychiatrie fait déjà partie des soins et n’en est pas le préalable.
En France tous les leviers passent progressivement du côté de la finance. Le diagnostic, les cabinets groupés, les plateaux techniques, les médicaments, la recherche, les lieux d’hospitalisation, les entreprises de formation ou de psycho-éducation, les remboursements des soins surtout avec l’émergence du tiers payant généralisé et la part grandissante des assurances privées et des paniers de soins, tous ces flux de capitaux gérés jusque-là par l’assurance maladie et l’état passent sous l’emprise du « marché ».
Présent à tous les niveaux du processus, la finance pourra ainsi fixer son prix, assurer les rendements, exercer sa prééminence.
Le diagnostic est un enjeu politique majeur. Celui qui en dicte les contours est certainement celui qui en tire les ficelles.
Nous avons à tenter de préserver des zones à l’abri des spéculations stérilisantes. Nous avons besoin d’une recherche réellement indépendante, de lieux de soins convenables, de protéger les populations fragiles, de mettre en place des traitements adaptés aux patients et non à l‘industrie, de proposer un épanouissement plutôt qu’un abrutissement.
Nous ne pouvons compter sur un sursaut humaniste du « marché ». Il nous faudra bien compter sur autre chose. Cette journée « stop-dsm », la nouvelle classification française en cours d’élaboration, les mouvements de résistance qui émergent ici ou là, la partie des professionnels qui gardent le cap, tout cela va dans le bon sens.
L’AFPEP-SNPP, fidèle à ses fondamentaux, soutiendra ces initiatives et présentera les siennes.
Je vous remercie

Dr Patrice Charbit  Président de l’AFPEP-SNPP

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Intervention pour la journée de STOP DSM, le 22 novembre 2014

Patrick Chemla, pour le Collectif des 39

J’interviens ici comme représentant du Collectif des 39, mais je parle aussi bien entendu en mon nom propre. Ce collectif a été fondé à l’initiative d’Hervé Bokobza au lendemain du discours de Nicolas Sarkozy  à Antony en décembre 2008, discours  qui voulait criminaliser les prétendus « schizophrènes dangereux », et qui maintenant rassemble familles, patients et soignants.

 J’ai rejoint aussitôt ce collectif d’autant plus que j’avais été à la fondation de la Criée à Reims voici 28 ans : lieu d’une critique radicale de la psychiatrie normative, et de la volonté déjà d’une évaluation lancée à l’époque par un psychanalyste qui croyait mesurer ainsi la pertinence de son orientation.

 Nous avons aussi au niveau du collectif des 39, également remis en cause d’entrée de jeu la conception de la folie qui sous-tendait le discours sarkozyste, concrétisé d’ailleurs par des mesures rapides aggravant l’enfermement dans les HP, et  se cristallisant dans la promulgation d’une nouvelle loi le 5 juillet 2011, étendant la contrainte jusqu’au domicile du patient. Loi à l’époque récusée par l’ensemble de la gauche, et depuis entérinée et tout juste toilettée par le nouveau gouvernement. Dès notre premier meeting, nous avons avancé une critique radicale de la dégradation de la clinique psychiatrique promue par le DSM. Le souci proclamé, comme chacun sait, était celui d’une langue partagée entre les cliniciens et les chercheurs pour améliorer les échanges scientifiques et la recherche. La réalité est tout autre, se concrétisant par l’appauvrissement du regard et de l’écoute du psychiatre et des soignants, la réduction du patient à une sommation de signes, ce qui ferait renoncer à toute recherche de sens au symptôme et au délire qui affecte un sujet parlant. Nous n’avons pas varié dans cette critique de la « clinique du DSM » qui transforme le psychiatre en gestionnaire de populations à risques, instrument du biopouvoir, exécuteur zélé de protocoles de soins basés sur les recommandations de la HAS, lesquelles sont elles-mêmes construites par des experts issus d’une caste où l’on retrouve les PUPH de psychiatrie générale, les laboratoires pharmaceutiques et les lobbies  comme Fondamental. Continuer la lecture de Intervention pour la journée de STOP DSM, le 22 novembre 2014

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> Entre les maraudes

L'équipe qui présente son travail dans ce texte, sera présente aux assises citoyennes des 31 mai et 1er juin 2013 à Villejuif.

Entre les maraudes,

Réunion clinique à Médecin du Monde-Marseille

 

Entre les Maraudes

Présentation

Lancelot Hamelin

 

C’est au cours d’une enquête sur la ville de Marseille, menée dans le cadre d’un projet journalistique, que j’ai rencontré l’équipe de la « mission mobile sans-abri ».

Pierre-François Pernet de SOS Médecin m’a mis en contact avec Marie-France et Raymond Négrel, qui partaient pour un séjour professionnel à Cuba.

C’est donc Marie-Hélène Vernet qui a assuré les premiers entretiens téléphoniques, au cours desquels, j’ai découvert le travail de Médecin du Monde : les questions qui se posent aux gens qui vivent dans la rue, les questions que « la rue » pose à la ville – et la spécificité de Médecin du Monde-Marseille qui s’appuie sur le travail de la psychothérapie institutionnelle.

Suite à ces échanges, avec Cynthia Charpentreau, la photographe avec qui je travaille, nous avons arpenté les rues dont Marie-Hélène m’avait parlé – et rencontré les personnes qu’elle avait évoquées. Bien sûr, nous n’avons pris aucune photo. Nous avons seulement découvert cette évidence trop facilement oubliée, que les sans-abris sont des êtres humains et que, ancrés dans leur condition, différente de la nôtre, génératrice d’affects de rejets ou de compassion, ils sont prêts à la rencontre. Et qu’ils ont quelque chose à nous dire, sur leur douleur mais pas seulement : sur l’existence, sur les choix de vie, sur le désir.

Il n’est pas exagéré de dire que nous avons rencontré le monsieur qui vit dans le parking du Centre Bourse. Pendant dix jours, nous sommes allés le voir régulièrement, pour échanger quelques mots, apporter un café, un thé ou des cigarettes qu’il n’acceptait pas toujours. La simplicité exemplaire de son refus nous a marqué.

Et même si pour lui nous étions parfois des personnes qui avaient un rôle étrange dans son théâtre intime (« tu retournes à Londres ? » me demande-t-il, comme si nous avions parlé de cette ville, et que c’était là d’où je venais), une reconnaissance était à l’œuvre entre nous.

Marie-Hélène nous a proposé de venir participer à une réunion clinique du mardi soir, au retour de Marie-France et Raymond Négrel. Nous avons rencontré l’équipe de la « mission mobile sans-abri » qui se réunie pour déplier les expériences de la semaine.

Voici le compte-rendu de cette soirée.

 

 

 

 



 

 

« Ainsi l’existence de chaque être appelle l’autre ou une pluralité d’autres (car c’est comme une déflagration en chaîne qui a besoin d’un certain nombre d’éléments pour se produire, mais risquerait, si ce nombre n’était pas déterminé, de se perdre dans l’infini, à la manière de l’univers, lequel lui-même ne se compose qu’en s’illimitant dans une infinité d’univers). Il appelle, par là, une communauté : communauté finie, car elle a, à son tour, son principe dans la finitude des êtres qui la composent et qui ne supporteraient pas que celle-ci (la communauté) oublie de porter à un plus haut degré de tension la finitude qui les constitue. »

Maurice Blanchot, La Communauté inavouable.

 

 

 

Eucharistie aux Mojitos

 

Raymond est assit en bout de table derrière une rangée de verres, une bouteille de rhum et une botte de menthe fraîche. C’est une étrange Cène laïque qui se trouve réunie sous les tubes fluo de la salle de réunion du CASO de Médecin du Monde-Marseille.

Le CASO est le Centre Accueil, de Soin et d’Orientation de Médecins du Monde. Le bâtiment constitue une clinique ouverte, gratuite, qui dispense tous les soins, à tout le monde, sans poser de question.

Dans la salle de réunion, les murs sont couverts d’affiches de prévention.

En décembre, à Marseille, il fait froid. Marie-France nous dit que huit ans après, c’est toujours pareil, on n’est jamais blindé : « Dès que le froid arrive, on ressent un pincement au cœur. »

Raymond complète : « Les médias insistent sur les plans « grand froids », alors que l’été, avec les grandes chaleurs, on compte plus de morts. »

« On ne peut pas éviter de projeter. C’est pour ça qu’on se réunit toutes les semaines, reprend Marie-France : pour parler. Parler de nos impressions, échanger sur nos sentiments. »

Ce soir, l’eucharistie se fera aux mojitos et aux tapas. Raymond et Marie-France Négrel reviennent de Cuba, où ils ont participé à un séminaire avec des psychiatres cubains, comme tous les deux ans. C’est une collaboration qui dure depuis plusieurs années. La psychiatrie à Cuba est très avancée, notamment autour de la psychiatrie institutionnelle.

 

Psychiatrie institutionnelle

 

La psychiatrie institutionnelle est la technique qui donne sa particularité à la « mission mobile sans abri » de Médecin du Monde-Marseille.

Marie-France s’enflamme quand elle évoque cette branche de la psychiatrie. Elle raconte comment la psychothérapie institutionnelle est née après guerre, de travaux conjoints menés par différents psychiatres soucieux d’aborder la folie autrement. Parmi ces explorateurs, on peut citer : François Tosquelles, Jean Oury, Georges Daumezon, voire Félix Guattari…

La psychothérapie institutionnelle repose sur deux principes : la psychanalyse, pour penser l’aliénation mentale, et le marxisme, pour penser l’aliénation sociale. L’idée c’est qu’on n’est pas fou par hasard, et que dans les déterminismes qui mènent à la folie, il y autant de part de fonctionnement psychiques que de conditions socio-économiques, voire politiques.

 

Le chêne et l’olivier

 

Pendant qu’elle parle, Raymond la couve du regard. Il ne perd pas une de ses paroles, et on entend qu’il pense chaque mot que Marie-France prononce, comme s’ils les avaient forgés ensemble, ces mots, contre les maux. Ici, le jeu de mots est un jeu des corps. Ils sont comme ces arbres du mythe, d’espèces différentes mais unis par une vie commune sur un même terrain, au point que branches et racines se sont nouées et s’entraident comme un seul être.

Raymond Négrel a un physique en éclat de chêne, sculpté de rides. Marie-France est comme ces arbres fragiles qui ont dû adapter leur grâce à la violence du terrain, contre vents et marées. Elle a quelque chose de l’olivier. La beauté de son regard vert condense la fragilité d’une existence que son corps aujourd’hui protège de toute atteinte, un corps ancré dans l’air qu’elle occupe, capable d’arrimer les peines et les doutes de toute l’équipe qui constitue la mission. Raymond et Marie-France sont les référents de la « mission sans abri » de Médecin du Monde-Marseille.

Marie-France et Raymond ont une carrière en hôpital psychiatrique. Qu’est-ce qui détermine une telle passion, un tel engagement ? Depuis cinq ans, Marie-France est au Collège Régional. Raymond sera discret lui-aussi sur son parcours et son engagement. Il est responsable de la « mission sans-abri » depuis huit ans.

Il est référent du groupe « santé mentale» à Paris. Dans ce groupe, ils s’interrogent sur ce qu’est la souffrance psychique et la santé mentale par rapport aux préconisations de l’OMS sur la santé psychique. Ils se penchent sur la souffrance, de celle qui frappe au travail en passant par celle qui touche les précaires et les SDF.

Il explique : « En matière de souffrance psychique, on doit toujours réviser où on en est, en fonction des régions. Que ce soit dans le vaste département d’Ile de France ou en Alsace, les profils et les problématiques sont différentes que dans les municipalités « subversives » du sud, comme à Marseille où le maire a fait passer un arrêté anti-mendicité… »

Marie-France ajoute en rebonds, la pensée est incidente, comme la structure d’un discours encore désorienté par le décalage horaire : « Ici, sur la mission des sans-abris, ce qui nous paraît essentiel, pour éviter que les maraudeurs sédimentent de la souffrance psychique… Si on ne se voit pas une fois par semaine ensemble, on se met en danger, et on met en danger les gens dans la rue. »

 

« Si tu fais sans moi, tu fais contre moi »

 

Oui, en maraude, il faut se laisser guider par ses intuitions, ne pas avoir peur de se livrer à l’errance que pratiquent les sans-abris – mais il ne faut pas perdre le fil… Pour la santé psychique des maraudeurs, deux maraudes par semaine sont suffisantes, et requièrent cette séance clinique hebdomadaire, au cours de laquelle chacun se livre à un travail d’écoute, d’observation, de bonne distanciation, de vigilance.

L’essentiel est de ne pas se mettre en position de faire à la place de l’autre.

Raymond glisse un « si tu fais sans moi, tu fais contre moi. » Mais en général, ce soir-là, il laissera parler les autres. Son domaine est l’action. La fabrication des mojitos sera sa façon de théoriser sa pratique de l’échange, et de cette prise de risque permanente qu’est le travail de rue.

 

L’équipe de la « mission sans-abri »

 

Les autres membres de l’équipe sont là, avec leur histoire, leurs questions, leur expérience. Chacun vient ici pour aider, « soigner et témoigner », comme le dit la devise de Médecin du Monde.

Soigner, dans le sens « prendre soin ».

Emilie est une actrice pleine d’énergie, qu’on sent habitée par une tourmente permanente, un Mistral sombre qu’elle doit dompter. Elle découvre Médecin du Monde, et a commencé par faire des collectes de fond comme sa copine :

Amélie est une étudiante en art dramatique. Très jeune, elle ouvre des yeux étonnés de passion sur tout ce qui se présente à elle lors de ses bouleversantes maraudes. Elle connaît Médecin du Monde depuis un an, pour qui elle a fait de la collecte de fond. A présent, elle fait des maraudes de temps en temps. On devine que la spirale va l’entraîner.

Marylise est infirmière à la retraite. Poursuivre sa pratique du soin était une évidence, qui l’a portée vers le bénévolat chez Médecin du Monde.

Sophie est professeur des écoles. Nous n’en saurons pas plus. Avons-nous assez bien écouté, ou n’était-ce pas le moment pour Sophie de livrer ses raisons et secrets ?

Marie-Hélène Vernet est psychologue et psychanalyste. Elle est engagée dans l’aventure de Médecin du Monde-Marseille depuis trois ans, et explique : « Nous ne sommes pas là pour nous soigner, ni pour sauver le monde. L’expérience de la rue est une constante épreuve de ses propres limites, en même temps qu’elle est le théâtre de toutes les projections. C’est une expérience de réel, une traversée du miroir qui a des allures de voyage au cœur des ténèbres. Oui, c’est une véritable expérience de mort, qui nécessite que chaque maraudeur travaille sur les sentiments d’impuissance qui le traversent, impuissance et toute-puissance ne faisant qu’un. »

Marie-France ajoute : « Il faut souligner les effets que la maraude fait sur les gens qui la font. On est embarqués, autant que les SDF qu’on rencontre. La déambulation est psychique et par les méandres de cette cité intime, on arrive souvent au même endroit de souffrance que le psychotique. »

Le travail clinique n’est pas à proprement parler psychothérapeutique (psychothérapique) au sens où nous pourrions l’entendre ou l’imaginer d’une pratique hospitalière ou de cabinet classiques. C’est une posture, qui a des effets psychothérapeutiques. C’est ce qui fait que même des non-soignants ont une fonction soignante. La question est de distinguer la fonction du statut. Mais en aucun cas les maraudeurs ne se prennent pour des psychothérapeutes. Ce travail se vit dans le transfert et a donc des effets contre-transférentiels. C’est la raison pour laquelle, une fois par semaine, tous les mardis soirs, les maraudeurs de Médecin du Monde se retrouvent pour leur supervision.

C’est une « réunion clinique » qui consiste à revenir sur l’expérience des maraudes de la semaine, afin de faire le point sur les expériences vécues dans la rue, les personnes rencontrées ou retrouvées dans la rue, l’évolution des situations, les besoins nouveaux des sans-abris, mais aussi, et peut-être surtout, afin de faire le point sur l’état psychique des maraudeurs eux-mêmes.

 

Sans badge ni dossard

 

A Marseille, la « mission Sans Abris » de Médecin du Monde a un fonctionnement très particulier. Chaque représentation de Médecin du Monde dans chaque ville de France a son autonomie de fonctionnement. Ici, nous sommes dans la seule ville où les bénévoles maraudent à pieds, en binômes, et sans porter de badge ni les gilets bleus et blancs de l’ONG.

« Sinon, ça coupe la relation, explique Raymond, à cause des gens qui s’arrêtent, qui regardent. Ce sont les autres qui coupent la relation. »

Au sein de Médecin du Monde, on trouve différentes missions : « mission prévention des risques toxicomanes », « mission Roms », « mission travailleurs agricoles sans papiers », « mission bidonvilles », « missions fêtes », qui opère sur les lieux des raves, gay prides etc… afin de guider les teuffeurs dans leur consommation de stupéfiant… Pour les missions de rue, le statut de soignant n’est pas obligatoire.

La mission des maraudeurs n’est pas d’apporter de la nourriture, des couvertures ou des médicaments. Ne pas « donner » mais travailler sur le don, notamment mesurer la part d’assujettissement qui peut miner le don.

Les maraudeurs pratiquent une écoute de l’autre – ainsi qu’une veille de l’état psychique de la ville et de ses rues. Une rue qui laisse vivre les sans-abris témoigne d’une ville dont la santé mentale est bonne. Comme si elle laissait respirer les créatures de son subconscient…

 

Soutenir un désir

 

Marie-Hélène Vernet est bénévole depuis trois ans. Elle exprime son engagement ainsi : «  Notre action consiste à témoigner une attention à l’autre, ça peut ne sembler servir à rien. Sauf que nous faisons le pari de soutenir un désir. Quel désir ? Celui peut-être de seulement tenir bon dans l’humain. Quand nous travaillons aux confins de l’humain, nous ne pouvons céder sur ce désir. Il en va de notre éthique ! »

Ca peut être choquant de parler de désir à propos de gens qui sont dans la rue, à qui on prête des « besoins », et qui en plus n’ont pas toute leur tête, reprend Marie-Hélène. Mais c’est le pari que nous faisons. Le désir, ce n’est pas le besoin, comme ce n’est pas l’envie ni le caprice. Le désir, ce n’est pas «  ce à quoi je tiens », mais c’est ce qui me tient. C’est le lieu du sujet de l’inconscient, et il y a de l’inconscient dans la rue, sans parler du fait que la rue est l’inconscient de nos foyers, de notre confort… C’est un engagement politique que de dire : il ne faut pas lâcher sur le désir.»

La présence régulière des maraudeurs est une façon de prouver que celui qui est à terre continue de faire partie de la communauté des humains. Elle permet une inscription dans le temps et l’espace, la régularité donne un rythme, comme une ponctuation donne souffle et sens à la phrase. Parfois, il suffit d’être soi-même, aussi, dans la rue, assis sur des cartons, pour faire pierre avec l’autre : le lester d’un poids qui le rattache à la communauté, autant que de lui offrir un petit caillou blanc qui lui permette de retrouver son orientation.

Les gens qui habitent la rue sont souvent des personnes âgées, avec des profils psychiatriques. Ils vivent dans les parkings, les poubelles, les décharges, les gares, les passerelles d’autoroute, se nichent dans les allées, changent souvent de lieux, parfois tous les soirs. Et nous, il faut alors qu’on les retrouve. Les psychotiques se protègent de la ville en cherchant des odeurs insupportables, des bruits impossibles. « Ils vivent leur folie à bas bruit dès lors qu’on sait respecter leur espace, la bonne distance », dit Marie-Hélène qui nous explique comment la ville est de moins en moins adaptée pour les sans-abris.

 

Entraver la vie dans la rue

 

On sait qu’il existe une politique consciente destinée à entraver la vie dans la rue. Les contraintes sont données explicitement aux designers et aux urbanistes par les promoteurs et les pouvoirs publics. Mais on conçoit la chose autrement lorsqu’on en entend les répercussions de la bouche des personnes qui travaillent dans la rue, auprès de ceux qui y vivent.

Les bancs sont de plus en plus étroits, avec des incurvations et des séparations. On voit apparaître de plus en plus de herses. Près du boulevard de Paris, il y avait, nous dit Marie-Hélène, une alcôve où logeaient deux SDF. Elle a été équipée d’une herse. Les fontaines aussi sont rendues inaccessibles : l’espace entre le bec et l’évier est trop étroit pour y placer une bouteille.

Mais les sans-abris développent des contre-stratégies. Par exemple, autour de la gare Saint Charles, les Roms viennent avec des tuyaux qu’ils adaptent aux robinets. Ainsi peuvent-ils laver leur linge.

Les services de voierie font le nettoyage des rues très tôt. Il s’agit ici aussi de nettoyer le bitume « au karsher ». Les cantonniers ou les agents de police détruisent les matelas. De cette façon, on pousse les sans-abris à s’excentrer dans les quartiers pauvres, déjà stigmatisés, où les habitants supportent mal de voir arriver des gens encore plus pauvres. On assiste à des situations de tension. On sait que la concentration des pauvres est toujours dangereuse.

Les sans-abris âgés sont encore tolérés dans le centre ville, mais les jeunes ou les nouveaux venus, Roms ou Polonais, n’ont pas leur place.

A Marseille, la pauvreté est contenue par le milieu associatif, qui travaille en réseau. La ville se désengage. Elle prétend qu’il y a plus de 400 fontaines dans la ville. Mais Médecin du Monde dément ce chiffre, parce que sur les 400, il n’y en a qu’une seule qui soit accessible.

La seule action du maire envers les sans-abris a été de prononcer un arrêt anti-mendicité.

« Mais les actions des bénévoles et de la charité, dit Marie-Hélène, c’est un emplâtre sur une jambe de bois. A Médecin du Monde, nous sommes trop peu. Nous avons chacun nos rues et un certain nombre de sans-abris que nous suivons. Nous ne pouvons pas couvrir tout le territoire, et il est important que nous privilégions le travail dans la continuité. Nous proposons un travail qui s’inscrit dans l’espace et dans le temps.

Toutes les rénovations de la ville vont dans le même sens : derrière le cours Belsunce, autour de l’église Saint Laurent, du côté des boulevards de Paris et de Strasbourg, le quartier va être rénové. Il va falloir que les pauvres qui y habitent aillent voir ailleurs. Ils veulent en faire un quartier chic. Comme sur la rue de la République, ils construisent des décors de théâtre.

C’est une stratégie d’occupation lente : par exemple, ils ont rénové l’Hôtel Dieu, un hospice magnifique, pour le transformer en palace. Sauf qu’il se trouve en plein quartier du Panier, au milieu des toxicomanes. Ce n’est pas très commercial, pour les clients attendus dans ce genre d’établissement. On voit donc quelle sera la deuxième étape de l’opération : le nettoyage des pauvres… »

 

Le Hameau

 

Raymond reprend la parole : « Je voudrais revenir sur une idée qu’on a évoqué en début de réunion. C’est important de le redire : loger les sans-abris n’est pas une évidence. Car avec la mise à l’abri, on observe souvent un effondrement des mécanismes de défense suivi de décompensation, avec des complications somatiques, cardiaques, ou même de cancéreuses. »

Dans la rue, il est interdit de se plaindre ni de souffrir. Pour se protéger, la personne s’est mise en état de glaciation psychique. Le phénomène est décrit dans La Glaciation de Salomon Reznik. La sortie de la rue équivaut à une décongélation : l’être en sort fragilisé. En outre, les gens qui vivent dans la rue ont souvent eu des vies normales avant de basculer. Revenir dans un foyer leur rappelle un temps déjà vécu. Le traumatisme est insupportable pour l’organisme lui-même. Penser leur histoire équivaut à la revivre. C’est parfois un second traumatisme.

Raymond nous raconte une expérience de relogement qui répond à cette difficulté. Le Hameau est une expérience initiée par la fondation de L’Armée du Salut.

Le Hameau consiste en douze chalets de deux places, construits dans le quartier du 3e arrondissement de Marseille, pas loin du CASO. L’idée est de fournir une habitation à des personnes qui avaient vécu dans la rue depuis longtemps, mais qui sont susceptibles de s’adapter à des conditions de vie dans un logement.

Plutôt que de loger les gens à l’hôtel, il s’agit de leur fournir un véritable petit foyer, afin de les réadapter progressivement à un mode de vie normal.

Des équipes de spécialistes issus de Médecins du Monde, de l’Armée du Salut et d’éducateurs de rue, se sont concertées pour déterminer quelles personnes vivant dans la rue étaient susceptibles de s’adapter à ces endroits. Ensuite, les personnes qui intègrent ces chalets du Hameau sont accompagnées par des éducateurs et des médecins.

Le Hameau, ça marche donc, comme par exemple avec Ben Hur et Cathy.

 

Ben Hur et Cathy

 

« Ben Hur vivait sous le terminus du tramway. Mais c’est comme s’il habitait dans son manteau, qui pèse au moins vingt kilos, car il accumule des outils dans les poches. »

C’est Raymond qui l’a poussé à aller se faire opérer de l’œil pour sa cataracte. Ensuite, pour le deuxième œil, Ben Hur est allé tout seul prendre rendez-vous avec le médecin. « Ici, Ben Hur par son déplacement géographique nous a beaucoup dit sur son déplacement psychique ! », dit Raymond.

C’est à partir de là, comme si Ben Hur y voyait plus clair grâce aux actes qu’il avait effectués, et qui l’avaient décollé du bitume, qu’il a pu intégrer un chalet du Hameau.

Dans cette maison, il a vécu avec Cathy.

Cathy est une petite bonne femme aux épaules frêles. Elle portait des tresses africaines et Ben Hur la vouvoyait. Mais le jour où sa coiffeuse a pris sa retraite, Cathy a pété les plombs et s’est rasée le crâne.

On l’avait abandonnée, elle s’est fait payer elle-même son impuissance à garder les êtres qu’elle aime.

Elle est revenue au chalet le visage en sang : elle s’était lacérée la face avec ses ongles. Il suffisait de peu pour que sa réintégration fonctionne, mais elle est retournée à la rue.

Cathy avait eu un enfant et on le lui avait enlevé.

C’est le cas de la plupart des femmes qui vivent dans la rue.

La rue n’est pas faite pour les femmes. Elles le savent. Il en faut beaucoup pour qu’elles y échouent. Les femmes ont d’autres moyens de vivre leur psychose et de se couper du monde.

Raymond dit : « On n’a pas plus de dix pour cent de femmes dans la rue. »

 

Epopées minuscules

 

Raymond : « La souffrance psychique, c’est comme le nœud borroméen. Il y a une pelote de fil, il suffit de tirer un fil pour tout démêler. Ou pour resserrer les nœuds et ficeler encore plus la psychose. Ou raccrocher l’homme à la communauté… C’est un travail sans fin. Dans la souffrance psychique, il y a des fils de trame. On essaye de tisser un petit morceau. Parfois, on arrive à faire se déplacer le motif. Les SDF, ce qui n’est pas pareil que les sans-logis, ils sont parfois collés à l’asphalte. Notre travail, ce n’est pas de les loger, mais de faire un travail de lien. Si on arrive à créer un déplacement par rapport à l’asphalte, on va créer un déplacement psychique. Ils vont pouvoir commencer à nous parler de leur souffrance psychique, enkystée depuis des années. On devient la prothèse de l’autre, sa navette qui le relie au monde général.»

Marie-Hélène parle de cet homme qu’elle va voir à l’hôpital. Il est à la fin de sa vie. Il souffre beaucoup d’être alité et Marie-Hélène lui masse les mollets pour le soulager. « Il a toujours beaucoup marché dans la ville. Il marchait beaucoup, mais dans sa tête, c’était un immobile. »

Il est musulman et comme il buvait beaucoup, lorsqu’il passait dans le quartier de la porte d’Aix pendant le ramadan, il se faisait lapider par les salafistes du Boulevard National.

Il dit : « J’ai fait de mal à personne, mais j’ai beaucoup bu dans ma vie. »

Il a peur d’aller en enfer. Marie-Hélène a dû faire venir un imam pour le rassurer. Pour lui rendre la paix.

C’est un homme que Marie-Hélène a mis du temps à apprivoiser. Pendant longtemps, il lui faisait peur.

Elle dit en riant, mais dans son rire, reste un frisson de frousse : « Avec son œil de lynx, il me regardait et me disait d’une grosse voix : « Jeune fille de bonne famille ». Ca me terrifiait.  Mais après avoir maraudé avec Raymond, qui était son grand copain, on a tissé une relation. Et aujourd’hui, je lui masse les mollets. »

Raymond raconte : « Il faut accepter la non-maîtrise du transfert. Le mec, il te fait chier, mais il faut être là quand même. »

 

Quelqu’un à cintrer

 

Les récits d’expériences de maraudes se succèdent, se croisent et parfois se rejoignent et se nourrissent les uns les autres, lorsque la parole arrive à un cas que plusieurs maraudeurs ont suivi, dont ils ont partagé le destin. Les témoignages de Raymond et Marie-Hélène continuent de se mêler dans un même récit de vie. Une vie, une autre vie, brisée, une autre encore…

Raymond raconte l’histoire de cet homme qu’ils ont vu pendant plusieurs années. Toujours à leur gueuler après.

Marie-Hélène dit : « Il sentait la pisse au kilomètre. Il vivait sur un matelas au bord des rails. Dans une vraie poubelle, au milieu du bruit et des rats. »

Raymond entre dans le vif du sujet : « J’ai pas vu, c’était en pleine nuit, ses pieds étaient en train de geler. On lui a amputé les pieds. Quand je suis allé à l’hôpital, il m’a cintré : « C’est de sa faute, il m’a donné une tente et puis il m’a laissé crever. » »

Marie-Hélène revient : « Raymond était la seule personne capable de l’approcher. Moi, je restais loin. Donc, aux yeux de cet homme, Raymond était plus coupable que quiconque. »

Elle se tourne vers Raymond : « Mais il a quand même donné ton numéro de téléphone au professeur de l’hôpital, comme ça Raymond a pu être appelé. Tu étais son seul lien avec le monde. »

Raymond rit : « Oui, comme ça, il avait quelqu’un à cintrer. »

 

Pas loin du rivage

 

En fin de réunion, Amélie prend la parole. Elle a des questions à poser quant aux personnes qu’elle suit dans ses maraudes. Amélie est prise par un mouvement de panique. La réunion va s’achever et on n’a pas tout dit. Elle voudrait ne rien oublier. Comme si la parole avait un effet de sauvegarde – et que le silence risquait d’entériner l’oubli.

Elle évoque cet homme qui est à la morgue depuis deux mois, toujours pas enterré, parce qu’on ne connaît pas son identité. La police et les services sociaux cherchent encore sa famille. Un commissaire s’occupe personnellement de cette enquête. On cherche le nom du mort.

Amélie dit : « Maintenant, ils ont une photo. » Elle s’adresse à Marie-France : « Ils attendent tes photos. Ce sera un premier pas. »

Amélie poursuit son mouvement d’emballement, et elle évoque un autre cas.

C’est celui d’un homme qui n’est pas dans la rue depuis longtemps. Il n’est pas loin du rivage mais il ne fait rien pour s’en sortir. On la sent en colère contre cet homme qui ne fait aucun effort pour se reloger, alors qu’il a les papiers qu’il faut. Même son copain de rue le secoue.

Amélie dit : « Son fils est venu le voir. Mais rien n’y fait, il se laisse aller. Parce qu’il a la flemme.»

Amélie met de la colère dans ce dernier mot. Elle aimerait pouvoir faire quelque chose pour cet homme.

Marie-France dit : « Ce n’est pas la flemme, c’est une paralysie psychique. »

Raymond dit : « Tu es prise dans l’emballement. Il te prend dans les rets de sa glaciation. »

Marie-France nuance la remarque de Raymond : « Elle a du désir pour lui. »

Amélie comprend : « Mais comment ça se fait ? Comment ça se passe ? »

Raymond ne lâche pas Amélie : «  Ne cherche pas comment, cherche pourquoi. »

Amélie répond : « J’ose pas. »

Raymond continue, Marie-France dit les mêmes mots en même temps que lui : « Il faut oser. »

Amélie lâche : « Ce monsieur – J’ai dix neuf ans. Ca pourrait être mon grand père… » 

Raymond dit : « Nous, on est des passeurs, pas des donneurs. Je dis que ce qui nous menace toujours, c’est le problème de l’emballement. Dans la rue, il faut maîtriser l’envie de pleurer, l’empathie, la violence, l’agressivité, le sentiment d’échec, les pensées qui surviennent lorsqu’une personne disparaît, lorsqu’elle meurt… »

 

Jamais ressoudé

 

Raymond revient sur ce cas douloureux d’une femme venue de Paris. Elle était un peu déficiente et buvait cinq litres de vin par jour. Un jour, une veine de son nez avait explosé, elle pissait le sang et semblait la première surprise. Il avait fallu la conduire à l’hôpital.

Elle avait vécu quelques temps dans le parking souterrain du Centre Bourse, avec Monsieur Behti qui y a élu domicile depuis au moins vingt ans. Quand ils fermaient le parking, elle se laissait enfermer dans le parking. Monsieur Behti ne la supportait pas. Il lui reprochait de boire et d’attirer les hommes qui venaient rôder autour d’elle.

Elle est morte de froid dans une cabine téléphonique. Elle s’était fait violer quatre ou cinq fois, on lui avait cassé le bras qui ne s’était jamais ressoudé.

Marie-France dit : « Les fragments d’histoires s’accumulent avec le temps, on emmagasine, on archive, sans faire de fiches, sans tenir de comptes, sans chiffre… Dans nos mémoires et parfois dans notre chair. »

 

Le regard dans la rue

 

Raymond conclut : « Le travail de rue, c’est être bien campé sur ses deux jambes et se balancer. On est sur une chaloupe. Il faut juste avoir l’œil. Avoir le regard vif. Le regard qui ouvre la porte et celui qui la ferme. Dans la rue, les gens qui ont une psychose te scannérisent. Le regard de l’œil va plus vite que n’importe quelle optique. Il va très vite et travaille avec l’inconscient. Il y a un regard qui rend vivant et un regard qui tue.»

 

Lancelot Hamelin

 

Cynthia Charpentreau est photographe. Son travail cherche à saisir le silence dans des images « hors temps ». On peut avoir un aperçu de son travail sur son blog :

http://cynthiacharpentreau.tumblr.com/

Elle se frotte parfois à la photographie de reportage, comme dans ce voyage que nous avons fait ensemble aux Etats-Unis pendant les élections présidentielles.

http://www.lesinrocks.com/2012/11/06/actualite/a-la-nouvelle-orleans-le-blues-du-lower-9th-ward-11321045/

Lancelot Hamelin est auteur de théâtre, publié aux éditions Quartett et Théâtre Ouvert. J’ai publié un premier roman chez L’Arpenteur-Gallimard, Le Couvre-feu d’octobre.

 

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> De l’interdiction de débattre du « packing » ou des effets d’une politique gestiocratique.

De l’interdiction de débattre du « packing » ou des effets d’une politique gestiocratique.

 

Sans bruit, sans que personne ne s'en indigne, autres que ceux qui en ont pâti directement, sans même qu'une ébauche d'étonnement médiatique ou politique ne se fasse jour, une association se présentant sous les couleurs des droits de l’autisme : « Autisme Right Watch », d'une extrême attention aux droits de ceux, qui parmi nous en souffrent, au point d’y adjoindre une résonnance de leurs droits avec ceux des droits de l'homme, nous convie, à sa façon, au débat.

Qui, soucieux du défi démocratique d’être tous égaux en droit  n’y souscrirait-il pas ?  

 

Communautarisme et laïcité

 

De plus son intitulé en langue anglaise, assone avec une association importante  « Human Right Watch » dont chacun peut prendre connaissance des nombreux et courageux combats qu’elle mène contre toutes les formes d’oppression au niveau planétaire. Voilà bien une association qui par son intitulé laisse d’emblée espérer en un combat similaire, qui par avance forcerait plutôt respect et admiration. Mais voilà que la demande par laquelle elle se glisse sur la scène publique est une demande d’interdiction d’expression, elle menace assez, il est vrai avec une efficacité déconcertante, sous couvert d’une recommandation de l’H.A.S. deux présidents d'université, pour que ces derniers interdisent à des professeurs de faire état et de débattre de leurs recherches autour du packing et des jeux d’eau, en ce qui concerne le traitement des manifestations d’auto-agressivité, que peuvent présenter certains enfants atteints d’autisme.

La liberté d’expression vaut même pour ceux qui portent atteinte par leurs demandes à ladite liberté d’expression, à condition qu’elles restent sans effet liberticide sur ce qui représente la base même de la question démocratique. Évidence qui n’a même pas besoin de se gausser de cette constatation logique que si la liberté d’expression autorisait en son nom l’interdiction d’elle-même, nous serions face à une aporie exemplaire.

C’est pourquoi cette association nous importe peu en elle-même, elle a bien sûr le droit de s’exprimer. De tout temps des petits groupes se sont rassemblés pour asseoir leur vérité en limitant la liberté des autres. Souvent même ils se repèrent assez facilement à leurs penchants pour profiter d’étendards qui ont fait leurs preuves et dont il faut bien reconnaître que les « droits de l'homme » font bien souvent partie.  Qu’ils gravitent et s’agitent à l’ombre de ces grandes causes porteuses, cela fait partie du débat démocratique, à la condition que la démocratie ne se laisse pas aller à la simple réponse d’évitement déficitaire des questions qui la maintiennent dans le vif de ce défi toujours à relever de la liberté d’expression, qui ne va pas sans de sereines disputes

La gravité de cette affaire ne tient pas à la demande de censure de cette association, mais à la facilité avec laquelle nos institutions par un renforcement en cascade se sont aisément pliées à l’appliquer.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Comment notre institution universitaire s'est-elle aussi facilement soumise à deux reprises à cette demande de censure ?

La question pour nous n'est pas d'opposer la vérité absolue d'une méthode contre une autre, mais de reconnaître ce droit élémentaire pour des personnes, quand bien même ne seraient-elles pas professeurs, mais effectuant un travail de recherche et qui ne font que soumettre leurs réflexions, à présentation et à discussion, de pouvoir le faire au sein de nos universités.

 

Naissance d’un concept : « la maîtrise médicalisée des dépenses de soins »

 

Quand on y regarde de plus près on s'aperçoit que cette demande de censure est avancée, de la part de cette association, comme n'étant que le prolongement, « légalement indiscutable » d'une recommandation de la haute autorité de santé : l’HAS. La soumission immédiate à cette demande de la part des universités n’est pas sans soulever les effets de la nouvelle loi LRU. Il est difficilement imaginable que l'État, avec ses différentes instances, eût accepté sans mot dire de se plier à une telle injonction. Nous pouvons constater que certaines formes de délégation avec autonomie ont pour effet d'ouvrir sur une gestion au plus près des intérêts immédiats, peu soucieuse dans les faits de la question éthique des services publics. Cela mériterait à lui seul une analyse qui dépasserait notre propos.

Quant à l’HAS, cette autorité indépendante à caractère scientifique, elle n'a probablement même pas entraperçu l'usage fait de ses recommandations aux fins de prohibition ; en tout cas, au jour d'aujourd'hui, nulle protestation de sa part contre leur utilisation abusive, pire peut-être n’y a-t-elle vu que dévotion, certes un peu excessive, envers ce qu'elle met en scène en prodiguant une vérité scientifique supérieure à ceux qui œuvrent au plus près de chacun, avec leur art, pour que l'effet de la science ne se substitue pas aveuglément au choix individuels.

En ce qui concerne la santé, de tout temps les gouvernements et c’est leur rôle produisirent des recommandations. Que recommandaient-t-ils ? Ils recommandaient que les forces vives en matière de santé s'attellent à un certain nombre de problèmes repérés dans la société, la tuberculose, le cancer, la maladie mentale pour ne citer que ceux-là. Les termes de lutte contre les fléaux sociaux furent même utilisés pour mieux en préciser l'urgence et la nécessité de s’y atteler. Des moyens furent alloués et des centres, dispensaires furent ouverts pour y répondre.

Il apparaît à l'évidence que nous ne sommes plus dans le domaine des recommandations de combat, mais que nous avons versé progressivement vers des recommandations de maitrise et de contrôle d’une supposée qualité des pratiques courantes.

De quel esprit « créatif » est donc sortie cette autorité sanitaire qui se présente au peuple déjà parée de toute sa hauteur ? D'une loi en date du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie qui  énonce dans son titre Ier  les « dispositions relatives à l’organisation de l’offre de soins et à la maîtrise médicalisée des dépenses de santé », puis dans son titre II, elle fonde la Haute Autorité de Santé présentée sous la forme d’une « autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale », qui a pour mission de «  Procéder à l’évaluation périodique du service attendu des produits, actes ou prestations de santé et du service qu’ils rendent, et contribuer par ses avis à l’élaboration des décisions relatives à l’inscription, au remboursement et à la prise en charge par l’assurance maladie des

produits, actes ou prestations de santé ainsi qu’aux conditions particulières de prise en charge des soins dispensés aux personnes atteintes d’affections de longue durée. »

 

Cette HAS reprenant les prérogatives accordées à l’ANAES (l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé) mises en place par les ordonnances « Juppé » en 1996, ordonnances qui affirmaient la valeur d'un nouveau concept, non pas que cette idée n'a pas toujours été plus ou moins présente dans l'histoire qui consiste à prodiguer des soins en tenant compte du coût des techniques et des personnels, mais ici en lui donnant force de loi : « la maîtrise médicalisée des dépenses de soins ».

 

Du concept au régime de vérité du « seul chemin » quant à l’offre de soin.

 

Ce concept de maîtrise médicalisée des dépenses de santé est situé au centre du dispositif des ordonnances de 96, pour preuve prenons l'entame du « Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n 96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins » qui postule que «Maîtriser les dépenses de soins par des procédures médicalisées qui veillent à la qualité des soins est le seul chemin qui permettra de sortir de l'alternative entre l'accroissement des prélèvements obligatoires et la diminution du niveau de la couverture sociale. Ainsi doivent se concilier le perfectionnement de notre système de soins et le rétablissement des comptes sociaux.»

Pourquoi nous attachons-nous à aller chercher dans les prérogatives de l’HAS, dans les termes qui l’ont promue, dans la mission qui lui est confiée, dans l'espace délimité par les nouveaux objets qu'elle construit où  l'expertise, les comités d'experts, ceux-là mêmes dont Cornelius Castoriadis soulignait qu'ils étaient appelés a en dire toujours plus à partir de toujours moins, construction qui ne cesse de se départir de la politique pour y substituer des techniques de gestion, si ce n’est pour essayer de comprendre comment se sont installées progressivement les conditions d'apparition d'un tel déficit démocratique, vide dangereux dans lequel s'est glissée, sans retenue, une revendication de maîtrise du monde, ici monde proposé aux autistes, en interdisant à tout étranger à leur conception éducative de pouvoir s'exprimer.

Pour cela suivons le fil des termes, « maîtrise médicalisée », « procédures médicalisées », termes qui de l’HAS nous ont conduits à l’ANAES. Il est affirmé que le seul chemin, la seule façon, qui nous permettra de ne pas payer plus, tout en ne baissant pas notre niveau de couverture sociale, consiste à mettre en place une diminution des coûts uniquement au sein de l’organisation médicale tout en maintenant leur niveau de qualité. Qu’est-il proposé dans cette affirmation ? Rien de moins qu’un déplacement de la question politique : à savoir qu’est-ce qu’un pays, une société, souhaite attribuer comme moyens pour se prémunir et lutter contre les maladies qui peuvent toucher chacun d’entre nous, vers une réponse technique. Il n'est pas question ici de laisser croire que le calcul de l’effort national à engager dans l’offre de soin serait d'une simplicité évidente au point qu’il existerait une logique assez pure qui conduirait d’elle-même au choix parfait. C’est un choix de société, qui nous concerne tous et qui ne peut être écarté du débat démocratique sous ses formes diverses, institutionnelles, populaires, y compris spécialisées, par l'interpellation des différents domaines des sciences humaines, bref  un débat politique étendu et toujours à renouveler.

 Que l'on puisse optimiser les soins de façon à soigner mieux qui s'y opposerait ? Ce n'est donc pas la finalité en elle-même qui est critiquable, mais bien qu'elle soit présentée comme le seul chemin, comme si c'était à l'intérieur de la « maîtrise médicalisée » que toute la complexité d'un engagement social, d’une extrême importance parce qu’au centre de la question démocratique : – nous ne sommes pas égaux devant la maladie – devait être résolue. Les investissements et choix en matière de santé représentent un des modèles de la lutte nécessaire contre les inégalités. Ce qui est proposé, dans ce rapport au président de la République par les ordonnances Juppé, sera nommé par les historiens qui étudieront cette période – d’une proposition politique, qui par les mécanismes mis en place se révélera un véritable « coup politique » – soit une proposition qui vise à éluder la dimension d’un problème réel en déplaçant l'analyse sur une courte séquence, un petit sous-ensemble de ce problème lui-même, escamotant ainsi tout le reste qui pourrait poser question.  Le choix de ce sous-ensemble n'est pas anodin, en effet la « maîtrise médicalisée » permet de construire une réponse qui nous est présentée comme essentiellement technique. Le coup politique prend assez d’ampleur pour construire une réalité « objective » qui attire toute l’attention sur elle et dont la réponse passe par un dispositif d’évaluation et de contrôle dont les résultats définissent « objectivement » l’enveloppe à attribuer. Le coup politique s’est progressivement transformé en vérité politique. Là où la vérité judiciaire impose la lecture univoque d’un acte, la vérité politique présente une orientation comme incontournable. Un savoir gestionnaire, fondé sur un nouveau régime de vérité quant à l’offre de soin, se construit par l’intermédiaire d’un dispositif qui a comme objet la réalisation de la « maitrise médicalisée ». 

 

Une gestion au nom de la science qui fait autorité au nom d’une gestion.

 

Elle doit être indiscutable, elle aura donc un caractère scientifique, elle doit faire autorité, une autorité au-dessus de la politique, parce que représentative de la vérité. Une vérité incontestable, indépendante de toutes influences politiques. Ne relève-t-elle pas cette haute autorité de l’assise de deux  registres de vérité, la vérité gestionnaire des équilibres financiers et la vérité scientifique du recueil des  discours experts. D’une part l’objectivité localisée de la maîtrise des crédits et des débits, d’autre part les experts désignent ce qui fait autorité scientifique, il suffit d’y ajouter le nombre, la quantité, d’extraire de chaque cohorte une résultante et sciences fait force de loi. Tout cela pour le bien du peuple,  elle aura l’autorité publique en son nom, L’HAS vient de naître, sur son acte de naissance est noté que quelques étranges fées l’ont dotée d’une : autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale.

La démocratie vient d'accoucher d'une étrange créature qui va rapidement prendre son autonomie en mettant en place un dispositif d'évaluation continue, de contrôle, de procédure, de visiteurs experts, de recommandations, d’accréditation… Créature assez subtile qui sait jouer du savoir médical et du pouvoir qui s'y accroche pour les plier à son service. Plus subtile encore, peut-être, elle va favoriser au quotidien le travail de l'encadrement, qui désormais peut se déplacer au sein des soignants, muni des tables de la loi et des nombreuses vérifications de son application.  Bon nombre de ses recommandations sont on ne peut plus évidentes et souhaitables, même si cela n'empêche pas la revue « Prescrire » d’en retoquer une à chaque numéro, mais le problème majeur ne se situe pas dans l'amélioration de ses recommandations. Ces recommandations ne sont que l'arbre qui cache la forêt. Forêt constituée par l'ensemble du dispositif de contrôle et d'asservissement avec ses effets d'infantilisation des responsabilités médicales et soignantes, avec ses formations, qui ne sont, de fait, que des formations à ses propres demandes, essentiellement à l’adresse des fonctions encadrement,  qui se voient renforcées en les promouvant au nom de la vérité médico-gestionnaire.

Cela fonctionne comme un nouveau modèle, qui n'est pas sans rappeler le dispositif techno bureaucratique soviétique, l'État supposé au service du peuple fabrique une machinerie qui met le peuple au service de l'État. Plus subtile ici, certes où l'auto-évaluation correspond à la forme délicate et maniérée de l'autocritique. Verticalité de la transmission des ordres, horizontalité des contraintes pour les acteurs de terrain qui se retrouvent ainsi en position de dé-laïcisations internes. Les différentes références, qui formaient l'assise de la reconnaissance d'intérêts contradictoires au sein de la médecine publique, puisque cette vérité affirme que : -pouvoir de financement et pouvoir médical ne font qu'un –  au nom de la maîtrise médicalisée des offres de soins, ne sont plus fonctionnelles. Cela s'est fait progressivement sous nos yeux avec, de la part des acteurs concernés, une bonne dose de leur servitude volontaire. C'est un peu comme si l'art de la table et les métiers de la bouche étaient passés sous le contrôle de leur stricte qualité chimique et calorique, comme si les grands chefs cuisiniers se devaient de se soumettre à une haute autorité de la bouche faute d'être désignés comme de vilains garnements désobéissants. Tout ça pour masquer que les marchés en fruits, légumes, volailles et autres denrées ne sont plus approvisionnés comme il le devrait. Surtout le peuple ne doit pas être trop au fait des réelles données du problème.

D'une certaine manière nous pouvons presque remercier, faute de mieux, que la question de la prohibition des débats scientifiques et de sociétés, organisée par cette gigantesque machinerie de reproduction de sa vérité politique masquée, soit débusquée  par ce consommateur un peu fixé sur un seul met comestible, qui tente de se donner un peu d'élan en mimant l'intitulé d'une grande revue de gastronomie, et qui pour être bien sûr que son choix de nourriture soit le bon, demande à l'université de la gastronomie de prohiber l'enseignement de tout ce qui ne concernerait pas son choix. Au nom de quoi le fait-il ? Au nom de l'instance reproductrice de la vérité des offres de soins qui dévoilent ainsi ses effets de monstruosité ordinaire.

 

D’une vérité de la gestion de l’offre de soin à une vérité de la gestion des « autistes ».

Que deux universités aient obtempéré sans mot dire, que le vaste dispositif de contrôle et d'asservissement que nous venons de rapporter en dessine la toile de fond,  ne nous permettra plus jamais de dire que nous n'étions pas prévenus des effets destructeurs de l'idée même de service public et de son nerf de la guerre représenté par la démocratie.

Cela ne peut être un hasard que ce soit au sein du domaine du soin, là où la question de l'inégalité de chacun devant le devenir de son corps et de son esprit est criante, là où la solidarité collective doit se montrer exemplaire pour lutter contre les inégalités du destin. Que ce soit là que se soit infiltré un processus antidémocratique, qui sous prétexte, à son origine, d'un coup politique, se soit transformé en un virus destructeur des espaces de travail, du débat contradictoire, virus qui ne cesse de détourner au profit de sa reproduction une somme non négligeable des forces vives de la nation.

L'interdiction de pouvoir discuter du packing, dans le cadre de cette attaque contre tout ce qui parle et discute, ne peut en aucun cas être défendu uniquement par la preuve de sa valeur scientifique propre, qui à ce niveau d'enjeux politiques ne ferait que renforcer un fanatisme scientiste en s'y opposant en miroir.

La défense est celle du maintien du débat démocratique, du maintien des espaces de travail des différentes références et disciplines que nos sociétés ont construites.

 

Une haute autorité de la confusion : «  soins psychiatriques / choix éducatifs »

L'éducation n'est pas le soin. Chaque parent à la liberté d'orienter son enfant vers des choix de rencontre avec le monde qu'il lui imagine profitable. Le soin n'a rien à dire en son nom de ce genre de choix. Il est heureux que la psychiatrie, la psychanalyse, les psychologies, n'ait aucune généralité à affirmer quant à ce genre de choix, qu'il relève d'une éducation musicale ou artistique, d'une éducation sportive, d’un renforcement éducatif, d'un soutien pédagogique ou d'une éducation religieuse… Bien sûr en respect avec les règles et lois régissant nos sociétés. Les enfants dits autistes comme les autres. Si des parents souhaitent que des méthodes éducatives leur soient appliquées, tant que cela ne compromet pas le devoir des parents envers leurs enfants ainsi que le droit des enfants tels qu'il a été récemment édicté qu'ils le fassent. Ils peuvent d'ailleurs en débattre s’ils le souhaitent avec l'ensemble des sciences humaines concernées par les sciences de l'éducation. Il ne suffit pas de passer du domaine de l'éducatif au domaine du soin pour devenir prophète,  nul n'est prophète en son pays n'a jamais voulu dire qu'on devenait naturellement prophète en allant dans le pays des autres.

Que des présidents d'université qui devraient avoir une vague idée de ce qu’est le service public d'éducation nationale n’ait rien compris à l'attaque portée contre elle est plus que désolant.

Quant à l’HAS et à tous ses dispositifs d'amplification, en particulier au sein de loi HPST, on ne peut pas lui reprocher d'avoir les effets du calcul de sa fonction. Par contre, en ce qui concerne l’autisme que la résultante des auditions des nombreux experts qui ont été consultés n'est même pas remarqué la différence qu'il y a entre le soin et l’éducatif dans nos constructions sociales n'est pas désolant, mais effarant.

Il est urgent de prendre des mesures réfléchies, sévères et rigoureuses pour remettre de la laïcité dans la confusion des rôles, et de remettre de la démocratie là où le désastre guette, en particulier dans le sanitaire et probablement aussi dans l'éducation nationale.

 

Roger Ferreri   le 17 / 12 / 2012

 

 

 

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Accueillir la psychose dans le médico-social : enjeux politiques et cliniques

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·      Enjeux actuels et perspectives

·      Une initiative psychiatrique médicosociale : le service de l’APPUI

Ce n’est certes pas d’un eldorado dont je vais vous parler, ni d’une terre promise, mais tout de même d’un espace différent, champ de cultures diversifiées, ensemble complexe et ramifié dont l’hétérogénéité protège encore quelques-uns de ses hôtes des effets massifs de rationalisation financière, d’homogénéisation et de règlementation tout azimut que l’on connaît aujourd’hui dans le secteur sanitaire. La construction en « tuyaux d’orgue » du SMS permet aujourd’hui de comprendre comment ce secteur parvient à garantir des offres de soin et d’éducation diversifiées, parfois originales et atypiques ; comment il parvient aussi à résister peut-être un peu mieux au « rouleau compresseur » technocratique et organisationnel actuel. Mais, si mon propos, au final peut s’entendre comme une invitation au voyage, au voyage au sens de vous tourner vers cet espace et peut-être d’aller y travailler, je ne prétends nullement vous y garantir « luxe, calme et volupté », car les Fleurs du Mal y sont tout de même bien plantées.

 

1.  Le secteur MS de 1975 à aujourd’hui

Pour introduire mon propos sur l’accueil de la psychose aujourd’hui dans le SMS, je ferais d’abord un bref retour sur l’histoire singulière de ce secteur qui, vous le savez certainement, s’est construit et élaboré de manière très hétérogène, depuis les années d’après-guerre, jusqu’à nos jours, en passant par deux lois importantes, sa reconnaissance officielle en 1975 et son récent rapprochement avec le sanitaire, via la loi HPST.

Nous pourrions dire qu’originellement, c’est à partir du manque réel, en termes d’offre de soin et d’éducation, de l’absence de structures – services, établissements – que l’on voit dans les années des trente glorieuses, germer ces premières expériences qui vont conduire à la reconnaissance en 1975 de ce SMS.

La déficience, le handicap, l’enfance dite à l’époque inadaptée qui rassemblait un vaste champ de pathologies pédopsychiatriques – des autismes aux psychoses infantiles en passant par les dysharmonies évolutives -, ces problématiques ne faisaient pas encore l’objet d’une réelle prise en considération par les services publics. Face à ce manque manifeste, des collectifs de professionnels, de parents, parfois mixtes s’organisent, se mobilisent, bousculent les cadres administratifs présents, se constituent en associations loi 1901 pour répondre concrètement au besoin d’accueil, de soin, d’éducation et de prise en charge de ces publics oubliés. C’est aussi à cette époque que l’on voit des militants engagés pour une cause proposer des projets de structures d’accueil et oser parfois défier les services publics ; projets qui, souvent d’ailleurs, ont trouvé des réponses favorables, et cela pour deux raisons : la connaissance que ces personnes avaient du handicap ou de la déficience était réelle et bien concrète, aussi parce que les services publics, dans l’incapacité à pouvoir répondre aux besoins, étaient plutôt satisfaits que des associations ou des professionnels leur proposent des projets élaborés et réalisables rapidement.

C’est donc souvent sur les bases d’une histoire personnelle, familiale, souvent douloureuse, dans un mouvement d’engagement, de résistance et une dynamique faite de pragmatisme que ces établissements se sont construits. Cet arrière-pays est important à situer car il explique la diversité des structures et leurs singularités. Il permet de comprendre cette construction anarchique du secteur, contrairement aux structures sanitaires qui relevaient d’une planification établie et d’une histoire, celle de l’hôpital public depuis l’édit de Louis XIV en 1656.

Par ailleurs, l’émergence de ces structures, dans une époque féconde pour la pensée, a contribué à y réunir des influences plurielles :

·                                                                                                                                                       l’importance des soins avec d’emblée la volonté que ces établissements soient médicalisés ce qui se traduit par le recrutement de professionnels de santé : psychiatres, infirmiers, aides-soignants… Ces ESMS s’inscrivent dans ce rapport au soin médical.

·                                                                                                                                                       La place de l’école, obligatoire pour tous depuis la fin du XIXème siècle, qui engage à inventer des dispositifs scolaires au sein des établissements : classes ateliers ou parfois même parle-t-on vraiment d’école, soutenue administrativement par l’Education Nationale

·                                                                                                                                                       L’introduction de l’éducation dite spécialisée avec la création du métier d’éducateur spécialisé en 1967, sur les traces essentielles de l’éducation populaire, alors que parallèlement dans le secteur justice, le métier d’éducateur a déjà pris forme et tente de répondre à certaines missions, telle celle donnée par l’ordonnance de 45.

·                                                                                                                                                       L’influence de la psychanalyse qui traverse les différents champs et se propose non pas dans un dogmatisme et un savoir, mais d’avantage comme un outil pour penser le travail, en l’occurrence le travail social. Mercredi soir à Caen, le CRIC, l’association culturelle caennaise en lien avec l’IRTS a organisé une soirée dédiée à cette question : « Comment la psychanalyse aide à penser le travail social ? », avec notre amie Marie-Odile Supligeau, venue nous parler de cette question, en prenant appui sur le film d’Arthur Penn « Miracle en Alabama ». Riche soirée.

·                                                                                                                                                       L’expérience institutionnelle qui déborde St-Alban et invite les professionnels militants à proposer des expériences dans le même registre, même s’il ne s’agit pas d’un hôpital. De nombreuses expériences institutionnelles naitront ainsi dans ce secteur propice aux créations création : ce fut le cas du FLR qui voit le jour en 1975.

·                                                                                                                                                       Les liens et articulations entre psychothérapie institutionnelle et pédagogie institutionnelle qui participeront à soutenir sur des bases communes, que le soin et la pédagogie relèvent de logiques et dispositifs assez proches, notamment avec la création de certains outils, tels le conseil et le club thérapeutique.

Pour vous donner un exemple de ces références plurielles, en travaillant cette intervention, je me suis remis à lire la revue Recherches, revue de la FGERI – Fédération des Groupe d’Etude et de Recherches Institutionnelles – en l’occurrence les deux numéros de septembre 1967 et décembre 1968, consacrés à l’Enfance aliénée. Le premier numéro prépare le colloque qui s’est tenu à l’automne 1967 et rassemble un ensemble de textes d’auteurs aujourd’hui prestigieux : Rosine et Robert LEFORT, Maud et Octave MANNONI, Moustafa SAFOUAN, Ginette MICHAUD, Jean et Fernand OURY, François TOSQUELLES. Le second volume constitue les actes du colloque intitulé « L’enfant, la psychose et l’institution » et rassemble les textes des auteurs précédents auxquels se sont joints Sami ALI, Jean AYME, LAING et COOPER, Françoise DOLTO, Lucien ISRAEL, WINNICOTT, Jacques LACAN et Jacques SCHOTTES qui était le président du colloque. Prestigieux colloque dont les travaux vous l’imaginez bien ont été particulièrement féconds et ont amenés à des avancées importantes sur le plan de la prise en charge des enfants psychotiques. Il est intéressant de voir qu’à cette époque où la pédopsychiatrie n’existe pas vraiment, c’est sur le terrain associatif que des expériences de soin et d’éducation proposés aux enfants psychotiques se sont concrètement jouées.

A Caen, dans ces mêmes années, l’Institut Camille Blaisot a fait figure d’institution innovante en inventant une institution susceptible d’accueillir des enfants ayant des problématiques diverses : des troubles du comportement à la psychose, aussi des enfants autistes en externat. Institution éducative mais aussi et surtout de soin, de pédagogie car tous les enfants étaient inscrits dans les classes ateliers de l’institution ; c’est aussi dans cette institution que fut créée l’un des premiers services de placement familial spécialisé pour traiter les problématiques de carence et de maltraitance. L’ICB accueillait alors 200 enfants et travaillait avec les références de la psychothérapie institutionnelle que Jean Prochasson, directeur de l’époque, soutenait avec son équipe pluridisciplinaire.

Ces expériences médicosociales visent à proposer plusieurs scènes liant ensemble soin, éducation, pédagogie et inscription sociale ; cette double articulation médicale et sociale est garantie par l’esprit associatif, laïc et républicain, qui caractérise la plupart des associations gestionnaires qui assurent le pilotage des établissements.

Dire que c’est un secteur à côté du social ou à côté du sanitaire ne correspond pas exactement à la réalité. Il est certainement davantage une tentative expérimentale de synthèse qui s’appuie sur des besoins concrets, des projets humanistes visant à permettre à ceux que l’on appelle aujourd’hui des personnes souffrant de handicap de trouver une place dans la société.

La loi du 30 juin 1975 (n°75-535) a consacré la rupture entre les secteurs sanitaire et social et a organisé pour la première fois cette offre sociale et médico-sociale. De  1975 à 1995, ce secteur s’est développé de manière très disparate et hétérogène, en « tuyaux d’orgue », en fonction de chaque territoire, souvent après les lois de décentralisation, les départements ; aucune planification ne le réglementait véritablement et les structures se constituaient souvent à l’initiative des associations elles-mêmes qui, en fonction de leurs initiatives et besoins, proposaient aux tutelles l’ouverture de tel service ou tel établissement.

À partir de 1995, une réflexion entre les pouvoirs publics et des acteurs du secteur s’amorce quant à la modernisation de la législation de ce secteur, jusqu’à l’obtention d’un relatif consensus autour de la loi du 2 janvier 2002, dite loi rénovant l’action sociale et médico-sociale. L’objectif est d’organiser sur un même plan l’ensemble des structures intervenant auprès des publics dits fragiles, tout en les invitant à valoriser leurs spécificités. En d’autres termes, il s’agit, je cite « de mettre de la cohérence et du sens dans le paysage très morcelé du secteur social et médico-social ». Cette loi organise certes l’offre mais introduit au travers de ses outils obligatoires pour les établissements, une première dose de formalisme et d’organisation statutaire. Première étape qui préfigure la suite, c’est-à-dire la tentative d’homogénéisation du secteur.

Le texte est paradoxal car il constitue une ouverture considérable en situant l’usager au cœur des dispositifs institutionnels, prémisse de ce que la loi du 11 février 2005 énoncera de manière beaucoup plus claire, notamment en permettant aux usagers d’être présents et représentés dans de nombreuses instances, notamment administratives (MDPH, CDCPH, conseil d’administration des hôpitaux…). Il y a donc au travers de cette loi, une réelle avancée sociale qui, dans le même temps, introduit des kyrielles d’obligations formelles dont les usagers au final risquent d’en subir les effets de rationalisation et de formalisme. Michel CHAUVIERE, sociologue et chercheur au CNRS, a longuement analysé les dérives de cette loi 2002-2 qui, d’un principe premier humaniste, dans le même temps, introduit aux pratiques et logiques d’évaluation pour tendre vers le concept de performance aujourd’hui.

Je reviendrai dans quelques instants sur cette évolution et ses risques.

Mais pour vous présenter l’étendu et la diversité du SMS aujourd’hui, faisons un bref constat chiffré :

·      35 000 établissements, la plupart de statut privé à but non lucratif – essentiellement des associations loi 1901 -, les autres de caractères public, surtout territoriaux

·      1,5 millions de places

·      > 400 000 salariés

·      Financement assuré par les collectivités territoriales, les ARS, l’assurance maladie, la CAF.

·      Selon le CASF, une grande diversité de services et établissements :

o     Les établissements de l’aide sociale à l’enfance

o     Les établissements de l’enfance handicapée et inadaptée

§     CMPP

§     IME

§     ITEP

§     IMPRO

§     IR

§     SESSAD

o     Les centres d’action médicosociale précoce (CAMPS)

o     Les ESAT (ex CAT)

o     Les centres de réadaptation, réorientation et de rééducation fonctionnelle

o     Les établissement et services pour personnes âgées

§     EHPAD

§     EHPA

§     Foyers logements

§     SSIAD

§     SAAD

o     Les établissements et services pour personnes handicapées

§     FAM

§     MAS

§     SSIAD

§     SSAD

§     SAVS

§     SAMSAH

o     Les CHRS ou centres d’hébergement et de réinsertion sociale

o     Les centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST), les centres d’accueil pour alcooliques (CAA), les appartements de coordination thérapeutiques (ACT)

o     FJT

o     Les services mettant en œuvre des mesures de protection des majeurs

o     Les services mettant en œuvre des mesures d’aide à la gestion du budget familial

Vous voyez que ce secteur couvre pratiquement tous les temps de la vie, du bébé jusqu’à la personne âgée, même des services de soins palliatifs à domicile ; il s’adresse aussi à des personnes dont les conditions de vie sont fragiles –les publics dits précarisés-  et bien sûr propose accueil et soins à des populations souffrant de pathologies physiques et psychiques, souvent chroniques, entrainant une dépendance plus ou moins importante.

La psychiatrie y tient une place importante car les institutions et services du secteur médicosocial hébergent actuellement plus de 250 000 patients dont une majorité souffre de troubles graves, notamment psychotiques. Ces services assurent plus de 150 000 consultations ou prise en charge ambulatoires annuelles. Les financements publics qui lui sont consacrés s’élèvent à 84 milliards d’euros : 42 par l’assurance maladie, 33 par les départements et 9 milliards par l’Etat.

Actuellement, plus de la moitié en volume de la psychiatrie infanto juvénile est pratiquée dans des établissements relevant du SMS, en l’occurrence dans des CAMPS, des CMPP, des Hôpitaux de Jour, des ITEP. Signalons aussi que la moitié de la population des IME, des MAS, des FAM et des ESAT est constitué de personnes psychotiques avec des déficits plus ou moins prononcés.

Enfin, vous savez que dans la planification de la prise en charge des personnes dites handicapées psychiques, en l’occurrence, beaucoup de patients psychotiques, le SMS est désigné pour accueillir ces patients qui ne sont plus censés rester dans les hôpitaux psychiatriques. C’est là où l’enjeu se situe suivant que nous, soignants, allons au pas occuper les places dans ce secteur, participer à sa restructuration et soutenir la réalisation de services réellement outillés à accueillir la psychose et non aux orientations faites par défaut, ce qui est malheureusement le cas dans de nombreux endroits, notamment vers les MAS.

 

2.   Enjeux actuels et perspectives

Depuis 1995, ce secteur est engagé dans un mouvement de réforme et d’adaptation sans précédent sous l’impulsion de textes de lois dont les principaux sont :

–          la Loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’instauration d’une allocation personnalisée d’autonomie ;

–          la Loi du 2 Janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale qui réforme la loi fondatrice du 30 Juin 1975, relative aux institutions sociales et médico-sociales. Cette loi situe l’usager au cœur du dispositif et impose aux établissements plusieurs outils obligatoires pour bénéficier d’un agrément de fonctionnement.

Sept outils sont recensés :

1.    Projet d’établissement

2.    Livret d’accueil

3.    Dispositif de participation des usagers (CVS, enquête de satisfaction…)

4.    Charte des Droits des personnes accueillis

5.    Règlement de fonctionnement

6.    Contrat de séjour

7.    Evaluation interne et externe

–          La Loi du 30 Juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ;

–          La Loi du 11 Février 2005 relative à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui réforme la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées.

Si ces lois ont garantie droits et reconnaissance des personnes en situation de handicap, elles ont parallèlement forcé les ESMS à entrer dans des catégories, à répondre de nouvelles règlementations et à se soumettre à de nouvelles logiques, telle celle de l’évaluation. Un parallélisme peut être établi entre ce qui, dans le secteur sanitaire s’est mis en place dès les années 90 (accréditation) et ce qui est aujourd’hui présent dans le SMS. Des outils communs de règlementation financière telle la convergence tarifaire, les ratios et indicateurs, CPOM et CGSMS, se sont progressivement installés dans la gestion quotidienne des établissements, poussant les directeurs d’ESMS qui jusqu’alors étaient relativement protégés de ces contraintes et assuraient une fonction de direction selon un style patriarcal, à s’y former et à y répondre. Nous avons vu se transformer la fonction de direction de la figure du « bon père de l’institution » au gestionnaire, voire au manager d’entreprise sociale.

La RGPP et la loi HPST sont venues ébranler le SMS en attaquant sa structuration sur deux plans :

·      D’une part, sur le plan de la dimension associative,

·      D’autre part, l’intégration du SMS dans les compétences de l’ARS, via la loi HPST.

La mise en question de la dimension associative, de ses valeurs et de sa fonction de porte-parole des personnes qu’elle représente, a été mise à mal lorsque politiques et administrations ont d’un commun accord décidé de réduire le nombre d’associations gestionnaires d’ESMS d’environ 30 000 à 3 000 pour lever, je cite, « l’obscurantisme de ce secteur, y introduire de la transparence et faciliter sa représentativité ». Plutôt que de négocier budgets et projets avec une multitude associations et encore davantage de directeurs, les tutelles ont souhaité réduire le nombre d’interlocuteurs pour soi-disant faciliter le dialogue. Nous avons alors assisté à une cohue médicosociale monumentale – et elle est toujours d’actualité -, chaque association envisageant de se rapprocher d’autres associations pour éviter d’être « mangées ». Les termes de rapprochement, de mutualisation, de regroupement, de fusion… termes empruntés à d’autres secteurs, en l’occurrence marchands, sont venus infiltrer le discours quotidien des professionnels et administrateurs. Les menaces de fermeture, les fantasmes de dévoration (qui mange qui ?), les angoisses liées aux restrictions budgétaires, les comparaisons et rivalités entre services du même type, entre associations cousines… bref un vent de fin du monde possible et un flux de représentations archaïques ont secoué l’ensemble des structures médicosociales au point de faire perdre tête et raison aux dirigeants, directeurs et administrateurs, et surtout de perdre le sens de la fonction première de ces établissements, qui est de répondre à une mission sociale.

Les turbulences furent et sont encore terribles dans de nombreuses petites et moyennes associations qui, dans ces négociations et marchandages technocratiques et financiers, ont vu parfois leurs conseils d’administrations perdre leurs distance symbolique au profit de manœuvres managériales à jouer, au mieux, un coup stratégique ; j’ai pu mesurer que le grand âge de certains administrateurs ne rime pas forcément avec l’idée que l’on se fait de la sagesse, mais qu’en situation de menace et jouant de nouvelle règles du jeu où l’argent est très présent, ils peuvent ranger leur éthique associative de côté, enfiler d’un coup la panoplie de PDG et boostés par les enjeux de pouvoir et l’objectif imaginaire de faire grossir suffisamment l’association pour manger les voisins plus fragiles, passer sur une autre scène. Restructuration, mutualisation, modernisation, mondialisation… tous ces termes sont dès lors d’usage avec les effets que l’on connait de déplacements de certains salariés de leurs postes et métiers (notamment les services administratifs qu’il est plus facile de regrouper), parfois même le licenciement de quelques-uns pour répondre aux ratios posés par l’administration. Logique du bon élève qui anticipe même les attentes de l’administration et les conjugue de son propre chef dans une dynamique de servitude volontaire ou de rapport surmoïque dominant.

Les associations les plus importantes – certaines emploient plus de mille salariés – ont continué leur expansion en phagocytant les plus petites sans se préoccuper de l’histoire de la structure, de ses salariés et des publics accueillis. Ainsi ces mastodontes du social sont-ils aujourd’hui en force pour investir dans de nouveaux marchés, tel celui des psychoses, même si rien ne les dispose dans leur histoire, à s’y intéresser ; si ce n’est le marché que cela représente aujourd’hui du fait de la fermeture de lits en psychiatrie et de la réduction des temps d’hospitalisation.

La loi HPST a rapproché le SMS du secteur sanitaire même si la ministre de la Santé, Bachelot, s’est engagée selon une formule qui a marqué les esprits à garantir « la fongibilité asymétrique des budgets ». Traduisez : garantir que les budgets alloués aujourd’hui au SMS ne glissent pas vers ceux, gigantesques et pourtant insuffisants, du sanitaire ; l’asymétrie permettrait qu’éventuellement le sanitaire abonde vers le SMS mais là, nous pouvons toujours rêver. Cette garantie budgétaire semble jusqu’alors relativement respectée, mais comment peut-on garantir que dans le contexte actuel et surtout dans cette logique d’homogénéisation, un jour, le SMS qui aura subit les restructurations homogénéisantes de la loi du 02 janvier 2002, ne verse pas vers le sanitaire ? Même si les outils diffèrent – accréditation/évaluation – les logiques sont les mêmes et tendent vers des buts similaires.

[Lorsque l’ARS de Basse Normandie s’est constituée, nous avons invité le DG ARS à visiter notre établissement pour faire entendre justement la spécificité de l’accueil de la psychose. Il a accepté notre invitation et au milieu du repas quelques peu tendu par la présence autour de lui de quelques psychotiques marqués, il me demande pourquoi nous ne sommes pas rattachés à l’hôpital psychiatrique de Caen. Je lui raconte notre histoire médicosociale, soulignant que la psychiatrie déborde du seul champ sanitaire et lui fait remarquer que dans le cadre de la règlementation hospitalière, ce déjeuner au restaurant associatif La Loco ne serait certainement pas possible. Il s’en étonne, je m’étonne alors de son étonnement et de son manque de connaissance de la règlementation. Il m’avoue alors ne rien comprendre à la psychiatrie dans sa diversité, sa complexité avec ses approches différentes, aussi au SMS qui est une vraie nébuleuse. Manifestement, le DG ARS rêve d’un monde homogène, uniforme, ce qui simplifierait certainement sa tâche de DG ARS car on imagine bien que de la hauteur de sa pyramide statutaire, il ne peut disposer d’aucune représentation fiable de ce qui se passe sur la scène du quotidien.]

Justement, c’est bien la dimension de nébuleuse qui peut certainement garantir la spécificité de notre champ, les traits de nos organisations, tant sur le plan de la diversité clinique que sur celui des conditions de travail, avec notamment les différentes conventions collectives qui se sont construites au fil des années. Plutôt que d’une nébuleuse, je parlerai d’une constellation de services et d’établissements dont il est vrai que, si vous ne disposez pas d’une connaissance cartographique et historique, vous ne pouvez pas vous repérer. Là, pas de repérage comme dans l’organisation sanitaire, chaque territoire diffère. Certains départements sont largement dotés de structures pour enfants, d’autres pour adultes, d’autres encore dans le champ de la psychose… ceci en fonction des rencontres qui se sont faites, en fonction de l’histoire locale, de l’histoire associative, en fonction des personnes qui ont marqué la création de certains services. Cette absence de planification et de cartographie ne plait pas aux administrations car vous voyez bien qu’elle introduit distinctivité et hétérogénéité.

Vous me voyez venir à grands pas vers cette proposition ou du moins interrogation : le SMS n’est-il pas encore un champ possible des expériences institutionnelles ? N’est-il pas plus praticable au sens où nous l’entendons dans nos pratiques ? Là où le secteur sanitaire semble malheureusement écrasé par les contraintes de toutes sortes, le SMS, grâce à sa structuration et à son obscurantisme historique, dispose encore de recoins, d’espaces qui échappent à cette logique de la transparence.

Un autre élément me semble important et fera lien avec la suite de mon propos, de vous parler concrètement de notre expérience, il s’agit du fait que contrairement au secteur sanitaire où les références sont pensées en dehors de l’institution (HAS, recommandations de bonnes pratiques…), dans le SMS, la loi du 02 janvier 2002 a situé le projet d’établissement comme référence au travail qui est décliné dans l’institution. Il s’agissait à l’époque de permettre à ces établissements qui travaillaient sans aucune autorisation officielle, sans aucun contrôle, de nommer précisément leurs références, outils et fonctions. Le projet d’établissement est donc un outil produit par l’institution, dans lequel les références éthiques, théoriques sont défendues. Jusqu’à présent, ce document n’est pas attaqué par les tutelles qui le réceptionnent sur la forme et discute sur le fond les aspects essentiellement budgétaires. Mais elles ne contredisent pas par exemple la référence psychanalytique d’une institution. C’est un élément essentiel car ce document nous permet de dire très précisément ce que nous faisons, comment nous le faisons et pourquoi.

Bien sûr, les recommandations de bonnes pratiques éditées par l’ANESM, Agence Nationale  de l’Evaluation et de la qualité des ESMS, sont tout de même présentes avec en arrière-plan, les orientations idéologiques que l’on connait. De même, l’Agence Nationale d’Appui à la Performance (ANAP) énonce certaines orientations qui ne trompent personne sur leurs origines, leurs finalités. Peut-être n’est-ce qu’une question de temps, mais il semble que ces orientations restent relativement à distance des pratiques pour peu que directeurs et administrateurs ne les imposent pas comme référentiel des pratiques des professionnels.

Enfin, un dernier point qui me semble important, c’est la dimension du fait associatif. Vous le savez, la loi du 1er Juillet 1901 portée par Pierre WALDECK-ROUSSEAU, en reconnaissant à tout citoyen le droit de s’associer, sans autorisation préalable, a ouvert un espace de création et de liberté considérable.

Rappelons que l’article 1 définit une association comme étant :  » la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ».

Pour peu que cette liberté soit garantie et développée au sein de l’association par ses membres, par les salariés et aujourd’hui souvent les personnes accueillies, cette construction associative introduit un autre rapport aux tutelles et modifie les rapports de dépendance. Il est vrai que notre fonctionnement dépend concrètement des budgets alloués par le Conseil Général et l’ARS ; nous savons bien actuellement combien ce rapport est déterminant. Mais tout de même, ce n’est pas la même chose de se référer à une éthique associative, éventuellement énoncée dans un projet associatif, que d’être en lien direct avec la tutelle. En ce sens, le rapprochement associatif voulu par les gouvernements successifs, est une tentative de réduire cet espace de liberté. A nous de nous battre pour la maintenir car elle maintient un écart symbolique essentiel.

3.  Une initiative psychiatrique médicosociale : le service de l’APPUI

« Il faut savoir parler papou avec les papous » disait la psychiatre Léone Richet qui for de sa formation engagée auprès de Françoise Dolto et de son expérience auprès de nombreuses institutions, connaissait bien la langue de l’autre, aussi l’art de la guerre pour parvenir à se faire entendre. Apprendre à parler la langue de l’autre, c’est aussi ce à quoi notre ami Régis Gaudet nous invite dans son très beau texte « Parler les deux langues », qui a été publié dans la revue Institutions ; difficile exercice, dans lequel il convient de ne pas perdre son latin, ne pas se perdre dans l’autre.

Je vais vous faire partager succinctement notre histoire institutionnelle au foyer et comment nous avons tenté de prendre en compte le contexte et discours ambiant de nos tutelles pour  le subvertir, le tordre, le déformer et tenter d’y inscrire nos projets institutionnels. Autrement dit, à partir d’une expérience de 37 années d’accompagnement et de soins de jeunes adultes psychotiques, nous avons mesuré que ce n’est pas dans un rapport de force frontal que l’on négocie les projets, car dans cette rencontre entre notre monde et celui des administrations (je dis des car les échanges ne se jouent pas exactement de la même manière avec l’ARS et le Conseil Général), il s’agit toujours d’une négociation. Nous parlons de places différentes, avec des cultures et langues différentes, des représentations très différentes quant à la clinique, en l’occurrence la psychose ; bref il faut bien prendre la mesure de nos écarts manifestes et nos territoires totalement étrangers. Un pas de l’un vers l’autre est donc nécessaire pour amorcer les échanges d’une négociation.

Trois grandes périodes caractérisent l’histoire de notre institution et je vous les résume en quelques mots :

les fondations : en 1975, année de la reconnaissance du SMS, se crée le foyer de Cluny à partir d’une conjonction, celle de la rencontre d’une femme avec une histoire institutionnelle en Afrique du sud, du désir d’un psychologue de l’ICB, Claude Deutsch, de créer un lieu institutionnel pour des jeunes psychotiques et d’une première équipe engagée dans cette aventure collective. Dans l’ouverture créée par la loi de 1975, s’ouvre le foyer avec à l’époque, les moyens du bord, autrement dit du désir, des idées, parfois pas très réalistes, mais ce qui est plus certain, peu de moyens. Dans les années 80, l’institution passera par des statuts administratifs différents : lieu alternatif à l’hospitalisation, CAT sans atelier, centre d’accueil thérapeutique…

Cette absence de cadre administratif sera l’objet de nombreux problèmes, avec parfois le risque de fermeture de la structure ; paradoxalement, ce flottement administratif a certainement permis à l’institution de ne pas se retrouver enfermée dans un cadre réglementaire trop formel.

Après des années 80 plutôt marquées par les expériences institutionnelles d’une structure naissante, dans un contexte général plutôt libre de toute contrainte, le début des années 90 se caractérise par la professionnalisation de l’institution sur ces deux versants, médical et social. Les postes d’infirmiers et d’éducateurs sont inscrits à l’organigramme, les professionnels se forment. Quand, au milieu des années 90, il commence à être question d’une restructuration du SMS, l’institution aborde ces changements avec inquiétude. Comment garantir le fonctionnement du restaurant associatif La Loco ? Comment maintenir une liberté de circulation dans l’institution alors que les lois qui s’annoncent vont nous apporter des contraintes ? En même temps, situer l’usager au cœur de l’institution ne nous préoccupe pas car c’est ainsi que nous avons toujours travaillé.

Paradoxalement à nos inquiétudes, la loi du 02 janvier 2002 apporte enfin un statut à l’établissement en transformant notre agrément de foyer à double tarification, terme assez ingrat mais que nous avions accepté bien volontiers pour dormir un peu plus tranquillement, en le statut d’un FAM. Non ni infâme, ni une femme, mais un foyer d’accueil médicalisé, terme toujours ingrat mais qui correspond mieux à notre fonction, même si la dimension du social à laquelle nous sommes attachés n’apparait pas dans le terme.

dans ces mêmes années fin 90, nombreux sont les pensionnaires qui, stabilisés ont accédé à un appartement personnel et continue à être soignés et accueillis dans le cadre de l’externat. Mais la psychose reste la psychose, cela ne tient que si les étayages sont présents au quotidien. Dans la vie quotidienne de l’internat, ces béquilles se conçoivent bien mais dans un appartement, à distance de la présence des soignants, le soir, les week-ends, le risque de décompensation n’est jamais loin.

Nous proposons alors une aide à la vie quotidienne, dispositif d’étayage, en la présence plusieurs fois par semaine d’aides ménagères à domicile. Plusieurs montages se suivent : d’abord l’aide assuré par la femme de ménage de l’internat, puis en 1999, une convention avec l’ADMR qui permet à quelques aides ménagères d’être détachées de leur emploi habituel, de travailler pour le foyer accompagnée par une ES et supervisées par un psychologue. L’expérience prend forme et rapidement le service expérimental déborde de son champ premier, celui de l’accompagnement des externes du foyer, pour répondre à des demandes émanant des services de psychiatrie de Caen. Un partenariat s’institue entre les secteurs et ce service, le SSMAD. Le service accompagne alors une trentaine de personnes. Un nouveau statut lui est donné par l’intermédiaire des réseaux de santé qui permettent d’allouer des moyens supplémentaires.

En 2005, le SSMAD s’étoffe encore et se compose d’un temps de coordinateur, d’un poste d’ES, d’un temps de psychologue et de 5 postes d’AVS. Il accompagne 50 personnes et travaille en liens étroits avec les secteurs de psychiatrie, les associations tutélaires et d’autres partenaires.

2007 le temps se gâte. Les crédits alloués aux réseaux de santé commencent à être menacés. Parallèlement, nous avons pris la mesure que si notre service est maintenant bien repéré et répond à un vrai besoin dans la cité, il n’en reste pas moins insuffisamment professionnalisé. Il conviendrait d’y développer un accompagnement éducatif plus soutenu et surtout d’y apporter une dimension de soin que les personnes que nous accompagnons ne reçoivent pas toujours. La psychiatrie publique commence à perdre ses moyens et nous mesurons ces effets en la raréfaction des VAD, l’éloignement des consultations.

Nous réunissons alors sur notre terrain (et cela eût de l’importance) nos tutelles, CG, DDASS, CPAM pour discuter ensemble de l’avenir du service : de sa possible disparition ou de sa pérennité. Temps de négociation en langue papou qui conduit après deux heures d’échanges à l’accord de transformer le service expérimental en un triple service : un SAAD, un SAVS et un SAMSAH.

Il est vrai que les textes relatifs à ces nouveaux services étaient relativement récents et les tutelles ont vu dans cette négociation, l’opportunité d’inscrire dans un délai relativement court l’existence de ce service dédié aux personnes souffrant de troubles psychotiques. Pardon, de handicap psychique, avons-nous dit !

Accompagné par un service extérieur qui nous a aidé à traduire notre projet en langue formelle, nous avons donc écrit un projet d’un service d’accompagnement à domicile qui conjuguerait plusieurs interventions différentes et complémentaires : l’aide à la vie quotidienne par le SAAD pour 65 personnes, l’accompagnement dans la vie sociale par le SAVS, pour 20 personnes et le suivi psychothérapique psychiatrique par le SAMSAH pour 15 personnes.

En novembre 2009, ce triple service ouvre ses portes et se nomme l’APPUI tel un appui à la vie quotidienne. 16 salariés le font vivre : 1 CDS, 7 AVS qui se rebaptisent intervenants à domicile, 2 EC, 1 infirmier, 1 AMP, 1 AS, 1 psychologue, 1 psychiatre, 1 secrétaire.

Après trois années de fonctionnement, l’APPUI accompagne plus de cent personnes dans la ville de Caen, en lien avec les services de psychiatrie partenaires, les services de tutelles. Les patients reçoivent donc la visite des professionnels à leur domicile mais ils viennent aussi dans le service. Cette circulation permet de sortir, d’éviter le repli au domicile, aussi elle travaille l’accueil et permet de rencontrer les autres. Cette année, s’est mise en place une réunion hebdomadaire pour parler de l’actualité du service et surtout essayer de faire des choses ensemble. De l’accompagnement individuel prescrit, nous tentons de créer du collectif, du faire ensemble, du lien social.

Si la commande était bien de développer un service qui réponde aux nouvelles logiques d’accompagnement comme cela se pratique dans une logique de société de services, nous avons certes un peu répondu à la demande mais surtout, nous avons saisi le dispositif de ces nouveaux services, non sans questions et inquiétudes, pour en faire autre chose, selon les principes qui sont les nôtres.

Aujourd’hui l’APPUI est un service reconnu dans le champ de la psychose, identifié pour la plasticité de ses réponses et la disponibilité des professionnels qui le font vivre. En aucune façon, il ne rapt le travail des professionnels de la psychiatrie car il se situe dans une complémentarité, notamment au travers de cette prise en compte du domicile. Par ailleurs, l’APPUI complète le travail de soin proposé par le FAM qui propose une prise en charge en internat et externat. En quelques sortes, la négociation est réussie et à des places différentes et pour des raisons différentes, les tutelles comme nous, sommes satisfaits de la création de ce service qui propose un accompagnement spécifique. 

En conclusion : je faisais référence en introduction aux Fleurs du Mal qui, depuis 10 ans, poussent dans la terre médicosociale. Il est vrai que le contexte devient de plus en plus difficile : il s’agit bien sûr des aspects financiers et budgétaires, mais pas uniquement. La culture médicosociale s’étiole au fil des années et des transformations que les lois et réglementations dont je vous ai parlé ont introduites. La fragilisation du monde associatif va de pair avec la disparition du service public, c’est-à-dire avec une perte de la dimension symbolique que l’état garantissait jusqu’alors.

Nous sommes donc en risque de nous trouver pris dans des logiques analogues à celles qui œuvrent actuellement dans le sanitaire.

Mais encore une fois, n’oublions l’aspect nébuleux de ce secteur et tel un maquis, il est encore possible de s’y cacher, d’y résister et surtout de continuer à penser notre travail au plus près des besoins des personnes. Alors comme le dit le fabuliste Jean-Pierre Claris de Florian dans la morale de sa fable « le Grillon », « pour vivre heureux, vivons cachés », alors oui, vivons cachés et gardons-nous bien de vouloir rendre transparent ce secteur car c’est de la vie de nos institutions dont il est question.

 

Pascal Crété

Caen, le 2 décembre 2012

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> Transmettre le mouvement de la PI c'est récuser l'arrêt sur image

Dans la dynamique de préparation des Assises que les 39 et les Ceméa organisent en 2013 (31 mai et 1er juin ) P. Chemla propose à la lecture ce texte qui amorce une élaboration sur la transmission de la PI mais aussi le combat pour la construction des Assises.

 

TRANSMETTRE LE MOUVEMENT DE LA PI C EST RECUSER L’ARRET SUR IMAGE

 

J’aborde cette intervention et ce colloque avec un sentiment d’urgence : urgence politique devant les menaces fascisantes de ces groupes qui tentent actuellement de nous faire taire et d’interdire de parler, penser, agir avec la psychanalyse et la PI.

Urgence aussi à transmettre dans un contexte où les représentations de la folie se trouvent bouleversées et se présentent comme une sorte de kaléidoscope : entre l’image du « fou à délier » de l’Asile traditionnel qu’une génération de psy a voulu libérer de ses chaines et celle du handicapé psychique qu’il s’agit de gérer et de normaliser, il semble bien qu’une constante demeure, celle de faire taire et de mettre au silence les témoignages et  la tentative que représente la crie de folie de trouver un lieu d’adresse. Envers et contre tout la Folie s’exprime à sa manière.

Entre temps la psychanalyse et la PI qui étaient « à la mode » il y a 40 ans et qui avaient de fait profondément transformé les représentations de la folie et de la prétendue normalité connaissent un discrédit dans les media mais aussi sur le terrain. Cela alors que les méthodes se réclamant d’une pseudo-scientificité s’appuyant sur la biologie ou le comportementalisme ont fait la preuve de leur peu d’efficacité : il n’y a eu aucun progrès significatif dans l’approche thérapeutique malgré les progrès des neurosciences.

Il s’agit donc d’une imposture mais tous ces discours occupent aujourd’hui une position dominante au point de vouloir éradiquer toute autre approche. Il y a les interdictions récentes qui exigent une mobilisation de notre part, mais elles ont été précédées par de nombreuses autres offensives : dois-je rappeler que l’enseignement de psychanalyse et de PI que nous proposions au titre de la Criée  à la fac de psycho de Reims a été purement et simplement supprimé voici 5 ans ? Comme dans de nombreuses facs maintenant, des psychologues sont formés sans entendre parler de Freud et à fortiori de la PI.

Bien plus grave : certains lobbys de parents d’autistes ont obtenu de la HAS la « non recommandation » du packing et de toute approche fondée sur la psychanalyse et la PI. Et même la promesse de généraliser cet interdit de penser à toute la psychiatrie !

Il s’agit à proprement parler d’une déclaration de guerre que l’on aurait bien tort de négliger en croyant qu’elle pourrait cesser à la faveur d’un changement de gouvernement. Car elle est le symptôme d’une défaite que j’espère provisoire de toute  pensée critique et de la promotion de « pensées » techniques et opératoires qui se prêtent aisément à l’évaluation, à la mesure de la performance et sont ainsi en sympathie profonde avec l’ordre néolibéral. Nous aurions bien tort de croire que ces attaques soient uniquement centrées dans le champ spécifique de notre praxis, alors qu’elles s’appuient sur une conception du monde et de l’humain qui envahit tous les espaces de la société.

Cette nouvelle raison du monde que Pierre Dardot a exposé à l’ouverture de ce colloque ne pouvait qu’entrer en collision frontale avec nos représentations de l’homme en tant que sujet parlant, divisé par son désir inconscient mais aussi inscrit dans une histoire à la fois personnelle et collective.

Cette intrication qui est le ressort crucial de notre praxis est absolument antagonique avec l’ordre néolibéral. Et les efforts pathétiques de certains analystes pour inventer des échelles d’évaluation afin de rivaliser avec les TCC sont bien à côté de la plaque d’enjeux bien plus radicaux.

La guerre nous est déclarée en termes d’éradication, et tout se passe comme si un grand nombre d’entre nous ne voulait rien en savoir au sens du refoulement, mais sans doute aussi du déni de réalité. Longtemps l’illusion a prévalu que nous pourrions traverser le tsunami en évitant le combat frontal et en préservant le noyau dur, autrement dit la psychanalyse. Nombre de collègues sont encore persuadés que cette crise est seulement celle de la psychiatrie, et certains ont même cru un temps que cela laisserait la place libre à une « clinique psychanalytique autonome » et délivrée de toute aliénation à l’ordre médical. Il y aurait beaucoup à dire de cette vision d’un progrès pour l’analyse qui consisterait à se délier de la médecine, pour promouvoir une « psychanalyse pure » prétendument détachée du registre de l’imaginaire pour viser le réel par le biais des mathèmes dont certains à l’ECF prétendent maintenant qu’ils permettent même de se passer du transfert et de raccourcir l’analyse.

Je n’insisterais pas sur cette dérive aberrante si elle n’avait pas envahi le champ de la formation avec une visée hégémonique, discréditant de fait la pratique d’une psychanalyse vivante qui nous permet de penser mais aussi de construire une représentation de notre travail. Sans un acte de foi sans cesse à relancer dans l’inconscient freudien, sans les praticables et constructions imaginaires que nous ne cessons de produire, nous ne pourrions tenir le coup et accueillir les patients, et en particulier les psychotiques et les borderline.

Avec eux nous sommes nous aussi mis à mal et questionnés dans nos fondations, nos croyances et préjugés, notre représentation de la folie mais aussi du transfert psychotique et de la PI.

D’où le détour que je vous propose par l’histoire, ou plus exactement par les moments qui auront marqué notre praxis.  Comment faire autrement que de nous appuyer sur les constructions qui ont marqué l’histoire de notre praxis, en particulier sur les praticables que nous avons pu inventer et qui ont pu soutenir un désir soignant mis en acte ?

Jean Oury témoigne d’une prise de position qui aura marqué un inaugural : avec Tosquelles, dans une transmission articulée avec l’enseignement de Lacan et de multiples apports hétérogènes, il devenait possible de subvertir les établissements et de promouvoir des institutions soignantes, ou tout au moins qui seraient support potentiel du soin psychique. Je le dis pour situer l’enjeu que je vais tenter de déployer : s’agirait-il de poursuivre de façon linéaire une fondation dont chacun sait ici la part de courage, et qui a pu tenir pour nous la place d’un mythe fondateur ? Je vais tenter de questionner ce qui ici pourrait passer pour une évidence et qui risquerait fort de nous conduire dans une impasse.

Une telle perspective risquerait en effet de fixer la figure de jean Oury ou celle de Tosquelles comme icone ou comme fétiche et de produire une mystification, voire une religiosité de très mauvais aloi.

Poursuivre comme si le temps n’avait pas passé reviendrait à croire à ce que les artifices inventés à l’époque par la PI soient perçus comme des invariants structuraux. Et comme ils deviennent de plus en plus difficiles à mettre en œuvre, une telle posture nous fixerait dans la déploration et la nostalgie d’un prétendu âge d’or. Nous avons beau savoir que cet âge d’or n’aura jamais existé ailleurs que dans nos pires moments de nostalgie, il n’empêche que nous aimerions y croire, et oublier l’extrême difficulté rencontrée par quelques-uns qui ont voulu promouvoir le désaliénisme et une praxis de l’analyse articulée avec la phénoménologie. Nous voudrions oublier aussi la lutte opiniâtre d’un Bonnafé arrivant sur le long cours à convaincre de la politique de secteur des gaullistes et des hauts fonctionnaires qui n’étaient pas du tout de son bord politique. Nous aimerions sans doute aussi escamoter les disputes violentes entre les courants de la PI, les scissions justifiées par des enjeux aussi forts que l’obligation faite par le PCF aux psychiatres qui s’en réclamaient de dénoncer la psychanalyse comme « un faux contre-révolutionnaire ». Sans compter la rupture du congrès de Sèvres sur l’enjeu crucial de la participation des infirmiers à la psychothérapie, et la réplique fameuse de Jean Oury : « les infirmiers ne sont pas des cons »…

Ce que je vous propose comme projet : lever en permanence le refoulement et le désaveu d’une histoire qui sinon deviendrait pure mystification, sans pour autant se tenir dans une sorte d’hypermnésie qui maintiendrait le passé comme une chape de plomb paralysante. Mais aussi  refuser « de faire du passé table rase » avec les conséquences tragiques qu’une telle posture entraine…

Se tenir dans une transmission consisterait à nous écarter sans cesse de ces deux écueils pour continuer à penser, créer, agir. Nous ne voulons aucunement d’une tabula rasa pas plus que d’une histoire monumentale.

Je voudrais ici évoquer ma première rencontre avec Tosquelles en 1987 aux journées de St Alban. Nous y allions en équipe invités par Gentis, et ne connaissions personne de la bande de la PI autrement que par le nom. A quelques-uns nous exposâmes dans un atelier la pratique balbutiante du centre Artaud, le club extrahospitalier que nous avions construit depuis 1980, la lutte anti asilaire qui nous agitait, et aussi le récit clinique d’une psychothérapie à domicile d’une patiente psychotique qui d’ailleurs s’en est très bien sortie depuis…

Dans la salle je sentis monter une grande incompréhension, pour ne pas dire une certaine hostilité : ce que je racontais n’était pas très casher : la lutte contre l’asile et l’idée même d’un club extrahospitalier paraissaient condamnables pour une grande partie de l’auditoire, dont une grande partie soutenait explicitement qu’à moins de 100 lits d’hospitalisation on ne pouvait pas faire de PI, cela jusqu’au moment où un petit vieux assis au premier rang prit la parole avec un accent inimitable pour m’intimer l’ordre de ne pas répondre à tous ces « hystériques de merde ». Puis d’annoncer avec un enthousiasme juvénile qu’il s’agissait là du renouveau de la PI alors qu’il avait eu l’impression jusque-là d’être dans la posture d’un Buffalo Bill qu’on exposerait comme à la foire. Je venais de faire la connaissance de Tosquelles sur le mode de la tuche, et il avait donc saisi qu’il ne s’agissait pas de faire du clonage de St Alban, mais de produire le changement possible et nécessaire à partir des conditions concrètes de chaque époque. Les conditions de l’HP de Chalons nous empêchaient de faire à l’époque un travail dans l’intra, la notion de club thérapeutique était vomie par l’établissement et nous étions même moqués voire menacés physiquement par une majorité assez bruyante nous considérant comme des gauchistes en train de détruire l’hôpital, leur outil de travail. Il n’est pas inutile de rappeler cette séquence historique, car si nous avions raison de vouloir le changement, ceux qui nous critiquaient n’avaient pas non plus entièrement tort. Ils avaient tort bien sûr de défendre l’Asile dans toute sa cruauté sordide, mais ils avaient raison quant à la défense du service public. La suite a montré hélas comment notre discours a pu être récupéré par le néolibéralisme qui nous a instrumentalisé pour fermer des lits sans pour autant construire les lieux d’accueil ambulatoires que nous espérions.

Nous aurions ainsi à élaborer ce paradoxe de toute transmission, et à nous dégager d’une opposition binaire où le changement comporterait forcément l’idée de progrès, alors que la défense d’une position ancienne serait forcément rétrograde.

Il me semble que dans les combats actuels que nous menons, nous nous trouvons régulièrement affrontés à ces paradoxes, en ayant souvent tendance actuellement à préserver nos acquis quand nous en avons, tellement la conjoncture nous est défavorable. Or une telle posture par trop défensive est peu propice à la créativité et risque fort de stériliser ceux qui voudraient aujourd’hui se replier dans un lieu qui fut créatif un temps, mais qui pourrait bien vite se transformer en « forteresse vide ». De nombreux collègues ont ainsi récusé le travail en direction de la précarité, et toutes les nouvelles formes que la souffrance psychique emprunte pour s’exprimer, ainsi que les demandes sociales embarrassantes qui nous sont adressées, et nous obligent à des déplacements psychiques : travail avec les familles, avec les réseaux de santé mentale, avec les GEM etc…

A ce point de l’exposé je voudrais évoquer une deuxième rencontre personnelle que j’ai eu avec Tosquelles. Ce fut la dernière hélas, car après il mourut et j’aurais aimé poursuivre avec lui, mais elle fut moins gratifiante que la précédente. Je lui confiais mon projet, déjà à l’époque d’un colloque de la Criée à Reims sur la transmission pour faire valoir l’actualité de la PI. Or il se fâcha tout net en m’opposant la « permanence » sur le modèle de la «révolution permanente ». Comme certains le savent ici, j’étais d’autant plus fâché que je m’inscrivais sur ce bord-là du marxisme, et que j’étais ainsi taxé d’incompréhension radicale du politique par un maitre qui m’inspirait une grande admiration.

Oury a souvent développé depuis combien la structure du POUM aura pu servir pour Tosquelles de matrice aux formes imaginées pour la PI : la transversalité, autrement dit l’articulation permanente entre verticalité et horizontalité dans l’établissement doit beaucoup à cette conception d’un collectif qui refuserait d’aplatir sa multidimensionnalité. Donc pas seulement une dette politique/ la guerre d’Espagne, mais la source d’une gestaltung, d’une forme en mouvement qui laisse place aux vecteurs de singularité tout en soutenant la dimension du politique.

Peu après sans nous laisser trop démonter par la parole du maitre, nous organisâmes à Reims des rencontres de la Criée sur la transmission, et par ailleurs un livre parut sous la direction de Pierre Delion intitulé « Actualité de la PI » auquel notre équipe contribua activement : c’était notre perspective de travail.

Que dire de cette discorde apparente ? Sinon qu’elle révélait dans son malentendu même l’enjeu d’une transmission où le vif de la subversion institutionnelle se poursuivait avec d’autres mots que ceux du fondateur, voire même se relançait dans un nouveau contexte qui nous déclarait déjà has been.

L’enjeu d’une transmission ce serait cette fidélité à la méthode et surtout au mouvement qu’il s’agit d’impulser et de relancer. En aucune manière une fidélité à la personne du fondateur, ou pire à une fondation statufiée qui nous ferait en quelque sorte nous tenir dans un plan fixe, une sorte d’arrêt sur image : une image couleur sépia au charme désuet mais définitivement révolu. Cette fixité-là serait à mon avis à la source d’une posture de déploration qui a ruiné une génération de psychistes tournés vers un passé idéalisé et n’arrivant pas à affronter l’actuel. Cela nous ne pouvons le faire qu’avec notre manière d’être au monde, et surtout en tenant compte du contexte politique et institutionnel dans lequel nous nous inscrivons pour le meilleur et aussi pour le pire.

Nous aurions aussi à soutenir une fondation toujours en devenir, toujours à relancer contre le mirage inquiétant d’une fixation de l’origine ou de l’originaire, qui transformerait inéluctablement l’histoire en image pieuse et les journées de St Alban en pèlerinage au lieu de la révélation.

Ces préliminaires étant posés, il nous resterait à déployer les lieux nécessaires pour métaphoriser le changement, ou pour le dire plus précisément pour relancer le mouvement instituant.

Pendant longtemps nous avons pu nous imaginer qu’il suffirait de développer des lieux suffisamment accueillants, de conjuguer la verticalité de l’établissement avec la fonction club, et de soutenir une analyse institutionnelle permanente.

Cela d’ailleurs reste  vrai, je continue à le soutenir dans ma pratique comme dans mon enseignement, et pourtant je reste persuadé que cela n’a jamais suffi. Il n’y a qu’à constater la multiplicité des lieux que le mouvement de PI s’est donné au cours de son histoire : groupe de Sèvres,  GTPsy, Fiac actuellement etc… pour en déduire la nécessité de lieux d’élaboration extérieurs aux institutions. Ces lieux ont permis la confrontation et la dispute au sens noble de ce terme, mais aussi la confrontation au politique. Il parait en effet difficile à l’échelle d’un seul établissement même bien vivant de se faire une idée de la multiplicité des situations et de mener l’analyse nécessaire de la double aliénation. Concept clé que je garde sans cesse à l’esprit pour éviter tout rabattement unidimensionnel. Il y a une aliénation psychopathologique mais aussi une aliénation au politique (et non à la politique)  et nous aurions  à penser cette duplicité en terme de nouage hétérogène et non de compartimentation.

De plus nous avons à échanger avec ceux qui travaillent en dehors des institutions, et aussi en dehors de la psychiatrie : psychanalystes, mais aussi philosophes, écrivains, artistes, poètes qui explorent et éclairent un réel que nous partageons peu ou prou.

Cette nécessité de lieux tiers figure ainsi une extériorité ou plutôt une figure de bord sur le modèle de la bande de Moebius comme échangeur avec le monde.

Faute de quoi en restant repliés dans les institutions nous pourrions nous figurer une réalité illusoire à la mesure de nos fantasmes ou de nos hantises.

Or cette confrontation au réel est absolument indispensable dans notre travail psychothérapique avec la psychose quand nous tentons de reconstruire avec le patient un monde habitable. Ce qui me fait irrésistiblement penser à Winnicott se levant au cours d’une réunion de la société britannique de psychanalyse pendant la guerre pour déclarer « Nous sommes en train de subir un bombardement ». Cela alors que ses collègues continuaient leur discussion psychanalytique comme si de rien n’était…

C’est ce geste tout simple qui déterminera un point d’accrochage transférentiel avec Margaret Little. Celle-ci sensible à un tel sens du réel, décidera de lui demander une analyse dont elle a fait par ailleurs le récit remarquable ; moment paradigmatique assurément où l’attitude de l’analyste devant le monde permet l’ouverture du transfert psychotique. Rappelons que M.Little avait poursuivi plusieurs analyses, longues pour l’époque, qui lui avaient permis de devenir didacticienne sans pour autant apaiser sa souffrance et ses moments de déréliction.

Car les patients, et Margaret Little en témoigne très précisément dans le récit de son analyse avec Winnicott sentent très bien quand l’attitude de leur analyste est dans le « comme si », empruntée ou convenue. Et de nombreuses analyses menées sur ce mode, en copiant le maitre du moment, M.Klein à l’époque ou Lacan aujourd’hui, ne peuvent être que des analyses « comme si », passant à côté du vif du sujet, le laissant en souffrance d’un lieu d’adresse et de fiabilité.

Car il faudra en cabinet comme en institution tenir cette dimension de la fiabilité qui a toujours manqué au patient psychotique ou borderline : que l’on reprenne l’hypothèse winnicottienne de l’agonie primitive et de l’effondrement ou l’hypothèse lacanienne de la forclusion, nous butons toujours sur une zone de catastrophe, une zone de mort psychique au sens de Gaetano Benedetti.

Or pour traverser ces zones où les boussoles s’affolent, il faudra au patient un thérapeute et si possible un collectif suffisamment vivants, et lui offrant ce petit bout de monde fiable sur quoi il puisse poser ses pieds. Ce bout de monde ayant les plus étroits rapports avec « la fabrique du pré » dont parle Oury dans son séminaire sur « Création et Schizophrénie », un lieu du pathique qui tient d’un dire sensible, ou plutôt d’une conjugaison de dires lorsqu’il s’agit d’un collectif.

Nous savons que l’ambiance, la stimmung tiennent une très grande place dans cette sensation de vivance et de fiabilité qui ne trompe pas la sensibilité de ces écorchés vifs qui sont en attente d’un accueil humain. Et donc la construction permanente de la vie quotidienne est de la plus haute importance pour permettre qu’il y ait de la rencontre.

Mais nous savons aussi que la confusion des registres, l’absence de diacritique, constituent autant d’écueils dans cette construction. Affaire de tact, d’adresse et pas seulement de théorie. Certains y excellent sans aucune formation initiale, alors que d’autres blindés de la « vraie théorie »,  se trouvent dans l’incapacité de faire surgir cet espace de possibilisation de la rencontre.

Et l’expérience montre aussi que certains patients peuvent être à leur tour support de transfert, voire même tenir par moment « la fonction psy » pour d’autres patients ou même soignants. Il n’est pas rare dans mon expérience à Artaud que des patients mettent ainsi leurs soignants référents en analyse plus ou moins sauvage ; ce qui peut induire des effets de déstabilisation si les soignants en question (c’est le cas de le dire) ne s’engagent pas dans une analyse pour leur propre compte. S’ils ne le font pas, ils peuvent avoir tendance alors à se tenir dans un retrait défensif, ou même à s’expulser d’une telle situation.

D’où l’importance des lieux de métaphorisation que j’ai évoqués précédemment et qui peuvent permettre aux soignants d’exprimer leurs éprouvés sensibles, voire d’élaborer leur contre-transfert en théorisant leur traversée en se fabriquant une boite à outils métapsychologique. Mais aussi en rencontrant les éprouvés des patients, des familles et de tous ceux qui se sentent concernés par la folie et la souffrance psychique.

C’est ainsi que j’ai fondé avec d’autres la Criée il y a 26 ans à Reims pour qu’existe un lieu sur le bord du Centre Artaud, tenant séminaires et conférences en dehors des horaires de travail et relançant ainsi délibérément les enjeux hétérogènes du politique et de la psychanalyse avec des étrangers à l’institution.  D’entrée de jeu, cet acte fut vécu comme une dépossession imaginaire par de nombreux soignants : « on parle de nos patients en notre absence », et je persiste à penser que cette dépossession, tout imaginaire qu’elle soit, comporte des effets de réel tout à fait essentiels.

La rencontre avec le mouvement de PI mais aussi avec des analystes de différents courants, à la condition qu’ils acceptent de témoigner de leur clinique,  et les colloques organisés avec des collègues toujours plus nombreux nous permettent  je crois de nous décentrer par rapport au vécu circulaire et autocentré de toute institution.

Il y a de l’ailleurs et de l’hétérogène à accueillir, et de la confrontation aussi avec des discours qui nous sont radicalement étrangers voire carrément hostiles. C’est ainsi que nous avons accueilli et combattu le discours de l’évaluation et de la « bonne gestion de la folie » chère à Edouard Couty, et que nous avons fait valoir une autre manière de parler de notre praxis à partir des éprouvés sensibles et de la théorisation de l’expérience.

C’est dans cet espace que nous sommes rentrés en collision frontale avec le discours de celui que Jean Oury a appelé « la puce » : en nous piquant il a réveillé certains, mais il a propagé une sorte d’épidémie de peste dont nous avions sous-estimé la dangerosité.

C’est dans ce contexte violemment hostile que j’ai participé à la fondation du  « groupe des 39 contre la nuit sécuritaire » avec un sentiment d’urgence à se mobiliser que je n’avais jamais ressenti avec autant d’intensité.

Je passe sur les nombreux meetings et les pétitions qui ont rencontré un succès allant bien au-delà de nos espérances et qui se sont poursuivis jusqu’aux dernières élections ; le départ de Sarkozy ouvrant une nouvelle période sur laquelle je reviendrai plus tard.

Ce sur quoi je voudrais insister c’est la participation active de familles et de nombreux patients, prenant la parole en leur nom et témoignant de leur place dans tous les rassemblements que nous avons provoqués.

Des témoignages qui m’ont d’ailleurs atteint et montré à quel point je méconnaissais la gravité de la situation de la psychiatrie, et le retour de pratiques barbares que je croyais sottement révolues.

Brusquement les pratiques de contention se sont répandues avec une facilité, une absence de résistance des soignants qui m’ont troublé.

Récemment une soignante m’expliquait-mais c’est un discours largement partagé- que si les patients n’étaient pas attachés alors qu’ils sont déjà enfermés et isolés, ils pourraient se faire du mal en se tapant la tête contre les murs. Et comme c’était dit avec une grande sincérité je me suis retenu de lui dire que c’était effectivement à se taper la tête contre les murs !! Vous voyez que l’autocensure m’est venue tout naturellement, alors que j’aurais témoigné aussitôt de ma colère il y a quelques années…

Par contre, il existe aussi un envers de cette banalisation de la violence : plusieurs patients ont rejoint progressivement les 39, dont certains du centre Artaud. Ce qui me met transférentiellement dans une situation délicate, mais qui leur a permis de faire une avancée impressionnante.

Il faut dire que nous tenons depuis longtemps, outre les clubs et lieux de parole, une AG du centre Artaud où toutes les questions de la vie quotidienne peuvent être abordées. Généralement cela tourne autour de la gestion du club, des comptes, des activités et autres fêtes à organiser.

Mais au moment du discours de Sarko, les patients nous ont immédiatement interpelés pour nous demander comment nous nous positionnions.   

Et là impossible de se dérober : j’ai dû leur dire avec un certain embarras mon engagement dans les 39 contre un tel discours qui les criminalisait et qui était aux antipodes de ma conception du soin. Ce qui me retenait jusqu’alors d’évoquer mes positions politiques avec les patients, c’était bien sur le risque de les instrumentaliser dans le transfert et de m’embarquer avec eux dans une aventure dangereuse. Nous ne pouvons en effet méconnaitre les ravages qui ont eu lieu dans les années post68 quand certains que jean Oury appelle les     « régénérés de 68 » ont voulu embrigader les patients dans des groupes gauchistes en méconnaissant précisément la double aliénation et le transfert.

Je pense que l’embarras qui m’a saisi est pris dans cette histoire et m’a permis en quelque sorte d’anticiper les difficultés à venir ; car dans une telle situation, le pire serait l’ingénuité et l’engouement qui risquerait de nous aveugler collectivement.

Or d’engouement il n’y eut point, certains soignants disant leur réticence qu’il s’agissait d’entendre, à se retrouver dans une telle situation de proximité avec les patients ; au point que certains purent témoigner de leur trouble dans une telle occurrence, avec la question : comment nous distinguer des patients si nous manifestons avec eux et que plus rien ne nous différencie?

Où l’on entend que la peur de la folie et de sa contagiosité ont encore un bel avenir y compris dans les équipes les plus engagées et que de telles situations permettent de faire émerger des questions cruciales que l’on aurait pu croire élaborées. Ces questions étant souvent masquées par de l’idéologie ou par une représentation idéalisée que le Collectif se donne de lui-même

Je dois aussi mentionner les très nombreux patients qui ne voulurent rien entendre de toute cette cruauté déversée sur les ondes contre les prétendus  « schizophrènes dangereux » et qui continuent à se boucher les oreilles ou à quitter les réunions dès qu’il en est question.

Mais il y eut aussi la création de l’association Humapsy l’année dernière. Tout commença par des réunions le jeudi après-midi au moment de la fermeture du centre pour cause de réunion institutionnelle. Et les patients nous envoyèrent des messages et même au début des comptes rendus où il était d’ailleurs question « de leur douleur dans le transfert pourtant nécessaire », et de revendications tout à fait pertinentes sur leur situation de stigmatisatisation.

Puis ils prirent de nombreuses  initiatives à nos côtés dans les meetings et manifestations contre le projet de loi sécuritaire.

Et puis arriva le meeting des 39 à Montreuil du 17 mars où deux d’entre eux prirent la parole à mes côtés dans une table-ronde sur la norme avec également un philosophe politique Pierre Dardot. Vous pourrez les voir et entendre leurs interventions remarquables sur le site des 39.

 Mais je voudrais citer l’ouverture : l’un deux pour rendre compte de la naissance de leur association, expliqua qu’au cours des rencontres, ils s’étaient rendus compte de situations désastreuses pour les patients et les soignants, qu’ils s’étaient alors rendu compte de leur chance d’avoir été soignés correctement, et me montrant du doigt il insista en me désignant sur la nécessité que « ça continue quand il ne serait plus là… »

Puis il annonça la première des initiatives qu’il venait de décider : le forum fou sur une barge à Paris, où Humapsy a réussi à rassembler et à donner la parole à de très nombreux patients venant témoigner de leur situation et de leur révolte. Mouvement qui continue depuis avec récemment la tenue d’un stand à la fête de l’Huma et leur projet de s’adresser au public et maintenant de former les soignants en souffrance

On ne saurait mieux dire la nécessité de la transmission et combien celui qui parle alors arrive de façon surprenante à symboliser la perte à venir, et à métaphoriser cette perte en en faisant un gain psychique. Ainsi en anticipant sur ma disparition, ces patients se mettent en position active, dans leur vie comme dans la transmission, et quittent toute assignation à résidence dans un quelconque statut « d’handicapé psychique » ou de « bon malade ».

D’ailleurs les réactions du public en témoignèrent partagés entre la gêne vis-à-vis de moi et le fou-rire que l’on aurait trop vite fait de qualifier d’hystérique. Car il s’agit sans doute d’un rire défensif devant l’angoisse de mort : en tout cas c’est ainsi que je l’ai interprété, dans la mesure où j’étais renvoyé à la possibilité de ma disparition. Nous sommes bien loin du principe de plaisir dans une telle passe mais bien plutôt dans une symbolisation de la mort qui m’a laissé perplexe.

Voilà des patients qui viennent formuler très exactement l’enjeu même de toute transmission, ce que de nombreux névrosés n’arrivent pas à faire, empêtrés qu’ils  sont dans l’inhibition de leur agressivité et de leur angoisse à l’idée de la disparition de leur analyste ou de leur maitre.

Surtout et c’est là que je voudrais vous amener pour conclure sur un questionnement : j’ai bien peur que des lacaniens trop orthodoxes viennent affirmer que si des patients franchissent cette passe, c’est qu’ils n’étaient pas psychotiques, puisque «ils en sont empêchés par leur structure». Propos récurrent qui a le don de me mettre en colère et qui revient à chaque fois qu’un patient s’en sort et passe en quelque sorte de l’autre côté de la psychose, ce que je n’hésite pas à qualifier de « guérison psychanalytique » au sens que Nathalie Zaltzmann donnait à ce terme dans son œuvre.

Ceux que Jean Clavreul  appelait les lacanistes dans son livre ultime (l’homme qui marchait sous la pluie) ont considérablement discrédité la psychanalyse en transformant le diagnostic de structure psychotique en verdict d’incurabilité.

Ils ont beau citer les écrits de Lacan à propos de Joyce et du sinthome, tout se passe comme si leur clinique de la psychose se réduisait à une clinique hors transfert, d’observation psychiatrique dans le cadre de la présentation de malades. Or ce que nous avons à faire valoir c’est cette réalité vivante du transfert : le ressort de la psychanalyse qui empêche toute conception fixée du psychisme humain, tout arrêt sur image.

Faute de quoi, et ce n’est pas seulement vrai pour la psychose, la psychanalyse se mettrait en posture conservatrice pour ne pas dire réactionnaire, en collusion avec toutes les forces de la pulsion de mort qui détruisent actuellement la Culture.

Vous l’aurez compris, je pense que la psychanalyse vivante, celle qui s’occupe de la souffrance et du soin psychique, qui se soucie de la guérison au sens winnicottien de redonner gout à l’existence (qui fasse « que la vie vaille la peine d’être vécue »), cette psychanalyse en mouvement constitue le soubassement nécessaire qu’il s’agit de re/construire sans cesse.

Faute de quoi nos propositions ne seraient que des prothèses au mal de vivre : car ce n’est pas seulement de moyens financiers ou de reconnaissance imaginaire dont nous aurions prétendument besoin, mais surtout de retrouver du désir mis en acte dans des collectifs. Nous aurions à soutenir une relation à l’inconnu qui peut effrayer certains d’entre nous mais qui est nécessaire pour ne pas se figer dans une défense des acquis alors qu’il s’agit de se tenir du côté de la gestaltung, autrement dit de l’invention de formes nouvelles.

Il est clair en tout cas pour moi qu’il nous faudra compter sur les patients et les familles, et qu’il n’est pas trop tard pour le faire et affirmer que cette transmission/réinvention de la PI peut constituer une cause commune.

Encore faut-il créer le lieu de ce partage et de cette construction commune, et c’est pour cela que le collectif des 39 a décidé de lancer en lien avec les CEMEA des Assises citoyennes pour l’hospitalité dans la psychiatrie et le médicosocial.

Une manière de mettre en acte le pari d’une reconstruction de la psychiatrie par ceux qui en font l’expérience à des titres divers et qui pourraient en témoigner. Un pari sur la démocratie aussi car nous ne pouvons pas savoir à l’avance ce qui résultera d’une telle rencontre que nous commençons à préparer dans des collectifs locaux et qui mise sur la longue durée.

Un pari enfin sur la construction collective qui nous dégagerait d’une simple dénonciation d’une psychiatrie décérébrée, violente et normalisante.

Un pari me semble-t-il aussi pour la psychanalyse qui ne saurait se réfugier dans ses formes anciennes ou ses fondations héroïsées mais devrait se refonder dans cette conjoncture où elle se trouve radicalement menacée. 

 Autrement dit il s’agirait de trouver le courage de sortir du discours de la plainte pour se rassembler dans la diversité des points de vue et des vecteurs de singularité et tenter de poursuivre, c’est-à-dire de réinventer la psychanalyse et la PI de notre époque en frayant notre propre chemin sur les traces de ceux qui nous ont précédés. 

J’en profite pour vous inviter à vous mettre vous aussi en mouvement et que ce colloque soit l’occasion « d’entrer dans la danse » et dans les enjeux de ces Assises.

EUROPSY 2012 –  P. CHEMLA

 

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>A Lille, le procès d'une méthode de traitement d'enfants autistes (Mediapart)

(par Sophie Dufau, Mediapart)

La prise en charge des enfants autistes selon les méthodes de Vinca Rivière, dans le Nord, est loin d'être le conte de fées que cette enseignante à l'université s'évertue à présenter. Après le rapport de l'agence régionale de santé qui, en réponse à un courrier de parents, concluait en février que le centre Camus présentait des « dysfonctionnements »constituant « des facteurs de risques de maltraitance susceptibles d'avoir des répercussions sur les enfants accueillis » (lire les révélations de Mediapart), c'est un procès au civil qui se prépare pour l'automne pour « pratique déloyale de Vinca Rivière et de son association Pas-à-pas et manquements contractuels » dans la prise en charge d'un enfant à domicile. Autrement dit, à entendre cette famille raconter son histoire : mauvais traitements et personnel incompétent.

Jacques Turan, le père de l'enfant, ne fait pas ce procès «pour l'argent» – les parents réclament 5 000 euros, bien loin des sommes engagées et s'ils obtiennent gain de cause, la somme sera reversée à une association de prise en charge de l’autisme –, « c'est simplement pour dénoncer le mépris qu'elle a eu de notre enfant : elle l'a pris comme un Kleenex, elle l’a exclu sans aucun scrupule. On ne voulait pas partir avec ce sentiment d'impunité. Et on espère, en témoignant, que ça servira aux autres parents ».

Vinca Rivière, à droite.Vinca Rivière, à droite.

Pour comprendre les enjeux de cette plainte, il faut d'abord se souvenir que Vinca Rivière est une petite sommité dans le monde de l'autisme. Responsable d'un master et d'un diplôme universitaire à l'université de Lille 3, elle se targue d'avoir introduit en France la méthode ABA – Applied Behavior Analysis, ou, en français, analyse appliquée du comportement –, une méthode comportementale d'apprentissage que la Haute autorité de santé a classée en mars dernier dans les « interventions recommandées » dans la prise en charge des personnes présentant des troubles envahissants du développement.

Même si nombre de professionnels contestent à Vinca Rivière le titre de pionnière, même si l'unique association à laquelle elle revendique appartenir« la fédération pour le développement des sciences du comportement qui réunit jusqu’à 12 associations nationales et 2 associations étrangères», fut simplement créée par elle en 2009, c'est pourtant vers Vinca Rivière que bien souvent se tournent les médias pour illustrer les nouvelles prises en charge de l'autisme. Et le grand public se souvient sans doute de la soirée que France-2 lui a consacrée en juin 2008, lorsque l'acteur Francis Perrin eut carte blanche dans l'émission Envoyé spécial pour présenter la méthode et les professionnels qui s'occupaient de son fils Louis.

Dans notre enquête d'avril dernier, outre que Vinca Rivière défendait pour certains cas de patients adultes « des procédures de punition par choc électrique », nous révélions aussi que forte du soutien écrit de Xavier Bertrand qu'elle a obtenu, le centre Camus qu'elle a ouvert en 2008 se voyait octroyer par le ministère de la santé un budget de fonctionnement de plus de 80 000 euros par enfant et par an, soit une somme 2,5 fois plus élevée que des centres fonctionnant de façon similaire en France.

C'est dans ce contexte que ces courriers et plainte de parents prennent tout leur relief. A Roubaix, Vinca Rivière dirige deux structures : l'association Pas-à-pas qu'elle a fondée au début des années 2000 (elle en est aujourd'hui la trésorière) pour assurer une prise en charge à domicile des enfants et le centre Camus ouvert en 2008, dont le gestionnaire est l'association Pas-à-pas. Aujourd'hui 20 enfants sont accueillis dans le centre et 80 dans l'association.

C'est au milieu des années 2000 que Jacques Turan croise la route de Vinca Rivière.

Fin 2006, il s'inscrit au diplôme universitaire qu'elle dirige à Lille 3. Il est alors médecin en Franche-Comté. Son fils, 6 ans à l'époque, ne parle pas, n'est pas propre et n'avait pas particulièrement de prise en charge. Le père espère que ces allers-retours mensuels Lille-Vesoul lui permettront de rencontrer des psychologues ABA disposés à s'installer dans l'Est de la France.« Mais Vinca Rivière m'a affirmé que si on venait à Lille, Zacharie pourrait bénéficier d'une prise en charge de 40 h par semaine à domicile. » En avril 2007, la psychologue avec laquelle il fut mis en relation lui assure que « tout est prêt pour l'accueil de Zacharie ». « Et il ne fallait pas traîner. A 6 ans, disait-elle,chaque jour compte. Il faut venir vite, très vite. C'était presque du harcèlement. »

Même si l'association n'avait fait aucun diagnostic de l'enfant et s'était contentée du récit du père pour évaluer ses besoins, les époux Turan décident de s'engager. Du jour au lendemain, ils quittent la Franche-Comté, vendent la maison « qu'on avait fait construire », mettent fin « à la collaboration avec le cabinet de médecins avec qui je travaillais ». Face à l'indigence des prises en charge de leur enfant autiste, toute perche qui se présente fait espérer de pouvoir sortir la tête de l'eau.

Mais arrivés à Lille, ce fut la « grande surprise, il n'y avait pas d'équipe, seulement une étudiante fraîchement diplômée, incapable d’élaborer ou de modifier un programme selon l’évolution de l’enfant, et une autre en 4e année d'études », raconte le père. La mère poursuit : « Dès le départ, il y avait beaucoup de choses qui clochaient : la psychologue était complètement à côté de la plaque, vague, évasive. Elle a fait passer le test de capacités à Zacharie à toute vitesse. Dans tous les centres de ressources autisme, ce test est suivi d'un compte rendu écrit, nous en avions d'ailleurs eu un à Strasbourg. Mais quand je le lui réclame, elle me répond que ce n'est pas “dans sa pratique” et qu'elle fera un bilan verbalement. Nous avions quand même payé 545 euros… »

Vinca Rivière vient alors chez eux pour discuter. Les parents demandent non seulement un compte rendu écrit du test, mais aussi un bilan des séances que Zacharie suivait avec la psychologue et l'intervenante. « Pas à l'issue de chaque séance,explique le père, mais une fois par semaine ou même 2 fois par mois, simplement quelque chose qui nous détaille le programme, les progressions éventuelles. »

Alors qu'ils pensaient, en arrivant à Lille, pouvoir disposer de personnel expérimenté, les parents comprennent vite que tous les intervenants sont des étudiants. (« On les payait en chèque emploi service : 12 € net de l'heure, pour ceux qui étaient en master 2 ; 10 € pour ceux qui étaient en master 1 ; et 8 € pour ceux qui étaient en licence. ») Une psychologue est là pour assurer la supervision des intervenants, une sorte de formation continue.« Nous avions convenu au départ que Zacharie aurait chaque semaine 40 h de séances à domicile, et que la psychologue nous facturerait en plus 10 heures de supervision. »

Mais face aux difficultés rencontrées par les intervenants, la psychologue n'avait qu'une seule réponse : « Dès que ça n'allait pas avec telle ou telle, il fallait superviser. C'était toujours plus de supervisions, payées 35 € de l'heure, et donc toujours plus d'argent. Ou alors elle se proposait pour intervenir elle-même, mais au tarif de 25  de l’heure, ce qui n’était pas du tout prévu dans notre budget », explique Zakia Turan. En moyenne, cette prise en charge leur a coûté quelque 2 000 euros par mois.

 

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>Droit de réponse à l'interview de Madame Rogé sur Mediapart

A Madame Bernadette Rogé, à la suite de son interview dans Médiapart le 14 mai

 

De la part de Madame Dominique Amy, présidente de la CIPPA


Bonjour Madame,

Bien que co-éditées par Dunod, nous n'avons jamais eu l'occasion de nous rencontrer et je le regrette.

En tant que présidente de la CIPPA (Coordination Internationale de Psychothérapeutes Psychanalystes et membres associés s'occupant de Personnes avec Autisme), je souhaite faire un commentaire à votre interview  du 14 mai dernier dans Médiapart.

Etant, comme un certain nombre de membres de la CIPPA, formée aux approches éducatives et aux évaluations cognitives, je ne peux que m'associer à la plupart de vos assertions.

Toutefois les réactions virulentes d'un nombre important de nos membres psychanalystes ou non, m'amène à revenir auprès de vous sur ce que vous dites de la psychanalyse et qui, nous semble-t-il, relève d'une vraie méconnaissance de notre pratique.

Comment pouvez-vous imaginer un seul instant que nous allongeons des enfants, des adolescents ou des adultes autistes sur un divan?  Si tant est qu'il y en ait un dans le bureau – ce qui est loin d'être toujours le cas ! – il est, comme tout le reste du matériel, à la disposition de la personne autiste comme un objet de mise en scène d'un état qu'elle vit et que nous cherchons à comprendre et à l'aider à comprendre elle même.

Vous le savez aussi bien que moi, les autistes vivent des émotions dont le sens leur échappe. Lorsqu'ils sont sans langage, c'est bien par le corps qu'ils nous montrent à la fois ce qu'ils vivent et leur incompréhension de ce vécu. Comment donc imaginer qu'un psychanalyste puisse allonger une personne autiste ( j'en connais peu qui se plieraient à cet exercice ) et qu'assis derrière lui ou elle, il attende sagement qu'elle  se mette à parler?

Tout ceci me désole car si une personne aussi bien formée que vous l'êtes (j’ai lu votre livre avec le plus grand intérêt) imagine que la psychanalyse est ce que vous semblez penser qu'elle est, on comprend mieux ce qu'il en est des parents ou de certains professionnels non avertis.

J'espère que nous aurons l'occasion d'une rencontre et d'une discussion approfondie sur tout cela et vous prie, en attendant, de croire, Madame, à mes sentiments cordiaux.

 

Marie Dominique Amy

 

P.S. voici notre cite: www.cippautisme.org

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>Seuls les moutons ont besoin de berger

Un  management autoritaire s’est  instauré depuis 2008 (particulièrement depuis l’arrêt maladie du Directeur d’établissement à l’IME, qui en est une des conséquences), dite « nouvelle gouvernance », avec l’accroissement d’une hiérarchie à distance du terrain, qui méconnait malgré ses dires ce terrain, qu’il imagine de façon fantasmatique, avec divers préjugés.

Cette association est constituée de parents d’adultes qui ont fréquenté l’IME il y a 20 voire 30 ans (Les parents des jeunes accueillis à l’IME ne sont pas pour la plupart adhérents à l’Association et peuvent avoir des options divergentes avec cette dernière).

Le Président de cette Association gestionnaire, issu du privé, transpose au médicosocial une idéologie marchande.  

D’où :

– l’autoritarisme          

– La volonté  de soumette toute l’équipe pluridisciplinaire à un projet technocratique défini de façon unilatérale.

Le mépris également des métiers,  de l’expérience : les éducateurs ne sont là que « pour promener les enfants », les « psychologues sont dogmatiques » , division des différentes catégories de personnel ( ex : mise en place d’un audit , qui a été présenté au personnel de L’IME comme : une aide , des « appuis techniques » pour pallier à l’absence du Directeur d’établissement , et qui s’est dévoilé comme étant un audit pour monter les salariés les uns contre les autres : untel a dit que …etc.).

Le management par la peur et diverses manipulations est également  un moyen de cliver le collectif, et de faire voler en éclats les solidarités.

Ce management « rusé » impose « des petits changements successifs » en s’ingérant dans la pratique professionnelle, et multiplie des « commissions » (« loisirs », « vivre ensemble »…) afin que le personnel ait l’impression de « décider »  de quelque chose décidé à l’avance ! « Soumission volontaire » par la réunionite !

Le projet institutionnel, construit collectivement est dénigré, voire dénié : « il n’existe pas » ! Pourtant il est obligatoire pour les autorités de tutelle et  assure la cohérence de l’ensemble institutionnel.

Or ce projet insiste sur l’importance :

– d’une conception solidaire et humaniste du « vivre ensemble » : enfants en situation de handicap et adultes de l’équipe pluridisciplinaire.

– la nécessite de « penser » en continue ses pratiques, ses valeurs et de ne pas accepter une localisation étanche des savoirs.

Un travail clinique : qui fasse que chaque jeune accueilli soit entendu comme sujet qui respecte la pluralité et la conflictualité de la parole. 

La pensée que nous considérons comme la plus value «  symbolique », la valeur de nos métiers est méprisée : il faut agir, multiplier les actions vidées de toute substance et les accoler  à une signification immédiatement utilitaire  (Emploi du temps bien rempli) et se soumettre à la normalisation idéologique.

Tout cela conduit à une exténuation du sens et de l’humain.

A contrario d’un des animateurs d’ HUMAPSY (Mathieu), qui disait au colloque des 39, le 17 mars 2012 : « Etre un non spécialiste de RIEN », ces gestionnaires se pensent des spécialistes de TOUT, souhaitant tout maitriser.

Les enfants accueillis ont des pathologies importantes : organiques ou psychiques, dont certaines mettent déjà  a mal le lien social (violences, attaques du cadre éducatif surtout dans les groupes d’adolescents). 

Les pressions continuelles de l’employeur ont bien sur des effets sur le personnel en terme de souffrance au travail (arrêts maladie à répétition, départ d’une des psychologues cliniciennes, désorientation des personnels quant-au sens de leur action) et sur le travail d’accompagnement (médical, éducatif, pédagogique)  auprès des enfants.

Dans ce secteur : il est important de prendre soin des enfants dans une ambiance apaisée, sinon on déclenche de l’angoisse et des passages à l’acte du côté des enfants et jeunes adultes.

Egalement main mise sur la formation et volonté de mettre en place une sorte de « police des normes » comme dit Rolland Gori (Ex : mise en place d’une formation « maison », avec forte incitation  des salariés à s’y inscrire, au niveau du plan de formation).

Les éducateurs qui se plaignent de perdre le sens de leur travail sont taxés d’archaïsme, de refuser la « modernité ».

Le travail de Max WEBER sur l’innovation sociale  souligne que c’est l’individu qui est la source véritable de l’innovation sociale ….Si l’individu est mis à mal sa créativité se délite.

Le sentiment général est un sentiment de désolation face à la déconstruction d’un projet qui était très mobilisateur pour tous (enfants, parents, personnel), et qu’il a fallu des années pour construire.

Actuellement porté une idéalisation objectivante de la SCIENCE, l’association gestionnaire vise à une réorganisation, non plus seulement sur le mode technocratique (création d’un siège,  et d’une pléthores de cadres  éloignés du terrain, hiérarchisation accrue, évaluations fétichisées….Etc.) , mais idéologique : les enfants sont arrimés à leurs gènes, il faut dans un proche avenir (une fois le psychiatre en place viré) multiplier les bilans neuropsychologiques, les examens biologiques et autres … car «  la science a évolué » ! 

On radicalise le rapport humain à la chose et on vide la vie de son contenu.

Voila ! La tâche est devant nous :  

il nous faut recréer de nouvelles forces « éruptives » 

-qui ressouderont le collectif  

– qui nous libéreront de la standardisation de nos métiers.

– qui nous sortiront de la «  domestication » : nous refusons de devenir des moutons  

                          

 Des indignés Sparnaciens

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> Je suis là parce que vous êtes là.

L’intervention audio de Madame Jacqueline Berger le 17 mars 2012 à « La parole errante » au meeting

est sur cette vidéo cliquez ici

Je suis là parce que vous êtes là.

Parce que j’ai rencontré des gens, des soignants, des institutions pour jeunes enfants qui avaient la culture analytique comme boussole.

Qu’au plus sombre des années avec mes fillettes souffrant de désordres autistiques très excluant, un peu par hasard, j’ai croisé l’orientation psychodynamique et  que je n’ai jamais eu à le regretter.

Il y a cinq ans j’ai écrit un livre pour témoigner de cela.

Non pas de mon parcours personnel ni des réussites de mes enfants, tout cela appartient à l’ordre de l’intime. Mais pour dire que dans l’autisme infantile il y a quelque chose à soigner, qu’il y a du temps à prendre, à donner pour cela.

Que ce qui est efficient, c’est la réparation par le lien.

A contre-courant des discours qui catégorisent à l’excès les symptômes, du discours qui enferme dans la déficience, le défaut génétique et /ou neuronal, les ratées de l’organe cerveau, je veux redire qu’il y a la possibilité d’une évolution positive des syndromes autistiques, que les enfants qu’on dit «autistes» ne sont pas programmés pour rester enfermés dans leur structure ni à l’être par essence, qu’il y a autant d’autismes que d’enfants diagnostiqués ainsi, qu’une fois le diagnostic posé, les souffrances reconnues, il faut l’oublier pour construire le chemin singulier de chacun, qu’il n’y pas de modèle, qu’il y a tout à inventer pour chaque sujet, à chaque fois et que cela demande une énergie considérable pour les parents et pour tous ceux s’en occupent.

Que c’est le devoir de la société toute entière que de les y aider.

Que la psychanalyse a quelque chose à faire là dedans puisque son objet est la relation à l’Autre, celui qui n’est pas Soi, la bonne distance à l’Autre qui n’est jamais une évidence et encore moins dans l’autisme.

Que ce travail porte ses fruits en matière d’être au monde, ou d’autonomie pour être dans un vocabulaire plus à la mode.

J’ai écrit en 2007 :

« L’« autisme », tel qu’on l’entend aujourd’hui comme pathologie, n’est pas une fatalité, une défaillance « irrémédiablement inscrite dans les lois du corps d’un individu, mais un phénomène évolutif dont les mécanismes s’enclenchent au début de la vie. Il résulte de blessures plus ou moins profondes, plus ou moins précoces dans le « sentiment d’existence » que construit petit à petit l’être humain, être social autant qu’animal.

Il faut en finir avec cette vision d’un mal encore inconnu, qui serait commun à tous. L’« autisme » est simplement une manifestation, celle d’une souffrance profonde dans la manière d’être au monde, particulière à chaque histoire.

Des soins, des réparations sont possibles, d’autant plus porteurs d’espoir qu’ils sont effectués de façon précoce. Encore faut-il redonner à chaque enfant présentant des troubles, l’individualité qui va de soi pour les individus « sains », et dont le qualificatif « autiste » les prive aujourd’hui.

L’« autisme » qualifie un continuum de déviances, de la plus faible à la plus forte, de la plus supportable,  masquable, à la plus excluante. En plaçant l’individu, et singulièrement l’enfant, souffrant de symptômes autistiques, au centre de la réflexion, en décryptant ses perceptions singulières, il s’agit de faire cesser le regard qui aliène. L’« autisme » est une pathologie qui demande qu’on ne s’arrête pas aux apparences.

 J’ai écrit « Sortir de l’autisme » pour que le regard change :

—que l’on cesse de mettre tous les moyens dans recherche d’une Cause avec un grand C, recherche illusoire, parce qu’à mon sens il y autant d’autismes que de sujets

—Que l’on remette l’enfant tel qu’il est au centre du regard.

 Aujourd’hui je suis venue pour dire que, avec le recul du temps, et l’expérience s’accumulant, je ne change pas une ligne de ce que j’ai écrit en 2007.

L’exclusion dont je décortiquais les mécanismes est en marche à plein régime, il manque toujours autant de places spécialisées, et comble de l’absurde, c’est à ceux qui au jour le jour consacrent le plus d’efforts à penser ce qui se joue pour chaque enfant en souffrance,

à bricoler du sur-mesure pour chacun d’eux que s’élève l’anathème.

Aujourd’hui ceux-là sont sommés d’arrêter de penser. Penser n’est pas rentable, il faut faire. Il faut que les interventions soient visibles dans le court terme, qu’elles se plient à critères d’évaluation qui sont les mêmes pour tous, qu’elles aient l’air de…

L’air de quoi ?

L’air d’être  efficaces, que les cases soient correctement remplies, peu importe si c’est au détriment du sujet et de son devenir, peu importe si c’est au détriment du sens.

L’approche analytique, la voie psychodynamique, bientôt bannie de l’autisme ? Voilà LA réponse au scandale du manque d’accueil des sujets autistes dans la société. Quelle formidable réponse ! Déshabillons Paul pour habiller Pierre, moins de soins pour une éducation/rééducation intensive!

Le motif ? Fait pas la preuve immédiate de son efficacité. Ses procédures ne sont pas standard.

Et oui cette approche qui n’est pas une simple technique mais une culture considère qu’il n’y a pas une unique manière d’être au monde.

Je suis venue pour redire qu’en matière d’autisme chaque chemin est singulier.

Je ne suis pas une preuve scientifique,  au sens d’expérience observable par tous et reproductible (heureusement !)

Mes filles sont de jeunes adultes. Je suis venue ici pour dire que je considère que le chemin que j’ai fait avec elles est une réussite, que la vie me plaît, qu’elles sont sorties d’une forme de mal être particulièrement grave, que ce chemin a été créé avec l’aide de gens qui n’avaient pas arrêté de penser, dont le travail était difficilement évaluable objectivement.

Que j’ai eu la chance d’être étayée par des soignants qui n’avaient pas les réponses, des protocoles standardisés, reproductibles d’un enfant à l’autre.

Mes enfants ont eu la chance d’échapper aux dénominations trop rigides, aux évaluations, aux tests. A quelques années près.

Je considère que c’est une chance.

Je ne suis pas seule à penser cela, mais il faut savoir que la majorité des parents n’appartiennent à aucune association. Par manque de temps, d’énergie ou par désir d’échapper aux projections peu joyeuses qui enferment très tôt dans un destin sûr, catégorisé selon des principes théoriques valables pour tous.

Le développement ces dernières années des évaluations, des diagnostics, l’inflation des personnels intermédiaires s’occupant d’autisme, n’a en rien fait reculer le scandale du manque de places pour les enfants qui ne grandissent pas comme les autres.

Ce scandale demeure et n’a rien à voir avec psychanalyse ou pas psychanalyse, il a à voir avec une société hautement individualiste où règne le dieu de la performance.

Je trouve injuste le mauvais procès fait aux soignants aujourd’hui, qui sont aux prises tous les jours avec cette pathologie qui dévore, avec des moyens sans cesse restreints, des contraintes qui augmentent sans cesse, ils ont bien du courage. Les voilà maintenant sous la menace de positions extrêmes qui réclament une interdiction pure et simple de leur existence. Actée par une loi.

Aujourd’hui, je trouve dangereux l’absence de contre pouvoirs aux discours péremptoires, réducteurs, qui fleurissent sur fond d’indifférence et de bons sentiments, les medias sont de simples chambres d’échos et ce qui filtre, c’est qui est le plus souvent répété ou ce qui est le plus fort. Les journalistes n’ont structurellement plus les moyens d’exercer ce rôle de contre pouvoir, pour le dire plus simplement, d’informer par des reportages, des enquêtes au long cours. Pour savoir quels sont les intérêts en jeu, qui représente quoi, d’où vient l’argent…

Toutes ces questions qui resituent une parole dans son contexte et lui donne sa valeur relative.

L’autisme ne doit pas rester dans le champ clos des passions que l’on voit aujourd’hui, un débat à huis clos confiné aux parents soignants, aidants, il est urgent que tous les citoyens se sentent concernés, parce que ce qui se joue là, c’est l’avenir de tous nos enfants, c’est le monde de demain qui se préfigure. Beaucoup d’espaces de pensée de l’humain sont en train de se refermer au profit d’une « gestion » qui extrapole abusivement les résultats de recherches scientifiques pour exclure de manière raisonnée des catégories de population. Au motif qu’on ne peut pas faire autrement.

J’ai écrit avec l’espérance de faire changer un tant soit peu le regard parce que quand la méconnaissance grandit, la maltraitance ne tarde pas à suivre.

J’ai pris la parole de manière gratuite, n’étant plus personnellement concernée par l’autisme infantile, ne représentant ni soutenant aucun courant de pensée en particulier. Peut-être est-ce le dernier avatar du combat que j’ai mené pour et avec mes filles. Je ne me sens ni coupable ni irresponsable, je me sens concernée par l’inhospitalité grandissante envers tout ce qui sort de la norme et par l’exacerbation du chacun pour soi.

Je me sens concernée par l’infantilisation massive qui nous gouverne, qui nous rend chaque jour un peu plus objet, un peu moins sujets de nos vies.

—Pour que l’on regarde autrement les désordres visibles, les symptômes qui sautent aux yeux, qui, parfois même, pétrifient ceux qui sont en face en provoquant des réflexes de peur ou d’angoisse.

—Pour que ces manifestations soient comprises pour ce qu’elles sont : des manifestations de souffrance, et non      comme la signature d’un état de déficience irrémédiable ou comme quelque chose de menaçant pour soi-même.

Lorsque l’on regarde les choses comme cela, —et c’est tellement important pour un enfant en difficulté— qui comme tous les autres enfants est un sujet en construction,

on donne une petite chance supplémentaire à cet enfant de “naître jusqu’au bout”, selon l’expression de Barbara Donville, c’est à dire d’entrer en société.

Et c’est bien là que le regard de tout un chacun, et pas seulement des parents ou des proches est en jeu : encore faut-il que cette société ait envie de comprendre ce qui se joue

pour des enfants qui ne grandissent pas ordinairement, encore faut-il qu’elle accueille les déviances à une normalité ambiante, qu’elle entende qu’il y a, là aussi, dans ces différences, une source de richesse et de créativité.

J’ai écrit ce livre avec l’ambition de toucher un public hors de ce qu’on pourrait appeler « le monde de l’autisme »,  un public plus large que celui des parents, pour l’entourage au sens large, parce que le regard que l’on porte sur les symptomes pour un enfant en construction est capital, parce que le petit humain, tout petit humain, quelle que soit sa manière de grandir, quelles que soient ses maladies, ses souffrances, se construit d’abord dans les regards d’autrui.

Qu’il y a des regards qui ouvrent des perspectives, un avenir, ou qui à l’inverse enferment.

Des regards, des projections liées au vocabulaire employé —et à ce qu’il véhicule de figé— qui soutiennent ou blessent davantage.

J’ai voulu axer cette intervention sur le thème du regard dans l’autisme infantile parce qu’il y a deux manières d’envisager des enfants avec des difficultés relationnelles et comportementales aussi importantes : soit les regarder à travers ce qui leur manque, soit considérer d’abord leurs capacités.

Le tâtonnement du regard c’est l’abandon de la recherche d’une certitude, c’est prendre le risque de ne pas savoir, de se tromper— mais on ne vit pas sans risques et c’est plus  fécond, plus porteur de vie que les projections peu joyeuses qui enferment très tôt dans un destin sûr, catégorisé selon des principes théoriques valables pour tous. 

Quand on parle de touts-petits, avec qui, tout reste à construire — dans les études scientifiques on évoque de plus en plus souvent la plasticité neuronale—

le regard qui s’attarde sur le « plein »  est le plus créatif, c’est celui qui rend à l’individu son existence entière en tant qu’individu parce qu’il respecte ce qu’il y a de positif,

qu’il encourage le bond en avant existentiel, sans réduire la dimension de l’être à ses difficultés.

Ce regard donne une marche à suivre au quotidien.  Parce que c’est au quotidien que tout se joue, dans tous les menus faits et gestes, dans les menues paroles tout autant que dans des temps de soins ou d’éducation. Une question restée sans réponse, un acte inapproprié face à une demande, même si cette demande est, elle aussi, inappropriée, ajoutent aux blessures qui nourrissent un sentiment d’inexistence déjà trop prégnant.

La capacité de réassurance, de contenance, nécessite d’apprivoiser ses propres peurs,

de s’interroger sans cesse sur ce qui nourrit notre propre regard sur le monde et sur l’Autre. Cela amène parfois à se confronter à ses vertiges personnels car les terreurs qu’ éprouvent ces enfants sont les nôtres, subies à un moment ou à un autre de notre existence, apprivoisées petit à petit grâce à une chance, à l’amour des proches…

Si nous sommes bien portants c’est aussi que avons échappé à la sidération, entendue comme pétrification des émotions, mais, chez chacun de nous, il y a des traces de ces blessures existentielles, de ces grandes peurs fondamentales ayant partie liée avec la crainte de la mort. Et il ne faut pas grand chose pour les réactiver .

Il n’y a pas une manière unique d’être au monde, une manière unique de réussir sa vie, mais tout humain se construit en intégrant à l’intérieur de soi les différents regards d’autrui. Et le regard porte nos sentiments conscients mais ausi nos émotions inconscientes.

Ce dont j’ai voulu porter témoignage, ce n’est pas de mon histoire personnelle, mais de ce poids du regard, pour que chacun se sente concerné. J’ai éprouvé tout au long du parcours qui a été le mien en tant que mère le réconfort du regard qui aide à être fière, qui aide à passer le gué, à trouver des solutions, à prendre conscience de son propre regard sur son enfant, à le changer et à s’en trouver heureux, à rendre la vie joyeuse

en se sentant appartenir à la communauté des autres.

J’ai aussi éprouvé l’amertume de regards qui enfoncent dans un rôle de victime, qui excluent, qui portent des coups à la confiance en soi, disqualifient.

Les parents ne peuvent pas être seuls, même regroupés entre eux, ils ont besoin de toute la société pour inventer sans cesse de nouvelles solutions réelles, humaines, qui ne soient pas dans le semblant de l’inclusion mais leur permettent une inscription véritable dans la communauté humaine, des bricolages singuliers qui font reculer l’angoisse pour tout le monde et permettent aux créativités singulières de s’épanouir, pour l’enrichissement de tous.

Le bien-être ne peut se satisfaire de réponses standardisées, protocolaires, reproductibles de l’un à l’autre, qui engendrent une ghettoïsation. Il n’y a pas de solutions massives à l’autisme, préserver le foisonnement, la légèreté de petites structures qui encouragent la création me parait être la voie de l’espoir.

Plus que tout, les enfants gravement perturbés ont besoin un regard qui n’évalue pas avant de voir, qui ne mesure pas tout à l’aune d’un étalon standart, un regard qui donne à autrui la possibilité d’être pleinement ce qu’il est, dût-il être étrange et dérangeant.

Un regard qui donne de l’existence, qui ne cherche pas à dominer. C’est un regard qui donne, qui soutient, qui partage, qui n’affirme pas sa supériorité fut-ce par la voie détournée de la pitié.

Jacqueline Berger

Le 17 mars 2012

Jacqueline Berger. Sortir de l’autisme. Ed. Buchet Chastel, 2007. 18 euros

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> Pour accompagner quelqu’un, encore faut-il marcher sur ses deux jambes !

Pour la journée de PI de Bruxelles du samedi 24 Mars 2012

 

 

Pour accompagner quelqu’un, encore faut-il marcher sur ses deux jambes !

Quand Pierre Smet m’a proposé d’intervenir dans cette 26° journée de PI, j’étais bien loin de me douter de la campagne idéologique qui allait exploser contre la psychanalyse et la Psychothérapie Institutionnelle, et mettre Pierre Delion en place de bouc émissaire pour sa pratique auprès des enfants autistes.

J’étais aussi bien loin de me douter que Pierre ferait l’objet d’un marchandage assez abject de certains de ses collègues le lâchant au milieu du gué, c'est-à-dire  lâchant le packing pour prétendument sauver la psychanalyse et la PI !

Il est clair qu’il va nous falloir encore plus de détermination dans nos pratiques pour éviter de tels sauveteurs ne voulant pas se rendre compte de leur responsabilité dans la destruction de la psychiatrie.

Jamais depuis longtemps, la double aliénation dont je voulais vous parler n’aura été aussi explicite et violente !

Nous ramenant à une situation que je qualifierais bien de fascisante et propice à un climat de chasse aux sorcières, pour ne pas dire de chasse à l’homme…

La semaine dernière à Montreuil, comme l’a souligné MC Hiebel, malgré la standing ovation que le grand meeting des 39 a réservé à Pierre Delion, sa peine nous faisait tous très mal. Alors bien sur nous sommes à ses cotés, mais je crois aussi qu’il ne faut pas en rester là et qu’il s’agit de traverser cette zone de douleur, de trauma, pour en faire une colère active, celle de l’intelligence de la situation, de l’art de la guerre qu’il va falloir mener contre nos ennemis, et en même temps de notre appui sur les collectifs que nous animons.

Au sujet de ces collectifs, une remarque : depuis trois ans que le combat s’est radicalisé contre le discours fascisant de Sarkozy et d’une partie de l’appareil d’Etat, l’implication des patients à nos cotés a été de plus en plus forte. Au point que dans certaines manifestations que les 39 ont proposées, ils étaient probablement plus nombreux que les professionnels.

Mais pour être au plus juste, je voudrais vous parler de ce qui s’est passé dans ma praxis, et qui pourrait se passer partout si nous nous donnons les moyens.

Comme certains ici le savent, nous avons démarré à Reims dès 1980 en nous réappropriant à notre manière et à notre rythme la méthode de la Psychothérapie Institutionnelle.

Certes il y avait eu pour ma part quelques années de tâtonnements: j’avais été séduit par la geste basaglienne et le projet d’en finir avec l’asile.

Mais très vite sur le terrain de la praxis, j’ai pu constater l’impasse de ce discours dont il faut remarquer combien il a été récupéré et instrumentalisé par l’idéologie néolibérale. Aujourd’hui le nouveau discours antipsychiatrique et antipsychanalyse a pris le pouvoir dans les ministères, à l’OMS, et maintenant dans certaines associations  de parents.

Qu’on ne s’y méprenne pas : je ne confonds pas un discours qui a pu porter l’illusion, autrement dit le désir de transformation et même de révolution ; avec sa perversion qui a pulvérisé la psychiatrie en l’attaquant dans son essence même.

Les responsabilités sont multiples et il faudra bien un jour faire l’inventaire de tous les « collabo » qui auront contribué à cette situation, mais l’urgence consiste à analyser la situation présente.

Donc retour à Reims : nous avons donc commencé par un club thérapeutique dans l’ambulatoire, club qui continue à vivre et à fédérer aujourd’hui l’ensemble des clubs du service. Puisqu’entre temps, nous avons considérablement développé le dispositif ambulatoire, avec un réseau d’AT et un autre d’AP, un centre de jour à la campagne, le centre Artaud au centre ville de Reims constituant le lieu de rassemblement et d’orientation de l’ensemble.

 Nous avons aussi repris un travail solide à l’hôpital avec un club qui gère la vie quotidienne et s’articule avec les clubs hospitaliers, mais aussi avec le GEM articulé comme un club etc.…

Rien de très original pour tous ceux qui connaissent les principes directeurs de la Psychothérapie Institutionnelle, sauf peut-être que le centre de gravité de notre travail s’est déplacé en ville, l’hôpital s’inscrivant comme un des lieux possibles du soin.

Ce qui surprend, c’est plutôt notre sentiment de solitude, la rareté actuelle des expériences de terrain et les difficultés innombrables auxquelles nous nous heurtons, tant du côté des administrations que des collègues.

IL est important de souligner cette démoralisation, cette apathie qui prévaut dans tous les métiers de la psychiatrie, tout en soulignant qu’il s’agit aussi des effets d’une destruction qui a été voulue, pensée et exécutée ! Ce qui est inquiétant c’est le peu de résistances rencontrées, et même le désir de servitude volontaire manifesté par de nombreux soignants courant au devant des attentes de l’Etat ! Bien avant que l’indépendance professionnelle des psychiatres soit vendue pour un plat de lentilles, on a pu constater cette soumission à tous les diktats normatifs, alors pourtant qu’il n’y avait pas grand risque à y opposer un refus !

Je ne crois pas que cette soumission soit explicable par des erreurs théoriques sur l’analyse de la fonction de l’hôpital, ou sur l’approche psychanalytique. Je crois que nous nous sommes heurtés à une espèce de catastrophe politique qui reste à analyser : une défaite sans combat.

Sans doute, les analyses de G. Agamben, et en particulier Homosacer sont elles fort utiles pour relier cet effondrement à la catastrophe qui a ravagé le 20° siècle et que C. Lanzmann a nommée Shoah. Comme si une frontière avait été franchie dans la possibilité de l’impossible de la destruction de « l’espèce humaine » (Robert Antelme) ; et qu’une fois cette frontière franchie, elle soit devenue totalement poreuse.

Traiter l’humain comme du bétail, pratiquer le tri et la sélection, évaluer ceux qui méritent de survivre et ceux qui devront être liquidés en premier etc.…

Il m’aura fallu un certain temps pour supporter cette idée d’une continuité dans la discontinuité des processus historiques, et d’une réappropriation de l’idéologie nazie par le néolibéralisme.

Pas de raccourci sommaire, ni de simplification abusive en avançant cela, mais la nécessité d’affronter une réalité et donc de l’analyser si nous voulons nous dégager de cette passivation dangereuse et de l’incorporation insidieuse des discours « santémentalistes ». Je fais allusion au développement important que Mathieu Bellahsen a consacré dans sa thèse de médecine à ce qui se présente comme nouveau discours des bien-pensant prônant la déstigmatisation des « handicapés psychiques » etc.…Vous entendez comme cette idéologie malfaisante et destructrice de la psychiatrie s’est avancée en détruisant, dévoyant les mots de la mouvance désaliéniste, puis produisant une novlangue qui tourne sur un vocabulaire restreint mais efficace pour nier la réalité de la maladie mentale, de la psychose, et prôner une nouvelle conception du monde. Ce modèle qui se présente comme intégratif, et même partisan d’une intégration forcée, a besoin de nier la spécificité de l’humain, du « désir inconscient inaccessible » (comme dirait Oury), du rapport de l’humain au langage et à l’altérité. Autant de notions qui nous paraissaient jusqu’alors comme tombées dans le domaine public, et qui se trouvent rejetées violemment.

Il faut dire que la violence s’est avancée masquée dans un premier temps, sous ce prétexte de déstigmatisation, en subvertissant les mots et en formatant les pratiques par les biais des accréditations et de l’évaluation. Beaucoup de « collabo » pour cette mise en place des « bonnes pratiques », du culte de l’homogène et de  la transparence ! Tout cela s’avançait sous couvert de bons sentiments dont on ne se méfie jamais assez, et d’une meilleure qualité d’accueil pour les patients. Moyennant quoi, tous ceux qui se sont prêtés à cette mascarade depuis des années ont contribué à construire cette idéologie gestionnaire, prétendument athéorique comme le DSM, et autres machines de guerre construites pour défaire une clinique multiréférentielle s’adossant à la psychanalyse et à la phénoménologie. 

C’est ainsi que ce modèle gestionnaire a été voulu par la droite, comme par la gauche : Edouard Couty, militant socialiste comme JL Roelandt, n’est-il pas l’auteur d’un des derniers rapports de psychiatrie proposant une « gestion de la folie » et voulant entre autres joyeusetés cliver l’intra de l’extrahospitalier ?

Edouard Couty présente l’actuel plan de santé mentale à la Fédération Hospitalière de France sur des pdf  frappés du sigle de Fondamental : le lobby mené par Marianne Montchamp et Marion Leboyer auprès des entreprises et des politiques. Ce même lobby montré dans le film de Borel « Un monde sans fous »  qui veut en finir avec la psychanalyse qualifiée de romantique pour arriver enfin à une conception scientifique de la maladie.

Traduisez : une conception scientiste et réductrice, qui conçoit le sujet comme un système cérébro-spinal et nous ramène à un modèle animalier. Une conception en fait fort ancienne qui fait croire à des découvertes récentes, ce qui est un mensonge repris par les media et par l’Etat, que François Gonon est venu pulvériser au meeting de Montreuil, mensonge auquel beaucoup finissent par croire !

Les agrégés de psychiatrie adulte sont en train de vouloir s’aligner sur ce modèle qui nous vend de l’ancien pour dissoudre leur discipline dans la neurologie alors même que leurs « laboratoires de recherche » ne trouvent strictement rien de probant tout en multipliant IRM, scanners et recherches génétiques !

Je dis bien « leur » discipline, mais allons-nous nous laisser exproprier de nos pratiques et de nos savoirs ?

Que signifierait une telle régression politique alors que les pratiques de Psychothérapie Institutionnelle lorsqu’elles sont soutenues et mises en acte, rencontrent un efficace, qui ne se mesure pas avec une petite échelle ?  Mais qui redonne un point d’appui au sujet psychotique dans sa reconstruction d’un monde vivable, un point d’appui aussi pour ceux qui tiennent une fonction soignante. Nous sommes là au cœur de ce qui peut faire accompagnement comme ce colloque en propose l’enjeu.

 Revient la question : qui accompagne qui  et vers où?

Question cruciale car toute la pratique des clubs thérapeutiques témoigne de cette extension possible de la fonction soignante aux patients, comme à chaque membre du Collectif qui veut bien s’y tenir ! Si nous n’avions pas eu à Reims la matrice du club thérapeutique, nous n’aurions jamais rien su des potentialités soignantes des patients, de leur capacité d’écoute sensible, voire d’écoute de l’inconscient d’autant plus aigue qu’elle est fort peu clôturée par du refoulement.

Bien au-delà des limites géographiques d’un club, ce qui compte c’est la mise au travail de la « fonction club » dans une topologie en remaniement constant, ce qui permet la circulation, l’accueil et l’accompagnement.

Nous aurions ainsi besoin d’un double niveau de structuration : celui visible du dispositif  qui articule plusieurs structures et institutions ; et celui sous-jacent d’une structuration dynamique qui remette en permanence du mouvement.

Je vais isoler deux moments de structuration, et chacun est hautement problématique :

– D’abord la création du Gem la Locomotive il y a cinq ans, alors que j’avais pourtant une analyse résolument critique de la fonction des GEM, comme une des pierres de l’édifice néolibéral pour détruire les clubs, cliver le soin et l’accompagnement, enfermer les patients dans une sorte de « réserve indienne » où ils se débrouilleraient entre eux. On ne parlait pas encore des « pairs aidants » mais c’était dans la logique de la construction d’un dispositif au sens que Michel Foucault a donné à ce terme (repris d’ailleurs dans un petit livre d’Agamben) : un dispositif de fabrique de subjectivités formatées pour les besoins du système néolibéral. Une nécessité : nier la folie et la vie psychique, tout ramener à une simple question d’aide sociale, et à une logique du sujet entrepreneur de lui-même. Il s’agit bien sur d’une imposture et il n’y avait qu’à lire le texte fondateur des GEM pour y lire le désaveu explicite : comme un club/pas comme un club ; distinct et coupé du sanitaire mais parrainé et conventionné par un EPSM…etc.

Nous aurions pu refuser cette manne séductrice de la dotation annuelle, mais voilà nous n’avons pas un sou pour les clubs actuellement dans le public, et nous travaillons en permanence avec ce genre de paradoxe. Si nous voulions avoir les mains pures nous aurions arrêté depuis longtemps de travailler. Ceci dit la ligne de partage est mince entre compromis et compromission, et il s’agit à chaque fois d’un pari.

Je n’aurais jamais osé le tenir s’il n’y avait pas eu ce travail des clubs depuis 1980, avec tout ce que ça suppose de prise de responsabilité pour les patients et pour les soignants embringués dans l’aventure.

Nous avons donc démarré en refusant d’entrée de jeu le clivage entre le soin et le social, entre le GEM et les clubs, en favorisant au contraire les responsabilités croisées. Des membres de droit du club dans le bureau du GEM et réciproquement, et une analyse institutionnelle permanente pour ne pas perdre le cap ! Ce qui n’a pas été très simple, et il aura fallu ménager une réunion hebdomadaire pour articuler club et Gem, travailler le contre-transfert des soignants, limiter et réduire les emballements imaginaires, maintenir la circulation entre les lieux.  

Sans doute cela suppose-t-il une défitichisation permanente du « bon lieu », celui qui serait blasonné « Psychothérapie Institutionnelle » ! Ce qui me parait importer le plus c’est notre capacité à créer et à maintenir des processus instituants qui laissent du jeu, un espace de jeu aux uns et aux autres pour se poser, s’inscrire, prendre des responsabilités réelles et ne pas se payer de mots.

Ce Gem dialectise aujourd’hui de façon extrêmement vivante les clubs autant qu’il est dialectisé par eux, et l’ensemble aura permis l’émergence du collectif de patients Humapsy. Je passe sur les turbulences et les disputes très vives que cela aura suscité dans le Collectif ; mais c’est souvent comme ça à chaque enjeu important. En tout cas, il aura fallu sortir d’un respect dogmatique ou religieux des structures traditionnelles de la Psychothérapie Institutionnelle pour mieux la réinventer, tout en travaillant sans cesse à une conceptualisation de ce que nous faisions, de ce qui nous arrivait.

Autre opérateur important : l’AG du centre Artaud

Elle réunit à peu près une fois par mois tous ceux patients, soignants, animateurs du Gem qui gravitent dans le dispositif, et qui veulent échanger et construire.

Le prétexte pour relancer cette AG voici six ans ce fut le vol du cahier de dettes du club, d’où une dramatisation de l’affaire et la construction d’une scène pour discuter ensemble les règles du jeu et ainsi le relancer. Transformer en quelque sorte le passage à l’acte en acting out…  

Emergence donc d’une scène dont le Collectif se saisit, en particulier les patients, et du coup nous en profitons pour nous réunir régulièrement : faire le point sur le petit commerce et ses aléas, mais aussi discuter ensemble de tous les aspects de la vie quotidienne. Et c’est sur cette scène qu’a émergé le discours d’Antony de Nicolas Sarkozy, avec ce questionnement légitime des patients sur notre positionnement. Et là pas moyen de se défiler, même si ça reste pénible pour certains soignants, et pour certains patients qui se bouchent les oreilles ou sortent de la pièce lorsqu’il est question de parler de cette cruauté du discours social à leur encontre.

J’ai donc évoqué la création des 39 à l’initiative d’Hervé Bokobza, mon engagement dans ce collectif, et très vite un certain nombre de patients ont voulu être partie prenante des initiatives qui se tenaient. Je dois dire que je n’en menais pas large au début car j’avais peur de surcharger leur difficulté à exister, et aussi de les aliéner à mon propre engagement.

D’autant plus que l’enthousiasme des soignants était beaucoup plus mesuré, à la mesure de tous les combats perdus et de la difficulté à maintenir leur position dans cette période incertaine. Mais voilà les patients réclamaient la présence de leurs soignants aux manifestations, ne comprenant pas le repli sur la vie privée et le sacro-saint week-end : forcément eux sont à temps plein! Ils réclamaient à juste titre la fonction phorique dont ils avaient besoin pour s’avancer dans le monde, cette fois comme sujets politiques.

Les soignants ont dû suivre peu ou prou, mais à certains moments, ils ont pu dire à quel point ils se sentaient dépassés par les événements.

Cet engagement dans le mouvement des 39 n’a fait que se renforcer, avec la participation maintenant de patients aux réunions d’organisation, ces patients qui viennent de prendre leur autonomie en fondant une association indépendante du centre de jour : « l’association HUMAPSY pour une psychiatrie humaine ».

Je vais vous lire un extrait de leur texte web invitant à une fête le 15 avril à Paris, ce qui signe aussi leur engagement sur une scène nationale et non plus

seulement rémoise :

« L’idée de cette association est née dans la tête de quelques agités du bocal, plus communément appelés: tarés, fous, barges ou encore cinglés…
Mais aussi schizos, bipolaires, psychos… Mais nous sommes avant tout des hommes, des femmes.

Bref nous voilà, patients suivis en psychiatrie à Reims, dans un service plutôt ouvert vers le monde et non refermé sur lui-même. Depuis fin 2008 nous avons pris part à diverses manifestations contre les lois envisagées dans le domaine de la psychiatrie à l’époque, avec des professionnels, qui au début ne savaient pas trop de quelle manière recevoir notre présence. La loi votée le 5 juillet 2011 instaurant des soins sous contrainte même en ambulatoire nous semble liberticide (sachant que certains psychiatres ont communiqué aux commissariats des listes de malades «à risque» au mépris du secret médical). Nous avons aussi par la suite constaté que nombres de services psychiatriques usent de méthodes inhumaines que nous n’avons jamais rencontrées dans notre service, comme des entraves, des camisoles de force, électrochocs (pudiquement cachés sous le terme sismothérapie), isolement, infantilisations, des douches froides, humiliations et autres traitements dégradants…

Nous nous sommes donc donné pour but de défendre et de promouvoir une psychiatrie plus humaine où les patients sont traités dans le respect de la dignité et non comme des sous-hommes que l’on pourrait maltraiter à l’envie.

Le plus dur reste à faire, quelques idées en vrac: aller dans les différents services pour parler avec les patients de leurs conditions d’hospitalisation et leur communiquer les adresses et les horaires des lieux (Gem, clubs, associations) vers lesquels ils peuvent se tourner pour rompre l’isolement ou au moins passer du temps hors des murs. Ou encore: regrouper des témoignages d’éventuels maltraitances ou abus de pouvoir, mais aussi écouter, conseiller et rassurer. Nous voulons aussi porter la voix du plus grand nombre auprès des autorités représentatives afin de faire évoluer les mentalités et faire changer les regards sur cette branche de la médecine.

En outre, forts de nos expériences personnelles, persuadés que l’expression a des vertus thérapeutiques, nous aimerions développer un réseau pour à la fois diffuser et soutenir les talents sous toutes leurs formes qui nous seraient révélés. Par le biais d’exposition, de diffusions radiophonique ou de court-métrages, d’éditions diverses, de manifestations, de vitrine virtuelle (web)… »

Ce surgissement d’un collectif  de patients se réappropriant les enjeux de la Psychothérapie Institutionnelle sur la scène publique, montrant ses liens avec le soin mais aussi avec les enjeux du Politique, tout cela témoigne d’une réalité encore pour moi inédite, et que nous avons à inscrire dans notre mouvement de pensée. Des patients qui endossent l’insulte de leur désignation habituelle pour mieux la subvertir et qui se dégagent dès la fondation de leur collectif du positionnement antipsychiatrique, autant que de la soumission de la Fnapsy alignée avec l’Unafam et les présidents de CME à soutenir la politique actuelle.

Cet événement ne constituait évidemment pas un objectif de travail attendu ni même prévu ! Je n’y aurais même pas cru il y a quelques mois… ; mais il faut souligner que le travail de longue durée des clubs et du Collectif aura construit l’espace de possibilisation d’une telle survenue.

Espace et temps long d’une attente abductive, une attente qui ne se comblerait pas de trouver l’objet qui viendrait trop facilement la satisfaire, enjeu du « hors-d’attente » dont nous parle Héraclite depuis l’Antiquité :

« S’il n’attend pas il ne découvrira pas le hors-d’attente qui est chose introuvable et vers quoi il n’y a pas de chemin »

Je me permets donc d’insister une fois de plus sur cet enjeu : il s’agit de construire dans la durée un espace stratifié qui nous permette de déplier et d’articuler la pluralité des enjeux du transfert institutionnel, sans négliger la deuxième jambe politique de la Psychothérapie Institutionnelle.

Dire qu’elle est quelque peu souffrante ces derniers temps me parait un euphémisme, tant je trouve notre mobilisation bien maigre par rapport à la déclaration de guerre explicite dont nous sommes l’objet.

Il ne s’agit pas seulement de soutenir Pierre Delion, ça c’est la moindre des choses, mais de retrouver une posture beaucoup plus combattive.

Il est clair que nous sommes en position d’extrême fragilité : que nos points d’appui sur la psychanalyse et nos valeurs d’humanité vont à rebours de l’air du temps néolibéral.

Il est vrai aussi que nous sommes plutôt isolés et que de nombreux collègues ont baissé les bras.

Je crois que le pire serait de se résigner, ou de croire qu’il s’agirait de laisser passer la vague du tsunami. Cette logique là a été celle des groupes analytiques qui ont cru qu’en négociant avec l’Etat ils allaient sauver la psychanalyse : toujours la même illusion !

Aujourd’hui il faut remarquer la rareté des psychanalystes présents dans nos mobilisations, quand ils ne les dénoncent pas au nom de leur nécessaire neutralité. A l’exception notable de la Fédération des ateliers de psychanalyse et du Cercle Freudien qui nous ont apporté un soutien explicite.

J’ai dit ailleurs ce que je pensais du dévoiement d’une partie du mouvement lacanien dans les présentations de malades et dans un certain cynisme devant la destruction de la psychiatrie, un mépris aussi par rapport à la Psychothérapie Institutionnelle qui ne serait pas de la « vraie psychanalyse » !

Je le rappelle en conclusion parce qu’il s’agit d’une réalité que nous avons à transformer, forts de notre expérience d’une posture dans le transfert à mille lieux de la figure de l’analyste impassible et cadavérisé !

Cette psychanalyse vivante qui nous a été transmise et que nous mettons en acte dans nos établissements comme dans nos cabinets, nous avons me semble-t-il à la transmettre. Et à considérer cet enjeu dans son versant irrémédiablement politique.

Donc au-delà des trouvailles d’il y a 40 ou 50 ans, la transmission consisterait à sortir du ressassement d’un prétendu âge d’or pour réinventer sans cesse les conditions  de possibilité de la Psychothérapie Institutionnelle, mais aussi ses concepts et ses outils théorico-pratiques.

Il s’agirait d’en finir sans cesse avec l’embaumement et la fétichisation qui sont nos plus fidèles ennemis intérieurs.

 

Patrick Chemla

 

 

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>"Il faut mettre un cran d’arrêt à cette frénésie évaluatrice" (Pierre Dardot, meeting du 17 mars)

 

Prenant connaissance de la teneur de la déclaration de la HAS, ma première réaction a été de me dire « le masque est tombé ! ». De fait, jusqu’à présent, notamment depuis 2005, on avait eu droit à des recommandations assez floues et à des formulations atténuées. Mais je crois en même temps qu’il faut voir clair dans la stratégie mise en œuvre par cette instance et, au-delà d’elle, par le pouvoir politique dont elle n’est finalement qu’un relais complaisant. On brandit la menace d’une interdiction de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle dans un délai d’un an, mais pour ceux qui profèrent de telles menaces la question est de savoir comment s’y prendre pour interdire, puisqu’on peut difficilement interdire directement par le biais de la loi, car on s’exposerait alors au risque de l’inconstitutionnalité.

La Haute Autorité de Santé se présente invariablement comme « une institution scientifique complètement indépendante de toute pression », selon les propos de Jean-Luc Harousseau, et son discours se pare volontiers du prestige et de l’autorité de la science.

Il s’agit en réalité de tout autre chose que de la science. Il ne s’agit en aucun cas d’une nouvelle « querelle des méthodes », c’est-à-dire d’une querelle interne au champ de la science qui opposerait  deux méthodes prétendant l’une et l’autre à la reconnaissance de leurs titres à la scientificité. Il s’agit bien plutôt d’un « savoir » dont le caractère normatif est l’essentiel, c’est-à-dire d’un savoir dont la vertu principale est de produire des effets de pouvoir en édictant « ce qui doit être ». A en croire ce savoir, l’individu est ses neurones ou ses gènes.

Un innéisme rudimentaire lui tient lieu de credo d’autant plus indiscutable qu’il refuse de s’avouer pour ce qu’il est, à savoir une pure construction intellectuelle. Dans cette entreprise il peut d’ailleurs s’étayer du caractère prétendument « non-théorique » que le DSM revendique pour lui-même. De manière plus générale, on a affaire à un discours qui glisse continuellement de « ce qui est » à « ce qui doit être », c’est-à-dire qui s’autorise de la description ou de l’explication pour prescrire (l’autisme a une base génétique ou neurologique, donc il doit être traité exclusivement comme un « trouble du développement »).

Dans ce registre la norme est toujours présentée comme une « règle naturelle » qui s’impose d’elle-même tant elle relève d’une irrésistible évidence, et c’est d’ailleurs pourquoi ces recommandations sont égrenées sur le mode anodin d’un solide bon sens auquel il est vain d’adresser une objection, tout simplement parce qu’on ne peut rien objecter à ce qui est neutre.  Que de formules lénifiantes n’a-t-on pas entendu ! « C’est pour le bien de tous, et surtout pour le bien des enfants autistes et pour soulager la détresse des familles, que nous faisons ces recommandations », « nous invitons à une approche pluridisciplinaire », « bien entendu il ne faut pas imposer mais proposer ».

Mais ce que dissimulent mal de telles formules, c’est l’implacable logique d’un « savoir » dont le dernier mot est toujours : « il n’y a pas d’alternative », « il n’y a rien d’autre à faire ». C’est pourquoi je crois que la meilleure dénomination qui revient à cette instance est en effet, comme le dit la déclaration des 39, celle de « Haute Autorité Sachante », surtout pas « Haute Autorité Savante », avec tout ce que ce participe présent adjectivé peut signifier en matière d’infatuation, de suffisance et de morgue.

Il suffit de prêter attention aux propos de certains porte-parole de la HAS pour s’en convaincre. Le Professeur Philippe Evrard, neuropsychiatre, président du groupe de pilotage de la HAS/ANESM (Quotidien du médecin en date du 12/03/2012, rubrique « Questions d’expert »), après avoir déploré le retard de la France sur le plan quantitatif et s’être fait l’avocat de la pluridisciplinarité, répond en ces termes à cette question, dont je vous laisse apprécier le libellé : « Quelle doit être la posture des médecins vis-à-vis de ces troubles ? » : 

« Il faut prendre en considération les préférences ou les décisions des parents. Pour ce dernier point il faut entraîner une compétition minimale parce que, comme l’outil à la disposition des personnes autistes et de leurs familles est très insuffisant quantitativement en France, forcément les parents n’ont pas beaucoup l’occasion de contester la prise en charge quelle qu’elle soit, blanc ou noir, dans la mesure où ils sont totalement dépendants des possibilités qu’il y a autour d’eux » (nous soulignons). 

Le projet qui sous-tend de tels propos est on ne peut plus clair : il s’agit moins d’interdire dans la forme juridique de la loi  que de mettre en place un marché des traitements de l’autisme par la mise en concurrence des « approches » dont les parents, incités à les « contester », seraient in fine les arbitres. L’aveu est d’autant plus significatif que la justification de cette mise en concurrence est la pénurie des moyens désignée par l’euphémisme de l’« insuffisance quantitative ». On a là très exactement le même scénario que celui qui se dessine dans l’Education nationale : on enjoint aux enseignants de travailler avec moins de moyens et on organise en même temps un marché de l’école en encourageant les parents d’élèves à se comporter en clients mettant les écoles en concurrence les unes avec les autres pour le plus grand bien supposé des élèves, de telle sorte que, moyennant cette pression, on met les enseignants eux-mêmes en concurrence les uns avec les autres.

On fera sans doute valoir que la concurrence est parfois saine et qu’elle bénéficierait tant aux parents qu’à leurs enfants. « Que le meilleur gagne ! », peut-on souvent entendre. Mais il suffit de considérer selon quelles règles cette concurrence serait mise en place pour comprendre que les dés sont pipés et que certaines approches sont disqualifiées d’emblée. 

Répondant à une question du QM du 08/03/12 (« Certains psychiatres ne doivent-ils pas changer de paradigme vis-à-vis de pratiques décriées dans l’autisme comme la psychanalyse ? »), le Professeur Harousseau nous livre cette réflexion de « sachant »: 

« Cela fait plus de 30 ans que l’on propose ou que l’on impose des approches psychanalytiques sans que ces approches aient fait la preuve de leur efficacité. C’est absolument étonnant ! N’importe quelle intervention sur le corps humain est évaluée et on sait quand même dire si ça marche ou si ça ne marche pas, actuellement plus de 30 ans après on ne sait pas dire (si ces approches marchent ou non). Deux possibilités : ou on arrête ou on fait des essais cliniques. C’est aux psychiatres eux-mêmes de le dire. Les psychiatres doivent se remettre en question et doivent évaluer leurs approches sur des critères objectifs d’intégration de l’enfant dans la société (nous soulignons). »

Tout est dit en quelques mots. L’alternative énoncée : « ou on arrête, ou on fait des essais cliniques » n’est en réalité pas une alternative du tout.  Car comme on fait des essais cliniques dans le seul objectif d’évaluer selon un critère, celui de l’adaptabilité sociale, qui est par définition étranger aux approches psychanalytiques, comme on ne peut évaluer « objectivement » la dimension du désir inconscient et du relationnel, l’alternative « ou on arrête, ou on fait des essais cliniques » devient finalement une injonction brutale : « ou on arrête, ou on arrête » ! En d’autres termes, on demande à l’une des approches d’accepter de se laisser juger selon des critères taillés sur mesure par l’approche « concurrente ».

On a là le fin mot de l’affaire : on attend de la mise en concurrence organisée qu’elle valide par son verdict la condamnation prononcée à l’encontre des approches psychanalytiques, autrement dit on met en place un marché et on charge le marché de valider a posteriori par le jugement des parents promus clients la condamnation a priori des approches psychanalytiques. Dans un an le marché aura tranché et les pratiques psychanalytiques seront sanctionnées par la loi de l’offre et de la demande, la place sera enfin  libre pour un marché des soins de l’autisme dominé par l’« offre » comportementaliste et neurologique. On ne s’étonnera pas après cela de l’intérêt très vif porté à cette offre par le courant dominant en économie, celui-là même qui entend réduire chaque individu à un calculateur soucieux avant tout de « maximiser » son intérêt.

Il faut mettre un cran d’arrêt à cette frénésie évaluatrice qui procède d’une logique comptable proprement infernale visant à faire de chaque subjectivité une valeur à valoriser dans le jeu de la concurrence avec les autres. Cette logique a un nom qu’il ne faut pas hésiter à lui donner, elle n’est rien d’autre que la logique capitaliste, celle qui soumet chaque sujet à la loi du « encore-et-toujours plus » en le condamnant à rendre en permanence des comptes. Il faut affirmer haut et fort que nous ne nous résignerons jamais à subir cette logique normative et que nous refusons l’idée de l’humain qu’elle met en œuvre.

Il ne s’agit aucunement d’opposer une idée abstraite de l’homme comme « âme » ou « esprit » à l’individu-cerveau, il s’agit de porter une certaine idée de l’humain dans des pratiques fondé un travail relationnel, ce qui est tout autre chose. De ce point de vue, il faut dire, au-delà du cas particulier de la HAS qui n’est qu’un appareil de pouvoir totalement discrédité, que les seules règles acceptables ne sont pas celles qu’édicterait une instance qui s’érigerait en gardienne des bonnes pratiques, mais que ce sont celles que font vivre nos pratiques parce que ce sont celles qui s’élaborent dans et par ces pratiques.

C’est là la seule manière de redonner tout son sens à la belle idée d’émancipation : en dernière analyse, il n’y a que des pratiques d’émancipation qui puissent porter et faire vivre l’idée d’émancipation.

PIERRE DARDOT


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>Quand penser fait peur, faut-il interdire la pensée ?

« Une méthode qui fait peur, c’est une méthode à laquelle il faut renoncer. »[1]

(JL Harousseau, président de la Haute Autorité de Santé, et D. Langloys, présidente de l'association Autisme France)

Nous vivons un moment singulier pour la démocratie, qui devrait nous aider à penser ses mutations les plus actuelles, dont l’une est le passage du paradigme « une personne : une voix » au paradigme « une association : un droit », entraînant les instances étatiques dans des errements aussi étonnants que celui d’édicter les normes du soin des personnes autistes, allant jusqu’à juger « non pertinent » tout un mouvement de pensée : la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle.

Etudions les faits de plus près.

Des associations de parents qui ne représentent qu’elles-mêmes.

Depuis quelques dizaines d’années, et cela suit un mouvement sociétal plus global, des associations de parents de personnes autistes se sont créées, comme il existe des associations de parents d’enfants trisomiques, diabétiques, sourds, etc.

Ce n’est pas la majorité des parents d’enfants en difficulté qui choisissent d’adhérer à ce type d’associations, mais au contraire une minorité. De cela je peux témoigner à double titre :

à titre professionnel, en tant que psychiatre responsable d’un centre médico-psychologique, je constate que, sur la soixantaine de parents d’enfants autistes que je soigne, aucun n’appartient à ce type d’association, ne souhaite y adhérer ni ne se réclament de leurs discours. Mes collègues de l’intersecteur sont dans le même cas que moi. Serions-nous en face d’un échantillon de population exceptionnellement dénué d’envie d’adhérer à des associations ? J’en doute.

A titre personnel, ayant grandi aux côtés d’une sœur atteinte d’une anomalie génétique, je peux témoigner du fait que la majorité des familles d’enfants « handicapés » ne ressent pas spécialement le besoin d’adhérer à ce type d’associations.

En effet, appartenir à ce type d’association offre un soutien psychologique de l’ordre du partage d’expériences et de la réassurance collective dans la revendication politique de droits, prenant parfois la forme d’une lutte. Cela convient à certains, certes, mais pas à la majorité des parents ; un certain nombre pense même que ce type de réponse est un mode de fuite évitant la confrontation à certaines questions, et que ces luttes font parfois oublier le véritable intérêt des enfants tant c’est la réassurance des parents qui guide l’action.

Chacun son avis.

En choisissant de donner la parole uniquement aux associations de parents, sur un sujet comme l’autisme, l’Etat (via la HAS) exclut donc automatiquement de la réflexion la majorité des parents de personnes autistes qui ne sont pas en association et ne sont donc pas pris en considération.

Comment se fait-on entendre par l’Etat censé nous représenter quand on ne fait pas partie d’une association et qu’on n’a pas envie de le faire ?

Un travail de lobbying intensif, relayé sans filtre par la plupart des médias.

Ces associations de parents de personnes autistes ont du temps et de la détermination : écrivant sans relâche des commentaires sur internet au moindre article sur le sujet de l’autisme, contactant tous les journalistes et toutes les instances politiques susceptibles d’être intéressées par la question… Donnant ainsi l’illusion au grand public de représenter une position majoritaire, ce qui, je le répète, est faux, et martelant sans cesse les mêmes arguments :

-La psychanalyse serait inutile voire néfaste pour les personnes autistes.

-La psychiatrie française serait dominée par la psychanalyse.

-Les psychanalystes refuseraient les hypothèses des neurosciences et du comportementalisme, formeraient un lobby puissant et exclusif cherchant à assoir son pouvoir.

-La psychanalyse rendrait les mères responsables de l’autisme de leur enfant et culpabiliserait les mères.

-La psychose serait définie par la psychanalyse comme un trouble de la relation entre la mère et l’enfant.

-L’autisme serait, de manière avéré un trouble « neuro-développemental » d’origine génétique.

-le traitement des enfants autistes serait identique pour tous et passerait pas une rééducation comportementale intensive.

-Les méthodes comportementales seraient les seules à être validées scientifiquement pour l’autisme.

-La psychanalyse refuserait l’évaluation scientifique.

-Le packing[2] serait une méthode psychanalytique.

-Le packing serait une torture, une barbarie, il faudrait porter plainte contre ceux qui la pratiquent et l’interdire.

-La psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle devraient être interdites.

Ces arguments propagandistes réducteurs et simplistes, sont repris sans filtre par la plupart des médias.

Deux paradoxes devraient pourtant sauter aux yeux des journalistes :

Premier paradoxe, les associations de parents dont il est question accusent les psychanalystes d’être sectaires, exclusifs, fermés aux hypothèses neuroscientifiques et comportementales.

Comment expliquer alors qu’elles prennent justement pour cible ceux des pédopsychiatres et psychanalystes qui pratiquent et promeuvent depuis de nombreuses années une approche « intégrative », associant les neurosciences, le comportementalisme et la psychanalyse : Pierre Delion[3], Bernard Golse[4], David Cohen[5], Geneviève Haag[6], Chantal Lheureux-Davidse[7] ?

Pourquoi ces praticiens, qu’elles devraient considérer comme leurs alliés, sont les premiers qu’elles attaquent ?

Deuxième paradoxe, les associations de parents dont il est question véhiculent l’idée, reprise par les médias et le grand public, qu’il y aurait deux camps rivaux et égaux en haine : les tenants du comportementalisme et les tenants de la psychanalyse.

Pourtant, quand on observe les choses de près, que voit-on ?

D’un côté, des personnes qui parlent de torture, de barbarie, qui portent plainte contre des praticiens et exigent et obtiennent de la HAS l'interdiction du packing et la non-recommandation de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle.

En face, des praticiens et familles sidérés dont le plus grand tort de certains serait d'avoir comparé les méthodes comportementalistes à du "dressage"[8].

Est-ce vraiment équivalent ?

Peut-on comparer la désignation de « dressage » à celle de torture, de barbarie, à l’action de porter plainte et d'exiger l’interdiction d’une pratique psychiatrique et de tout un mouvement de pensée?

D'ailleurs, à titre personnel, si des psychanalystes demandaient l’interdiction du comportementalisme, je trouverais cela scandaleux et anti-démocratique et m’insurgerais tout autant que face à la tentative actuelle d'interdiction de la psychanalyse.

Quand on sait, par ailleurs (et je peux en témoigner car la fin de mes études n’est pas très loin de moi), que la psychanalyse n’est pas même mentionnée pendant les six premières années des études médicales, qu’en région parisienne (pourtant la plus ouverte) il est déconseillé par la rumeur d’effectuer une thèse et un mémoire de psychiatrie sur un sujet en lien à la psychanalyse, tant les professeurs de psychiatrie sont orientés, depuis plusieurs années, vers la psychiatrie biologique et génétique, comment prendre au sérieux ces allégations de la toute-puissance des psychanalystes ?

Que conclure de ces paradoxes ? La mauvaise foi évidente des arguments et la force de la volonté éliminationniste sous-jacente.

Des affirmations dogmatiques et triomphalistes…

Quand personne, et surtout pas les psychanalystes, ne prétend connaître les causes de l’autisme et quand la plupart des personnes concernées s’accordent sur le fait que chaque personne autiste est différente et qu’il est impossible de savoir à l’avance ce qui pourra lui venir en aide et soutenir sa famille, les associations de parents dont il est question dans cet article, elles, « savent » et assènent leur vision de  la vérité.

Ces associations de parents affirment que l’autisme est un trouble neuro-développemental d’origine génétique.

Pourtant, aucun argument allant dans ce sens n’a été confirmé scientifiquement : aucune localisation neurologique n’a pu être identifiée, aucune anomalie hormonale ou infectieuse, aucune anomalie génétique clairement individualisée. Depuis quelques années, certaines publications de chercheurs en neuroscience tendent même à relativiser l’importance d’une éventuelle part génétique dans l’autisme du fait de biais important dans les études réalisées[9], de la déformation des conclusions des études scientifiques (excessives) par rapport aux résultats (modestes)[10].

Ces associations de parents affirment que seules les méthodes comportementalistes ont une efficacité validée scientifiquement.

Pourtant, certaines personnes remettent en cause cette « validité scientifique » des méthodes comportementales dont, fait intéressant, certaines personnes atteintes d’autisme dit « d’Asperger ».

Ainsi, Michelle Dawson, chercheuse à Montréal, a publié en 2004 un plaidoyer sur le manque d'éthique de l'intervention comportementale intensive (ICI), préconisée en Amérique du Nord, affirmant que "La littérature sur le sujet est énorme en quantité mais pauvre en qualité scientifique." De nombreux rapports de recherche iraient dans le même sens qu'elle et selon l'Académie américaine de pédiatrie, "la force de la preuve (en faveur de l'efficacité de ces techniques) est insuffisante à basse." Les gouvernements subventionnent pourtant abondamment ces thérapies, sous l'influence de groupes de pression[11].

Dans le même esprit, Jim Sinclair et Donna Williams ont fondé l’ « Autism Network International »[12] et l’ « Autistic Self Advocacy Network »[13].

Dans le monde anglo-saxon, se constitue ainsi toute une communauté d’ « autistes d’Asperger », qui revendique de savoir ce qui est bon pour elle et rejette aussi bien les comportementalistes que les développementalistes.

Qu’en conclure ? L’humilité.

Il semble bien maladroit d’être triomphaliste dans le domaine de l’autisme. 

Aucune méthodologie scientifique n’a pu prouver la supériorité d’une méthode sur l’autre, ni le comportementalisme, ni la psychanalyse (même si je ne peux m’empêcher de préciser qu’il existe des études qui suggèrent que les thérapies psychodynamiques d’inspiration psychanalytiques seraient plus efficaces à long terme[14]).

Certes, le comportementalisme est la méthode exclusivement employée dans de nombreux pays, mais que cela prouve-t-il sinon une uniformisation désolante de la pensée ?

…Qui font oublier la réalité de terrain : une pénurie scandaleuse d’établissements spécialisés.

Toute cette polémique sur la psychanalyse est donc biaisée puisque basée sur des affirmations arbitraires.

Elle tend à faire oublier la réalité de terrain : une pénurie scandaleuse, en France, d’établissements spécialisés pour le soin et l’accueil des personnes autistes et tout simplement « différentes », en règle générale.

Un grand nombre d’enfants autistes sont condamnés à passer le plus clair de leur temps à domicile car ils sont trop en difficulté pour être accueillis à l’école ordinaire et ne trouvent aucun établissement qui puisse les accueillir. Un grand nombre d’entre eux sont contraints de partir dans des établissements en Belgique.

Quels sont les choix politiques responsables de cet état de fait ?

L’Etat subventionne la recherche des causes de l’autisme (mais qui se soucie des causes s’il n’y a aucun moyen de prise en charge ?), le développement de « centre de ressource autisme » ayant pour but d’établir un diagnostic le plus précoce possible (mais que faire d’un diagnostic s’il n’existe aucun moyen de prise en charge ?) et, bien sûr, des établissements appliquant exclusivement les méthodes comportementalistes, ce qui constitue une exception puisque la plupart des lieux accueillant des personnes autistes en France sont pluralistes dans leur approche.

Ces établissements exclusivement comportementalistes ne peuvent accueillir tous les enfants. Ceux qui sont remboursés par la sécurité sociale n’acceptent pas les enfants les plus malades. L’accès aux autres établissements dépend de la possibilité des parents de payer.

Ainsi, ce choix de financement gouvernemental favorise une médecine à deux vitesses excluant les plus malades et les plus pauvres.

Par ailleurs, plutôt que de favoriser la création et le financement de classes intégrées ou un véritable réaménagement de l’Ecole, l’Etat fait le choix, qui ne coûte rien, de créer le droit pour tout enfant handicapé d’être intégré en école ordinaire. Dans un dialogue avec Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy expliquait ainsi, en 2007, que ce droit était important pour les enfants handicapés, mais surtout pour les enfants « normaux » qui deviendraient ainsi plus tolérants au contact d’enfants différents… Argument démagogique relevant soit de la grande naïveté, soit du grand cynisme[15], actuellement repris par plusieurs associations antipsychiatriques présentant la scolarisation en école ordinaire comme la seule solution pour les enfants autistes.

Mais à quoi sert ce droit si aucune école n’a les moyens d’accueillir les enfants très différents du plus grand nombre ?

Au total, même si cela est absurde, il semblerait que le plus commode pour certains soit de rendre la psychanalyse responsable de la pénurie liée à ces choix gouvernementaux et de l’interdire.

La psychanalyse en psychiatrie : une approche humanisante cherchant au cas par cas de solutions ouvertes pour chaque famille.

Il est fort dommage que la psychanalyse ait été contrainte de déserter la psychiatrie dans de nombreux pays, car elle a été un agent puissant de lutte contre les phénomènes asilaires et de réhumanisation de ces lieux parfois abandonnés à leur chronicité, en plaçant la personne et la relation au centre de la réflexion des équipes soignantes.

La pédopsychiatrie n’est pas la psychanalyse. La pédopsychiatrie est la pédopsychiatrie. Elle est composée de service comprenant des professionnels de différentes formations, en majorité des infirmiers et des éducateurs. On y rencontre aussi des psychologues, des orthophonistes, des psychomotriciens, des assistantes sociales, des médecins psychiatres…

Ces « équipes » sont donc, toujours « pluridisciplinaires ». Chacun envisage son travail en fonction de la formation qu’il a reçue et de son style propre.

Que signifie, pour un service de pédopsychiatrie, avoir une référence à la psychanalyse ou à la psychothérapie institutionnelle?

Cela ne signifie pas du tout que tous les professionnels qui y travaillent soient en analyse, ni ne s’intéressent à la psychanalyse. Cela ne signifie pas non plus que les enfants sont allongés sur un divan.

Cela signifie que le travail de l’ensemble de l’institution est basé sur deux hypothèses.

La première est l’existence de l’inconscient chez tout le monde, enfants, parents, soignants… Ce qui oblige les soignants à se remettre sans cesse en question pour ne pas prendre leurs décisions comme la vérité vraie, mais comme découlant aussi de certains phénomènes inconscient provoqués en eux au cours de l’exercice de leur métier.

La seconde est la suivante : les décisions thérapeutiques ne peuvent découler que du « transfert », c’est-à-dire, schématiquement, de la relation spécifique qui s’établit entre un enfant et sa famille et l’équipe de pédopsychiatrie. Il est donc impossible de savoir à l’avance ce qui conviendra pour chaque enfant et chaque famille et aucune proposition ne peut être rejetée par principe.

C’est pourquoi un service de pédopsychiatrie de référence psychanalytique peut être amené à soutenir des parents dans la mise en place de techniques rééducatives de type comportementales si cela a du sens pour cette famille ou à prescrire des médicaments ou des  investigations somatiques, d’imagerie et génétiques poussées.

A l’inverse, certains parents ne s’intéressent pas aux méthodes comportementalistes car ils ne supportent pas le principe du conditionnement des comportements basé sur les sanctions et les récompenses, ne souhaitent ni médicaments ni investigations complémentaires poussées.

Là aussi, l’éthique de la psychanalyse pousse l’équipe soignante à entendre les demandes des enfants et de leurs familles et à prendre des décisions avec eux.

L’accusation d’ « exclusivité » de la psychanalyse est donc en désaccord avec son éthique même.

Par ailleurs, comme certains enseignants, certains pédiatres, certaines assistantes maternelles, certains professionnels en lien avec l’enfance, il existe des personnes maladroites parmi les professionnels de pédopsychiatrie qui ont la tendance malheureuse de soupçonner sans nuance les mères et les parents d’être responsables des difficultés de leur enfant.

Cette tendance regrettable est à combattre, mais n’a rien à voir avec la psychanalyse, et Jacques Hochmann[16] dit ainsi que l’on peut se faire une idée du fonctionnement d’une institution en lien avec l’enfance à partir du degré de médisance envers les parents qui y règne : plus ce degré est élevé, plus cette institution est en souffrance.

La psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle sont justement le « supplément d’âme » de la psychiatrie[17] qui permet de questionner ce genre de phénomène.

Quand penser fait peur à l’Etat, que devient la démocratie ?

La Haute Autorité de Santé est une instance gouvernementale dont le directeur et les membres du collège sont nommés par le président de lé République sur avis, notamment, de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

L’indépendance de la Haute Autorité de Santé est sans cesse remise en cause par des scandales liés à des liens et conflits d’intérêts entre certains de ses membres et l’industrie pharmaceutique. Les recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé sont fréquemment remises en cause (scandale du Mediator, maladie d’Alzheimer, diabète de type II…) et certains n’hésitent pas à parler d’ « expertises sous influence »[18].

Le dialogue, publié par le journal l’Express le 09 Mars 2012 entre Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de Santé, et Danièle Langloys, présidente de l'association Autisme France est à ce titre éclairant : on y constate que l’enjeu est le financement d’établissements.

Ce qui est très intéressant, c’est que chacun des deux interlocuteurs tombe d’accord : la psychanalyse leur fait peur et « une méthode qui fait peur, c’est une méthode à laquelle il faut renoncer ».

En effet la découverte de l’inconscient peut en effrayer certains, comme en témoigne de manière humoristique l’écrivain américain Jonathan Franzen dans son ouvrage autobiographique « La zone d’inconfort » :

« en songeant que j’avais probablement, moi aussi, un inconscient qui en savait aussi long sur moi que j’en savais court sur lui, un inconscient toujours en quête d’un moyen de s’extérioriser, d’échapper à mon contrôle pour accomplir sa sale besogne […], j’ai poussé un cri de panique. Un cri tonitruant […]. De retour à Philadelphie, j’ai chassé cet épisode de mon esprit »[19].

Le « Je est un autre », de Rimbaud[20], est, pour certains, insupportable.

Mais pour d’autres, cette découverte est, au contraire, salvatrice et source d’enrichissement. Y compris chez les parents d’enfants autistes comme en témoigne l’ouvrage de Jacqueline Berger, mère de jumelles autistes[21].

Et chez d’autres enfin, c’est l’aspect normatif du comportementalisme qui est terrifiant, comme en témoigne une mère d’un enfant autiste sur le site « Lacan quotidien »[22].

Pourquoi alors notre « démocratie » choisit-elle d’écouter une seule voie et de retenir une seule option, celle de l’éviction de l’inconscient ?

Dans la vision du monde qui émane de la rationalité néolibérale, tout se situe dans le conscient, tout est affaire de volonté, de détermination, d’effort sur soi-même. Cela aboutit à des clichés : « si untel va mal c’est parce qu’il manque de volonté » et génère une réflexion en terme de responsabilité centrée sur l’individu « auto-entrepreneur de lui-même »[23], au détriment de la remise en cause des choix politiques et sociaux.

Le comportementalisme classe les comportements en « adaptés » et « non-adaptés ». Quand ses critères s’accordent avec ceux du néolibéralisme, il peut devenir un outil puissant de normalisation managériale.

Est-ce qui explique son succès auprès de nos gouvernements ?


Loriane Brunessaux, 11 Mars 2012.
 

[1] Au sujet de la psychanalyse, extrait d’un dialogue entre JL Harousseau, président de la Haute Autorité de Santé (HAS) et D. Langloys (présidente de l'association Autisme France), publié par l’Express le 09/03/2012.

 

[2] Pratique psychiatrique et non psychanalytique, consistant en un enveloppement humide du corps de l'enfant dans des draps à 10 degrés recouverts de couvertures chaudes et entourées de plusieurs soignants, avec un réchauffement très rapide du corps favorisant un sentiment de rassemblement corporel et permettant fréquemment l'accès à la verbalisation

[3] Pédopsychiatre et psychanalyste responsable d’un service de pédopsychiatrie à Lille

[4] Pédopsychiatre et psychanalyste responsable du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker à Paris

[5] Pédopsychiatre responsable du service de pédopsychiatrie de l’hôpital de la Pitié Salpètrière à Paris

[6] Psychiatre et psychanalyste ayant fondé la CIPPA, Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes s'occupant de personnes avec Autisme, association faisant se rencontrer des psychanalystes, chercheurs en neurosciences, comportementalistes

[7] Psychologue clinicienne auprès d’enfants autistes, enseignante à la faculté Paris 7

[8] Cette comparaison est liée au principe des thérapies comportementales, à savoir le conditionnement positif de certains comportements par la récompense et le conditionnement négatif de certains comportements par des sanctions.

[9] Brigitte Chamak « L’autisme : surestimation des origines génétiques », Médecine/ Science, Volume 26, n°6-7, Juin-juillet 2010

[10] François Gonon, « La psychiatrie biologique, une bulle spéculative ? », Esprit, Novembre 2011

[11] « Autisme, changer le regard », Le monde science et techno, 16/12/2011

[12] L’une des toutes premières fondations entièrement créées par des autistes, fondée par Jim Sinclair, Donna Williams et Katie Grant

[13] Voir :  www.autreat.com

[14] Jonathan Shedler, “The Efficacy of Psychodynamic Psychotherapy”, February–March 2010,  American Psychologist, Vol. 65, No. 2, 98–109

[15] Mai 2007 – "La question du handicap" au débat du second tour de l'élection présidentielle : http://vimeo.com/38011758

[16] Pédopsychiatre et psychanalyste français

[17] Mathieu Bellahsen, « Interdire les suppléments d’âme de la psychiatrie ? », Médiapart, 17/02/2012

[18] Louis-Adrien Delarue, « La Haute Autorité de Santé, tartuffe de l’indépendance », Formindep, 05/02/2012

[19] Jonathan Franzen « La zone d’inconfort, une histoire personnelle », éd. de l’Olivier, 2006

[20] Lettres d’Arthur Rimbaud dites « du voyant »

[21] Jacqueline Berger « Sortir de l’autisme », ed. Buchet Castel, 2007

[22] Mireille Battut «Mère d’enfant autiste : plutôt coupable qu’ABA », http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2012/02/LQ-1671.pdf

 

[23] Pierre Dardot et Christian Laval, « La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale », éd. La découverte, 2009

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> Le Packing : de l'humain, du soin, de la rencontre

Le packing c'est du froid, du chaud, des tremblements, des frémissements, du silence, du toucher, du ressenti, du regard, des regards….mais aussi du verbal, parfois beaucoup de verbal, des discussions presque, des rires, du « être ensemble »…être ensemble pour le plaisir d'être ensemble…on se porte, on se soutient…on se soigne.



Bien sûr le dispositif a quelques codes : un cadre ! Du linge mouillé, un patient, des soignants…un avant pack avec une préparation, une organisation : « aujourd'hui qui s'occupe des serviettes ? », « y a qui pour le pack aujourd'hui ? », « tu vas chercher Pierre ? moi je mouille les serviettes, David et moi on les essore »….puis Pierre se déshabille (seul ou avec aide selon l'autonomie du patient) et garde ses sous-vêtements ou son maillot de bain puis s'installe sur les serviettes.



L'enveloppement : c'est toujours dans un contact doux, rassurant voir amusant…comme un jeu . « oulala Pierre c'est froid ! Aller vite vite on vous enveloppe après ça sera chaud, voilà les pieds, les jambes…. » , « Pierre, tu vas bien aujourd'hui, oh ben tu t'allonges comme ça d'un coup…alors on y va on t'enveloppe….voilà oui les bras comment ? Comme ça oui ? »

Puis tout à côté, rapprochés, les soignants autour du patient, certains aux pieds, d'autres à la tête…on reste ensemble….et on vit, on ressent, pas d'attendu, on explore, on établit de la relation….ET CA MARCHE ! Pas de code, pas d'interprétation, c'est ici et maintenant….

Il y a un après packing : souvent plus ritualisé…. «l'autour » du rhabillage…et pourquoi pas une douche ?….puis une collation ?

Ensemble pour se dire au revoir chaque équipe et chaque patient trouvent leur manière de se quitter en douceur.

Le cadre comprend un temps de « reprise », temps où les soignants se retrouvent pour parler de la séance et la retranscrire par écrit…une trace pour se souvenir…un temps pour réfléchir et mettre en mots le ressenti….ce temps se coordonne avec un autre travail : La supervision.

Régulièrement l’équipe de soignant ira discuter avec un autre soignant formé au packing et à la question des enveloppes psychiques. Temps pour permettre aux soignants de penser avec un retour et une mise en perspective de qui se passe dans ce packing avec  ce patient…



Le packing est une pratique douce où chaque équipe trouve sa forme, son packing, où la créativité est la bienvenue, où la contrainte n'est jamais appliquée…. si des enfants sont parfois enveloppés dans ce qui pourrait apparaître une contrainte pour eux c'est que ces enfants sont dans des états de fureur et de violences contre eux-même et/ou contre autrui telles que dans des équipes où le packing ne se pratiquent pas ils auraient été mis en contention pure et simple avec très certainement une camisole chimique qui va de paire…. pour les enfants le packing n'est jamais appliqué sans l'accord des parents et ceci avec un véritable respect du temps de réflexion et avec l'accord de l'ensemble des soignants en équipe pluridisciplinaire.

Si un patient adulte ou enfant ne souhaite pas telle ou telle séance faire le packing aucune contrainte physique n'est pratiquée….souvent un « restons ensemble » substitut du packing est pratiqué.


Aucune règle n'es définie quant à la présence ou non des parents dans un packing, les équipes sont libres de choisir, le cadre est très souple et se construit au cas par cas.

Voici pour mieux témoigner de mon propos un texte présentant les débuts d'une prise en charge de packing pour un patient adulte hospitalisé.



Packing Pierre



Pierre est un adulte d'environ 35 ans, hospitalisé dans une unité du service de psychiatrie Adulte du secteur de X.

Premier contact avec Pierre, un jeudi après-midi sur le temps qui sera par la suite imparti à son Packing. Celui-ci n'est pas au courant que nous devons le rencontrer pour lui présenter le soin Packing auquel l'équipe soignante de l'unité de Pierre et l'équipe de Packing inter-unité ont pensé pour lui. En effet c'est au cours d'une réunion de synthèse avec l'équipe soignante de Pierre que l'équipe du Packing ont réfléchi et posé ensemble l'indication du soin. C'est avec l'accord médical de son psychiatre référent – le Dr Y – que nous annonçons à Pierre que nous souhaiterions qu'il bénéficie de cette prise en charge.



L'équipe de Packing est composée de 6 soignants :A (psychologue), B (ergothérapeute),C (infirmier),D (infirmière), E(infirmière) et moi-même (interne en psychiatrie).
Pierre ne connaît pas tous les soignants, aussi pour le mettre à l'aise nous décidons que B et C aillent le chercher pour nous rejoindre tous ensemble dans une salle d'activité de l'unité d'hospitalisation. Ce jour là seule D est absente.

Pierre que l'on décrit parfois comme quelqu'un avec une agitation psychomotrice importante arrive très calmement dans la salle d'activité, il se dégage un sentiment de curiosité, d'attention dans son attitude. Son aspect physique dit déjà beaucoup de choses quant au probable « morcellement » « dissociation » de l'enveloppe psychique de Pierre. Son regard est divisé par un œil « qui part vers l'extérieur », un strabisme divergent. Grand et mince, sa posture globale est hypotonique.

Bien que ça ne soit qu'une première impression lors de cette rencontre, lorsque je l'observe, il m’apparaît ne pas habiter totalement son corps. Lorsqu'il nous parle la sonorité des mots est très difficile à comprendre même pour ceux qui le connaissent depuis longtemps mais avec beaucoup d'attention nous arrivons à suivre la trame de son propos.

Nous lui expliquons que nous aimerions pratiquer un soin « de détente » avec lui où nous l'envelopperions de serviettes, de draps et de couvertures puis nous resterions avec lui durant un certain temps. Et que ce soin serait aussi une façon d'être ensemble, un moment pour lui, où plusieurs soignants seraient à ses côtés.

Nous insistons sur la dimension de calme et de détente.
Pierre sourit et dit « c'est bizarre ». Nous sourions, A rigole et répond « oui c'est effectivement bizarre ». L'ambiance est un peu particulière puisque Pierre est le tout premier patient de ce service a qui nous proposons ce soin.
Je demande « qu'est ce que vous en pensez Pierre ? Est ce que vous connaissez le Packing ? ». Il répond « oui le Packing c'est pour l'épilepsie » et rajoute des choses peu compréhensibles. Nous échangeons avec lui autour du corps, de la détente, je lui explique que ce n'est pas un traitement pour l'épilepsie et je suspecte alors que cette histoire d'épilepsie doit être signifiante pour lui. Puis il nous dit qu'il semble vouloir essayer, accepter le soin, il dit « oui c'est bien ».

On lui propose d'aller voir la salle de Packing tous ensemble et que le soin débutera bientôt (2 semaines après cette rencontre), ce qui lui laisse le temps de réfléchir et que l'équipe reviendra le voir jeudi prochain pour en reparler avec lui. Avant de nous rendre dans la salle Packing nous attendons un infirmier parti chercher un traversin. Pierre nous reparle alors d’épilepsie mais surtout de son père qui serait tombé malade et que des gens seraient venus le chercher, qu'il s'est occupé de son père, qu'il se levait la nuit pour s'en occuper…

Nous nous rendons dans la chambre prévue pour le Packing qui se trouve en dehors de toute unité d'hospitalisation, dans un endroit très calme du bâtiment.

C'est un espace presque carré, très contenant, la tête du lit est adossée à un mur de telle sorte que les soignants peuvent être autour. Dans la chambre se trouve une armoire qui contient du matériel pour le Packing, des chaises et une table de nuit où repose une lampe de chevet, la lumière de la fenêtre est calfeutrée par des stores, ainsi l'esprit « Georges de La tour » conduisant à une ambiance de détente est ici recréée.

Nous ré-expliquons en détail à Pierre la technique de soin : les serviettes mouillées dans lesquelles il sera enveloppé en maillot de bain puis le drap, le tissu imperméable et les couvertures. Tout en expliquant, je lui montre sur le traversin que j'ai positionné sur le lit symbolisant le « corps-tronc » de Pierre.

Je lui démontre bien et lui explique que sa tête restera en dehors du pack. Puis une fois enveloppé nous resterons ensemble à ses cotés autour de lui pendant 45min environ. Il dit « oui c'est bien » il sourit me regarde et dit « ben pourquoi on commence pas la semaine prochaine », nous rions tous ensemble et nous lui expliquons que tout le monde ne sera pas disponible la semaine prochaine et que nous souhaitons lui laisser le temps de repenser à tout ça avant de commencer.

Pierre me dit alors « déPacking, j'en ai eu pour l'épilepsie », tout s'éclaire, je reprends « la dépakine® oui c'est un traitement pour l'épilepsie c'est un médicament », il sourit et raconte qu'il a fait une crise et que les pompiers sont venus, qu'on l'a emmené et semble presque mimer un enveloppement.

C reprends et raconte qu'il a probablement été mis sur un brancard attaché ? Contenu ? Pierre continue a nous raconter « il y avait tout le monde, la police, les pompiers, puis ils m'ont amené ici » puis il reparle de son père, dit qu'il est mort et semble dire qu'il était étendu allongé…(comme lui sur le lit pour le Packing ?) puis il dit qu'il a eu des traitement dont « des petites piqûres ».


Lors du temps de reprise où nous prenons des notes tous ensemble sur ce qui s'est passé, nous tentons de recoller les morceaux d'histoires que Pierre nous a livré sans trop interpréter. C évoque la possibilité d'image de mort…de son père mort que le Packing pourrait évoquer, peut être de tissu plastique recouvrant un corps. Je n'ai pas regardé le dossier médical de Pierre et ne connaît pas son histoire, je me dis que ces choses viendront au fur et à mesure de l'histoire qui va s'écrire avec Pierre au travers de ce soin.



Mais cette introduction fut une « mise en bouche » particulièrement intéressante et positive.

Aujourd'hui ce patient a eu plusieurs séances, on est passé par du froid, mais aussi par des pack avec du linge mouillé à l'eau chaude à sa demande, parfois il n'y a pas eu d'enveloppement mais autre chose qui s'est élaboré (selon ses propres mots"un petit pack") puis pour revenir à du pack plus classique les fois suivantes…

L'équipe de packing rencontre régulièrement le reste de l'équipe qui soigne Pierre….Le packing c'est aussi créer des liens, il prend place dans l'ensemble des prises en charges que nous tissons avec le patient.

Le packing est un outil soignant, pourquoi s'en priver ?

Sarah Gatignol
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>L’autisme est-il réellement biologique ?

 

Par David Simard

Des associations de parents d’enfants autistes, des personnes autistes elles-mêmes, ainsi que des scientifiques, affirment que l’autisme est biologique. Cette affirmation s’inscrit dans le cadre d’une joute contre la psychanalyse, accusée de rendre responsables et coupables les parents, et plus spécialement les mères, de l’autisme de leurs enfants.

Cette polémique rend difficilement audibles des discours argumentés, notamment sur la question de la dimension biologique de l’autisme, considérée comme acquise. Or, rien n’est si avéré en la matière.

La génétique, « cause » de l’autisme ?

La question de savoir si l’autisme est biologique requiert de s’interroger sur ce qui est entendu par « est ». S’agit-il de dire que la cause unique de l’autisme, ce que l’on appelle l’étiologie, est biologique – et plus spécialement génétique ? Ou bien que dans les cas d’autistes étudiés avec l’œil du généticien, on a trouvé des marqueurs biologiques ? La nuance peut sembler subtile, voire inexistante, elle est pourtant de taille.

En effet, identifier des marqueurs génétiques chez des personnes diagnostiquées comme autistes ne suffit pas à établir que ces gènes sont la cause de l’autisme de ces personnes, et encore moins la cause unique. Cela peut indiquer par exemple une prédisposition supérieure par rapport à des personnes pour lesquelles on ne trouve pas ces marqueurs génétiques, mais dont le déclenchement dépendra d’éléments extérieurs à ces gènes, qui peuvent être des éléments biologiques autres que génétiques, des éléments de mode de vie, des éléments d’environnement familial.

 

Une synthèse sur l’état de la recherche

La question est donc celle-ci : est-il scientifiquement établi que l’autisme a pour cause unique des gènes ? Pour tenter de répondre à cette question, la lecture du livre Autisme, le gène introuvable. De la science au business (Seuil, 2012), du biologiste moléculaire et directeur de recherches émérite au CNRS Bertrand Jordan, est instructive.

Il présente en effet plusieurs avantages. Tout d’abord, eu égard à la polémique contre la psychanalyse, il n’est pas négligeable de pouvoir se référer à un biologiste, tel  Bertrand Jordan, qui rejette le recours à la psychanalyse dans la prise en charge des personnes autistes. Cela permet d’éviter de le soupçonner de construire un discours sur le plan de la génétique qui ait pour fin de soutenir les approches psychanalytiques (…) Suite de l'article sur acontrario.net

 

 

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>Lettre de juin 1969 adressée par D.W.Winnicott, au rédacteur de Child Care News

Lettre de juin 1969 adressée par D.W.Winnicott, au rédacteur de Child Care News, parue dans D. W. Winnicott. Psycho-Analytic Explorations, Londres. Kamac, 1989, pp. 125-128.

Cher Monsieur,

Il est certain que l’on pourrait faire un commentaire élogieux de l’article que Carole Holder consacre a la Thérapie Comportementale dans le Child Care News de mai 1969, n° 86. Pour cela, cependant, il faudrait être dans un monde différent de celui dans lequel à la fois je vis et je travaille. Il est important pour moi d’avoir l’occasion de faire savoir à mes nombreux collègues travailleurs sociaux que je désire tuer cet article et sa tendance. J’aimerais en dire plus et, en tout cas, commencer par dire pourquoi je veux les tuer.

Ce pourrait être une bonne chose que de lire les déclarations de cet article aux travailleurs sociaux qui, par autosélection, sélection et formation, ont une pratique de cas. A coup sûr, il est bon que l’on vous remette en mémoire que les systèmes locaux de principes moraux ne sont pas seulement enseignés par l’ exemple, mais aussi par des tapes sur le derrière et des punitions. En fait, il est peu probable que nous puissions oublier ce fait fondamental, puisque une grande part de notre travail s’est édifiée a partir de l’ échec de la thérapie comportementale telle qu’elle se pratique à la maison et dans les institutions.

Je revendique le droit de protester. J’ai gagné ce droit du fait que je n’ai jamais accepté le mot maladjusted qui, dans les années 1920, a traversé l’AtIantique dans les bagages de la “Guidance infantile” et nous a été vendu en même temps. Un enfant mal adapté est un enfant, garçon ou fille, aux besoins de qui quelqu’un n’a pas su s’adapter à tel stade important de son développement.

Imaginez des travailleurs sociaux dans un groupe d’études réfléchissant avec les principes de la thérapie comportementale. Un tel groupe ne tarderait pas a être, par sélection et autosélection, rempli par des gens qui, de façon naturelle, adoptent la disposition d’esprit de la thérapie comportementale. La formation ne ferait qu’accentuer les sillons et les arêtes des structures de la personnalité déjà à l’œuvre dans les mœurs comportementalistes.

Ce serait vraiment une bataille perdue, parce que ces gens dont je parle avec les mots de sillons et d’arêtes ne sauront pas qu’il existe une autre sorte de travail social, un travail orienté pour faciliter les processus du développement ; ils ne sauront pas que contenir tensions et pressions des personnes et des groupes comporte une valeur positive, de même que laisser le temps agir dans la guérison ; ils ne sauront pas que la vie est réellement difficile et que seul compte le combat personnel, et que, pour l’individu, il n’y a que cela qui soit précieux.

L’article de Carole Holder met en lumière qu’il est possible de considérer la vie avec la plus extrême naïveté. Le problème est que cette surprenante sursimplification doit séduire les gens dont on a besoin pour financer le travail social. 

Rien de plus facile que de vendre la thérapie comportementale aux membres d’un comité qui, à son tour, la revendra aux membres des conseils municipaux dont les talents s’exercent dans d’autres champs. On n’est jamais à court de gens qui affirment avoir tiré profit des principes moraux que leurs pères leur ont imposés en famille, ou tiré profit du fait qu’à l’école un professeur sévère rendait cuisants la paresse ou un larcin. C’est à cela que les gens croient pour commencer.

Il faut malheureusement, de près ou de loin, parler ici des médecins et des infirmières, car leur travail aussi repose sur une sursimplification fondamentale : la maladie est déjà présente, leur travail est de l’éliminer. Mais la nature humaine n’est pas comme l’anatomie et la physiologie, bien qu’elle en dépende, et les médecins, là encore par autosélection, sélection et formation, ne sont pas faits pour la tâche du travailleur social, à savoir reconnaître l’existence du conflit humain, le contenir, y croire et le souffrir, ce qui veut dire tolérer les symptômes qui portent la marque d’une profonde détresse. Les travailleurs sociaux ont besoin de considérer sans cesse la philosophie de leur travail ; ils ont besoin de savoir quand ils doivent se battre pour être autorisés a faire les choses difficiles (et être payés pour ça) et non les choses faciles ; ils doivent trouver un soutien là où on peut en trouver, et ne pas en attendre de l’administration ni des contribuables, ni plus généralement des figures parentales. En fait, dans ce cadre loca1isé, les travailleurs sociaux doivent être eux-mêmes les figures parentales, sûrs de leur propre attitude même quand ils ne sont pas soutenus, et souvent dans la position curieuse de devoir réclamer le droit d’être épuisés par I’exercice de leurs tâches, plutôt que d’être séduits par la voie, facile, de se mettre au service de la conformité.

Car La Thérapie Comportementale (avec des majuscules pour en faire une Chose qui peut être tuée) est une porte de sortie commode. Il faut juste s’accorder sur des principes moraux. Quand on suce son pouce, on est méchant ; quand on mouille son lit, on est méchant ; quand on met du désordre, quand on vole, qu’on casse un carreau, on est méchant C’est méchant de mettre les parents au défi, de critiquer les règlements de l’école, de voir les défauts des cursus universitaires, de haïr la perspective d’une vie qui tourne comme une courroie de transmission. C’est méchant de rechigner devant une vie réglée par des ordinateurs. Chacun est libre d’établir sa propre liste de “ bon ” et “ méchant ” ou “ mauvais ” ; et une volée de comportementalistes partageant plus ou moins des systèmes moraux identiques est libre de se rassembler et de mettre en place des cures de symptômes.

Il y aura des ratages, mais il y aura quantité de succès et d’enfants qui iront disant : “ Je suis si joyeux de ne plus mouiller mon lit grâce à MIle Holder ”, ou grâce a un appareil électrique ou a un “conditionneur” quelconque. Le thérapeute n’aura besoin de rien d’autre que d’exploiter le fait que les êtres humains sont une espèce animale dotée d’une neurophysiologie à l’instar des rats et des grenouilles. Ce qu’on laisse pour compte, là, c’est que les êtres humains, même ceux dont la teneur en intelligence est plutôt basse, ne sont pas simplement des animaux. Ils ont pas mal de choses dont les animaux sont dépourvus. Personnellement, je considérerais que la Thérapie Comportementale est une insulte même pour les grands singes, et même pour les chats.

Il est triste de penser qu’il n’y a pas suffisamment de travailleurs sociaux, et qu’il n’y en aura jamais suffisamment. Il est infiniment plus triste de penser que le dernier paragraphe de l’article de Mlle Holder pourrait bien être utilisé par les responsables des Institutions d’enfants pour justifier la transmission, à qui officie en pédiatrie, de ce “ procédé économique et raisonnable ” qui doit rendre gentils les méchants clients.

Il est clair que je suis en train de m’exercer a faire marcher un conditionneur : je veux tuer la Thérapie Comportementale par le ridicule. Sa naïveté devrait faire l’affaire. Sinon, il faudra la guerre, et la guerre sera politique, comme entre une dictature et la démocratie. Votre très fidèle


D. W. WINNICOTT

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>Interdire les suppléments d’âmes de la psychiatrie ?

Par Mathieu Bellahsen

Le conflit actuel qui fait rage dans le domaine de l’autisme nous oblige à expliciter ce que peuvent apporter, au quotidien, la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle dans le champ de la psychiatrie. Explicitation d’autant plus nécessaire que les recommandations de la Haute Autorité de Santé sur la prise en charge des personnes atteintes d’autisme entend mettre au ban ces deux méthodes (1).  Comment transmettre au grand public ce qu’elles apportent dans le concret des pratiques ? Tâche bien ardue pour ne pas rentrer dans le débat d’experts tout en ne sombrant pas dans un simplisme réducteur.

Dans son fauteuil écoutant un patient allongé sur le divan, le cliché du psychanalyste est tenace. Il n’a cependant rien à voir avec ce que peut apporter la psychanalyse dans les secteurs psychiatriques et autres lieux d’accueil de la souffrance psychique. Dans ces lieux, elle est un des outils permettant de penser ce qui arrive à une personne et à ses proches, d’inscrire leurs souffrances dans une histoire et de construire un sens à même de transformer leur rapport à eux-mêmes et au monde. La psychanalyse n’est pas l’apanage des seuls psychanalystes et ne peut se résumer à élucider “ le complexe d’Œdipe ”, à pratiquer des interprétations sauvages et violentes voire à trouver le ou les soi-disant responsables des troubles.

Que l’on soit infirmier, aide-soignant, éducateur, ASH, psychologue, secrétaire, psychiatre, la psychanalyse est à disposition de l’ensemble des soignants pour penser ce qui se joue pour un patient dans sa relation à eux et aux autres en général. Tant du côté des soignants que du côté des patients, la psychanalyse est un outil consistant de compréhension et de traitement dont dispose la psychiatrie pour élaborer ce qui se passe dans les liens interpersonnels et inconscients. Pour autant, en institution, cet outil n’est pas exclusif et s’intègre nécessairement à d’autres (psychotropes, activités thérapeutiques et éducatives, groupes de parole, réinsertion sociale etc.) dans une perspective psychothérapique.

A contrario, si les psychotropes soulagent les souffrances, ils ne guérissent pas les « troubles » et ne permettent pas de subjectiver l’expérience de la maladie. Cette idée, de nombreuses personnes ont pu la connaître lors de la traversée d’un épisode dépressif : un traitement apaise mais ne peut pas se substituer à un travail psychothérapeutique. Alors que de plus en plus de patients se plaignent de l’approche exclusivement pharmacologique des troubles psychiques et sont en demande d’être « écoutés » par les psychiatres et les équipes qui les prennent en charge, comment comprendre qu’une méthode qui cherche à mettre en circulation la parole se voit ainsi rejetée ?

Rappelons que bien loin des clichés en vogue actuellement, aucune découverte majeure n’a affecté le champ thérapeutique en psychiatrie depuis plusieurs dizaines d’années (2). Bien que nettement plus chers, les nouveaux psychotropes ne sont pas plus efficaces que ceux découverts  dans les années 1950 et présentent pour la plupart des effets secondaires tout aussi importants que les premiers (surpoids, obésité, diabète etc.).

Idem pour l’imagerie médicale et les neurosciences qui seraient une « révolution », tant et si bien que, dans le rapport 2009 de l’OPEPS sur « la prise en charge psychiatrique en France », il est déclaré qu’aux vues des progrès des neurosciences, la partition entre neurologie et psychiatrie n’est plus de mise à l’heure actuelle (3) or, si l’imagerie médicale a permis d’affiner les diagnostics différentiels, c'est-à-dire de préciser les affections qui ne sont pas psychiatriques, aucun progrès n’a été fait dans le domaine de l’accompagnement au long cours et des soins si ce n’est grâce aux développements des méthodes actives comme celles de psychothérapies institutionnelles.

Si le grand public est à peu près au fait de la psychanalyse, qu’est-ce donc que la psychothérapie institutionnelle ? Inventée lors de la Guerre d’Espagne puis développée en France lors de la Seconde guerre mondiale, son postulat est simple, travailler l’organisation de l’hôpital afin de mettre un terme à des pratiques nuisibles aux soins : les hiérarchies hospitalières rigides avec leurs logiques gestionnaires et administratives, les dépendances générées par les milieux clos voire homogènes (unités par « troubles » qui produisent encore plus du trouble en question), les régressions qu’elles induisent ainsi que les préjugés des soignants et des patients, notamment sur l’incurabilité des maladies psychiques graves comme la schizophrénie. En somme, pour traiter les patients il s’agit également de traiter les pathologies créées par le lieu de soin lui-même.

Si la psychothérapie institutionnelle entend prendre en charge activement les phénomènes concentrationnaires en traitant l’ambiance, elle met aussi en question l’arbitraire des systèmes asilaires en responsabilisant patients et soignants, là où tout concourt à infantiliser les premiers et à figer hiérarchiquement les seconds. Lutter contre les cloisonnements de toutes sortes qui empêchent les soins, qui fabriquent de la ségrégation, tel est l’enjeu quotidien pour permettre au patient de tisser des relations humaines, d’être actif dans ses soins, de faire preuve d’invention et de créativité.

Que ce soit à l’hôpital et/ou en ambulatoire, la psychothérapie institutionnelle est une méthode de choix pour soigner et guérir les patients présentant des pathologies complexes qui ne peuvent se limiter à des approches exclusivement individuelles. Un collectif de soignants rigoureux et engagés est alors nécessaire pour rassembler tout ce qui se joue dans les relations intersubjectives.

La psychiatrie, en traitant ces phénomènes institutionnels et intersubjectifs, a pu dans de nombreux endroits, se passer de camisoles, de recours inflationniste aux chambres d’isolement, des tendances punitives, sécuritaires, de tris par pathologies qui avaient cours dans les asiles d’antan.

Aujourd’hui, dans les services de psychiatrie, il est de plus en plus fréquent d’attacher des patients sur leur lit en chambre d’isolement, il est de plus en plus fréquent d’augmenter ad nauseam les doses de psychotropes, il est de plus en plus fréquents de laisser les patients errer dans les unités d’hospitalisation sans que de réels soins leur soient prodigués. Comment comprendre le retour de ces pratiques qui, elles, mériteraient le qualificatif de « barbare » ?

En se pliant aux protocoles de la HAS (Haute autorité de la santé), ces pratiques violentes « certifiées conformes » sont plus difficiles à remettre en cause, d’autant plus qu’elles se légitiment du manque de personnel, du manque de formation et d’une conception déficitaire de la maladie mentale.

Et pourtant, à l’heure actuelle, il est encore possible de travailler les milieux de soin pour créer des espaces de confiance avec les équipes, les patients et leur famille, de donner du sens aux crises existentielles majeures que traversent les personnes en souffrance, de ne pas abandonner la perspective d’une guérison, c'est-à-dire que la personne puisse retrouver goût à la vie, au partage avec d’autres. La psychothérapie institutionnelle, en pensant ce que les patients jouent dans le dispositif de soin, est un outil d’une efficacité que l’on peut apprécier au quotidien, dans les équipes qui se donnent le temps de penser leur pratique (faire des réunions, partager les ressentis différents qu’un même patient provoque dans l’équipe etc.).

François Tosquelles, psychiatre catalan, l’un des fondateurs du mouvement de psychothérapie institutionnelle en France, rappelait que cette méthode marche sur deux jambes : la jambe psychanalytique et la jambe politique. La psychiatrie en étant poreuse au contexte socio-politique, doit le remettre en permanence en question pour ne pas sombrer dans l’arbitraire, la ségrégation et l’exclusion des plus malades d’entre-nous. La psychanalyse lui apporte un outil distinctif majeur pour replacer la singularité des personnes au centre des soins, bien loin de l’indifférenciation des patients, de la standardisation des prises en charge et de l’interchangeabilité des soignants.

Que l’on ne se méprenne pas, la psychothérapie institutionnelle, dans sa lutte permanente avec les totalitarismes, en a vu d’autres ! Née au creux des catastrophes du siècle passé, son éventuelle interdiction n’empêchera pas les équipes d’y avoir recours, puisque sans elle, l’accueil de la folie et la pratique quotidienne de la psychiatrie pourraient y perdre leur supplément d’âme.

Mathieu Bellahsen, psychiatre responsable d’un secteur de l’Essonne,

membre du collectif UTOPSY

et du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire


[1] Libération, 13 février 2012, p14-15


[2] GONON François, « la psychiatrie, une bulle spéculative ? », Revue Esprit, novembre 2011, p54-74


[3] OPEPS (Office Parlementaire d’Evaluation des Politiques de Santé). «Rapport sur la prise en charge psychiatrique en France.» 2009 : « Le mouvement de mai 68, porteur notamment de ces critiques, a tenté d’émanciper la psychiatrie des pratiques chirurgicales inadaptées et d’une vision jugée trop étroite de la maladie. Il a abouti, par l’arrêté du 30 décembre 1968, à la séparation de la psychiatrie et de la neurologie auparavant réunies au sein de la neuropsychiatrie. Cette division en deux spécialités se révèle aujourd’hui regrettable en raison de la révolution qu’ont connue les neurosciences et l’imagerie médicale et des connaissances acquises depuis lors dans ces disciplines

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> A propos du documentaire « Le mur »

Le documentaire « Le mur » est problématique car il laisse penser, ce qui correspond aux idées habituellement diffusées dans les médias, qu’un débat se joue, dans le champ de l’autisme, entre les « psychanalystes » et les « comportementalistes ».

Les termes du débat ne se situent pourtant pas tout à fait là puisque les cliniciens tenants de ces deux approches théorico-cliniques, ainsi que les chercheurs en neurosciences et en sciences cognitives ont appris, pour un certain nombre d’entre eux, à travailler ensemble depuis plusieurs années. Par contre, ce qui est juste, c’est qu’il existe un féroce mouvement « antipsychanalytique », porté notamment par certaines associations de parents de personnes d’autistes soutenus par des hommes et femmes politiques (Daniel Fasquelle, Valérie Létard), pour qui l’urgence ne semble pas être la réflexion autour de l’amélioration des prises en charge de ces enfants et adultes mais la dénonciation des dérives de certaines théories psychanalytiques, la condamnation et l’interdiction de la psychanalyse, sans prendre en compte l’extrême diversité de ce champ. 

A chacun ses priorités. Heureusement, toutes les associations de parents ne sont pas dans ce cas-là ; malheureusement, les associations de parents les plus virulentes sont celles qui se font le plus entendre et qui se servent du film documentaire « Le mur » comme d’un document scientifique prouvant quelque chose sur « la Psychanalyse ». « Le mur » est pourtant un film de propagande dont le manque de rigueur et la malhonnêteté ne peuvent échapper à aucune personne s’intéressant un tant soit peu à l’état actuel des connaissances et des pratiques dans le champ de l’autisme. 

En effet, dès les premières secondes, on s’étonne de l’aplomb avec lequel la voix off affirme que l’autisme est un trouble neurologique, que « Tous les autistes présentent des anomalies dans une zone du cerveau, le sillon temporal supérieur ». Or, cette hypothèse n’a jamais été validée scientifiquement, cette anomalie du sillon temporal supérieur n’ayant été retrouvée que chez un petit nombre de personnes autistes. L’état actuel des recherches en neurosciences favorise l’hypothèse d’un trouble de la connectivité neuronale d’étiologie inconnue plutôt qu’une lésion neurologique localisée. Les autres hypothèses que l’on peut retrouver, à propos de l’origine de l’autisme, sont génétiques, hormonales, toxiques, infectieuses, environnementales, psychogénétiques… Et si elles représentent des voies de recherche, elles n’en demeurent pas moins des spéculations. 

Ensuite, la voix off affirme que la psychiatrie française est largement dominée par la psychanalyse, ce qui est un fantasme grotesque au vu de l’extension massive de la psychiatrie biologique en France, du faible nombre de services d’orientation psychanalytique en dehors de la région Ile-de-France et de l’absence quasi-totale de la psychanalyse dans les études médicales. La psychiatrie n’est pas la psychanalyse. La voix off poursuit en affirmant que les psychiatres français ignorent résolument les découvertes récentes dans le domaine de l’autisme, ce qui est faux, et achève son introduction par la déclaration suivante : « Pour les psychanalystes, l’autisme est une psychose, autrement dit un trouble psychique majeur résultant d’une mauvaise relation maternelle. » Il est vrai que la plupart des psychanalystes considèrent l’autisme comme une psychose, mais il est absolument réducteur et présomptueux d’affirmer que la psychose résulte d’une mauvaise relation maternelle ! La psychose est un trouble grave de la relation à l’autre et au monde, et ne peut en aucun cas se définir par une hypothèse sur sa causalité !

Les discussions sur la causalité de la névrose, de la psychose, de la souffrance psychique, ont entraîné des réflexions et des prises de positions différentes dans le champ de la psychanalyse, et ces discussions ne sont pas nécessairement au-devant de la scène car, quand il s’agit de travailler avec des enfants et des adultes en souffrance, névrosés, psychotiques, autistes, la question de la causalité peut devenir accessoire. 

Les psychanalystes, en ce qui concerne la causalité, ont pu évoquer des hypothèses psychogénétiques tout autant qu’organogénétiques : il est arrivé à Freud de parler d’un « roc biologique », à Mélanie Klein d’une « cause constitutionnelle », Geneviève Haag, dans le cas de l’autisme, penche en partie pour la possibilité d’un trouble de la connectivité neuronale ; Jacques Lacan mettait l’origine de la psychose en rapport avec l’accession de l’être humain au langage.

Après que la voix off a affirmé que la psychose serait due, pour les psychanalystes, à une mauvaise relation à la mère, chaque psychanalyste interrogé qui répond que l’autisme est une psychose devient donc suspect d’accuser les mères… C’est ainsi que le professeur Pierre Delion, par exemple, se fait piéger. Plus loin, un montage grossier fera de lui le défenseur du psychanalyste Bruno Bettelheim présenté comme le grand accusateur des mères, alors que Pierre Delion essaie seulement de lutter contre la caricature souvent faite de ce psychanalyste. 

Ensuite, le choix des personnes interviewées ainsi que le choix des séquences montrées à l’écran est étonnant : on comprend que la réalisatrice ait choisi de rencontrer Pierre Delion et Bernard Golse, deux professeurs de pédopsychiatrie ayant beaucoup travaillé avec des enfants autistes, mais comment se fait-il que Pierre Delion ne soit pas interrogé sur ce qu’il prône, à savoir une pédopsychiatrie intégrative, associant les neurosciences, le cognitivisme, la psychanalyse, le comportementalisme ? Comment se fait-il que Bernard Golse ne soit pas interrogé sur sa conception d’un « modèle polyfactoriel » dans l’origine de l’autisme, prenant en compte les facteurs organiques, neurologiques, génétiques, environnementaux ? Pourquoi les faire passer pour des psychanalystes incriminant les mères, ce qu’ils ne sont pas ? 

Par la suite, on découvre neuf psychanalystes. On s’étonne de constater qu’aucun n’appartient au courant de psychanalyse post-kleinienne, qui est pourtant un courant ayant compté un certain nombre de grands psychanalystes d’autistes (Frances Tustin, Donald Meltzer), et qu’aucun n’appartient à l’association de psychanalyse la CIPPA (Coordination Internationale entre Psychothérapeutes psychanalystes s’occupant de Personnes avec Autisme), rassemblée autour de Geneviève Haag, travaillant depuis des années avec des chercheurs en neurosciences et sciences cognitives et avec des parents d’enfants autistes. 
On s’étonne également de constater la surreprésentation, dans le documentaire, de clichés du discours lacanien, caricaturé et chosifié, porté par six psychanalystes interviewés sur neuf.

Parmi eux, on retrouve un pédiatre, Aldo Naouri, qui a valorisé dans certains de ces ouvrages les découvertes comportementales dans le champ de l’autisme (ce qui n’est pas montré à l’écran, il s’en est d’ailleurs plaint en dénonçant la malhonnêteté de la réalisatrice), et une psychanalyste dont le sous-titre annonce qu’elle est « kleinienne », alors même que le discours qu’elle tient évoque la place du père dans le discours de la mère, considération qui n’a rien de kleinienne quand on sait que Mélanie Klein se désintéressait du psychisme des parents de ses analysants, se focalisant sur le monde fantasmatique des enfants et adultes qu’elle recevait en analyse. Il s’agit à nouveau d’un cliché.

Parmi ces psychanalystes lacaniens, aucun n’appartient à l’ALI, (Association Lacanienne Internationale) qui est pourtant une école lacanienne comptant des psychanalystes particulièrement intéressés par la question de l’autisme, avec Marie-Christine Laznik et Graziella Crespin, qui ont fondé l’association PREAUT (PREvention de l’AUTisme) dont le but est de mêler les apports de la méthode cognitiviste TEACCH et de la psychanalyse lacanienne. Comment expliquer leur absence ? Pour finir, on s’étonne de voir interviewer trois psychanalystes de la même école freudienne dont deux ne travaillent pas spécialement avec des personnes autistes: Jacqueline Schaeffer qui se fait piéger sur la question de l’inceste et le professeur Daniel Widlöcher (il faut savoir que la réalisatrice s’est présentée comme effectuant un documentaire sur la psychanalyse en général, pas spécialement sur la psychanalyse dans l’autisme). Quand à Laurent Danon-Boileau, le montage grossier a pour objectif de lui faire porter un autre cliché de la psychanalyse : le psychanalyste qui dort, qui ne fait rien, qui attend, inactif, en face d’une personne autiste, face à des méthodes cognitives et comportementales qui permettraient des progrès grâce à une hyperstimulation active. Le seul tort de Laurent Danon-Boileau est d’avoir évoqué trop librement ses éprouvés contre-transférentiels alors que ceux-ci ne peuvent être compris sans explications.

Mais justement, par le biais du montage, d’explications il n’y aura pas.

Ce sont pourtant des praticiens, soignants, thérapeutes d’inspiration psychanalytique, parfois liés à la psychothérapie institutionnelle ou à la psychiatrie communautaire, qui ont théorisé et mis en pratique la prise en compte des détails du quotidien, de l’organisation de l’institution, l’élaboration rigoureuse du cadre et du support psychothérapique, la mise en place de repères spatio-temporels précis et structurés et la nécessité d’un engagement intense dans le soin, entre autres, des enfants autistes.

Comment, alors, comprendre un tel manque de rigueur dans un documentaire sur la psychanalyse dans l’autisme ? Comment ne pas s’étonner de l’aplomb avec lequel il est affirmé que, sur le modèle des institutions de Bruno Bettelheim, la séparation parents-enfants est un pilier du traitement psychanalytique, alors même que les psychanalystes de personnes autistes travaillent depuis bien longtemps avec les parents ? 

Dans le champ de l’autisme, la psychanalyse a certaines visées précises, qui ne sont pas les mêmes que celles des méthodes éducatives, mais qui les complètent dans un enrichissement mutuel : la thérapie permet aux personnes autistes de réduire leurs angoisses conscientes et inconscientes, de libérer leurs capacités d'apprentissage, de permettre qu'ils trouvent du plaisir dans les échanges émotionnels et affectifs avec les personnes qui les entourent, de permettre qu'ils gagnent du champ dans les choix de vie les concernant.

Au total, il paraît bien évident que les quelques associations de parents d’enfants autistes et hommes et femmes politiques qui valorisent ce film sont au courant de la malhonnêteté de celui-ci mais que, pour eux, la fin justifie les moyens ; autrement dit l’interdiction de la psychanalyse et la lutte contre le travail de l’inconscient justifie bien quelques gros mensonges. Dans ce cas, ces personnes ne peuvent plus prétendre se réjouir que l’autisme soit la Grande Cause nationale 2012 car il est évident que pour elles, c’est la haine de la psychanalyse et de l’inconscient qui est la Grande Cause nationale 2012.

Espérons que le groupe parlementaire saura donner la priorité à ce qui le mérite vraiment : palier au déficit de prise en charge thérapeutique, éducative et pédagogique pour tous les enfants et adultes en difficulté dans ce pays et favoriser la recherche de points de convergence, de divergence et de complémentarité des différentes théories et pratiques de la psychiatrie.

Loriane Brunessaux, 31/01/2012.

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>Lettre ouverte

Monsieur le Président du Conseil National de l’Ordre des médecins, Mesdames et Messieurs les parents de personnes autistes, Deux médecins, le Professeur Pierre Delion, « véritable promoteur du Packing en France1  », Chef du Service Psychiatrie Enfant et Adolescent du CHRU de Lille, et le Professeur David Cohen, Chef du Service Psychiatrie Enfant et Adolescent de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière ont été ou sont convoqués devant leurs Conseils départementaux de l’Ordre des médecins suite à la plainte d’une association représentant des familles de personnes autistes, l’association Vaincre l’Autisme. Leur délit : soutenir le principe d’une recherche scientifique validée dans son objet et son protocole par le Comité de Protection des Personnes du CHRU de Lille, recherche menée dans le cadre d’un Programme Hospitalier de Recherche Clinique National (PHRC), validé en 2008 (PHRC 2007/1918, n° Eudra CT : 2007-A01376-47), financée par le ministère de la Santé et dont le thème est « L’efficacité thérapeutique du packing sur les symptômes de troubles graves du comportement, notamment les automutilations, des enfants porteurs de TED/TSA  ».


Ces plaintes2  constituent une véritable attaque personnelle et professionnelle difficile à comprendre quand on prend le temps de connaître l’objet de ces attaques et les hommes qui en sont les victimes.

De plus, les comparutions devant le Conseil de l’Ordre s’accompagnent d’appels à la manifestation devant les dits Conseils, selon des méthodes d’un autre âge qui interrogent sur les véritables motivations de leurs instigateurs. Elles rejoignent d’autres mobilisations telles celles qui ont violemment attaqué les équipes pratiquant l’avortement ou celles, plus récentes, exigeant l’interdiction de représentations culturelles jugées blasphématoires au nom de la religion.

Or, la recherche scientifique est tout sauf un blasphème, même si elle va à l’encontre de convictions qui peuvent, en elles-mêmes quand elles ne se manifestent pas sur le mode du dénigrement et de la disqualification, être respectables. La science n’est pas un dogme, Pierre Delion et David Cohen ne prétendent pas détenir la vérité, ils la cherchent. « Toute connaissance est issue d’un processus de construction, processus qui consiste en une réorganisation qualitative de la structure initiale des connaissances et qui peut s’assimiler à un changement de conceptions3 .

Pierre Delion rappelle que « ils [ les scientifiques] savent bien qu’avant de pouvoir démontrer quelque vérité scientifique que ce soit, le chercheur émet des hypothèses abductives (j’ai l’intuition que) puis conduit ses recherches pour tenter de démontrer de façon déductive et inductive les hypothèses émises. S’il n’y avait pas d’abord des intuitions basées sur la clinique, aucune découverte n’aurait pu être faite en médecine, ni a fortiori démontrées dans le cadre de l’Evidence Based Medicine . » C’est la base même de la recherche expérimentale.

Une étude scientifique ne préjuge pas de son résultat, ce que font les associations de parents d’enfants autistes qui ont décidé que cette technique « relevait de la torture4  », qu’elle était pratiquée « sans protocole, sans évaluation et sans résultat3  » voire qu’elle « ouvrait la voie à l’abus sexuel5 »  et qu’il fallait y mettre un terme parce que « dénuée de tout respect et de toute dignité3  ».

Pourquoi, donc, s’opposer à un examen scientifiquement validé de la question du packing ?

Le packing, contrairement à ce que laissent entendre ceux qui demandent son interdiction, n’a pas pour origine la psychanalyse et il existe une abondante littérature scientifique sur cette technique, anglo-saxonne notamment6 . Il trouve sa source dans la médecine antique et repose sur l’utilisation de l’eau dans les soins physiques et psychiques, l’hydrothérapie étant utilisée en Grèce dès le VIIIème  siècle avant Jésus-Christ. Soranus d’Ephèse la recommande au Ier  siècle de notre ère pour soigner la dépression. Au XVIIIème  siècle, Pinel demande que l’on utilise les bains chauds à visée de relaxation. Cullen, médecin anglais, est le premier à recommander les enveloppements humides dans le même but. En 1948, Paul Sivadon a utilisé des approches corporelles à base d’eau, à Sainte Anne, « pour favoriser le sentiment de sécurité, la prise de conscience de l’existence corporelle et la relation avec les objets et les personnes  ». En 1966, un psychiatre américain, Woodbury introduit sa méthode d’enveloppement (“packing” en anglais) en France : la technique est la même mais l’enveloppement se déroule en présence d’un infirmier qui reste aux côtés du malade en permanence durant ce temps d’enveloppement. « Le but de ce traitement est de donner au malade une stimulation du schéma corporel, de contrôler ses tendances autodestructrices et agressives, sans l’aliéner par les médicaments ou l’isolement  ». 

La technique du packing sera proposée pour le traitement des enfants et adolescents autistes les plus gravement malades ou qui présentent des troubles graves du comportement (hyperactivité, instabilité grave, auto- ou hétéro-agressivité, stéréotypies envahissantes, anorexie grave, insomnie rebelle notamment).

Il s’agit donc de valider, ou non, scientifiquement « L’efficacité thérapeutique du packing sur les symptômes de troubles graves du comportement, notamment les automutilations, des enfants porteurs de TED/TSA  », en aucun cas traiter l’autisme ou ce que l’on nomme aujourd’hui les Troubles Envahissants du Développement (TED). Le Professeur Pierre Delion a maintes fois rappelé que « le packing ne concerne que quelques enfants porteurs de TED/TSA lorsqu’ils présentent des signes graves voire gravissimes de troubles du comportement, pour lesquels une indication précise doit être posée et une formation de l’équipe réalisée dans de bonnes conditions  ».

Tout le monde est aujourd’hui d’accord pour dire que l’autisme, on devrait probablement dire les autismes, est un trouble neuro-développemental, entrant dans le cadre des troubles envahissants du développement ce qui ne préjuge en rien de son étiologie qui demeure inconnue, les hypothèses allant des anomalies génétiques aux atteintes infectieuses ou toxiques, probablement associés à des degrés divers.

Il n’existe pas de traitement curatif de l’autisme. En revanche, de multiples approches de prise en charge ont vu le jour depuis la découverte de ce syndrome, approches issues de divers courants théoriques et fondées sur des conceptions très diverses de l’autisme7 . De manière pratique, des études scientifiques ont à ce jour permis de démontrer l’efficacité d’une prise en charge précoce à l’aide d’approches éducatives comportementales (ABA8 ), cognitives (TEACCH) ou développementales. La littérature scientifique est unanime sur ce point : il faut que l’intervention éducative soit précoce, massive et structurée.

Mais, quel que soit la nature du handicap ou de la différence de la personne autiste, le mérite de la psychiatrie et de la psychanalyse aura été de montrer qu’elle demeure un être de relation, doté d’un inconscient, tout comme ses parents, et que les interactions relationnelles et identificatoires sont modifiés par le trouble. Et ce même si l’on réduit l’inconscient à ses dimensions cognitives, ce qui n’est plus le cas des neuro-biologistes, Lionel Naccache considérant même Freud comme le Christophe Colomb des neurosciences9 .

L’époque n’est plus aux antagonismes, neurosciences versus psychanalyse par exemple, et l’ensemble de ces disciplines se confrontent utilement au travers d’interfaces que nous avons été nombreux à appeler de nos voeux. « Une réflexion critique qui confronte les diverses approches des sciences de la vie et des sciences de l’homme et de la société autour du cerveau de l’homme et de sa fonction devient nécessaire10.  » Dès que l’on parle de l’homme et de la nature, il faut « nouer sciences fondamentales et sciences humaines  » dit Michel Serres.

Il ne suffit pas de se targuer d’autres autorités scientifiques qui, en l’occurrence, s’appuient sur des préjugés qui ont une construction scientiste voire idéologique, pour invalider le travail de plusieurs années au service d’une cause que Pierre Delion et d’autres ont défriché de longue date : combien d’entre nous ne se sont-ils pas intéressés grâce à lui à l’autisme, d’abord par une grande ouverture d’esprit clinique et une réflexion plurifactorielle sans exclusive assortie d’une grande rigueur scientifique ? Si le regard commun et scientifique sur l’autisme a pu évoluer dans ce pays, on le lui doit en grande partie, il suffit de lire ses travaux et ses publications avec honnêteté.

Les attaques visant Pierre Delion, David Cohen, Daniel Widlöcher et Bernard Golse visent aussi toute une profession, que le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux avait appelé à juste titre la Communauté soignante, dans une optique de « mise en cause des compétences médicales de la psychiatrie  » et, plus généralement, de disqualification de la psychiatrie et de la psychanalyse.

Comment attaquer Pierre Delion, dont l’intégrité professionnelle, le sens éthique et l’humanité peuvent difficilement être discutés par quiconque est de bonne foi ? « Nous sommes tous des Pierre Delion  » disait le Syndicat des Psychiatres Hospitaliers, nous dirions plutôt « Nous voudrions tous être des Pierre Delion  ». Et avoir ses qualités humanistes, son profond respect de l’autre souffrant, sa rigueur scientifique, sa compétence dans l’animation des équipes dont il a eu la charge, sa qualité d’enseignant “maïeutique”, la cohérence qui est la sienne entre sa pratique et son enseignement, son attachement à la “défense et illustration” de la prise en charge des enfants autistes et de leurs familles. Son travail, son enseignement plaident pour lui mieux que quiconque ne pourrait le faire. A travers lui, c’est toute une conception de l’humain, du social et du scientifique qui est en jeu. Et ces attaques inquiètent car elles traduisent une dérive qui voudrait que ceux qui prennent en charge les personnes en souffrance psychique les remplacent, en coupables expiatoires, comme objets de fantasmes primaires stigmatisants. Ainsi, les acharnés de la guérison sont nombreux dans le champ des médecines différentes, précisément parce qu’ils cherchent toujours et encore l’arme absolue qui puisse enfin avoir raison des échecs thérapeutiques qu’ils ne supportent pas.

L’autisme est une souffrance, pour l’autiste d’abord, pour ses proches ensuite. La douleur des parents doit être respectée et entendue, y compris quand elle s’exprime de manière excessive.

Mais l’alliance thérapeutique que prône l’ensemble des dispositifs voulus ces dernières années par les pouvoirs publics suppose respect mutuel et confiance réciproque. La controverse n’est pas inutile, « Le mot liberté n’admet, par définition, aucune restriction11  », si elle fait progresser la lutte contre la souffrance. Chacun doit se regarder en conscience, la pratique de la psychiatrie et de la psychanalyse n’ont pas toujours été heureuses en matière d’autisme, toutes les associations de parents d’autistes ne se reconnaissent pas dans des discours excessifs, et chercher comment concilier au mieux « corps et esprit humains, inséparables12  ».

Cette nécessaire alliance, chacun doit y participer. Autistes  dans la mesure de leurs moyens, parents  qui doivent trouver une réponse à leur détresse et aider leur enfant à progresser autant qu’il lui est possible afin de « garantirl’intégration des personnes autistes en milieu ordinaire ou la création de places adaptées en milieu spécialisé13  » ; pouvoirs publics , qui doivent éviter toute posture démagogique, proposer des espaces de médiation et soutenir toute recherche, sans exclusive aucune, qui permettra de faire avancer les connaissances en matière de troubles envahissants du développement ; les médias, qui doivent aider à la prise de conscience en ces matières mais aussi informer de manière objective. Les professionnels  enfin, dont le dévouement ne peut être contesté et qui, quoi qu’il advienne et quel que soit le champ de compétence de leur intervention, demeureront un maillon indispensable à l’évolution positive des enfants et adultes concernés.

Ces alliances sont tout le contraire de démarches qui ont une construction sectaire en ce sens qu’en s’appuyant sur la détresse et l’émotion au détriment de la réflexion critique, elles se soutiennent du “principe de simplification”, supercherie visant à séduire les personnes en détresse par l’indication d’une “voie unique”, factice face à la complexité des problèmes posés, voie qui, en ce sens, constitue une régression épistémologique.

Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY, rappelle que « les chapelles en psychiatrie sont devenues des sectes, chacune pensant avoir “raison” contre la “déraison” et ceux qui en souffrent sont les patients, non les familles, même si j’en suis sûre celles-ci sont de bonne foi. Seul le patient peut dire si telle ou telle intervention lui a servi . » Pour toutes ces raisons, nous soutenons Pierre Delion, David Cohen, et tous les professionnels mis en cause dans leur démarche scientifique, clinique et thérapeutique, et nous dénonçons la véritable chasse aux sorcières dont ils sont l’objet. Nous demandons qu’ils reçoivent tout l’appui qu’ils méritent de la part de leurs confrères de l’Ordre des médecins, en reconnaissance de leur courage, de leur rigueur et de leur compétence et pour l’ensemble de leur oeuvre

 

1 Vaincre l’Autisme (ex Association Léa pour Samy)


2 Ces comparutions, fondées sur un supposé manque de rigueur scientifique et une volonté de nuire interviennent dans un contexte particulier dont témoigne la diffusion d’un film, « Le Mur », construit uniquement à charge contre la psychanalyse et les psychanalystes et qui, grâce à un montage subtil, discrédite trois professionnels, Pierre Delion, déjà, Daniel Widlöcher et Bernard Golse. Ce document, quelle que soit la volonté explicite de ses auteurs, ne vise pas à faire le point sur l’apport (ou non) de la psychanalyse dans la prise en charge des autistes, critique s’il le faut, mais à constituer un dossier à charge qui ridiculise les professionnels.

3 Hélène Hagège : La démarche scientifique : invariants et spécificités disciplinaires, une approche épistémologique, LIRDEF, Université Montpellier II – IREM, février 2007

4 Vaincre l’Autisme

5 Site officiel du Collectif de soutien au film « Le Mur »

6 Le Professeur David Cohen en donne maintes références dans son argumentaire. Parmi les articles récents, citons :

1. Hospital and Community Psychiatry. 1986, 37: 287-288.

2. Am J Psychiatry. 1988, 145: 242-245.

3. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence. 2009, 57 : 529-534.

4. Clinical Neuropsychiatry. 2009, 6: 29-34.

5. Journal of physiology. 2010, 104: 309-314

6. Issues in Mental Health Nursing, 2009, 30:491-494.

7. Adolescent Psychiatry. 2011, 1: 163-168

7 Voir les travaux, notamment de Jacques Constant et ceux de Centre Ressource Autisme de Languedoc-Roussillon à la demande du ministère de la santé en 2007

8 qui connaît également ses détracteurs, on lira sur ce point l’ouvrage très documenté de Laurent Mottron, « L’autisme, une autre intelligence : Diagnostic, cognition et support des personnes autistes sans déficience intellectuelle », Editions Mardaga, 2004, 235 pages

9 Le nouvel inconscient, Poche Odile Jacob, février 2009

10 L’homme de vérité, Jean-Pierre Changeux, Editions Odile Jacob, Paris, 2002, page 9

11 Jean Yanne, Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil

12 Pierre Delion, Lettre ouverte

13 Autisme France

Marie-Noëlle Alary, psychiatre des hôpitaux,  Mathieu Alary, doctorant en neuro-imagerie, Patrick Alary, psychiatre des hôpitaux,  Claude Allione, psychanalyste,  Marie Allione, pédopsychiatre des hôpitaux, Jean-David Attia , pédopsychiatre des hôpitaux en retraite, Guy Baillon , psychiatre des hôpitaux en retraite, Mathieu Bellahsen , psychiatre de secteur, Jean Bertrand , Psychiatre, Liège, Belgique, Dominique Besnard , Psychologue, Directeur National des CEMEA, Jean-Raphaël Bessis , Psychologue clinicien, Gérard Boittiaux , psychiatre des hôpitaux, Michel Botbol , professeur de pédopsychiatrie, Alain Bouvarel , psychiatre des Hôpitaux, président du CNASM, Loriane Brunessaux , pédo-psychiatre, Marie-France Canoville , addictologue des hôpitaux, Frédérique Cataud , cadre de santé – assistante chef de Pôle, Patrick Chaltiel , psychiatre des hôpitaux, Sophie Charancon , Martine Charlery , pédopsychiatre, Dorota Chadzynski , psychomotricienne, psychologue clinicienne, Patrick Chemla , psychiatre des hôpitaux, Jean-Luc Chevalier , psychologue clinicien, Jacques Constant , pédopsychiatre des hôpitaux en retraite, formateur sur la question de l’autisme, Alain Couvez , psychiatre des hôpitaux, chef de service, Jean-Yves Cozic , psychiatre des hôpitaux, président du Syndicat des Psychiatres Français, Jean-Michel de Chaisemartin , psychiatre des hôpitaux, Pascal Crété , psychiatre, directeur Foyer Léone Richet, Alain Darbas , directeur de Stéphanie Dauver , pédopsychiatre des hôpitaux, Francine Delionnet , ex-enseignante spécialisée, Marie-Philippe Deloche , psychiatre MGEN, Matthieu Duprez , Psychiatre des Hôpitaux, Bernard Durand , pédopsychiatre des hôpitaux en retraite, Président de la FASM Croix-Marine, Michel Duterde , ex-responsable des CEMEA, Claude Finkelstein , présidente de la FNAPSY, Martine Fournier , psychiatre hospitalier, Lise Gaignard , psychanalyste, Nicolas Geissmann , psychiatre des hôpitaux, Roger Gentis , psychiatre retraité de secteur public, Patrick Genvresse , pédopsychiatre des hôpitaux, Yves Gigou , formateur, Geneviève Giret , pédopsychiatre des hôpitaux, Pierre Godart , psychiatre des hôpitaux, chef de pôle, Philippe Goossens , psychiatre, Bruxelles, Belgique, Marie-Christine Hiébel , directrice d’Etablissement public de santé, Ariane Hofmans , psychologue, Michel Jadot , psychiatre médecin-directeur du service de santé mentale de Verviers, Belgique, Christine Jedwab , Psychologue clinicienne, Dina Joubrel , Psychiatre des hôpitaux, Claire Jutard , psychomotricienne, Dimitri Karavokyros , Psychiatre honoraire des Hôpitaux, Anja Kloeckner , psychomotricienne, Yves Le Bon , psychologue-Clinicien, psychanalyste, chargé d'Enseignement à l'Université de Paris 7-Diderot, Paul Lacaze , neuropsychiatre d'exercice privé libéral et institutionnel, Yvon Lambert , formateur retraité des CEMEA, Georges Lançon , pédopsychiatre, Dominique Launat , psychologue, Agnès Lauras-Petit , psychomotricienne, docteur en psychologie clinique et pathologique, Catherine Le Berre , cadre de santé, Michel Lecarpentier , psychiatre, Catherine Legrand-Sébille , socio-anthropologue, maître de conférences, Leïla Lemaire , comédienne, Marc Livet , cadre de santé, Stéphanie Levêque , pédospychiatre, Marie-Hélène Lottin , psychiatre, psychanalyste, Jean-Jacques Lottin , directeur d'études de santé publique, Paul Machto , psychiatre des Hôpitaux, psychanalyste, Jacqueline Mairot , psychiatre, Sandrine Malem , psychanalyste, Marie-Line Marcilly , cadre coordonnateur, Esteban Morilla Martinez , psychiatre des hôpitaux, Vincent Marzloff , interne en psychiatrie, Bénédicte Maurin , membre du collectif des 39, éducatrice spécialisée en pédopsychiatrie, Simone Molina , psychanalyste, Joseph Mornet , psychologue, secrétaire général de la FASM Croix-Marine, Françoise Nielsen , psychanalyste, Joséphine Nohra-Puel , psychologue, psychanalyste, Heitor O'Dwyer de Macedo , psychanalyste, Vincent Perdigon , psychiatre des hôpitaux, Juliette Planckaert , psychologue honoraire des hôpitaux psychiatriques, Martine Ragot , aide-soignante, Philippe Rassat , Pédopsychiatre, Psychanalyste, Directeur médical de CMPP, Nathalie Renon , psychologue clinicienne, Elise Ricadat , psychologue clinicienne, Martine Rosati , psychologue, directrice de l’école de Bonneuil, Sara Rudel , psychologue, Cosimo Santese , psychanalyste-psychologue, Madeleine Sarrouy , pédopsychiatre, Pierre Sadoul , pédopsychiatre des hôpitaux en retraite, Gérard Sadron , directeur, Jacques Sarfaty , pédopsychiatre des hôpitaux, Madeleine Sarrouy , pédopsychiatre, Gérard Schmit , professeur de pédopsychiatrie, Sylvie Séguret , Psychologue, psychanalyste, Jean-François Thiébaux , psychiatre des hôpitaux, Marc Toulouse , psychiatre des hôpitaux, Bruno Tournaire-Bacchini , psychiatre des hôpitaux, Jean-Marc Triffaux , psychiatre universitaire, Liège, Belgique, Maria Eugenia Uriburu , psychologue clinicienne, Pierre Vaneecloo , psychiatre des hôpitaux, retraité, Lucie Verkaeren , monitrice IDE, Benjamin Wouts , diplômé en psychologie,

Association des Cadres et Infirmiers en Santé Mentale, Association Marseillaise pour la Psychothérapie Institutionnelle, Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, Collège de psychiatrie grenoblois, Fédération d’Aide à la Santé Mentale Croix-Marine, Fédération Inter-Associations Culturelles en Santé Mentale, Groupement des Hôpitaux de Jour francophones

Pour signer cette lettre contacter Patrick Alary

patrick.alary@orange.fr 

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>L’autisme, grande cause nationale ?

L'autisme a reçu le label "Grande cause nationale 2012". L'exposition médiatique de ce sujet va s'intensifier, un groupe de travail s'est formé à l’Assemblée Nationale dont les premières rencontres parlementaires débutent jeudi.

 

 
 
Comment ne pas se réjouir de l'intérêt porté à l'autisme face aux insuffisances actuelles de la prise en charge thérapeutique, éducative et pédagogique et des possibilités professionnelles proposée à ces patients (adultes et enfants) ? Cependant, l'aspect polémique et orienté des discours offerts au grand public empêche d'ores et déjà d'être optimiste sur l'issue de ce travail parlementaire.
En effet, on nous donne à entendre:
 
Ø De fausses évidences:
 
· "L'autisme est un trouble neurologique".
         Faux: si une dimension biologique de l'autisme est une hypothèse forte, les différentes recherches effectuées sur le sujet, tant sur le plan d'une localisation neurologique (cerveau, cervelet, tronc cérébral), que d'une anomalie génétique ou hormonale (ocytocyne), n'ont pas permis d'établir formellement une origine organique à l'autisme. Il s'agit probablement d'une pathologie liée à l'intrication de plusieurs dimensions (organique, psychopathologique, environnementale, histoire de vie).
Mais ceci est un faux débat car une origine organique à l'autisme ne change rien au fait que ces enfants puissent évoluer grâce aux thérapies relationnelles.
 
· "Le vrai problème est un grand retard diagnostique, qui montre l'insuffisance de formation des pédopsychiatres"
         Faux: la raison de l'augmentation du nombre d'enfants autistes dépistés (passant de 1 enfant sur 2000 à 1 sur 150, environ) est l'élargissement des critères d'inclusion dans ce diagnostic de la classification DSM.
En effet, les "troubles envahissants du développement" ou "désordres du spectre autistiques" composent une acception de l'autisme beaucoup plus large que par le passé et conduisent à appeler "autistes" des enfants ou adultes qui précédemment auraient reçu un autre diagnostic (schizophrénie infantile, dysharmonie évolutive…). Ceci aux dépens de la finesse diagnostique et, du coup, de la finesse des prises en charge, moins ajustées à la singularité de chaque patient.
Par ailleurs, cette fausse évidence entraîne une confusion entre "diagnostic" et "prise en charge". Que le diagnostic soit posé tôt ou tard, la vraie question est celle des modalités de suivi des enfants présentant des particularités de développement, qui ne peut être réglée par un protocole préétabli et ce, quel que soit leur diagnostic.
Enfin, le diagnostic d'autisme est souvent posé tardivement parce que la clinique des enfants, de tous les enfants, est fluctuante et réversible, il est donc parfois dangereux voire traumatisant pour un enfant et pour ses parents de poser trop rapidement un diagnostic d'autisme. Il existe également un temps nécessaire aux parents pour accepter la pathologie de leur enfant et ce temps est propre à chacun. Si certains souhaitent un diagnostic le plus précoce possible, d'autres au contraire préfèrent que toutes les autres options diagnostiques soient éliminées précédemment.
 
· "Les pédopsychiatres français refusent de se mettre à jour de l'évolution des connaissances et persistent à utiliser des classifications vieillottes telle la CFTMEA".
         Faux: la plupart des pédopsychiatres français sont plus qu'à jour des scandales accompagnant la création des diagnostics DSM: alliances objectives entre médecins, compagnies pharmaceutiques et financeurs de l'industrie de la santé. Cette classification dite athéorique est au contraire profondément idéologique dans le sens d'une vision mécaniciste de l'être humain et se situe au carrefour d'enjeux financiers importants. Ceci lui ôte toute objectivité et toute scientificité.
 
Ø Un faux procès fait à la Psychanalyse:
 
· "La Psychanalyse est inefficace et inadaptée pour les enfants autistes".
         Faux: tout d'abord, la « Psychanalyse » n'existe pas. Il y a des psychanalyses, différents courants dans la psychanalyse d'enfants, qui travaillent différemment, comme il y a différents courants à l'intérieur du cognitivisme.
L'objet général de la psychanalyse des enfants autistes est de réduire leurs angoisses, de libérer leurs capacités d'apprentissage, de permettre qu'ils trouvent du plaisir dans les échanges émotionnels et affectifs avec les personnes qui les entourent, de permettre qu'ils gagnent du champ dans les choix de vie les concernant. Il s'agit d'un travail au long cours dont les résultats ne sont pas évaluables avec des critères mécanicistes. Ainsi, les méthodes psychothérapiques sont complémentaires des méthodes éducatives et pédagogiques. L'une ne remplace pas l'autre. Il s'agirait que ces différentes théories et pratiques puissent dialoguer sur le mode de la controverse et non sur celui de la polémique éliminationniste. 
Le vrai problème n'est pas celui de la méthode employée (psychanalyse, cognitivisme, pédagogie) mais celui de l'intensivité des suivis au cas par cas. Toute méthode, appliquée de manière intensive et raisonnée (au cas par cas pour chaque enfant) et avec un fort engagement des soignants, éducateurs, pédagogues, aboutit à des progrès chez l'enfant autiste.
 
· "La psychanalyse culpabilise les parents d'enfants autistes et notamment les mères".
         Faux: la culpabilisation des parents est une dérive malheureuse des discours soignants, éducatifs et pédagogiques de manière générale, et ce, de tout temps et de toutes époques.
Certains psychanalystes n'y ont pas échappé et cela est tout à fait affligeant.
La psychanalyse, en elle-même, offre au contraire les outils pour penser cette facilité qui consiste à incriminer les parents comme fautifs. En effet, par le biais des concepts de résistance du ou des thérapeutes, du contre-transfert, de la rivalité imaginaire qui peut surgir entre les équipes soignantes, éducatives, pédagogiques et les parents, la psychanalyse a construit les outils qui permettent de repérer, d'analyser et de dépasser les mouvements qui amènent un soignant, un éducateur ou un pédagogue à accuser massivement les parents d'un enfant en difficulté. 
 
Ø De fausses nouveautés:
 
"Avec des rééducations adaptées, un enfant autiste peut progresser et gagner en autonomie, mener une vie professionnelle et amoureuse épanouissante".
         Oui, et la même phrase est applicable "avec des soins adaptés".
 
Ø Un faux scandale et un faux espoir:
 
·"Le scandale est le manque d'intégration en école ordinaire des enfants autistes alors que, lorsque celle-ci est possible, ces enfants effectuent des progrès spectaculaires".
         Faux: l'intégration scolaire en école ordinaire des enfants autistes est un formidable tremplin pour certains, une simple aide pour d'autres, une corvée douloureuse pour d'autres encore et une souffrance intolérable pour d'autres enfin. Et ce, quels que soient les aménagements effectués.
L'intégration scolaire fait partie des techniques pédagogiques proposées aux enfants autistes, elle ne doit pas remplacer les techniques thérapeutiques ni les techniques éducatives. Ce n'est pas l'un ou l’autre mais les trois ensemble, au cas par cas pour chaque enfant.
Le triomphalisme des discours présentant l'intégration scolaire comme seule méthode faisant progresser l'enfant risque de provoquer de faux espoirs et, en conséquence, de lourdes déceptions pour les parents d'enfants qui ne peuvent supporter l'école et devront rester à domicile, sans place dans un établissement spécialisé.
 
Ø Un vrai scandale: la pénurie de places en établissements spécialisés et adaptés, en France, pour les enfants et les adultes en difficultés.
 
Il est scandaleux de devoir envoyer son enfant en Belgique car aucun établissement français adapté ne peut l'accueillir faute de place.
Il est également scandaleux de voir certains établissements inadaptés à la prise en charge d’enfants autistes (IME, ITEP) être mis en avant pour palier à l'insuffisance du service public ou à l'absence d'hôpitaux de jour dignes de ce nom. Ces établissements se voient souvent obligés de refuser les enfants les plus en difficulté, dans l'incapacité de leur offrir un accueil adéquat.
Cela produit une ségrégation honteuse et c'est à cela que devraient s'atteler les pouvoirs publics!
 
         Au total : quel sera l'effet de la mise en place du groupe parlementaire de travail sur l'autisme ? Au vu de la forte partialité des discours tenus, gageons que les conclusions aboutiront à la mise à l'écart des théories et pratiques psychanalytiques (pour des raisons idéologiques) et à une loi renforçant l'obligation scolaire des enfants en difficulté sans augmenter le nombre de places en établissements spécialisés (plus économique et plus démagogique à la veille des élections).
 
C'est alors que nous, patients, parents, soignants, nous aurons beaucoup perdu. Espérons que cette année sera aussi celle de la pensée et de la controverse, pas seulement celle du populisme et de la réduction des dépenses de santé.
 
Journée d’action des 39, le samedi 17 mars 2012 à Montreuil, "La Parole Errante à la Maison de l'Arbre", 9 rue François Debergue,  93100 – Montreuil-sous-Bois, Metro Croix de Chavaux.(métro ligne 9)
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>Vulnérable et capable

 (Dessin de Maria Elisa Cabral, d'après un portrait de Gaston Bachelard)

"Le moi s’éveille par la grâce du toi " Gaston Bachelard

Des mots pour te dire, des mots pour me dire

Comment interroger le quotidien de la relation avec notre proche, malade et handicapé psychique ? Comment se rendre accessible et percevoir un regard autre ? Comment éveiller en nous-mêmes un autre regard, tant nous pèse et parfois nous angoisse l’inquiétante étrangeté de l’ordinaire ? Comment dissiper tous les malentendus[1]? Comment troubler, faire vaciller les habituels regards convenus portés sur une personne handicapée psychique, personne si peu reconnue dans sa singularité, mais encore dans son humanité partagée ? Comment accepter d’interroger les valeurs éthiques qui gouvernent les relations avec notre proche, comme si elles n’allaient pas de soi ? Comment remettre en question les valeurs politiques qui gouvernent l’accueil de ces personnes dans notre société, comme si elles n’allaient pas de soi ? Comment même remettre en question notre idée d’humanité, comme si elle n’allait pas de soi ? Quelle valeur pour la folie, comme s’il n’allait pas de soi que seule son éradication justifierait notre combat ?

Justement parce que ça ne va pas de soi ! A commencer par la blessure des mots. Ces mots malheureux, inadéquats, des paroles qui nous échappent. Ces mots esquissés ingénument, mots hasardés que l’on adresse à l’Autre dans l’oubli qu’aussi un visage parle. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », affirmait Albert Camus. Redoublement du malheur car il est déjà bien présent, installé dans une lisibilité chancelante de nos regards croisés, qui s’ajoute à la maladresse de pauvres mots incertains. Quand les émotions ne savent plus se dire ni se lire[2]sur l’intranquillité des regards envisagés, dévisagés. Quand la retenue de nos silences ajoute elle-même à la solitude. Dis quelque chose, parle-moi, je n’ai personne avec qui parler ! Je n’ai que mes voix à qui répondre ! Pourquoi tu crois que je parle tout seul ! C’est fou : mon portable, je ne peux pas même l’éteindre, il est dans ma tête, je suis constamment sonné ! Et quand parfois se fait le silence, du chaos surgit un néant pas moins insupportable. Silence envahissant que nul ne saurait habiter tant l’angoisse peuple ce vide, tant elle pèse dans son inconsistance. Qu’espérer attendre de ce rien ? Ou plus exactement ce presque rien : lorsque les voix se sont tues, rien ne dit en effet que l’on n’entendra pas alors sourdre l’obsédante litanie des automatismes mentaux. Pensées étranges qui échappent une fois de plus à tout contrôle. Un je ne sais quoi d’injonctions absurdes venues d’on ne sait où. Pensées insensées qui se répondent en écho, pensées volées, pensées qui se répandent, se propagent. Diffusion de la pensée.

Mais la vulnérabilité semble infinie. Parce qu’à cette dislocation de la conscience de soi et cette angoisse abyssale, se surajoutent une motivation en berne, une volonté bloquée, incapable d’émerger et une incapacité d’entreprendre, d’initier ou maintenir une action. Malgré soi, encore une fois ! Mais que reste-t-il du soi !  Insoutenable pour les proches et les moins proches. Et que dire de ceux qui ignorent tout de la psychose ! Insupportable pour Autrui.

Comment dès lors oser des mots ? Parler au risque de gaffer ? Dans un élan louable d’une bienveillante sollicitude, risquer la malfaisance. Où l’on voit que la vulnérabilité de notre proche entre en résonance avec notre propre fragilité. Où déjà se dit notre propre vulnérabilité lorsque nous sommes arraisonnés au-delà du raisonnable.

Mais en tant que sujet, ne suis-je pas fondamentalement assujetti à un Autre ? Dépendant d’Autrui ? Otage d’Autrui, osera même le philosophe Emmanuel Levinas. L’autonomie de la volonté que je voudrais revendiquer pour moi-même et retrouver pour mon proche, possédé par ses voix, par le mal qui l’habite, cette autonomie ne serait-elle fondée que sur une hétéronomie première, antérieure à toute volonté ? Sujet, je suis donc, malgré moi, pour un Autre. « De toute éternité, un homme répond d’un autre. D’unique à unique. Qu’il me regarde ou non, il me regarde, j’ai à répondre de lui », écrit encore Levinas dans Autrement qu’être. Vulnérabilité d’un sujet insuffisant, en dépit de la suffisance obstinée de son être, qui se sait blessé par le regard d’un Autre. Toujours en retard à répondre de lui, toujours insuffisant à lui répondre. Inscription de cette vulnérabilité au cœur même de notre humanité. Sans attente d’aucune réciprocité, mais encore dans sa propre vulnérabilité, en dépit d’elle, malgré elle, mais aussi grâce à elle, un humain vulnérable a à répondre d’un Autre vulnérable.

Humanité de personnes vulnérables, mais humanité de personnes capables. Il ne s’agit nullement cependant de capacité en tant que puissance, compétence, voire même, en terme de Droit, d’aptitude juridique à agir valablement pour soi-même. A bien y regarder, sans même considérer à l’extrême les incapables majeurs, l’humanité semblerait bien davantage constituée d’individus trop souvent semi-capables, 1/3 capables ou moins, bref par l’extrême variabilité des capacités de chacun. Faibles et vulnérables. Mais pour comprendre le capables dont il est ici question, il faut alors mettre en relation cet adjectif avec la “capabilité” (en anglais : capability) telle que la désigne l’économiste et philosophe indien Amartya Sen : «aptitude à réaliser diverses combinaisons de fonctionnements que nous pouvons comparer et juger les unes par rapport aux autres au regard de ce que nous avons des raisons de valoriser[3]». En dépit d’une multitude de déterminismes, je dispose d’une liberté de faire des choix valorisés, tant par une conception du bien que par un sens de la justice. Et les conditions dans lesquelles mes choix ont été faits comptent autant que sa finalité dans les résultats de mon action.

Conscient de cette capabilité qui m’habite, comment ne pas remarquer à quel point elle entre à son tour en résonance avec la capabilité de mon proche psychotique ? Parce qu’il reste paradoxalement une personne capable. Son incapacité à entreprendre et maintenir une action est certes bien réelle. Mais sa capacité d’effectuer des choix valorisés en vue de cette action potentielle n’en demeure pas moins aussi réelle.

C’est donc bien cette dépendance d’autrui pour agir, alors même que persistent le plus souvent toutes les capabilités potentielles qui ne demandent qu’à être réalisées, qui pose tant de questions, soulève tant de malentendus. On ne saurait les minimiser, tant ils revêtent des aspects dramatiques. Et comment ne pas soulever la question de la stigmatisation, celle que déjà l’on peut lire dans ce jugement arbitraire d’“incapables majeurs”. Jugement erroné qui ne tient aucunement compte de l’extrême variabilité des manifestations de la maladie, du poids du handicap. Stigmatisation de rapace insensé qui désigne la schizophrénie derrière tout dérangement de l’esprit, sans davantage regarder, chercher à comprendre, la singularité et la souffrance de celle ou celui à qui elle s’adresse. Stigmatisation qui banalise et flétrit : elle terrorise inéluctablement sa proie devant l’idée même de schizophrénie ; quand elle n’aggrave pas son repli autistique… lorsqu’elle est effectivement schizophrène.

S’il est une caractéristique première de l’état de dépendance, c’est bien le manque. Et ce manque est souffrance, qui conduit inéluctablement l’individu, être de besoin, à une recherche obstinée de l’objet de sa dépendance. Le petit d’homme, celui que sa mère met au monde, est sujet à la plus longue dépendance parentale du monde animal. A l’encontre des autres mammifères qui mettent bas, la femme met et donne au monde son petit. Parce qu’« il ne peut y avoir d’homme au sens propre que là où il y a un monde et il ne peut y avoir de monde au sens propre que là où la pluralité du genre humain ne se réduit pas à la simple multiplication des exemplaires d’une espèce[4].

Nous sommes donc nécessairement une humanité de personnes inter-dépendantes (dans leur in-suffisance) qui nous nourrissons de la différence des Autres. Etre humain, c’est être appelé à se décentrer et se vivre soi-même comme un Autre, dans le même temps que l’on vit l’Autre comme un étranger, un différent auquel on ne saurait demeurer indifférent. Plutôt que justifier de son identité, afficher sa carte de différence !

Quand il est question de prendre soin de la personne psychotique au cœur de notre commune humanité, c’est à de nouvelles valeurs pour fonder la politique qu’il faudra bien nous intéresser. Comment substituer une coopération de tous dans le souci premier des plus vulnérables à l’exaltation généralisée de la concurrence qui valorise les forts ? A l’heure où s’esquissent les prémices d’une politique du soin (CARE), il n’est pas inutile de rappeler qu’au 12é siècle,soigner signifiait cette besogne particulière qui consiste à fréquenter des marchés pour procurer des marchandises à quelqu’autre, dans le besoin.Etrange réminiscence d’une image moderne où le dealer répond à l’état de manque. Mais qui contesterait la nécessité de prodiguer des soins aux personnes dépendantes ? Qui contesterait qu’il y ait de la valeur dans cette dépendance-ci qui n’est pourtant pas dépourvue d’addiction[5]? A l’encontre de l’accoutumance (également appelée tolérance) du toxicomane qui dans la recherche frénétique de son produit en vient à négliger ceux qui dépendent de lui-même. Dépendre des Autres pour ne pas avoir à dépendre d’une chose, voilà ce que la politique ne saurait ignorer, ce qu’elle a à faire valoir.

L’éradication de la dépendance parait donc un leurre. Nous n’en avons pas moins à rester vigilants. Les progrès des sciences neurobiologiques dans la compréhension des fonctions cérébrales, l’analyse de plus en plus performante des dysfonctions au cours des diverses maladies psychiques, les progrès de la pharmacologie ne sont pas dénués de risque lorsqu’ils amènent à concevoir des processus de normalisation. Et quand la norme devient possible, c’est l’intolérance à l’anormalité qui croit. On en vient à traiter déjà sans grand discernement une foule d’enfants victimes de troubles de l’attention, au nom des performances normales que l’on attendrait d’eux. Un dépistage précoce des psychoses n’est plus à exclure, qui autoriserait un traitement préventif. Et lorsque les idéologies totalitaires s’installent insidieusement dans les esprits, qu’un mythe de l’homme nouveau gangrène les sociétés, une épuration psychique n’est jamais à exclure. Quand on sait ce dont l’homme fut encore capable depuis moins d’un siècle !

Comment ne pas préférer un monde imparfait qui accueille ses fous dans la Cité à la parfaite folie d’un monde sans fous ?

Jean-François de La Monneraye (UNAFAM 02)

 

 

[1]A lire : Le handicap psychique, un handicap caché, un handicap de tous les malentendus de Bertrand Escaig, RFAS 2009

[2]Des programmes psycho-éducatifs tels que PROFAMILLE et des ateliers d’échanges entre pairs tels PROSPECT sont d’excellents apprentissages pour adapter notre langage et notre posture lorsque nous nous adressons à notre proche.

[3]L’idée de Justice, Flammarion 2010

[4]Hannah Arendt, The Human Condition. Traduction française: La Condition de l’Homme moderne.

[5]Etre addict, c’est selon l’étymologie latine (ad-dicere) “être dit à” quelqu’un, comme l’étaient les esclaves sans autre nom que celui de qui les possède. Il est une forme de stigmatisation qui ne voit (ne dit) le psychotique qu’à travers sa psychose.

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>La psychiatrie dans la ligne de mire de la Scientologie (article Actusoins.com)

Une association liée à la Scientologie sollicite depuis plusieurs mois les hôpitaux psychiatriques sous prétexte de surveiller les hospitalisations sous contrainte.

Son nom peut porter à confusion, mais ne vous y trompez pas : la Commission des Citoyens pour les droits de l’Homme (CCDH) n’a rien à voir avec la fédération du même nom.

Derrière cette association se cache en réalité l’Eglise de Scientologie. Active depuis plus de dix ans en France, la CCDH reprend le principal credo de la secte : la lutte contre la psychiatrie, les antidépresseurs et les hospitalisations sous contrainte.

C’est au nom de ce dernier prétexte que l’association harcèle depuis plusieurs mois les hôpitaux psychiatriques français. Comme l’a révélé le Canard Enchaîné le 23 juin dernier (1), la CCDH réclame à ces établissements « une copie des pages des registres 2008 et 2009 établis pour les hospitalisés sous contrainte ».

Ces documents administratifs indiquent notamment les noms des patients, leurs dates d’entrée et de sortie, ainsi que les visites de  contrôle effectuées par les préfets et les magistrats.

Une méthode légale

« Nous avons bien été sollicités par la CCDH » nous confirme un hôpital du Pas-de-Calais. « Après avoir consulté notre service juridique, nous avons décidé de ne pas donner suite à leur requête »explique la direction.

Mais quelques mois plus tard, l’hôpital est obligé de céder : « la CCDH a déposé à deux reprises un recours à la Commission pour l’accès aux documents administratifs (CADA), nous allons donc leur communiquer les éléments souhaités, à savoir les dates de passage des autorités judiciaires. Nous allons bien sûr anonymiser ces documents comme la loi nous l’impose ».

La CCDH profite en effet d’une loi du 17 juillet 1978 qui garantit l’accès des citoyens aux documents administratifs. « Nous ne demandons que les dates de passage des préfets et des magistrats » se défend Mylène Escudier, présidente de la CCDH. « Nous respectons bien sûr le secret médical. Notre objectif est juste de savoir si les procédures d’internements psychiatriques sont bien respectées » assure-t-elle.  

La CCDH a donc envoyé des lettres à tous les hôpitaux psychiatriques ainsi qu’aux commissions départementales chargées de contrôler les hospitalisations sous contrainte (CDHP), lettre dont ActuSoins a obtenu copie.

« Au moins la moitié des hôpitaux nous a répondu favorablement. Pour les autres, nous avons saisi la CADA. Mais parfois cela ne suffit pas : nous avons porté plainte au tribunal administratif contre dix CDHP qui ne nous ont pas envoyé leur rapport d’activité malgré l’avis favorable de la CADA »explique Mylène Escudier (2).

Lobbying au Parlement

L’association compile ensuite tous ses chiffres dans un rapport de synthèse, qu’elle envoie aux parlementaires et aux membres du gouvernement. Une méthode de lobbying qui porte ses fruits, comme l’a constaté Georges Fennech. « Plusieurs parlementaires se sont fait piéger l’an dernier. Ils ont été plus de 80 à réclamer des explications sur les hospitalisations sous contrainte à la ministre de la santé après avoir été sollicités par la CCDH » explique le président de la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

Mais Georges Fennech avoue l’impuissance des autorités face aux techniques de cette association. « L’Etat a une obligation de transparence et certains en abusent, c’est la force et la faiblesse d’une démocratie » constate-t-il. « La Scientologie possède une véritable force de frappe, car elle a de gros moyens financiers et des juristes à sa disposition » ajoute le président de la Miviludes.

Ces moyens financiers permettent notamment à la CCDH de mener depuis plusieurs années une campagne contre les antidépresseurs : l’association a déjà envoyé à plus de 50.000 médecins généralistes de France un DVD contenant un documentaire à charge contre ces médicaments, réalisé par le siège de la CCDH aux États-Unis.

La Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme.

Créée en 1969 aux Etats-Unis, la CCDH a vu le jour en 1974 en France. Elle est véritablement active depuis une dizaine d’années. Cette association est une émanation de l’église de scientologie. Elle ne cache d’ailleurs pas ses liens avec l’organisation, condamnée en 2009 pour escroquerie en bande organisée (3). La CCDH proteste contre l’usage des antidépresseurs et contre l’internement psychiatrique, qu’elle considère comme une atteinte aux droits de l’Homme. L’association s’appuie, entre autres, sur un des “credo” de la scientologie qui stipule que “l’étude du mental et la guérison des maladies d’origine mentale ne devraient pas être séparées de la religion, ni tolérées dans les domaines non religieux”.

(1) « La Sciento reprend du sévice », Canard Enchaîné du 23 juin 2010.

(2) Il s’agit des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques du Var, de la Moselle, de la Meurthe et Moselle, des Côtes d’Armor, du Morbihan, de l’Aube, de la Lozère, de la Seine et Marne, des Hauts de Seine et de la Corrèze (Source : CCDH).

(3) La Scientologie a fait appel, la procédure judiciaire est donc toujours en cours. Sur ce sujet, voir les articles du Monde (http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/27/la-scientologie-condamnee-a-des-amendes-peut-continuer-ses-activites_1259183_3224.html) et de L’Express (http://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-scientologie-une-religion-impossible-en-france_469122.html)

Amélie Cano (Article original dans Actusoins.com)

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>Autisme : trois psys répondent aux accusations du film « Le Mur » (Tribune sur Rue89)

 

Les trois signataires de cet article :

Geneviève Haag, pédopsychiatre et psychanalyste. Elle a tenu la plume.

Bernard Golse, chef de service de pédopsychiatrie à l'hôpital Necker – Enfants malades (Paris) et membre du conseil d'administration de la CIPPA, et Dominique Amy, présidente de la CIPPA et auteure de deux livres sur l'autisme.

 

A l'occasion du procès de la réalisatrice du documentaire « Le Mur » , dont l'audience se tient ce jeudi 8 décembre, et qui a suscité un important débat sur Rue89, nous donnons la parole à des psychanalystes membres de la Coordination internationale de psychothérapeutes psychanalystes s'occupant de personnes avec autisme (CIPPA). L'un des signataires, Bernard Golse, est interviewé dans le film, mais ne le poursuit pas devant la justice. Le film accuse la psychanalyse d'apporter de mauvaises réponses à l'autisme infantile. Geneviève Haag et ses deux co-signataires répondent.

 

La Coordination internationale de psychothérapeutes psychanalystes s'occupant de personnes avec autisme (CIPPA), reconnaît la diversité des pratiques et des hypothèses théoriques concernant l'autisme dans les courants psychanalytiques, et peut discuter avec certains membres du courant lacanien.

Elle dénonce la condamnation abusive des « psychanalystes » et de « la psychanalyse » dans un amalgame autour de certaines formulations émises dans le documentaire « Le Mur ».

Il serait nécessaire de rétablir l'authenticité des propos émis par les interviewés car ceux-ci ont été coupés et remontés, certains fragments ont même été recollés de façon complètement déformante.

Ainsi, Bernard Golse dénonce le rapprochement de ses propos sur la biologie de la grossesse, indépendante des questions sur l'autisme, de propos parlant de mouvements inconscients de rejets du futur bébé. Il réfute le lien de causalité entre les mouvements inconscients de la mère dans la période prénatale et l'autisme.

Le courant que nous représentons, regroupement de praticiens résolus à améliorer leurs pratiques, ne se reconnait en aucune façon dans une série d'accusations.

L'accusation de la culpabilisation des parents

Dominique Amy souligne la nécessité de contacts fréquents avec les parents au cours des prises en charge en institutions. Elle insiste aussi sur le partage des observations et des tentatives de compréhension tenant compte des difficultés spécifiques de chaque enfant. La psychothérapie psychanalytique, individuelle et groupale proprement dite, loin d'être un placage d'une théorisation préalable périmée, est le lieu d'une observation très détaillée et patiente du langage corporel préverbal que les enfants eux-mêmes nous ont aidés à décrypter.

Les enfants cherchent ainsi à communiquer des vécus corporels pénibles (tomber, se répandre, perte du sentiment de peau, perte de sensation de certaines parties du corps), que nous verbalisons. Ces apports se relient très bien à toutes les recherches en cours – qu'elles soient cognitives, neuroscientifiques ou génétiques – sur les particularités sensorielles, perceptives et de représentation.

L'accusation d'empêcher les enfants d'accéder à l'éducation et à l'instruction

Nos membres proposent la compréhension et les soins psychanalytiques dans un esprit de constante articulation avec les autres approches : stratégies éducatives et instructives variées, scolarité et approches rééducatives : orthophonie, psychomotricité, ergothérapie, coordonnées et ajustées à chaque enfant (comme décrit dans le livre Autisme : L'accès aux apprentissages d'Anne-Yvonne Lenfant et Catherine Leroy, 2011).

Certains d'entre nous se sont formés eux-mêmes au TEACCH et à l'ABA ainsi qu'aux stratégies de communication alternative au langage verbal PECS et MAKATON pour comprendre ces méthodes et pouvoir accompagner ceux qui les utilisent. Nous en avons pris le meilleur, mais critiqué certains professionnels qui préconisent et mettent en pratique une trop grande élimination de la relation affective et ludique.

L'accusation de l'isolement

La théorisation purement psychogénétique de l'autisme et l'ignorance ou le mépris des apports des recherches cognitivistes neurophysiologiques et génétiques ne nous concernent pas. Plusieurs d'entre nous ont participé au Réseau interdisciplinaire Autisme Sciences (RIAS, rattaché au CNRS), au Cercle de neuropsychologie et psychanalyse (CNEP).

Dans « Comment aider l'enfant autiste » (Dunod, 2004), Dominique Amy affirme que les recherches neurophysiologiques et génétiques mettent à juste titre les mères et les pères hors de cause concernant l'émergence de l'autisme chez leur enfant. Nous pensons cependant qu'ils ont à être très soutenus afin de les aider à mieux surmonter leur détresse, à comprendre les difficultés de leur enfant et à lui proposer un environnement adapté, avec des actions éducatives et thérapeutiques couplées à une scolarisation bien accompagnée (AVS et soutien du personnel enseignant).

L'accusation de refuser toute évaluation

Certes nous avons pris du retard en matière d'évaluations formalisées utilisant les outils recommandés. Dès sa fondation en 2004, la CIPPA a recommandé à ses membres les évaluations standardisées et beaucoup d'équipes se sont formées et/ou travaillent en coopération avec les Centres de diagnostic . Pour les psychothérapies proprement dites, nous participons au Pôle Autisme du réseau INSERM de recherche fondée sur les pratiques psychothérapiques.

L'accusation de ne pas solliciter des diagnostics

Il est faux de dire que nous ne proposons pas de prises en charge précoce, car bon nombre d'entre nous collaborons avec les PMI et les crèches afin de favoriser autant et dès que possible la prévention et les suivis nécessaires. Nous sommes en étroite liaison avec les recherches de l'association Préaut, de dépistage de l'autisme.

 

Lire l'article sur le site Rue89

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>Ateliers de réflexions des 39 : comment réformer la psychiatrie ?

Je suis un membre des 39 et pourtant, je ne suis pas soignant. Je suis membre des 39 parce que je crois en la sincérité du collectif, à son engagement pour protéger et mieux aider les patients qui traversent la psychiatrie. Sur leur supposé dogmatisme, parfois dénoncé ici ou là, j'ai observé les membres soignants des 39 dans de nombreuses réunions et leurs capacités à se remettre en question et à ne pas se laisser entraîner dans une forme de religion de la psychanalyse, par exemple, m'a surprise. Bien que le socle de leur pratique soit d'inspiration psychanalytique, c'est à dire une science humaine, profondément humaine, ces soignants là ne sont pas des ayatollah de la psychanalyse. 

Ces soignants là luttent avec leurs armes, et une arme plus particulièrement : la parole. La circulation de la parole. Parfois physiquement quand ils vont brandir des pancartes ou des banderoles comme au printemps dernier mais aussi en accompagnant des débats autour de films comme "Un monde sans fous ?" afin de tenter d'expliciter la réalité de ce qu'il se passe dans le monde de la psychiatrie en France. C'est-à-dire de la nécessité de réformer cette psychiatrie agonisante qui ne propose plus que de considérer les hommes et les femmes en souffrance psychique (qu'elle est pourtant censée accueillir, et qu'en réalité elle "gère"), comme des troubles à résorber, une suite de protocoles à exécuter, comme des individus dangereux et inquiétants qu'il faut contenir et traiter chimiquement ainsi qu'avec des processus thérapeutiques courts de psycho-éducation neuro-cognitiviste.


Les débats sont riches au sein des 39. Ce fut le cas de ce samedi 3 décembre. Autour de thèmes comme la famille, les enfants, la formation, les pratiques…Ces débats sont ouverts, horizontaux, chacun peut y prendre la parole, qu'il soit psychiatre, éducateur, infirmier, psychologue ou autre chose, c'est à dire "individu ayant à voir (et à penser) avec la psychiatrie, comme je le suis. Des auto-critiques y sont formulées dans ces débats : sur l'aveuglement, à certaines époques, des psychiatres membres des 39, un peu trop enfermés dans des croyances, par exemple.


Personne n'est parfait, les soignants comme les autres, mais surtout les soignants qui travaillent avec cette matière totalement insaisissable qu'est le psychisme. Le reconnaître, le discuter, est pour moi une qualité extraordinaire qui je dois le dire, ne cesse de m'impressionner. J'ai été saisi hier par la réelle volonté de ces professionnels à se placer à la fois comme militants d'une autre psychiatrie, qui tous les jours agissent dans le sens de l'accueil, mais pour autant conscients de leurs erreurs, de leurs difficultés, de leurs progressions et de l'arrivée à un moment où il ne leur est plus possible de laisser le "voile noir du scientisme, sécuritaire, protocolaire, cette froide médecine de l'esprit auto-déclarée scientifique" recouvrir tant d'années d'efforts. Et écraser l'humanité en l'homme.


Quels efforts ? Ceux qui pourraient donner une voie à la réforme de la psychiatrie. Cette réforme qui doit absolument survenir avant que l'enfer d'une vision concentrationnaire ne s'abatte définitivement sur les patients et une partie des soignants. Si je parle de vision concentrationnaire, ce n'est ni par provocation, ni par légèreté. Les méthodes, pratiques, lois qui s'opèrent aujourd'hui en hôpital ou en clinique ne sont à mon sens qu'une forme de métaphore des camps de concentration nazis adaptés à une certaine modernité du soin psychique : grilles d'évaluation pour mieux diriger les personnes vers certains protocoles, comme on séparait et évaluait ceux qui allaient travailler et ceux qui allaient être de suite éliminés dans les chambres à gaz. Volonté d'imposer la croyance que l'homme et son cerveau fonctionnent de la même manière qu'un ordinateur et penser que le "reprogrammer " ce cerveau, est la solution pour soigner ces maladie "mentales du cerveau". Comme le nazisme pensait faire adhérer "la planète occidentale" à la vision de l'homme nouveau, du surhomme (qui n'a rien à voir celui de Nietzsche), cet aryen programmé lui aussi pour penser la civilisation du troisième Reich. Cette civilisation de la perfection, de la puissance et de la maîtrise scientifique en toutes choses. 

 

Je ne dis pas que les soignants, "enfermés dans ces approches", dans ces institutions "concentrationnaires" sont des nazis, qu'on ne s'y méprenne pas. Ni que les hôpitaux psychiatriques sont des camps de concentration. Non. Je dis simplement que l'état d'esprit qui prévaut en leur sein, niant l'humain dans sa complexité, son histoire, le réduisant à une suite d'opérations à effectuer, à une pathologie, état d'esprit cumulé à beaucoup de maltraitance (que j'ai rencontrée à chaque fois au cours des 20 dernières années) comportent des similitudes avec l'approche concentrationnaire. Une approche particulière de l'homme, donc. Et qu'à termes, si rien n'est fait, il sera difficile de faire la différence entre la vision totalitaire des nazis et celle que la société aura engendrée, sous une autre forme, mais similaire.


Les efforts des 39, pour nombre d'entre eux durant plus de 30 ans, ont été d'accueillir et de créer de l'espace thérapeutique basé sur l'humain et sur sa parole. De tenter d'accompagner des hommes et des femmes afin de les aider à soigner les plaies de leur âme. Pas de protéger la société d'une dangerosité supposée. Pas d'obtenir des taux de ré-hospitalisation inférieurs à 50% dans les deux années suivantes. Pas de vérifier que le médicament est bien pris par le patient. Pas de surveiller la capacité à devenir violent de ceux qu'ils ont accueillis. Non. Ils ont aidé des personnes à ce que les traitements neuroleptiques soient une chose acceptée, que la personne les prenne en toute confiance. A ce que l'accueil chaleureux et humain n'incite pas à la violence. A créer des espaces de créativité, d'échanges, de relations. Les membres des 39 ont permis par exemple, à ce que le dialogue soit un plaisir thérapeutique entre un infirmier et un patient, en dehors de tout cadre établi à cet effet, dans un couloir, dans la salle des médicaments… 


Les membres des 39 ont fait des efforts pour mieux faire accepter et comprendre leur travail avec les parents des patients qu'ils aidaient, par exemple. Avec des approches en perpétuel changement, parce que l'homme change, comme la société, comme la perception des réalités que l'on a. Les efforts des 39 sont ceux qui permettraient de faire de l'hôpital psychiatrique, de la clinique psychiatrique, des lieux d'asile où les personnes en souffrance psychique pourraient se réfugier, se réparer, se reconstruire, vivre, revivre. Si ces efforts que les membres des 39 font depuis des années étaient massivement effectués, ces lieux aujourd'hui majoritairement concentrationnaires pourraient devenir ce qu'ils devraient être : des asiles chaleureux pour se soigner. Et dont on sortirait confiant en l'homme, en la société, la civilisation humaniste que nous étions censés construire ensemble depuis des siècles désormais, et plus particulièrement depuis 1945.


J'espère que nous, 39 parviendrons à faire suffisamment entendre notre voix pour que ce projet voit le jour et qui, bien qu'apparemment utopiste en ce 4 décembre 2011, n'est en fait qu'une volonté politique et citoyenne simple à activer, mais qui doit l'être le plus vite possible.


Simon Sensible

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>Le juge, l'avocat, le psychiatre… et le patient

Avocat à La Rochelle, Dominique Jourdain a été désigné pour assurer le service des «gardes à vue psychiatriques». Il s'oppose vivement à la poursuite d'une « expérience » qu'il juge « calamiteuse » et partage avec nous son argument.

J'ai déjà dénoncé la fausse bonne idée que représente le simulacre de débat contradictoire que met en scène la Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge applicable depuis le 1er août dernier. Cette loi systématise en effet l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) pour valider les hospitalisations d'office, les hospitalisations sans le consentement du patient.

Le système mis en place (que de précédents textes avaient déjà imaginé mais sans les ritualiser avec un caractère automatique) a suscité l'opposition de l'immense majorité des soignants. Seuls se sont félicités quelques notables du Barreau, saluant « la grandeur d'un métier qui permet de porter la parole dont serait privé celui que la maladie a rendu vulnérable »…Sauf que, dans la pratique, faire intervenir le JLD pour valider une « détention » en restaurant « la parole à la défense » n'est ni plus ni moins que faire du psychiatre un agent de l'administration pénitentiaire et du patient celui qui a transgressé la règle, la loi, l'ordre, c'est à dire un présumé délinquant. L'hospitalisation est exclusivement un acte de soin, alors quid de la place de l'avocat ?

Suite de l'article à cette adresse :


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> Humeur : Le médico-social en manque d’utopie ?

 

 

Le management à l’IME d’Epernay a fait la preuve de sa nuisance : souffrance au travail, arrêts maladie à répétition, mais surtout rabotage du «  principe d’espérance » (Ernst Bloch).

 

En effet certains salariés ont le sentiment de n’être plus capable de changer quelque chose dans le sens de leur travail, tant sont perverti leurs démarches : ainsi un courrier à  l’employeur  réaffirmant leur attachement à un projet référé à la psychothérapie institutionnelle a eu pour réponse « nous ne pouvons qu’être d’accord avec les orientations humanistes et éthiques (du projet)……….

 

Mais nous souhaitons que soient retravaillées les activités des uns et des autres et les pratiques professionnelles… » En lien cette fois avec « l’audit maison », donc place à la « modernité », au cynisme de la nouvelle  « gouvernance » et de son autoritarisme, aux « bonnes pratiques » répertoriées, à l’apathie généralisée…. 

 

Basta surtout  à la lutte du collectif : dépassez votre petite colère, il n’y a rien a imaginer  dans vos pratiques professionnelles  (amener l’homme au front de la création dit Ernest Bloch), des experts sont la pour cela, les temps ne sont plus « enchantés », tout est asséché par la crise…

 

No futur ? Ou disons mauvaise passe pour reconstruire l’espoir collectivement ?

 

Les indignés sparnaciens

 

 

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>Les enseignements de la folie : Un feuilleton «dangereux», Clinique de Dostoïevski : Crime et châtiment, 1/20

Raskolnikov

Wood Allen a écrit quelque part : si Dieu existe il faudra qu’il ait une bonne excuse. Cette phrase a derrière elle plus d’un siècle et demi de travail de pensée dans l’institution de la culture. C’est par cet angle que je commencerai à aborder le roman Crime et châtiment sur lequel nous travaillerons maintenant.

L’homme du sous-sol, terré au fond de sa solitude, lance un défi fou à l’autre. Incapable d’aimer et, pour cela, méchant et malade, il veut prouver – et d’abord à lui-même – qu’il n’a besoin de personne, que sa haine lui suffit pour vivre. L’autre est convoqué sous la forme d’un interlocuteur impossible, pour qu’il lui dise son désintérêt pour son existence, pour qu’il lui raconte son crime, le meurtre de Lisa. La parole de l’homme du sous-sol n’a pas d’adresse. N’empêche que, pour dérouler sa pensée, il a besoin de la présence de l’autre à cette place d’un spectateur impuissant. La tension que cette présence provoque lui est nécessaire ; il en tire l’énergie pour affirmer fébrilement l’inutilité de cette présence. D’où le caractère stérile, ressassant, vertigineux, infini, tragique de sa parole. Ce qui fait de l’homme du sous-solun personnage tragique c’est, comme le dit Leslie Kaplan, qu’il veut se passer de l’autre pour penser, mais comme « c’est l’autre qui est le support de la parole, sans adresse la parole se perd, se dilue, s’effiloche». (cf.L’expérience du meurtre, in Les Outils, POL, Paris, 2003.)

Avec Raskolnikov la tragédie change de configuration. Avec lui Dostoïevski inaugure la série de personnages tragiques qui vont l’occuper jusqu’à la fin de sa vie. Il ne s’agit plus ici de convoquer l’autre pour nier son existence, mais de répondre à une question : si Dieu n’existe pas, comment vivre ? Et aux corolaires de cette question : si Dieu n’existe pas,  quel référent garantit la réalité de la vie et de la pensée ? Si Dieu n’existe pas, que devient la loi ?  Continuer la lecture de >Les enseignements de la folie : Un feuilleton «dangereux», Clinique de Dostoïevski : Crime et châtiment, 1/20

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>Où est passé l’avenir du médico social ?

 

Nous assistons depuis quelques années à un processus de démantèlement  du projet de l’IME d’Epernay, référé à la psychothérapie institutionnelle, sous prétexte de « bonne gouvernance » et de « modernité ».

 

Ceci n’est bien sur pas spécifique à cet IME, mais concerne plus généralement l’ensemble du secteur médico-social, en parallèle avec l’attaque de l’ « Etat social » (santé, éducation….).

 

Pour l’IME, l’artisan principal de cette déconstruction est l’association gestionnaire les « Papillons Blancs », sous l’égide d’un  président  issu d’une entreprise privée, qui parlant « au nom des familles », s’ingère dans les pratiques professionnelles, ce qui n’est pas le rôle d’une association gestionnaire.

 

Cette démarche agressive a provoqué l’arrêt  maladie prolongé du directeur  de l’établissement, et une souffrance au travail, générale dans l’équipe pluridisciplinaire ; cet épuisement effondrant sa capacité créative.

 

Des manipulations opérées par le biais « d’un audit  maison », diverses pressions individuelles ou collectives ont fait éclater le collectif, sur lequel repose le fonctionnement éducatif et thérapeutique de l’IME. 

 

Egalement la peur, la tristesse, induites par ces manœuvres alimentent la soumission, lessivent les solidarités.

 

Des mensonges éhontés déstabilisent les résistances : «  ce ne sont que des petits changements, vous pourrez travailler comme vous l’entendez, nous ne sommes pas des professionnels comme vous », alors que les changements rendent caduques le fonctionnement existant. 

 

Inclusion, désinstitutionalisation, accompagnement, déprofessionnalisation…sont les mots clés qui alimentent le bréviaire de cette idéologie basique, visant  surtout le moindre coût de l’aide aux personnes les plus vulnérables, récupérant au passage des justes revendications des familles (comme la lutte contre l’exclusion, la ségrégation  des enfants en situation de handicap, le besoin de services à la personne….etc)

 

Nous avons tous observé que l’assomption de la cupidité a produit une crise économique sans pareil, allons nous assister à l’assomption de l’insignifiance dans les projets du médico-social ?

 

Ce constat est sans doute très pessimiste, mais il nous faut renouer avec nos métiers : « l’éducation », « le soin », l’engagement dans des pratiques exigeantes auprès d’enfants en graves difficultés, pratiques professionnelles qui méritent du temps pour la réflexion et la mise en œuvre , de la formation, et non des protocoles, ou du formatage labellisé.

 

Mais il ne suffit pas de mettre un drapeau rouge à sa fenêtre pour faire œuvre de changement, dans un contexte où les « grands récits  sont morts » (Lyotard).

 

La résignation non plus n’est plus de mise, l’expérience démocratique exige de résister au rouleau compresseur de l’ordre néolibéral,  de la culture réifiée, et de tisser ensemble l’espérance de demain. 

 

Des indignés sparnaciens

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>Association Méditerranéenne de Psychothérapie Institutionnelle, Marseille le 7 et 8 octobre 2011 : « S’il vous plait, Dessine moi… la psychiatrie … »

LA psychiatrie ? mais ça n’existe pas ! de mon point de vue c’est d’UNE psychiatrie que je me risquerai à l’esquisse. UNE psychiatrie, car ce sont DES psychiatries qui co-existent. Des psychiatries qui n’ont pas grand chose à voir lorsque l’on se réfère à des éléments qui sont pour moi des principes essentiels : 

  • l’accueil,
  • la conception de la personne malade, 
  • la conception de la folie, 
  • la prise en compte de l’entourage, 
  • la place des thérapeutiques, 
  • la place des patients dans le dispositif de soins. 

 

Alors : …….  

 

On matraque les malades …

 

« A quoi ça sert de parler de votre loi, on matraque les malades au pavillon ! »

Céline a balancé cette phrase ! Elle nous a fait tous sursauter ! Elle m’a surpris, … de plein fouet !

 

Dite sur un ton de la simplicité de l’évidence, avec la force de la sincérité, de l’authenticité, de la violence de l’insupportable banalité. 

Le choc de la surprise m’a fait dire : « Qu’est ce que vous nous dites là, Céline ? On matraque les malades à Champagne ? 

 

— Non c’est pas grave, j’ai rien dit !

— Je ne peux pas laisser votre propos comme ça, c’est trop grave ce que vous nous dites là. Il faut en parler, Jérôme inscrivez le à l’ordre du jour, s’il vous plaît. 

— Je marque quoi ? 

— Eh bien ce que Céline vient de nous dire : « On matraque les malades au pavillon ! »

 

C’était au tout début d’avril cette année. Un mardi en début de mâtinée, au centre de jour de Montfermeil. La réunion soignant-soigné. Espace de dialogue, sorte d’assemblée générale quotidienne, au cours de laquelle chacun peut mettre à l’ordre du jour un sujet d’actualité, une question relative à la vie collective, au quotidien au centre, une envie de sortie, un projet culturel, une visite de musée, les activités du jour et aussi , et surtout « Qu’est ce qu’on mange aujourd’hui ? » Menu, courses, répartition des tâches.

 

Un Président de séance se désigne parmi les patients. Chacun peut proposer un sujet au débat. 

 

Ce mardi là je venais de proposer de mettre à l’ordre du jour, l’information sur le projet de loi sur les soins sans consentement, le point sur la mobilisation en cours et l’information sur le Meeting « Quelle hospitalité pour la folie ? », que le collectif des 39 organisait devant la Salpétrière autour de la Statue de Philippe Pinel, le samedi 9 avril. 

 

Céline est une jeune femme de 30 ans. Hospitalisée depuis plusieurs années à Ville Evrard, au pavillon Champagne, du 15ème secteur de Seine Saint Denis. Tout en se plaignant beaucoup de son hospitalisation, elle a mis en échec  plusieurs projets de sortie : appartement thérapeutique, ESAT, foyer. Depuis près de 2 ans, elle fréquente le centre de jour à Montfermeil, plusieurs fois dans la semaine. Elle s’y est bien intégrée, après une longue période d’approche, d’isolement, de participation réticente à la vie quotidienne, aux sorties, aux différentes activités. Son fond délirant, persécutée parfois, souvent, ne l’empêche pas d’être joyeuse, de rire, d’être très attachante, très touchante et pathétique dans ses moments de désarroi, de détresse, lorsqu’elle ne supporte plus l’hospitalisation, qu’elle se croit abandonnée par ses parents, pourtant très présents et impliqués dans le travail thérapeutique. Dans les réunions, elle intervenait assez peu, proposant rarement des sujets de discussion. 

 

Ce matin-là, pris moi même par la tension de la mobilisation contre cette loi, particulièrement engagé et investi dans l’action du Collectif des 39 depuis sa création, et notamment indigné par la dérive des pratiques dans les institutions, y compris dans le service hospitalier du secteur dans lequel je travaille, et que j’ai contribué à construire  depuis 32 ans, j’ai été totalement touché par cette phrase lancée comme de multiples autres, fréquemment lors de ces réunions.

 

Lorsque ce fut son tour, Céline raconta. La maltraitance, la violence, l’humiliation. « Celui-là, Alfred, là c’t infirmier, c’est lui qui est malade. Je vous jure c’est lui qui est fou. C’est pas nous. L’autre soir, Mohamed, il était énervé à table. Il s’est disputé avec Roland, parce que l’autre il l’avait bousculé. Il a craché dans son assiette. Bon ça s’fait pas. Mais quand même, Alfred il est arrivé, et alors, vous allez pas m’croire, il l’a fait tombé de sa chaise, il l’a mis par terre. Et vous savez Mohamed il est paralysé, il est en fauteuil et quand il tombe, il peut pas se relever tout seul. Et l’autre là, il lui a dit, « t’avais pas à cracher comme ça, maintenant tu restes par terre, tu bouffes pas ! ». Mais c’est pas humain, docteur Machto, c’est lui qui est fou, c’est lui le malade, il faut l’soigner, docteur Machto. C’est pas humain. Et l’autre là, un infirmier d’un autre pavillon, c’est un fou celui là aussi, un sadique. L’autre soir, il y avait un nouveau malade qui était arrivé, il était très énervé, il voulait tout casser. Alors ils ont appelé les renforts. Ils l’ont mis par terre. Et l’autre là, il appuyait avec sa grosse godasse sur le cou du malade, par terre. Mais il l’étouffait ! j’vous jure ! c’est fou, ça s’fait pas ! »

 

Nous les soignants, nous étions accablés d’entendre cela… ce que nous savions pourtant déjà. D’autres patients sont intervenus et ont pris le relai de Céline. Et chacun de raconter ses anecdotes, ses vécus, ses indignations, l’insatisfaction par rapport aux médecins, « ils ont jamais le temps ». 

 

Denise :  C’était en septembre. Je m’étais énervée parce que j’avais reçu un coup de poing par un patient. Quand je m’énerve, moi je crie. Je me suis sentie laissée de côté. On ne s’est pas occupée de moi. J’étais énervée. C’était dans la salle à manger. L’infirmière m’a retiré mon assiette de fromage, et ma compote. Comme j’étais encore plus énervée, elle a dit « J’appelle le médecin de garde ». Il est venu. Il a prescris 50 gouttes. Moi je suis allée dans le jardin, je me suis calmé. L’infirmier est venu avec le verre et les gouttes. Mais j’étais calmée. Je lui ai dit : « Mais maintenant ça va ». Il m’a dit : « Ou vous les prenez, ou j’appelle les renforts et c’est l’injection ! ». 

Alors, bien sûr j’ai pris les gouttes.  

 

Yacine :  Au pavillon, c’est pénible. Les infirmiers, ils disent : « A table ! », « Médicaments ! ». Mais on n’est pas des chiens, quand même, à obéir. On pourrait nous parler autrement ! 

 

Albert : Au pavillon, c’est surtout l’ennui. A l ‘hôpital, il y a un climat de prison. On a vraiment l’impression d’être incarcéré. On s’ennuie beaucoup. Moi, ça m’a pas guéri. Oui ça m’a fait un peu de bien, parce que j’allais très mal, mais ça m’a pas guéri.

 

Céline : Oui c’est ça, on s’ennuie, on tourne en rond, on fume, y a que ça à faire et on parle de nos histoires et on pleure, sinon on fume. Ils fument tous c’est terrible. Y a que ça à faire.

 

Simone : Moi je voulais apporter mon tricotage, faire du crochet. Mais le médecin n’a pas voulu, il m’a dit que c’est dangereux pour moi et pour les autres. C’est trop risqué ! 

 

Alors pour tenter d’endiguer ce flot, effrayé je vous l’avoue d’avoir ouvert cette boite de Pandôre, inquiet des risques possibles de violence au pavillon, de passages à l’acte que ce débat pouvait provoquer, tout en reconnaissant l’insupportable de certains actes, j’ai proposé quelques hypothèses, simplistes peut être. Les carences de la  formation, la jeunesse de certains infirmiers, leur peur dans certaines situations où les infirmiers ne sont pas assez nombreux,  l’insuffisance de fonctionnement institutionnel, d’implication dans la vie quotidienne, mais aussi les contraintes administratives. Hypothèses qui ont eu quelques échos, y compris chez Céline, qui avait été la plus véhémente. « Ben oui, c’est des jeunes, ils y connaissent rien à la psychiatrie et aux malades. Et faut dire qu’il y a des malades c’est vrai, ils font peur, y en a qui les insultent, ça s’fait pas ! ».

 

Face à ce désir de paroles, cette prise de parole de tous, nous avons proposé de prendre un temps plus long pour dire et essayer d’analyser cette situation.  Aussi pour tenter d’en faire quelque chose. Car à plusieurs reprises, j’avais entendu « De toute façon ça sert à rien de dire tout ça, ça changera pas, ça sert à rien ». 

 

C’est ainsi que fut décidée une réunion, un après midi, qui serait consacré uniquement à la question des « Conditions de soins ». 

Et depuis, cette réunion s’est installée…. comme une nécessité. Un nouvel espace de paroles.

 

Au début, bimensuelle, elle se tient désormais tous les mois. Nous lui avons trouvé un titre. J’avais proposé Forum mais  Denise, habituée des jeux de mots, s’est indignée : Forum ? mais c’est toujours pour les hommes, jamais pour les femmes ! c’est ainsi devenu « Forum – Forfam sur les conditions de soins».


J’y ai retrouvé la qualité des débats auxquels j’ai participé depuis la création du Collectif des 39. Débats au cours desquels de plus en plus de patients, soit seuls, soit à partir de leurs associations ou de groupes d’entraide mutuelles, sont venus, qui apporter leur témoignage, qui interpeller les professionnels, les politiques sur l’accueil, les soins, les pratiques. Mais aussi s’engager de façon importante, et devenir un élément essentiel dans ce mouvement inédit, dans cette bataille politique qui n’est pas terminée malgré la promulgation de cette loi infâme et anti-thérapeutique.

 

Ainsi nous sommes passés de récits d’indignation, à des questionnements sur les conditions de soins au pavillon, le vécu des hospitalisations, la folie, sur la maladie, sur les traitements médicamenteux, sur la guérison. 

 

Certains ont à cœur de raconter leur itinéraire.

D’autres de donner leur avis sur l’hospitalisation : 

— J’ai fait deux séjours. Mais c’est très dur de se soigner à l’hôpital. Je trouve le mélange des populations très dur à vivre, moralement. Ça m’a amélioré, mais ça m’a pas guéri.

— Ville Evrard c’est pour les miséreux. C’est pour ceux qui ont tout perdu. Il y a des grosses racailles. Y a que des gens qui se plaignent. Tu demandes quelque chose … et t’attends. 

— Il y a une surmédication. Y a pas d’atelier. Y a bien un jardin, mais même les statues sont décapitées !

— Il pourrait pas y avoir un moyen pour pouvoir faire la sieste ? Les portes des chambres sont fermées. C’est un hôpital. On devrait pouvoir se reposer quand même !

— Arrêtez de pérorer, la psychiatrie, c’est pas la chirurgie ! Tutoiement obligatoire. En psychiatrie, on n’a pas le sourire. Y a des infirmières qui se prennent au sérieux. Il faut critiquer l’esprit de sérieux ! 

— Pourquoi ils font pas des réunions soignants –soignés comme ici au centre de jour ? Ils les ont arrêtés ? On s’parle pas, les infirmiers, ils restent dans leur bureau, les médecins ils ont jamais le temps. 

— Y a parfois des menaces : c’est « la douche ou pas de petit déjeuner ! »

 

Si je vous transmets ces paroles dans leur simplicité, c’est parce que nous, l’équipe soignante, nous avons été saisis par ces questions. Elles s’adressent à nous comme témoins, pour entendre ces vécus, ces moments douloureux à quoi les exposent  les épisodes pathologiques qui les amènent à l’hôpital. L’espace de débat ainsi créé, qui peut s’apparenter à un espace militant, associatif, à un espace critique, par le cadre dans lequel il s’instaure n’en est il pas pour autant un espace thérapeutique ? L’écoute qui existe, l’attention des uns vers les autres, la disponibilité, la fréquentation, tout ceci en fait un espace de partage, d’analyse institutionnelle et de partage. Chacun écoute l’autre, tente une réponse, une hypothèse, exprime sa sympathie ou sa compréhension. Un tel espace de débats sur les conditions mêmes des soins ne s’articule –t–il pas avec un espace groupal à visée psychothérapique ? Qu’en est- il des transferts en jeu ? Transferts multi- référentiels ? transferts à repérer en tout cas dans nos réunions de reprise quotidienne. 

 

Si j’ai souhaité vous transmettre ces paroles brutes, dans leur banalité même, c’est aussi parce qu’une question me taraude, me gêne, m’indigne même : la parole d’un patient, parce qu’il est « réputé » délirant, est pathologisée dans sa globalité. Déniée en tant que telle. Elle n’est pas recevable lorsqu’elle porte sur l’organisation des soins, sur son vécu, sur la conception même qu’il se fait de ce que devrait être les soins, l’accueil. Sa parole en tant que parole délirante va être prise en compte pour poser un diagnostic, décider d’un traitement neuroleptique. Mais dès lors, tout son dire va être alors pris sous le prisme de la pathologie. Aucun caractère d’ordre politique ne peut lui être accordée. Je dis là « politique » en tant que discours sur la vie publique, sur la vie quotidienne, sur l’organisation, sur l’être ensemble.  

 

A aucun moment, le Forum-Forfam n’a été décrété obligatoire … et pourtant ils sont tous là ! Dans le grand salon jouxtant le jardin, tout le monde s’installe autour des tables réunies pour la circonstance. De temps à autre, l’un sort fumer dans le jardin, puis revient. Certains se mettent en retrait dans le canapé ou les fauteuils. Mais ils sont attentifs, y vont parfois de leurs commentaires. 

 

A la rentrée de septembre, le Forum-Forfam fut un peu plus difficile. Les débats avaient du mal à démarrer. Certes la présence du micro d’une journaliste de France Culture, Pauline Maucort pour l’émission « Les Pieds sur terre » diffusée mercredi 5 octobre1, y était pour beaucoup. Mais la question fut posée la semaine suivante de le continuer. Nous les soignants, étions embarrassés. Mais pas les patients : lors d’un tour de parole, chacun d’entre eux exprima son souhait de continuer. 

— Ça fait du bien de parler comme ça. 

— C’est comme les associations de malades. Vous savez, il y a des associations, où les malades parlent de leur maladie, par exemple le cancer, le diabète. 

— Et les associations pour le SIDA, ça a changé les choses. 

 

En effet, nous pouvons dire que l’irruption du SIDA a dans ce domaine et peut être aussi ailleurs en médecine, bousculé les habitudes médicales. La parole des patients, les modalités d’action par exemple avec AIDES, Act Up, ont eu des effets sur les pratiques d’accueil et de soins. Une responsabilisation, un engagement des patients a été opérant et a eu des effets politiques même dans le rapport médecin- malade, soignant – malade. 

 

Cet espace engage aussi émotionnellement les soignants : d’entendre le vécu des hospitalisations, les critiques institutionnelles à l’encontre de nos collègues, la perception des traitements médicamenteux, des mises en chambre d’isolement, des contentions, ne peut nous laisser indifférent.  

 

Malgré nos tentatives d’ouvrir le débat sur leur perception de l’accueil au centre de jour, leurs réflexions sur les conditions de soins ici, pas de critique exprimée … pour l’instant. 

— Ici, au centre de jour, c’est bien, c’est chaleureux. 

— Oui on est comme des amis, avec l’association Champ Libre. 

— Et c’est pas pareil, on  fait des sorties, il y a des activités. 

— C’est sympa, on fait la cuisine tous ensemble, on mange tous ensemble.  

 

Alors question tout de même : qu’en est il du peu de critique à  l’égard des soignants, de l’organisation des soins ? Nous protéger ? Nous ménager ? Est-ce la mise à distance, à l’extérieur, du mauvais objet ? Ici, au centre de jour, on est entre nous, au chaud, protégé ? Certes l’association Champ Libre a constitué avec ses trente ans d’existence, un approfondissement des liens et des initiatives collectives, des engagements et des initiatives dans la cité. Champ Libre donne un sentiment d’appartenance, un espace commun partagé dans lequel chacun se sent responsable et s’investit, par exemple dans l’organisation de la brocante, dans la participation et la cotisation hebdomadaire. 

Régulièrement est mise en discussion lors des réunions quotidiennes la nécessité ou pas de revoir tel ou tel fonctionnement du centre, mais aussi les patients sont sollicités sur ce qu’ils souhaiteraient voir modifier, ou sur ce qu’ils ont envie d’apporter au collectif.

 

Conclusion : 

 

Je laisserai en suspens la relation complexe entre G.E.M. – Structures de soins – club thérapeutique et association dites de secteur. Peut être la discussion nous permettra d’aborder cette question, importante pour l’avenir de la psychiatrie, que nous devons clarifier afin de lever les malentendus, les inquiétudes et penser l’articulation de ces dispositifs sans éviter la question des soins psychiques et de l’accompagnement, de l’isolement des patients.

 

Mon propos d’aujourd’hui, ce récit peut être par trop descriptif, s’inscrit dans ma position vis à vis des patients, l’écoute attentive et sérieuse sur leur dire, leur désir, leurs projets, leur idée de leur devenir. En préparant cet exposé m’est revenu à l’esprit une « bagarre institutionnelle » : c’était en 1985. Dans ce service, cette pratique de secteur que j’avais contribué à créer à partir de 1979, à Clichy sous bois, je travaillais à plein temps, en tant que vacataire de l’extra-hospitalier. Je partageais mon temps entre le CMP où nous avions créé un accueil et une disponibilité, l’hôpital général, les appartements thérapeutiques.

 

Deux patientes, deux dames qui avaient passé la soixantaine, étaient hospitalisées. L’une d’entre elles que je suivais au dispensaire, au CMP, me disait lorsque j’allais la voir ou qu’elle venait en consultation accompagnée par les infirmiers : « Mais moi, je ne veux pas aller en maison de retraite ! » L’autre dame avait aussi la même opposition par rapport au projet du médecin du pavillon. Alors avec l’équipe, nous avons pris en compte ces paroles … et nous avons construit avec elles deux un projet d’accueil en appartement thérapeutique. Elles y ont vécu près de cinq années ! Et moi cela m’a donné l’occasion, du fait de la nécessité de cet engagement là, de m’investir dans la vie du pavillon et de proposer avec une collègue psychologue, Anik Kouba, une réunion institutionnelle soignants-soignés qui n’existait pas. La psychothérapie institutionnelle n’était pas au goût du service, à l’époque. Ni d’ailleurs à mon goût, du fait de mon parcours antérieur à Moisselles. Je la percevais à l’époque comme le dernier rempart de l’asile que nous voulions mettre à bas… Cette réunion hebdomadaire a duré … sept ou huit années ! C’est ainsi que j’ai découvert, de façon empirique la psychothérapie institutionnelle.

 

Loin des discours militants, la parole des patients fait irruption dans l’institution. Elle fait aussi collectif, partage de vécus, de ressentis. Suscite écoute de l’autre, attention, sensibilité.

 

Du côté des soignants elle donne à entendre une humanité, une souffrance, et ne peut que transformer la position du soignant vis à vis du patient. Une posture à toujours réinterroger. 

 

L’irruption de cette parole, l’importance à venir de la place des associations de patients dans le discours sur la psychiatrie, la remise en question des pratiques vont peser sur celles-ci et remettre en question les dispositifs et les pouvoirs. 

 

La place des associations, des clubs thérapeutiques au sein des espaces de soins devrait ouvrir sur des perspectives plus humaines de l’accueil et je risquerai aussi ce mot du plus de démocratie dans les institutions de soins. 

 

1. Emission de France Culture à l'écoute ICI

 

Paul Machto.


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>Plan santé mentale : les quatre axes du gouvernement (le quotidien du médecin)

 

Le ministère de la Santé a soumis au comité d’orientation du plan Santé mentale 2011-2015 un document de travail fixant quatre grands axes stratégiques destinés « à prévenir et réduire les ruptures » : au cours de la vie du malade, au niveau de l’offre de soins de proximité, au sein des modes d’exercice et de « l’environnement sociétal » de la psychiatrie.

Les membres du comité d’orientation se sont réunis lundi après-midi au ministère de la Santé pour discuter d’un document de travail qui fixe le cap souhaité par le gouvernement pour le plan Santé mentale. Attendu pour le mois de décembre, ce plan ne devrait pas excéder les 15 pages (contre près d’une centaine pour le précédent plan 2005-2008).« Prévenir et réduire les ruptures pour mieux vivre avec des troubles psychiques », tel est le titre encore provisoire suggéré dans le document de travail ministériel. Quatre grands axes stratégiques y sont présentés. Le premier aborde la prévention et la réduction des ruptures durant la vie du malade. Il s’agit notamment d’« améliorer l’accès de la personne aux soins psychiatriques et somatiques dont elle a besoin », de « favoriser la réhabilitation psychosociale », d’« améliorer la continuité des soins et de l’accompagnement aux différents âges de la vie de la personne », sa qualité de vie et son accès aux droits. Le soutien aux aidants constitue une autre priorité de ce premier axe. Le deuxième axe ambitionne de « prévenir et réduire les ruptures selon les publics et les territoires ». Y seront entre autres inscrits, une meilleure répartition de l’offre de soins dans sa proximité et sa variété, la fin des« points noirs » en matière d’hospitalisation psychiatrique, l’adaptation de l’offre aux populations ayant des besoins spécifiques (prisonniers, sans-abri, handicapés), ainsi qu’une information beaucoup plus lisible sur les dispositifs de prise en charge.

Sortir des conflits d’école.

Le troisième axe arrêté par le ministère vise à la réduction et à la prévention des ruptures entre la psychiatrie et son environnement sociétal (représentations sociétales de la psychiatrie, relations avec la justice…). « Les représentations négatives des troubles mentaux, de la psychiatrie, des handicaps psychiques nuisent à la santé publique, en tant qu’elles retardent bien souvent la demande d’aide et le recours aux soins. Elles peuvent aussi mettre en échec les programmes d’accès au soin, de prise en charge et d’accompagnement, mais aussi isoler et faire souffrir les personnes et leurs proches », souligne le ministère.

Le quatrième et dernier axe s’attache à « prévenir et réduire les ruptures entre les savoirs ». Il s’agit ici de « sortir des conflits d’écoles », entre les différentes approches thérapeutiques, « toutes utiles et complémentaires ». À l’issue de la réunion de lundi, les membres du comité d’orientation du nouveau plan doivent faire part de leurs commentaires sur ces grands axes arrêtés par le gouvernement. S’ensuivront quatre autres réunions de travail – une par axe – qui permettront d’aboutir à la rédaction du plan à partir du mois de décembre.

Article original : http://www.lequotidiendumedecin.fr

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>Forum For Femmes à Montfermeil (France Culture)

 

Deux fois par mois, les patients et les soignants du Centre d'accueil de jour de Montfermeil se réunissent pour débattre. L'occasion pour les patients de prendre la parole sur les conditions de soins, la prise de médicaments, les rapports avec leurs psychiatres, et la récente loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement.

 

Reportage : Pauline Maucort

Réalisation : Julie Beressi

 

Thème(s) : InformationPsychiatrie

ECOUTER L'EMISSION

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>Appliquer une loi antithérapeutique ?

 

La loi du 5 juillet 2011 réformant les soins psychiatriques entrera en vigueur le 1er août 2011. Dans les hôpitaux, son application va engendrer des pratiques toujours plus inquiétantes : mise en place de vidéo-audiences dans de nombreux départements, transports collectifs de patients en crise etc.

Le collectif des 39 contre la nuit sécuritaire appelle à refuser de cautionner et de mettre en pratique de telles mesures anti-thérapeutiques qui seront délétères pour des soins psychiques de qualité.

Libertés à distance… plutôt caméras ou plutôt fourgon collectif ?

La loi introduit le juge des libertés et de la détention dans les deux premières semaines de l’hospitalisation sans consentement. Pour respecter cette obligation légale, deux possibilités sont envisagées pour cette audience : le transport des patients dans les Tribunal de Grande Instance (TGI) ou la mise en place de la vidéo-audience.

Devant la pénurie de juges et de greffes, de nombreux TGI ont fait savoir qu’il n’y aurait pas d’audience systématique dans les hôpitaux psychiatriques (les audiences « foraines »), reportant la gestion du manque de moyens sur les équipes psychiatriques déjà fort démunies pour assurer leur mission de base, soigner.

Comment les équipes pourront-elles faire face à cette nouvelle pénurie des personnels vacants des services qui impliquerait une aggravation de la dégradation des soins ?

Comment les patients insuffisamment stabilisés par douze jours d’hospitalisation réagiront-ils à un transport parfois de plusieurs dizaines de kilomètres ainsi qu’à l’attente au tribunal ? Faudra-t-il camisoler chimiquement et physiquement les patients pour les emmener devant le juge ?! 

Si les directions d’hôpitaux ont obligation d’assurer l’audience devant le juge, nous devons rappeler à nos administrations et aux juridictions que les soignants ne peuvent éthiquement cautionner des mesures allant à l’encontre de la clinique, des soins, de leur éthique et de leur indépendance professionnelle. 

et de s’organiser en conséquence (audiences foraines etc.). L’impératif premier pour tout soignant est, d’abord et avant tout, de ne pas nuire à la santé du patient.

Secret médical : un secret de polichinelle

Le juge des libertés et de la détention rendra sa décision lors d’audiences publiques. 

Alors que les certificats médicaux étayeront sa décision du juge, qu’adviendra-t-il du secret professionnel lors de telles audiences? Nous appelons les rédacteurs de certificats à mettre le strict minimum pour ne pas violer intégralement ce secret qui est l’un des garants de la relation thérapeutique.

Par ailleurs, les « soins » sans consentement en ambulatoire voient le jour. Alors que la contrainte se généralise et n’a pas de limite spatiale ou temporelle, le législateur a choisi de ne pas faire intervenir le juge pour garantir les libertés. Pourtant, les psychiatres devront rédiger un programme de soins qui, s’il n’est pas appliqué à la lettre par le patient, pourra conduire à sa ré-hospitalisation. Ce programme devra être visé et accepté par le préfet qui pourra le récuser ainsi que ses modifications ultérieures ; ce qui ouvre la porte à des imbroglios juridiques où les enjeux soignants sont mis sous tutelle sécuritaire !

Par principe, nous appelons autant que faire se peut, à ne pas prescrire de tels « soins » contraints et nous appelons les prescripteurs de ces programmes à rédiger leur certificat en sachant qu’il servira d’instrument de contrôle social. 

Une loi contre indiquée pour les soins

 

Le collectif des 39 contre la nuit sécuritaire rappelle son combat depuis deux ans pour refuser cette loi de défiance qui, centrée sur la seule contrainte, dévoile ses incohérences, ses lourdeurs paralysantes et l’aggravation qu’elle va provoquer pour  les soignants, les patients et leurs familles.  

Nous appelons l’ensemble des professionnels à ne pas faire de zèle pour l’application de cette loi, à contrer le climat de défiance qu’elle instaure entre les patients et les équipes de soins et à mettre en place les conditions de sa marginalisation puis de son échec.

La campagne pour l’abrogation de cette loi ne fait que commencer !

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>Refuser la loi sur le titre de psychothérapeute

Il faut absolument refuser la loi sur le titre de psychothérapeute. Cette disposition législative est un des aspects organiques indissociable du reste : l'accepter, c'est faire entrer un cheval de Troie dans la nouvelle réglementation du soin psychique.


C'est la création d'une nouvelle corporation de "psychothérapeutes" au service du reste 'loi HPST, soins sans consentement, accréditation car qu'est-ce qu'elle introduit ?


Des psychiatres "sauvés" du dispositif car reconnus "psychothérapeutes" de droit, ce qui fait froid dans le dos quand on voit l'absence totale de cette formation dans leur études. Plus fort: : on leur reconnait ce titre alors que dans le même temps, on est en train de leur enlever l'exercice concret, condamnés qu'ils deviennent à n'être que des experts destinés au tri et aux prescriptions des pathologies les plus lourdes. 


Les psychologues cliniciens, les seuls réellement formés à l'université, sont condamnés à des formations et à des stages suplémentaires les plaçant au même titre que n'importe quel médecin. C'est un scandale, car non seulement cela est un affront aux universitaires en psychologie, mais c'est aussi une manière à inciter leurs programmes à faire l'impasse sur ces formations (psychopathologie et psychothérapies) puisque ceux qui voudront l'exercer devront se soumettre à des formations extra-universitaires spécifiques.


Les médecins, quelques soient leurs spécialités, pourront avoir accès au titre avec autant de facilité qu'un psychologue clinicien. C'est la reconnaissance de la prégnance d'un modèle médical organique pour aborder la psychopathologie.


Les psychologues non cliniciens seront soumis aux mêmes contraintes de formation que le béotien lambda qui veut devenir psychothérapeute alors que pendant ses trois premières années universitaires (licence) il est, de fait, initié à la psychopathologie et aux approches psychothérapiques.


Les psychanalystes se trouvent réduits aux mêmes exigences.


Enfin, alors que la loi se motivait d'être une barrière contre les dérives sectaires, elle est la porte ouverte au titre de "psychothérapeute" à n'importe qui car elle ne garantit rien et ne protége en rien. Cette loi était inutile : elle est devenue nocive.


Qu'ont fait l'ordre des médecins et les universitaires ? A quelle complicité, au moins passive, se sont-ils soumis ?


Quant on voit le contenu de ces formations donnant accès au titre, on comprend tout : les approches humanistes classiques (psychanalytiques ou autres, basées sur une idée de la personne et du lien thérapeutique) sont réduites au quart du programme. Les trois autres quarts sont consacrées aux approches cognitive, comportementalistes ou neurobiologiques. Celles-ci ne peuvent constituer autres chose que des techniques. N'étant fondées sur aucun substrat ontologique ou philosophique ; elles peuvent être au service de n'importe quelle idéologie (rappelons-nous l'utilisation de la psychiatrie dans l'ex-URSS).


Il s'agit bien de cela : former des "techniciens psychistes" au service des nouvelles politiques du soin basées sur l'objectivable, le quantifiable et l'évaluable d'un individu réduit à son "adaptabilité" sociale. Ils seront utilisables aussi bien dans le champ psychiatrique classique que dans ceux du monde de l'entreprise ou de l'Education Nationale.


Il n'y a qu'une position : refuser toute collaboration à la mise en place de cette loi.


Refuser d'y candidater.
Refuser d'y être jury.
Refuser d'accepter des stagiaires.
 
Joseph Mornet, psychologue, secrétaire national de la Fédération Croix Marine

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>Remarques sur le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

Préalable:

En psychiatrie, il arrive que l’on se trouve dans la situation difficile de penser qu’une personne nécessite des soins dans les lieux de l’hôpital alors même qu’elle le refuse, que ce refus d’aller à l’hôpital la met en danger, met en danger aussi, parfois, les personnes qui l’entourent.

Dans ces cas, il peut paraître nécessaire d’assurer la présence physique de cette personne à l’hôpital contre son gré. La loi actuelle (loi de 1990) le permet au moyen des hospitalisations sur demande de tiers (HDT) et les hospitalisations d’office (HO), qui constituent, donc, de réelles privations de liberté : privation de la liberté d’aller ou venir de cette personne ou bon lui semble. La loi n’a pas à se prononcer les types de soins dispensés, ce n’est pas son affaire, mais il peut sembler nécessaire qu’elle fixe les conditions juridiques autorisant à déplacer (voire à enfermer) quelqu’un dans un lieu (l’hôpital) contre sa volonté. Les conditions son strictes : il faut que cette personne « nécessite des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier », dans le cadre de l’HDT, que « l’état de cette personne compromette la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l’ordre public », dans le cadre de l’hospitalisation d’office.

Dans le projet de loi devant remplacer la loi de 1990, le terme « hospitalisation » est remplacé par le mot « soin ».L’enjeu est annoncé : il ne s’agit plus d’une loi qui garantit les conditions précises de la présence physique d’une personne à l’hôpital contre sa volonté mais désormais d’une loi qui prétend traiter du « soin ».

Introduction :

La lecture de l’étude d’impact[1] datée de mai 2011 et consacrée au projet de loi qui nous occupe révèle un postulat idéologique d’entrée de jeu, lequel justifie l’entièreté du projet :

« Les pathologies mentales graves s’inscrivent souvent dans une certaine durée, avec des périodes de crises et de rémissions. Mais les avancées scientifiques tant dans le domaine des neurosciences, de la biologie que des thérapeutiques médicamenteuses ont modifié ces vingt dernières années les pratiques cliniques, confortées en cela par les résultats d’une recherche clinique en plein essor.

Le pronostic des pathologies mentales en a été transformé, ce qui a modifié le recours aux soins en psychiatrie et son organisation. »

Etude d’impact, Mai 2011, page 6. 

On ne sait sur quels fondements repose cette assertion. Elle ne fait nullement consensus dans la profession puisqu’aucune nouvelle classe médicamenteuse n’a été découverte depuis le premier neuroleptique (Chlorpromazine, 1951) et que les recherches en neurosciences n’ont donné aucun résultat probant.

Aussi, comme l’écrit François Gonon, neurobiologiste à Bordeaux[2] :

« Dans le domaine de la neurobiologie, les informations qui intéressent le grand public concernent en premier lieu la santé mentale. Les déformations du discours renforcent le point de vue selon lequel les neurosciences sont à même de rendre compte de toutes les affections neurologiques et psychiatriques. Or, force est de constater que le traitement des causes des principales maladies neurodégénératives (Alzheimer et Parkinson) n’a pas fait de progrès majeur depuis cinquante ans.

L’apport effectif des neurosciences à la psychiatrie est également mince : aucun marqueur biologique d’un trouble psychiatrique n’a encore été validé et les neurosciences n’ont pour l’instant pas permis de découvrir de nouvelles classes de médicaments »


[1] Projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, étude d’impact Mai 2011

[2] Gonon, F. et Konsman, J.-P. (2011) Pour une éthique de la communication en neurosciences, La lettre des neurosciences, bulletin de la Société des Neurosciences, Printemps-été 2011, n°40


Le document complet à télécharger : Remarques actualisées sur le projet de loi

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>Faut-il imposer les soins psychiatriques ? (controverse Gilles Vidon, Paul Machto)

Controverse, par Sabrina Kassa| 4 mai 2011

 

En mai, le Sénat doit se prononcer sur un projet de loi en psychiatrie qui institue notamment le soin sans consentement en ambulatoire (hors hospitalisation). Deux psychiatres, Paul Machto et Gilles Vidon, débattent sur la légitimité d’imposer un traitement médical.

 

Le projet de loi sur la psychiatrie introduit le soin sans consentement en « ambulatoire  » (hors hôpital), avec la menace pour les malades psychiques d’être internés s’ils ne se soignent pas, qu’est-ce que ça signifie ? 

Gilles Vidon : Pour commencer, il faut rappeler qu’en France les soins obligatoires existent déjà : les vaccinations sont obligatoires et cela a permis d’éradiquer certaines maladies comme les poliomyélites, la variole, etc. Les libertés individuelles doivent savoir s’effacer devant la santé publique. Pourquoi cette loi alors ? Depuis les années 1950-1960 nous avons une nouvelle gamme de médicaments considérable, ils ont complètement modifié la psychiatrie et l’évolution des maladies mentales. Autrefois les malades restaient parfois dix, vingt ans à l’hôpital psychiatrique, ils étaient internés parce qu’il n’y avait pas de médicaments ou de soins appropriés pour leur permettre de vivre à peu près normalement. On a inventé ces médicaments et on a alors assisté à la fermeture de nombreux hôpitaux psychiatriques. Aujourd’hui, on ne se réfère pas à la notion de lieu, ni d’internement mais à la notion de maladie. « Monsieur, Madame, vous avez une maladie, il vous faut des soins, c’est obligatoire. Si vous ne les prenez pas, dit la loi, on peut requérir à une hospitalisation pour débuter un traitement.  » C’est ça l’esprit de la loi à venir.

Paul Machto : Il existe déjà des obligations de soins en France, c’est vrai, pour les maladies infectieuses et pour la tuberculose il y a une déclaration obligatoire, etc. Mais si la personne refuse, on ne la met pas de force à l’hôpital. Il y a une contradiction fondamentale complètement occultée : d’un côté on dit « vous avez une maladie mentale, c’est quasiment une maladie comme une autre », et de l’autre on se comporte vis-à-vis de ces malades d’une façon radicalement opposée.

En cas de soins sans consentement, qui déciderait de les imposer ? 

Gilles Vidon : C’est ça le vrai problème. Actuellement c’est le préfet qui est le seul maître dans les Hospitalisations d’office (HO), et ce sont les autorités familiale et médicale qui décident dans les Hospitalisations à la demande d’un tiers (HDT), alors que dans tous les pays civilisés le seul détenteur du pouvoir, c’est le juge. En Belgique, le juge vient trois fois par semaine à l’hôpital et dicte les décisions au vu des expertises et après avoir entendu le malade. Pareil en Hollande, aux Etats-Unis, au Canada… En France, l’article 66 de la Constitution dit que seul le juge est garant de la séquestration et de l’incarcération des personnes. Je pense qu’il faut que ce soit la même chose en psychiatrie. Nous les médecins nous faisons notre travail, nous soignons les malades, nous rédigeons éventuellement des certificats pour décrire l’état clinique mais nous n’avons pas à intervenir dans ce type de décision. Quant au préfet, il interpelle les gens qui troublent l’ordre public, il les confie aux juges et c’est le juge qui prend les décisions. Voilà le système auquel on arriverait si les sénateurs étaient suffisamment sages pour suivre cette logique lors de l’examen de la loi, le 11 mai. Cela résoudrait à peu près tous les problèmes de la loi.

Ne pensez-vous pas que cette contrainte de soins risque de court-circuiter le lien thérapeutique, en forçant les malades à prendre des médicaments alors qu’ils ne sont plus hospitalisés ? 

Gilles Vidon : Les outils en psychiatrie ont complètement changé entre le XXe et le XXIe siècle : il y a des techniques psychothérapiques, des techniques de groupe, etc. tout à fait intéressantes, mais sans médicaments on ne peut pas les appliquer.

Paul Machto : Sur la gamme des médicaments, il y a une immense mystification dont vous venez de nous faire entendre une des illustrations. Ce que vous appelez les « médicaments nouveaux » ont apporté une amélioration sur le « confort » de vie, c’est-à-dire que certains effets secondaires ont été atténués. Mais rien de nouveau sur le fond, sur les idées délirantes, sur les hallucinations, sur les troubles de l’humeur, aucun apport Il y a une véritable fascination vis-à-vis de la médecine, et partant de là pour le médicament. J’évacue tout de suite l’opposition qui va m’être faite : je ne suis pas anti-médicament, je prescris quotidiennement des neuroleptiques, des antidépresseurs, des psychotropes ; je pense en effet que ces médicaments peuvent apporter un soutien. Mais c’est une mystification de dire que ce sont les médicaments qui ont révolutionné la psychiatrie, non, c’est faux ! Les médicaments ont apporté un grand soulagement par rapport à certains états aigus mais le traitement de fond, le changement de la pratique quotidienne dans les hôpitaux psychiatrique, le développement des alternatives, ce n’est pas lié aux médicaments, ce sont les hommes. Plus exactement, c’est le fruit du croisement entre l’apport de la psychanalyse, de la psychothérapie institutionnelle, de la formation, des médicaments et de la biologie…

Gilles Vidon : On parle des dérives possibles des soins sans consentement en ambulatoire, comme si on allait mettre tout le monde à ce régime. Actuellement, un membre d’une famille et un médecin peuvent interner quelqu’un en hôpital psychiatrique pendant six mois, un an, trois ans et parfois en chambre d’isolement. C’est un pouvoir bien plus fort qu’un soin obligatoire. Et alors, est-ce qu’il y a eu des dérives ? Bien sûr que non.

Paul Machto : C’est faux ! Les sorties d’essai étaient prévues par la loi de 1990 pour permettre à une personne hospitalisée sous contrainte de sortir un certain temps pour voir comment ça se passe et se réinsérer tout doucement avec un accompagnement assez serré de l’équipe soignante de secteur. Les sorties d’essai sont prévues pour trois mois reconductibles et c’est là que commencent les dérives, parce que certains psychiatres, utilisent les sorties d’essai de façon inconsidérée et complètement aberrante.

Il y a aujourd’hui trop de sorties d’essai ? 

Paul Machto : Effectivement, la sortie d’essai c’est pour aménager la sortie… La dérive, c’est la multiplication inconsidérée de ces sorties. C’est ça le problème. Il y a les lois et il y a les pratiques, comme l’a souligné dans son dernier rapport, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue…

Est-ce que les psychiatres laissent sortir les malades juste pour libérer des lits ? 

Paul Machto : C’est à la fois pour libérer des lits et puis pour d’autres considérations. Je crois que les carences de la formation des psychiatres comptent pour beaucoup. Vous savez, être confronté à la folie, à la psychose, à la maladie mentale, c’est difficile : vous « absorbez  » l’angoisse de l’autre, l’angoisse folle. Ça fout les jetons et ça vous touche jusque dans votre corps. Le problème c’est que depuis une quinzaine d’années les psychiatres n’ont plus de formation adéquate, et la folie fait peur, alors ils se retranchent derrière une posture médicale. Et puis, les jeunes infirmiers, qui ont une formation indigente en psychiatrie – trois mois sur trois ans d’études ! –, se retrouvent à deux ou trois avec 25 ou 30 malades aux prises à des crises souvent aiguës. Evidemment, c’est angoissant, c’est très dur. Excédés, stressés, ils ne peuvent pas faire face à certaines situations et pour se protéger ils demandent à mettre les malades en chambre d’isolement ou à les attacher, etc. Et souvent les psychiatres sont totalement d’accord. C’est comme ça que l’on arrive à des dérives insupportables qui me font honte.

Gilles Vidon : En France, il y a environ 2 à 3 % hospitalisés d’office et 12 à 13 % à la demande d’un tiers, donc tous les autres entrent volontairement dans les services de psychiatrie et je m’inscris totalement en faux quand vous dites qu’il y a des pratiques indignes dans 70 % des services. On ne peut pas dire des choses de ce genre ! Si dans votre pavillon il se passe des choses qui vous font honte, je me demande pourquoi vous continuez à travailler et pourquoi vous ne donnez pas votre démission.

Paul Machto : Parce que j’aime ce métier, parce que je suis engagé depuis quarante ans en psychiatrie, parce que je fais tout ce que je peux pour des pratiques humaines et dignes, parce que je ne veux pas abandonner les malades !

Est-ce que les soins sans consentement en ambulatoire sont une façon de se débarrasser des gens que l’on ne sait plus gérer ? 

Gilles Vidon : Bien sûr que non ! La diminution des lits en psychiatrie et de l’hospitalisation est intervenue parce qu’on arrive sinon à guérir, du moins à améliorer beaucoup l’état des patients grâce aux médicaments et à nos techniques de psychothérapie. On arrive à les stabiliser. Le problème c’est qu’au bout d’un moment beaucoup de ces patients échappent aux soins : ils les arrêtent, ils rechutent et ils reviennent à l’hôpital en plus mauvais état encore. C’est pour ces malades-là que des soins sans consentement pourraient être envisagés.

Savez-vous pourquoi certains malades arrêtent leurs soins ? 

Gilles Vidon : Pour des raisons multiples : dans toutes les maladies chroniques, que ce soit le diabète, les maladies cardiaques, l’hypertension, au bout d’un certain temps les gens arrêtent le traitement. Ils se disent « maintenant je vais bien, donc j’arrête de prendre mes médicaments  ». Mais comme ce sont des maladies chroniques ça réapparaît. Et bien c’est pareil pour les maladies mentales. Il y a aussi le déni de la pathologie, ils disent « non non, je ne suis pas malade, je suis comme les autres » et ils ne veulent pas continuer leur traitement. On ne peut pas laisser sortir les malades mentaux des hôpitaux psychiatriques quand ils ont des pathologies sévères et les laisser vivre dans la rue, donc il faut assurer un suivi. C’est pourquoi il faut développer des soins dans la communauté, on est tous d’accord là-dessus.

Pensez-vous que le projet de loi donne suffisamment de garanties pour qu’il y ait ce maillage autour du malade une fois sorti de l’hôpital ? 

Gilles Vidon : La France a développé la politique de sectorisation de façon admirable, à partir des années 1960-1970. Dans chaque territoire, il y a une équipe psychiatrique chargée de l’hospitalisation et du soin externe, à côté de ça énormément de structures associatives extrahospitalières se sont développées et maintenant on assiste à la création de beaucoup de lieux de soins pilotés par l’Unafam (Union des amis et familles de malades psychiques), les représentants des familles et même éventuellement des usagers. On est sans doute un des pays les plus pourvus en structures extra-hospitalières d’accompagnement. Je ne pense pas que ce soit suffisant, certains endroits ne sont pas assez développés, il y a des inégalités de développement selon les moyens. Mais il faut savoir néanmoins que nous vivons à l’heure actuelle la meilleure période pour les soins psychiatriques dans l’histoire de l’humanité, nous avons les meilleurs médicaments, nous avons en France plus de soignants psychiatres que partout ailleurs dans le monde en proportion. Il ne faut pas se plaindre, même s’il faut continuer à dire qu’on n’en a pas assez parce qu’il y a des départements où ce n’est pas assez développé.

Paul Machto : Mais alors, tout va bien ! C’est hallucinant d’entendre que tout est au mieux quand on sait qu’il y a une pénurie inouïe d’infirmiers… Lorsque l’on connaît la destruction à l’oeuvre en psychiatrie, l’envahissement de la gestion, les procédures, la folie bureaucratique qui bêtifie les soignants, qui les détourne de ce qui est le coeur du métier : écouter, parler, avoir des activités avec les patients, favoriser la créativité ! Lorsque l’on sait les entraves au développement des structures de soins dans l’extra-hospitalier et même la fermeture de certaines dans la cité. Je suis sidéré de vous entendre tenir ce discours  ! On voit bien là la collusion d’un certain nombre de psychiatres avec le gouvernement. Alors pourquoi les patients arrêtent leur traitement  ? Les psychiatres ne pourraient-ils pas s’interroger d’abord sur leur relation avec le patient  ? « Pourquoi a t il arrêté son traitement ? Y a-t-il quelque chose que je n’ai pas entendu ? » Il y a certes le déni, d’accord. Il y a parfois la lassitude de prendre des médicaments. Le fait de se sentir mieux. Mais il y a aussi la nécessité de se remettre en question en tant que thérapeute. Car s’il y a un authentique travail relationnel, et qu’il s’avère nécessaire que ce traitement soit continué, alors tout repose sur la capacité du psychiatre et de l’équipe soignante d’essayer d’analyser avec celui qui est malade les raisons de son interruption de traitement et de « travailler  » avec lui pour parvenir à le convaincre. Vous mesurez-là un élément qui m’apparaît fondamental, essentiel pour un psychiatre, pour un soignant quelque soit son statut, c’est l’engagement. L’engagement dans la relation. La prise en compte de ce qu’on appelle la dimension transférentielle. Vous êtes aveuglé par votre conception réductrice de la folie, calquée sur la maladie somatique. Pour ma part, j’ai une conception diversifiée et plurielle de la folie, de la maladie mentale. Etre fou c’est aussi une façon d’être au monde, de vivre le monde, et de ressentir le monde. Et puis je pense que ce n’est pas parce qu’on est malade mental qu’on ne doit pas avoir son mot à dire dans la cité. La folie a toujours existé, et le fou exprime une vérité ou des vérités sur le monde et c’est cette vérité qui est insupportable à entendre pour certains psychiatres.

 

http://www.regards.fr

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