>Empêcher les crimes et renoncer à la démocratie ?

C'est avec un certain effroi que l'on peut accueillir le déferlement de réactions politiques suite au crime perpétré par un adolescent de Haute-Loire à l'encontre d'une autre adolescente du même lycée. Effroi à l'égard des réactions politiques, une fois passé l'effroi causé par le crime lui-même, mis en lumière par les médias et ainsi exposé à la curiosité malsaine du public.

Le crime évitable

Comme pour tout drame causé par le déchaînement de violence d'un individu envers un autre, quelle qu'en soit la cause ou la raison, les membres de la société seront choqués, effrayés, dégoûtés. Mais après ? Rien. Comme pour n'importe quel crime, les émotions sont là, mais rien ne peut faire revenir la victime. Pour autant, la question qui désormais se pose après chacun de ces drames est l'aspect rétroactif de l'événement et la mise en cause de tiers par le politique afin de trouver une chaîne de responsabilités qui expliqueraient pourquoi le criminel a pu perpétrer son crime. La démonstration qui suit invariablement depuis quelques années est toujours, que sans cette chaîne défaillante, le crime ne serait pas survenu. Enfin, ce crime-ci. La famille touchée dans sa chair se débrouillera avec le sentiment obligatoirement odieux pour elle, d'un drame exprimé comme tout à fait "explicable", "évitable", presque "logique" : une forme de complot formé d'incompétences en cascades qui permet au criminel d'accomplir son crime. Ce criminel était un monstre que la société n'a pas osé, voulu mettre de côté, des incompétents et le système pas assez répressif ayant accompagné la défaillance,  tel est le message qui circule alors.

Le politique retrouve le contrôle perdu

Il est donc désormais indispensable, pour les responsables politiques, de venir expliquer que chacun de ces drames impliquant une personne ayant déjà eu affaire à la justice, aurait pu être "empêché". Chaque fait divers sanglant de ce type est l'objet du même discours politique, celui de la prédiction, et plus exactement de la défaillance de la prédiction du crime. Le politique, plus déterminé que jamais, promet alors d'empêcher que d'autres défaillances prédictives surviennent et, ce par de nouveaux appareils législatifs qui permettront de restreindre le champ des crimes possibles. Cette approche se généralise à un moment précis, un moment où le politique est totalement démuni dans ses capacités à prédire l'évolution de la société, alors qu'une crise financière et économique majeure s'est abattue sur la planète. Crise que le politique ne contrôle pas, et dont il ne peut prédire la suite…

Une société sans crimes ?

Cet aspect de reprise en main du politique par le biais du sécuritaire est basée sur la prédiction du crime, c'est-à-dire la volonté de démontrer qu'un individu ayant commis un acte grave réitèrera. Mais ce choix politique mène à des modèles de société qu'il est nécessaire de bien envisager. Parce que si des faits divers viennent démontrer que la prédiction du risque n'est le plus souvent pas "juste", ou bien que les dispositions de remise en liberté sont dues à des défaillances puisqu'elles laissent des crimes "évitables" se perpétrer, alors les solutions pour éviter ces crimes semblent toutes tracées et déjà imaginées. La société de la "prédiction totale du crime", celle du roman de Phillip K. Dick, "Minority Report", en est une. La société de Minority Report est une société où les criminels sont arrêtés avant d'avoir commis leur crime grâce à des ordinateurs établissant pour toute la population des statistiques permettant de déterminer leurs actions criminelles potentielles futures. Société policière, totalitaire, de surveillance et de prédiction complète. Une société sans crimes perpétrés (mais pas sans criminels) puisque le criminel est arrêté avant même d'avoir agi, voire d'avoir pensé le crime. Une autre société, mais qui, elle, a réussi à abolir le crime, est celle du film Equilibrium. Ainsi, en 2075, les citoyens doivent prendre une drogue quotidienne (sous peine d'exécution) qui abolit tous les sentiments, déclarés source de tous les maux de l'humanité, donc source des crimes et de la violence. Les citoyens d'Equilibrium ne ressentent ni haine, ni amour, ni dépit ou emballement. Le film établit bien le rapport entre risque et liberté : une société sans risques est une société qui abandonne toutes les libertés individuelles. Une société sans risques est une société sans sentiments, donc inhumaine.

Prévoir, écarter, protéger, empêcher, mais à quel prix ?

Le consensus créé par les politiques autour des crimes de récidivistes est dangereux. Parce que mettre en avant un meurtre,  appeler à l'assentiment général, au bon sens commun pour établir que le meurtre peut être évité, et ce, afin de modifier une énième fois le droit, est risqué. Risqué parce qu'impliquant petit à petit une "impossibilité à faillir" de l'individu, un refus d'accepter la capacité humaine à la violence. De décider que l'enfermement, la privation de liberté est l'unique alternative pour celui qui commet un crime ou simplement devient violent. Comme si le crime n'était pas vraiment envisageable, au fond, comme si le crime était devenu une "hérésie" insupportable que la société ne pouvait plus accepter. Mais qui a dit que le crime était une action humaine qui ne devrait pas survenir ? Après des décennies de violences télévisuelles quotidiennes, de guerres à répétitions mises en scène sur les écrans, d'œuvres mettant en scènes des criminels de tous poils qui ravissent le public ? Combien de jeunes gens ayant commis des viols, comme celui de la Haute-Loire, ont été suivis par des éducateurs, des psychiatres, se sont réinsérés et n'ont plus commis d'actes violents ? Combien pour un qui réitère et tue une innocente ?

Quelques chiffres sur la criminalité en France, de façon générale :

Sur la part des mineurs  dans la criminalité :

Population incarcérée depuis 1991 (Source: INSEE) :

Part des 16-18 ans dans la population carcérale (Source INSEE) :

 

 

 

 

 

 

 

 

Il n'y a pas de progression constante des incarcérations de mineurs entre 16 et 18 ans (comme pour les moins de 16 ans), ainsi que pour la part des délits commis par des mineurs. Quant aux homicides, de façon globale ils diminuent depuis 30 ans. Alors, la complexité d'un individu qui commet un acte aussi horrible soit-il que celui du lycée de Chambon-sur-Lignon est-elle soluble dans une loi sur les centres fermés et la mise en cause de mauvaises prédictions d'experts ? Qu'est-ce que cette violence criminelle signifie, et plus particulièrement celle des jeunes ? Alexis de Toqueville, en plein milieu du XIXème siècle disait la chose suivante, qui devrait nous interpeller aujourd'hui après avoir entendu les réactions et proposition politiques qui ont surgi instantanément après le drame de  Chambon-sur-Lignon : "Quand toutes les opinions sont égales et que c'est celle du plus grand nombre qui prévaut, c'est la liberté de l'esprit qui est menacée avec toutes les conséquences qu'on peut imaginer pour ce qui est de l'exercice effectif des droits politiques. La puissance de la majorité et l'absence de recul critique des individus ouvrent la voie au danger majeur qui guette les sociétés démocratiques : le despotisme."

 

Article originellement publié sur : http://reflets.info

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6 réflexions sur « >Empêcher les crimes et renoncer à la démocratie ? »

  1. Excellent article, merci. Mais plus ça va, plus on va vers cet enfer que l'on présente comme un paradis. Le refus de tout accident, l'homme a déjà fait le ménage par le vide de tous ses prédateurs, ours, loups, tigres, lions. Il continue avec l'homme.
    Mais on voit bien que le ressort est politique, car comment expliquer alors que la violence routière perdure sans même qu'on en parle ou qu'on s'en émeuve. Il faut dire que la voiture est quelque chose d'à part dans l'imaginaire humain.
    Que dire de l'alcool et de la violence qu'il engendre, dont ce sont souvent les femmes qui en font les frais.
    Bon j'en passe et des meilleurs.

  2. J'aimerai raconter une histoire, la notre :
    C'était après l'amnistie suivant l'élection de M Mitterand.
    Mon beau-frère (30 ans) marié, papa d'une petite fille de trois ans, sa jeune femme enceinte de 7 mois, est mort. Le soir du 14 juillet une bande de jeunes, âgés de 15 à 18 ans l'a attaqué. Pourquoi ? Le meneur, 18 ans, était sur une mobylette, son amie derrière lui, et faisait du slalom dans une zone commerciale souterraine. Mon beau-frère passait par là pour rejoindre le feu d'artifice. La mobylette lui rasant les fesses, par un réflexe, il l'écarte, elle tombe. S'en suit une véritable chasse à l'homme.
    Le meneur sortait de prison pour une affaire de drogue. Seul ce meneur sera présenté au procès. Le crime en réunion n'existait pas à l'époque. Pourtant sans ses "copains", rien n'aurait eu lieu. 6 ans d'attente pour le procès, 7 ans de prison. Comme il est de nationalité portugaise, il est reconduit à la frontière et récupéré par les services de l'armée.
    Dés ce moment, ce que nous avons compris, mon mari et moi-même, c'est qu'il n'existait pas de solution pour nous en dehors du pardon. Pas l'oubli, le pardon ! Sinon nous aurions été dévorés par la violence et la haine.
    Notre belle-soeur s'est remariée, les deux enfants ont grandi, sont devenus adultes, personne n'a oublié mais la vie est plus forte que l'instinct de mort !
    Aujourd'hui, je souhaite que tous ces jeunes, y compris le meneur, aient pu construire leur vie. Qu'ils aient pu d'une manière ou d'une autre réparer et peut-être apporter quelque chose à notre société. Peut-être justement la preuve que tout être humain est "récupérable". Peut-être qu'une faute de jeunesse, aussi lourde soit-elle, n'engage pas l'avenir définitivement. J'espère qu'aujourd'hui,  l"un ou l'autre ou plusieurs font un métier  d'éducateur, de policier, de juge des enfants ou beaucoup plus simplement sont des pères aimants, compréhensifs et valorisants, tout en sachant mettre des cadres. Peu importe  du moment que ce quelqu'un témoigne par ses actes que rien n'est jamais irrémédiable.
    Autre chose ; Notre ainée est atteinte de schizophrénie depuis de nombreuses années. Croire qu'elle pouvait gagner son autonomie, c'était l'aider à le devenir et aujourd'hui elle l'est ! Notre plus jeune lui est border line, croire qu'il pourrait rentrer dans la société, en accepter les règles, s'équilibrer, c'était lui donner sa chance, aujourd'hui il semble que ce soit chose faite.
    Demeure notre petite fille de 7 ans, fille de notre cadette, atteinte de trigonocéphalie non dépistée ce qui lui vaut une (?), des (?) lésions cérébrales ….Les examens sont en route.  Les résultats ? Ils serviront à trouver ce qui peut l'aider à compenser ….  Tout reste à faire, mais il faut y croire.
    Je souhaite que les parents d'Agnès, sa famille, puisse parcourir le long chemin du pardon et de l'espérance. La haine est mortifère.
    Que resterait-il à l'Homme sans espoir en tout homme ou femme ?
     

  3. Article intéressant.
    1) attention à l'utilisation par les politiques et les médias de la famille qui ne peut (réaction émotionnelle normale) que demander des sanctions
    2) écouter l'intervention du Directeur du CNRS qui re précise que la criminalité des adolescents est rarissime, que l'acte criminel d'individus ne peut pas être totalement "maîtrisé", ect…..
    3) prendre conscience des lois sécuritaires qui sont exacerbées par des faits divers
    4) relier ces lois sécuritaires avec :
    – des notions d'enfermement des populations
    –  des notions de stigmatisation de populations minoritaires ou dérangeantes (même politique qu'avant la guerre 39/40, mise en place dès 1933)
    –  des conduites délictueuses avec des fonctionnaires d'Etat du milieu médical et psychiatrique (désolée, y ' en a !) pour interner en posant un faux diagnostique
    – des attaques contre la magistrature en utilisant aussi des faits divers afin que les politiques "aient la main" sur les Parquets et les procès
    – un retour évident au paternalisme, à la réeducation, à l'enfermement des enfants (relire Jacques Prévert : "La chasse à l'enfant")
    – un "écrasement" des politiques sur le soin avec un déni et une attaque contre les thérapeutes, les psychanalystes (Géand, ministre de l'Intérieur, novembre 2011 : "on sait que la psychiatrie et la psychanalyse ne sont pas des sciences exactes"…………….) : les politiques balaient le savoir, la connaissance mais utilisent le jargon thérapeutique sans savoir de quoi ils parlent, suvis par certains médias
    – une atteinte au fonctionnement des services soignants avec réducation de budgets
    – un choix de rééducation plutôt que le mise en place de suivis thérapeutiques
    – l'assujettissement aux soins psychologiques ou psychiatriques de personnes n'ayant aucun trouble mais présentant un évident sens de la contestation (toujours même comportement politique comme avant-guerre : stigmatisation gauchistes, franc-maçons, communistes, ect….)
    – utilisation par les politiques actuels, tendance fasciste, des médias – de la magistrature – de la psychiatrie avec total dévouement des outils de la répression (flics et gendarmes)…. rappel : ce sont les policiers français avant et pendant la guerre qui travaillaient pour Etat fasciste et les nazis, non ?
    La mort de cette adolescente est terrible comme toute mort ; il est honteux que les politiques de l'UMP "récupèrent" cette situation pour leur permettre de faire passer leurs idées fascistes.
    La résistance doit s'exercer et il n'y a que l'intelligence qui va nous aider.
    Mylène Hadelin   Thérapeute

  4. Le devoir d'Insolence

    Non, je ne suis pas plus anarchiste que vous… tout comme vous.
    Je voudrais changer d'archer, d'archétype et d'architecture pour reconstruire la maison de nos désirs…
    Non je ne suis pas là pour m'accomplir mais pour accomplir d'autres destins que le mien…
    et je vous invite à en faire autant. Que ça vous plaise ou non! Que vive la Révolution!

    http://www.lejournaldepersonne.com/2011/11/le-devoir-dinsolence/

     

  5. Moi c'est "mamie" que je voudrais remercier de son extraordinaire commentaire, voir ci-dessus.
    Merci, et pour l'article, et pour le commentaires.
    "La haine est mortifère(..)  Que resterait-il à l'homme sans espoir", je cite.
    JPE

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