Forum du Collectif des 39 du 93 du 3 juin 2009 : « Partir des détails pour réinventer nos pratiques » Objet Inconnu

Dr Laurent Vassal

Tout d’abord je voudrais vous ou plutôt nous remercier d’être aussi nombreux aujourd’hui.
D’autant qu’on sait qu’il est difficile aux soignants de se mobiliser alors qu’ils sont souvent en effectif minimum.
Minimum ou de sécurité, on ne sait plus très bien. Le minimum n’est pas la sécurité !
Moi je ne suis pas contre une politique de soins psychiatriques plus sécuritaire !! A condition que cela se fasse par un renforcement des effectifs soignants. Non par celui des machines, des procédures et autres protocoles.
Je voulais aussi féliciter pour le titre de ce forum : ce projet de partir des détails pour repenser nos pratiques me semble un abord des plus pertinent d’autant plus si ces détails sont ceux de la clinique.
Ceux qui me connaissent savent mon goût pour les productions des patients. Non celles de l’arthérapie mais celles du symptôme. J’avais ainsi, il y a deux ans, aux journées de RIVE présenté l’intérieur d’un patient délirant, véritable mise en scène, décor de son délire de persécution.
Pour moi le symptôme est création et en tant que tel, œuvre. Ce n’est pas le désir du créateur qui fait œuvre, c’est le regard qu’on porte dessus. Une certaine lecture du symptôme en fait une œuvre et c’est à nous, thérapeute, de le lire comme telle pour permettre au patient de faire de même.
Je fais, dans ma pratique, le choix résolu de mettre sur la même scène œuvre d’art et symptôme psychiatrique. C’est la meilleure façon de passer au delà des logiques comptables procédurales et sécuritaires que l’on nous impose et dans lesquelles nous laissons sinon la clinique, comme dans tout discours pervers, s’engluer.
Aussi, je suis ravi que le premier forum du groupe des 39 se soit tenu chez Armand Gatti, à la maison de l’arbre à Montreuil, haut lieu du théâtre et que celui d’aujourd’hui se tienne, à Ville-Evrard aux Anciennes Cuisines, résidence de Frédéric Ferrer et de sa troupe, Vertical Détour, que je remercie de nous accueillir.
Profitez de l’architecture du lieu classé au registre des monuments historiques et sachez que là où vous êtes assis, en d’autres temps, bouillaient les marmites.
Un des symptômes typiques (pathognomonique dit-on en terme savant) de la schizophrénie est l’emploi de néologismes qui sont des mots créés ou inventés. La valeur poétique de ces créations est évidente, qu’il s’agisse du « Snark » de Lewis Carroll, du « syntome » de Jacques Lacan ou de la « nostalgérie » de Jacques Derrida.
En schizophrénie, de fait, les néologismes sont plutôt rares. Plus fréquents sont les paralogismes qui sont des termes employés dans un sens autre que celui reconnu, voire sans signification explicable par le patient. Un détournement de mot en quelque sorte.
Ainsi de tel patient qui se plaignait de ce que son coiffeur lui avait fait du « tiramisu » ; tout en reconnaissant que le tiramisu est un dessert et ne sachant expliquer ce que cela signifiait ici, pour lui. En tout cas, scandalisé de ce que ledit coiffeur lui avait fait là, il l’avait expédié au tapis et lui de finir en HO.
Le premier texte que j’ai écrit à partir de ce type de symptôme l’a été à partir d’une expression d’une patiente qui souffrant d’un automatisme mental se plaignait de ce qu’on lui fasse du « là on me dit ». Persécutée, furieuse contre ceux qui lui imposaient des idées, des voix, elle vociférait
contre eux. J’ai mis du temps à réellement entendre cette expression qu’elle répétait pourtant avec insistance.
Très « culture banlieue », « neuf-trois », cette jeune patiente et son « là on me dit » m’ont inspiré ce texte qui est à « slamer » :

Lorsque je lui ai lu ce texte, la question qui se posait alors à moi et que je lui posais était de savoir à qui il appartenait puisque si l’expression était d’elle ainsi que le personnage décrit, le travail d’élaboration (de sublimation pourrait-on dire) était de moi. Elle m’a répondu souhaiter que je le garde, qu’elle était surprise que j’écoute autant ce qu’elle disait et de m’en servir si cela pouvait aider à soigner d’autres jeunes en difficulté du fait de cette maladie.
Propos touchants non ?

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