Forum du Collectif des 39 du 93 du 3 juin 2009 : La fonction du cadre de santé entre gestionnaire et soignant

Serge Klopp
Cadre de Santé

Il est évident que je vais être très caricatural dans mon propos, quoique…

Quelle place ont aujourd’hui les cadres dans le dispositif de psychiatrie de Secteur ?
Il est évident que la plupart de mes collègues cadres, considèrent qu’ils ne sont plus soignants. Il y a quelques années on disait d’ailleurs aux postulants à l’école de cadres qu’ils devaient faire le deuil du soin.
Ce qui fait qu’ils se positionnent clairement du côté du management et de la gestion, délaissant la clinique.
Ce qui se révèle lorsque l’on observe le peu de formations continues cliniques suivies par les cadres.
Ce qui fait qu’ils sont de plus en plus courroie de transmission de la direction et particulièrement de la direction des soins et non plus dans une fonction de pivot centré sur la mise en lien et l’articulation entre les différents membres de l’équipe pluridisciplinaire. Du coup ils deviennent même un écran, voire un obstacle à cette articulation, au lieu d’être en étroite collaboration avec le corps médical.
Ils vont renforcer l’idée que l’équipe c’est l’équipe infirmière et que les autres professionnels (psychiatres, assistants sociaux, psychologue, etc…) sont en dehors.
Quel rôle jouent-ils dans l’institution ?
Ils sont de plus en plus souvent en opposition avec le corps médical, ou du moins génèrent cette opposition entre la filière infirmière et les autres professionnels.
Au nom de la valorisation du rôle propre infirmier ils vont mobiliser une part importante de leur énergie et de celle des équipes (au sens restreint de l’équipe infirmière) pour mettre en place des outils qui isolent la clinique des infirmiers de celle des autres membres de l’équipe pluridisciplinaire.
Notamment on va tout protocoliser. Mais ces protocoles ne visent pas à aider les jeunes collègues qui manquent d’expérience, puisqu’ils deviennent de plus en plus souvent opposables.
C’est-à dire que l’on ne répond plus à des situations singulières mettant en jeu l’histoire et la psychodynamique propre à chaque patient.
Du coup puisqu’à chaque situation correspond une réponse normalisée prédéfinie, les infirmiers deviennent totalement interchangeables.
Ce n’est plus la relation qui est thérapeutique c’est le protocole.
C’est la négation de sa position de sujet du patient mais également de la position de sujet du soignant.
Fut un temps, on aurait appelé cela une aliénation.
Tout ça au nom de la qualité des soins.

Pourtant, si l’on tient compte :
Que le statut des cadres est toujours : « infirmier cadre de santé ».
Que la fiche métier du Ministère concernant le cadre de santé sur une grille de priorité de 1 à 5 (1 étant la priorité la plus basse et 5 la plus haute) estime de niveau 1 les compétences à la gestion et de niveau 5 les connaissances cliniques et l’impulsion de la réflexion clinique des équipes !
Du fait que le Ministère reconnaît un déficit de formation initiale des infirmiers nouveaux diplômés exerçant en psychiatrie – ce déficit se situant évidemment du côté de la psychodynamique et du soin relationnel puisque les protocoles ils savent faire !
Du fait que les infirmiers ont encore, dans le rôle sur prescription, la possibilité de faire des entretiens et des activités à visée psychothérapique
Cela ouvre d’autres perspectives aux cadres.

Pour ma part, je considère que ma première fonction, ma tâche la plus essentielle c’est de veiller à la qualité des soins dispensés aux patients.

Si je me réfère à la Charte des usagers et à la loi sur le droit des usagers, la qualité des soins se détermine bien vis-à-vis du patient et non de l’efficacité à éradiquer les symptômes.
La nuance est fondamentale.
La qualité des soins dispensés dans ma structure va donc se mesurer qualitativement et non pas uniquement quantitativement sur la capacité de mon équipe au sens pluridisciplinaire à inventer des projets de soin individualisés propre à chaque patient et non au travers de la généralisation de protocoles.

Du coup, mes priorités en tant que cadre se déclinent sur deux plans :
Œuvrer pour que le dispositif permette cette créativité pour chaque patient
Œuvrer pour permettre aux membres de l’équipe d’élaborer collectivement ces projets, en dégageant des espaces temps de réflexion et en amenant des éléments théorico clinique

Ce qui implique :
de travailler en étroite collaboration avec le médecin responsable – il s’agit pour moi d’une réelle co-élaboration !
et de continuer à se former à la clinique pour pouvoir impulser la réflexion de l’équipe. Il ne s’agit bien évidemment pas de se mettre en position d’expert, mais si l’on veut impulser la réflexion des autres, il faut déjà commencer par la sienne.

Ce qui peut aller jusqu’à participer directement à certaines prises en charge ou modalités thérapeutiques.
C’est ce que je fais.
Mais c’est aussi parce que je ne sais pas faire de la théorie sans pratique, c’est la raison pour laquelle je ne suis pas enseignant dans un IFSI.
Aujourd’hui, si actuellement, je n’ai pas de prise en charge individuelle d’enfant , je participe en tant qu’accueillant aux deux séances d’accueil de l’espace ados que j’ai monté et je suis co-thérapeute au psychodrame pour adolescents qu’on mène dans le service.
Mais cette position me permet également de mieux tenir sur certaines exigences.
A l’accueil ados par exemple, le fait que je sois confronté au même titre que les collègues à certains ados qui nous mettent en difficulté, me permet de tenir lorsque tel ou tel membre de l’équipe considère que tel jeune est trop lourd et qu’il faudrait plutôt l’adresser à un groupe fermé.
Dernière anecdote.
A Maison Blanche lorsqu’il s’est agit de mettre en place le tutorat des nouveaux infirmiers, en comité de formation Permanente nous étions d’accord avec la Directrice pour considérer qu’un nombre important d’infirmiers qui avaient quelque chose à transmettre étaient aujourd’hui cadres. Il paraissait donc évident que les cadres seraient sollicités pour être tuteur. Or, le Directeur des Soins, s’appuyant sur la commission des soins a dit que ce ne serait pas possible.
Bien que je ne sois pas parano (c’est ce qu’ils disent tous) serait-ce parce que j’étais le seul cadre à avoir fait connaître son désir de participer au tutorat ?
Raison invoquée : étant donné que le tuteur suit un infirmier d’une autre unité que la sienne, cela pourrait mettre le cadre de cette unité en difficulté si le tuteur est un cadre.
Ce qui pose plusieurs problèmes :
les pratiques dans leur service sont-elles tellement peu éthiques qu’ils auraient quelque chose à cacher ?
sont-ils tellement peu convaincus de la justesse de ces pratiques qu’ils ne sauraient les défendre ?
S’ils considèrent le fait d’être bousculés dans leurs pratiques comme un danger, cela ne révèle-t-il pas le manque de pensée clinique de leur service ?
Pour ma part, je trouverais cela plutôt enrichissant puisque cela m’obligerait avec mon équipe à requestionner nos pratiques !
Ce qui aurait peut-être pour effet d’influer nos pratiques, ou, au contraire, de les conforter en leur donnant encore plus de sens.
Je ne demande pas à ce que tout le monde travaille avec les mêmes références théorico cliniques que moi. Mais au moins que chacun puisse défendre ses références. Et que le cas échéant on puisse les confronter.

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