>Allons nous continuer à courber l’échine ?

Si le premier temps de l’accréditation avait soulevé quelques débats, le deuxième temps , la V2, nécessite de nouvelles réflexions tant les problèmes posés sont différents qualitativement.

Ils posent, en effet, la question sensible de l’évaluation des pratiques.

Les équipes se sont engagées dans ce nouveau passage, développant des ressources considérables…

Et pourtant, cette somme inouïe de travail qui nous paraît bien souvent insensé (au niveau de la forme tout comme au niveau du fond) est une perte de temps – celui là non passé auprès de nos patients – à patauger dans les méandres de l’évaluation, l’auto évaluation, la formalisation, la réduction…

Le soin, désormais à la charge de l’administratif relève d’une parfaite signalétique, parcours, circuit … Au moins nous ne risquons plus de nous perdre. Bientôt un GPS du soin en vente dans nos centres commerciaux les plus proches ?

Mais si la signalétique semble mieux fléchée, je ne vois pas pour autant une quelconque destination à l’horizon…

Quand l’intention de soin se protocolise, l’autre, le patient devient un ON indifférencié bien loin d’une relation constituante puisque singulière d’une rencontre. L’autre déshumanisé, au mieux un chiffre, un déchet.

Fascisante, l’accréditation peut invalider toute subjectivation dans la relation, terrifiant anéantissement de notre être –humain le plus élémentaire.

Et pourtant les protocoles rassurent en référence cette fois au discours religieux du dogme accrédité .

Face à la V2, exit les grands référentiels théoriques, les grands mouvements de pensée, ils ne valent plus face aux Références administratives.

La culture de la transparence, virtuelle (faut-il encore le dire ?) , rejette le réel. L’effet est immédiat, si tout est possible alors plus rien ne l’est. Les climats dépressiogènes actuels en attestent.

Finalement, rien n’est vraiment grave, c’est peut-être ça le pire, la V2 ne demande rien qu’un tas de petites choses.

La contrainte de devenir bons élèves malgré nous nous conduit à nous arranger pour répondre au mieux, au plus économique, pour pouvoir continuer à fonctionner, pour être tranquille pendant quatre années.

Pouvons nous coopérer pour la survie des institutions telle que la loi l’exige sans nous compromettre ?

Nous compromissons, une coopération même à minima reste une coopération.

Cette accumulation d’un tas de petites choses, dont nous pouvons nous arranger dans un soupir d’agacement, à moins d’en rire s’il nous reste un peu d’humour, sera t’elle le charnier de la psychiatrie à venir ?

Chaque institution passe son épreuve, s’auto évaluant en louchant sur la copie voisine. Y a t’il de la place pour tous ?

La conflictualisation due à la division de nos relations (inter institutionnelle et/voir intra) n’est plus conceptuelle. Terminée les guerres d’école, c’est chacun pour sa peau dans la menace permanente de la bureaucratie post moderne, nouvelle dérive disciplinaire.

En croyant faire de l’économie, en voulant nous faire croire que nous faisons de l’économie, nous faisons de la finance. La finance dans sa centralité dominante, dans son aberration virtuelle.

Le prix de l’accréditation en lui-même nous en donne un parfait exemple.

C’est le jeu du furet, « il est passé par ici, il repassera par là », la bureaucratie revendique la savoir, le pouvoir sur les autres, dés lors naturellement considérés comme incompétents et à soumettre. La démarche même de l’accréditation et de la V2 n’est-elle pas une nouvelle forme de colonisation ? Le monde du plus fort devient insidieusement propriétaire du monde de l’autre…

Ne rentrons pas dans la protocolisation du soin et ne nous laissons pas imposer dans la thérapeutique des normes sans rapport avec ce dont la parole est l’expression.

Eviter le pire, en l’occurrence la mort d’une institution, risque de nous conduire à une prudente passivité doublée d’une abnégation de soi insupportable.

L’impuissance, le non agir ont pour effet la tristesse, la peur, l’insécurité, maîtres mots de la post modernité.

Pour voir survivre nos institutions, devons-nous y renoncer au nom du savoir bureaucratique ?

Alors, nous voilà, face à ce qui se construit comme de l’inévitable et nous conduit à l’acceptation. Comment dépasser les constats accablants, politiquement corrects, reflets d’une pensée abrasée ?

Comment modifier la situation en y introduisant de nouvelles potentialités ?

L’accréditation, pour conclure, c’est le risque de la dispersion dans une série de pratiques flottantes entre ce qui n’existe plus et ce qui n’existe pas encore, c’est le danger d’un mode imaginaire de dépendance à une totalité abstraite qui rend virtuel le réel et nous métamorphose en spectateurs de ce que nous sommes en train de faire.

Toute évaluation, nous le savons tous est toujours très relative.

Les pratiques cliniques, cela nous regarde, le nous pour un développement d’une myriade de relations « non utiles » nous pouvons ici prôner l’inutile avec le monde, avec les autres, avec nous-même. Assumer nos fragilités, nos incertitudes comme éléments indissociables à la situation clinique.

Les pratiques cliniques, plurielles, peuvent venir prendre le contre pied des contraintes de l’accréditation et d’autres instances du même acabit.

Pour reprendre l’acception de Deleuze, « résister c’est créer », titre aussi d’un live de Miguel Benasayag, et pour éviter les appauvrissements normalisateurs, il nous paraissait indispensable de témoigner à propos de cette chose qu’est la V2 et l’accréditation, de créer, entre nous un lien, une relation et de refuser d’être des monades isolées.

Cette lettre ouverte à vos remarques, vos suggestions, vos idées, votre soutien est une façon de pouvoir se rendre présent au présent que nous vivons, l’essence même de ce qui serait une éthique de vie.

S’absenter du présent, ne rien en dire, ce serait se sentir spectateur, ce serait dire avoir obéit totalement aux ordres .

Corinne Gal. Psychologue.

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