Table 3: Du côté des familles…

Victoire Mabit      le Fil conducteur
Dans le soin psychiatrique, les parents ne sont ni patients, ni soignants, mais présents. Et à ce titre ils sont témoins de ce qui se passe.
Trop souvent, les personnes souffrant de troubles psychiques ont un parcours de soins cahotique, passant d’une structure hospitalière à une structure d’accueil (maison de post-cure, hôpital de jour, foyer de nuit…) ou une structure de soins (CMP) ; 17 psychiatres en quinze ans, parfois trois psys différents en même temps, un dans chaque structure, et qui ne communiquent pas entre eux… C’est une réalité. Comment, dans ces conditions, assurer un soin humain et permettre de créer le lien nécessaire au soin de la maladie mentale ?
Un médecin référent est nécessaire, qui ferait le lien tout au long de la maladie.

Quant aux dossiers médicaux, ils ne suivent pas le cheminement des malades dans les différentes structures de soin, pour diverses raisons administratives. Le Dossier médical partagé est prévu dans la nouvelle loi santé, mais attention, ce n’est pas une solution idéale : il peut avoir des conséquences graves pour les patients en psychiatrie, qui voient leur vie de patient accessible de manière incontrôlée par le milieu médical, les laboratoires ou autre. Le DMP nécessite une vigilance toute particulière en psychiatrie.
– Lorsqu’une hospitalisation est terminée et qu’un patient retourne chez lui, les CMP (Centre médico psychologique) sont essentiels dans leur accompagnement dans la cité : c’est là qu’il va régulièrement rencontrer son psy, suivre son traitement. Mais lorsqu’il ne va pas à ses rendez-vous, il ne se passe rien : personne ne va voir chez lui comment il va, n’alerte ses proches ou sa famille. Et donc le patient rechute inéluctablement, retourne à l’hôpital…
Alors que l’on sait que des hospitalisations successives, alternant avec des sorties sans accompagnement, entraînent des rechutes qui ne peuvent que chroniciser la maladie.
Non seulement les CMP sont insuffisants en nombre, il faut parfois six mois pour obtenir un premier rendez-vous, mais leurs horaires ne sont pas adaptés à des personnes fragilisées par leur pathologie, qui ont besoin de soutien et de présence n’importe quand, même aux heures de fermeture. Les décompensations n’attendent pas les heures ouvrables pour se manifester…
Ne peut-on imaginer ne serait-ce qu’une permanence téléphonique 24 heures sur 24 ? Certains CMP ont mis en place ce système d’écoute permanente de leur propre initiative. Et ça marche !
Très souvent, lors de décompensations, les patients passent par les services des urgences. Le plus souvent emmenés par la police ou les pompiers, ce qui représente déjà une violence, ce passage obligé ne peut apporter qu’un stress supplémentaire et inutile qui pourrait être évité aisément. Est-il bien utile de passer par là lorsque les patients sont suivis depuis parfois des années dans un service ? Ne pourrait-on les y emmener directement ? C’est ce que j’appelle le « jeu de l’oie du parcours psychiatrique ».
Le plus souvent, les patients bénéficient de la CMU. Mais dès lors qu’ils reçoivent l’AAH (Allocation adulte handicapé), c’est fini, ce qui signifie soit que les forfait journaliers leurs sont imputés, soit qu’ils doivent cotiser à une assurance complémentaire. Quand on pense au montant de cette allocation, 807,65 euros par mois, est-ce bien juste d’obérer cette somme ? Quand des chefs d’état étrangers ont une dette de 120 millions d’euros envers l’AP-HP, cela semble ubuesque… Peut-être pourrait-on leur accorder la CMU ? (aux patients, bien sûr)
Depuis 1992, il n’y a plus de formation spécifique en psychiatrie pour les infirmiers. Les anciens, qui avaient eu cette formation, transmettent leur savoir aux jeunes, mais ils partent en retraite. Les jeunes infirmiers ont souvent peur des patients, et usent couramment de la contention. Il faut absolument une formation en psychiatrie pour les infirmiers. Bien souvent maintenant, une personne en souffrance n’est pas accueillie comme telle, mais reçue comme quelqu’un qu’il faut maîtriser, juguler…
– Je ne peux comprendre que des soignants, des psychiatres, des psychologues, des infirmiers, tous voulant pratiquer une médecine humaniste, soient en souffrance dans leur travail, ne peuvent plus soigner comme ils l’entendent, pour des raisons gestionnaires. Le soin d’une maladie mentale, cela demande de l’attention, de l’écoute, de la parole, pas seulement des traitements ; cela demande du temps, des efforts, et de l’implication de la part des soignants. Et tout cela, ce ne peut pas être des actes comptabilisables.
-Je suis exaspérée que des raisons gestionnaires priment sur la qualité de soin. La souffrance humaine n’est certes pas cotable, mais n’a-t-elle pas de valeur ? Nous sommes dans un état démocratique, mais où est la démocratie en psychiatrie, où l’on use de la contention et de l’isolement ? Comment peut-on penser que la contention fasse du bien à une personne en souffrance ?
Les familles sont entraînées dans le maelstrom de la maladie mentale sans aucun soutien. Il y a peu encore soupçonnées par le corps médical d’être pathogènes ou pour le moins nocives, voilà maintenant que leur propose de les faire devenir des « aidants familiaux », pour pallier le manque de personnel et là encore faire des économies de budget. Les parents sont aidants, sont aimants, mais pas soignants. Les membres d’une famille, les frères et les sœurs, ne peuvent se substituer au personnel soignant : il faut reconnaître les limites de la famille dans ses capacités d’hospitalité d’une personne malade.
– Je suis exaspérée car, depuis plus de vingt ans maintenant que ma fille a été diagnostiquée schizophrène, je vois les soins en psychiatrie se dégrader. Environ 50 000 lits ont été supprimés en psychiatrie depuis vingt ans ou plus, mais sans qu’il ait été envisagé de structures adaptées ou d’accompagnement approprié pour soutenir les patients dans le passage de l’hospitalisation vers l’autonomie. Pourtant, le nombre de malades n’a pas diminué.
On n’est pas loin de la non-assistance à personnes en danger vis-à-vis de personnes reconnues « fragiles ».
Il y a un manque criant de structures d’accueil et de soin pour les malades au long cour. Les personnes fragilisées par la maladie mentale ne peuvent pas, le plus souvent, assumer seuls la vie matérielle au quotidien, et ont besoin d’accompagnement. Les patients qui sortent de l’hôpital, s’ils n’ont pas de logement, ou pas de famille, se retrouvent dans la rue. Sans soin.
– Je suis profondément exaspérée, navrée et inquiète de ce que devient le soin en psychiatrie en France…

Un espoir toutefois dans ce sombre tableau : les lieux où l’on pratique la psychothérapie institutionnelle. Ma fille est depuis quelque temps dans un tel lieu, elle y trouve une écoute, une attention vraie, un soin, bref une humanité bénéfique et nécessaire dans la souffrance mentale. Le lieu est ouvert, pas de pyjama pour les patients, pas de blouse blanche pour les soignants, chacun y a sa place. La première fois que j’y suis allée, j’ai été frappée de la liberté et du calme qui y règnent. Les patients y ont une activité, un rôle dans la vie du lieu, gèrent eux-mêmes le club thérapeutique. Un tel lieu existe, c’est possible. Il en faudrait plus comme celui-là.

Share