Table 2: La sangle qui attache tue le lien humain qui soigne

Hervé Bokobza   Psychiatre  Montpellier

Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, chers collègues, chers amis,

La France a été un modèle reconnu grâce à  ses avancées pour une   psychiatrie humaniste, relationnelle, désaliéniste.

Cependant des pratiques d’un autre temps, d’un autre âge  se déroulent quotidiennement dans ce pays : les pratiques de contention physique.

En France, chaque jour, on enferme, on immobilise, on attache, on sangle, des personnes malades.

Ces pratiques inhumaines avaient quasiment disparu. Or, et les contrôleurs généraux des lieux de privation de liberté, monsieur Delarue puis  Mme Hazan, l’ont constaté, elles sont désormais en nette augmentation, qui plus est banalisées comme des actes ordinaires.

Dans le projet de loi «de modernisation du système de santé» on lit que ces actes auraient des vertus thérapeutiques! Je vous le demande : cynisme ou ignorance ?

CES ACTES NE  SOIGNENT PAS !

A contrario, donnant un pouvoir exorbitant aux soignants, ils  instaurent un climat de défiance chronique, incompatible à terme avec tout processus de soins.

En réalité, celles et ceux qui les ont vécues en témoignent régulièrement,  ces pratiques produisent un traumatisme à jamais ancré dans la chair et dans le cœur de celui qui les subit.

Une ligne rouge a été franchie ; c’est, en fait, un au delà de la ligne rouge car dans peu de temps on ne saura même plus que c’est une ligne rouge ; on ne saura même plus que l’existence  de cette possibilité de contention abrase profondément les liens humains indispensables à la rencontre thérapeutique.

Dire non  aux sangles qui font mal, qui font hurler, qui effraient plus que tout, c’est dire oui à un minimum de fraternité, c’est réaffirmer qu’il est possible de faire autrement.

Dire non c’est remettre au travail une pensée affadie, devenue glacée, c’est poser un acte de régénérescence.

Dire non c’est trouver et appliquer des solutions humaines à des comportements  engendrés par d’énormes souffrances mais qui peuvent paraître incompréhensibles ou non traitables autrement. Or nous, nous savons que l’on peut faire autrement. Et cela s’est fait durant des décennies, cela se fait encore tous les jours dans certains services.

Qui plus est  le projet de loi établit un amalgame inacceptable entre l’isolement et la contention physique. Or l’isolement peut être à de rares moments une mesure appropriée tandis que la contention procède essentiellement d’une démarche punitive, humiliante et méprisante.

C’est notre responsabilité de soignants, c’est la responsabilité de tout citoyen éclairé de s’opposer fermement  à ces actes de contention qui déshumanisent les patients.

Proscrire la  contention physique  permettra aux patients, aux familles, aux soignants de retrouver une dignité nécessaire et indispensable pour traverser les dures épreuves de cette souffrance psychique inhérente à l’humanité de l’homme.

Pensez-y. Qui d’entre nous supporterait de voir son enfant, ou son parent proche, ou un ami, en grande souffrance, attaché, ligoté, sanglé ? Qui accepterait de s’entendre dire que c’est pour le bien de cette personne chère ? Qui  pourrait accepter un tel acte alors qu’il est possible d’agir autrement ? car il est possible d’agir autrement ! un contexte institutionnel  d’accueil et d’hospitalité, une conception diversifiée de la maladie mentale, une formation de qualité, des moyens en personnels en sont parmi les éléments essentiels.

Mesdames messieurs les sénateurs, nous savons que parfois il vous faut beaucoup de courage pour élaborer des lois qui semblent aller à contre courant des idées reçues !  La maladie mentale fait peur. Le traitement de différentes affaires tragiques, mais totalement minoritaires, par les médias alimente cette peur. Ne pas céder à cette peur nous revient, vous revient à vous les élus du peuple. Il nous revient d’affirmer haut et fort qu’une psychiatrie sécuritaire va à l’encontre des intérêts des patients mais aussi  de la société dans son ensemble.

Et  nous sommes persuadés que dire non à la contention, que proscrire cet acte redonnera confiance et dignité à tous les acteurs du système de soins et permettra que la citoyenneté retrouve sa raison d’être.

Rien  n’est hors de portée de l’intelligence humaine ! Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs ne laissez pas les patients soumis à des traitements qui ne sont pas des soins !

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