Un site de l’Education Nationale

Le 29 septembre,  le groupe enfance du « Collectif des 39 contre la nuit  sécuritaire » a organisé à Nanterre,  avec  l’Association Pour la Psychanalyse ( où milite Gérard Pommier)  et d’autres associations, une action autour d’un colloque  sur les TDAH ( trouble déficit de l’attention avec hyperactivité). 

Ce colloque, parrainé par la faculté de Nanterre, faisait la promotion d’un trouble, érigé en maladie, et de son traitement essentiellement médicamenteux.  

Dans les suites de cette action, nous sommes tombés par hasard sur un site de l’Education Nationale, qui semble elle aussi privilégier l’abord médical de ce trouble, au détriment de son abord psychothérapeutique, qui permet pourtant  d’écouter l’enfant  dans sa subjectivité. 

 Un site de l’Education Nationale.

 Sur le site internet de l’Académie de Paris (Région Académique  Ile de France) nous avons trouvé une page  destinée  aux  parents et aux élèves.

Sur cette page, plusieurs propositions leurs sont faites :

  • résultats d’affectations au collège, au lycée
  • s’inscrire au collège, au lycée
  • bourses et aides financières
  • élèves à besoins éducatifs particuliers
  • déposer un dossier d’affectation en ligne
  • aménagement des examens pour les candidats en situation de handicap, etc…  

A côté, sous le titre « Parents contactez-nous », on trouve des liens utiles :

  • ma voie scientifique
  • mon orientation en ligne

  • liste des internats

Et des propositions de téléchargements :

  • guide « après la 3ème » 2017
  • guide d’entrée en 6ème  2017
  • Plaquette « Trouble déficit de l’attention et hyperactivité »

Cette plaquette est à l’en tête de l’Académie de Paris (Ministère de l’EN et Ministère de l’ Enseignement Supérieur) et lorsqu’on la déroule, on trouve, en bas du texte,  les indications suivantes :

  • maquette réalisée par le Rectorat de Paris 
  • document  rédigé  « dans » l’équipe  du service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert-Debré (Assistante Publique-Hôpitaux de Paris) « par » :
  • Marion Laurent, psychologue, neuropsychologue
  • Yamina Comin, professeur des écoles spécialisé
  • Docteur DianePuper-Ouakil, pédopsychiatre.

Confusion.

Ce qui me frappe au  premier coup d’œil  sur ce  site  officiel  de l’Education Nationale, c’est le mélange des genres.

En effet que vient faire sur cette page d’accueil la plaquette TDAH ?

Ce site a pour fonction, si je comprends bien,  d’aider  les familles  à gérer la scolarité de leur enfant.

Pourquoi au milieu de  ces  informations d’ordre scolaire,  introduire une proposition de téléchargement sur un trouble du comportement ?

A noter qu’il s’agit d’un item bien individualisé : cette description du TDAH n’est pas un  sous-chapitre de  l’item « santé/social » ou  « élèves à besoins éducatifs particuliers », par exemple.

Quelle est donc la logique de l’EN et son objectif lorsqu’elle décide d’informer   ainsi les parents,  précisément et uniquement sur ce trouble,  en leur proposant une plaquette de 8 pages  rédigée avec un service de l’Assistance Publique ?

Une vision réductrice de la psychopathologie de l’enfant et la  promotion d’une maladie. 

Les  rédacteurs de ce site souhaitent-ils expliquer aux parents qu’à l’école il y a des enfants difficiles,  et que leur conduite peut-être  le signe d’un mal être psychologique plus  sérieux ?

Peut-être, mais alors  pourquoi compter sur un site internet, pour lancer cette alerte ?

Alors qu’à l’école les mères, les pères peuvent rencontrer l’enseignant  de leur enfant,  et échanger  avec lui ? Lui qui connaît précisément leur fils, leur fille,   sa manière d’apprendre, ou de ne pas apprendre, de se comporter en classe ou avec les copains… ?

 Nous en croisons quotidiennement dans notre pratique, de ces  enseignants qui  font un travail exemplaire auprès des parents. Ils leur parlent, les écoutent,  les alertent : « ça ne va pas avec votre enfant, il est opposant, indiscipliné, il ne travaille plus, il harcèle les autres en  récréation, il est agressif…  je ne comprends pas ce qui lui arrive, je  suis souvent obligée  de le punir, ça fait plusieurs semaines  que ça dure… qu’est-ce qui se passe ? … »,  et la mère , déjà inquiète,  de s’interroger , que se passe-t-il effectivement pour son enfant , à l’école, dans la famille,  est-ce  de sa faute, est-ce  ce deuil, ce conflit… ?  elle ne sait pas , elle va y penser…

C’est ce travail  patient de  l’enseignant , en relation personnelle et impliquée avec les parents  qui les amène parfois à venir nous consulter ;  ils nous parlent alors de ce qui les inquiète chez leur enfant :  problèmes d’apprentissage  ou relationnels,  tendance à s’isoler à l’école,  ou chez eux devant les écrans, difficultés à  faire des rencontres, refus du dialogue, conflits  fréquents, phobie scolaire, troubles psycho-somatiques, anorexie, addictions, idées suicidaire,  angoisses, insomnies, dépression, fugues…  Nous savons que ces symptômes sont l’expression d’une souffrance névrotique ou psychotique, dans des  configurations affectives et familiales chacune particulière.

Mais les rédacteurs du  site de l’Académie de Paris ignorent manifestement   la complexité de cette psychopathologie .

Et avec  l’aide des « professionnels »  de Robert Debré, ils  dressent , pour les parents et les enseignants,  le  tableau  du seul syndrome  qui mérite qu’on s’y arrête, et  qui soit à  craindre, à repérer,  à traiter.

Vous  téléchargez  la plaquette et vous avez accès à  une  listes de « troubles comportementaux »  qui dressent  le portrait de l’enfant  atteint de TDAH . Cette liste de symptômes  est baptisée « maladie neurologique ».

Maladie dont on va vous aider à établir le diagnostic.

C’est un vrai fourre-tout,  les auteurs ratissent large  et réussissent le tour de force de faire entrer sous cette étiquette,   soit au  titre de  trouble  principaux, soit à celui  de troubles associés,  une grande partie de la psychopathologie de l’enfant.

Cela  va  certainement simplifier  le travail des professionnels des pédopsychiatres sur le plan diagnostic et,  par voie de conséquence, thérapeutique.

Quant aux parents qui liront ces pages, s’ils sont déjà un tant soit peu inquiets, ils vont forcément trouver là  de quoi se convaincre que leur enfant est atteint par cette maladie. Cette conviction les angoissera et les soulagera à la fois : c’était donc ça, un trouble neuro-développemental se disent-ils,  ils s’y arrêteront peut-être à ce constat, ce diagnostic, d’ordre médical et  le traitement qui s’ensuit … sans aller plus loin, sans chercher le sens de ce qui leur arrive.

Une vision inquiétante de l’enfance. 

Un des premiers traits  attribué à  l’enfant atteint  de TDAH  est : « il déborde d’énergie ». 

Que  l’énergie de  l’enfant, signe de sa vie pulsionnelle éblouissante,  soit présentée ici comme une marque d’anormalité, d’’emblée cela questionne.

On imagine, en creux, ce que serait  l’’enfant idéal pour les « inventeurs » de cette maladie : sage et docile, immobile et consentant,  passif  et soumis ?

Dans l’inventaire à la Prévert des signes de la maladie, il y a là un mélange savamment mixé de signes inquiétants et de comportements banaux  (comme nous y a habitué le DSM )

D’un côté :

  • il manque de frein dans le contrôle de ses émotions et de ses mouvements
  • il est impulsif et se bagarre facilement
  • il a des difficultés à attendre, il n’a pas de repères dans le temps
  • il a besoin qu’on s’occupe de lui continuellement.
  • il ne reste pas tranquille, il bouge exagérément … etc.  

De l’autre :

  • il est infatigable
  • il coupe souvent la parole
  • il parle et agit avant de réfléchir
  • il est dans la lune
  • il regarde par la fenêtre (c’est dire qu’on lui « reproche »  à la fois d’être agité, et d’être dans la rêverie et la contemplation du ciel) 
  • ses devoirs sont mal faits ou pas faits
  • il fait beaucoup de fautes d’étourderie dans son travail
  • il oublie ou perd ses affaires etc…

On y  trouve tout et son contraire :

  • il se laisse distraire mais s’il est motivé par une activité qui l’intéresse,  il peut réussir à se concentrer longtemps
  • il manque d’organisation, d’attention mais si activité stimulante (activité sportive par exemple) alors bonnes capacités
  • tous les apprentissages sont difficiles mais ses résultats scolaires ne semblent pas refléter ses réelles compétences…

Et  pour monter qu’il ne s’agit pas d’une déposition uniquement à charge contre l’enfant, on signale quelques  traits de caractère qui constituent probablement pour les auteurs des circonstances atténuantes :

  • imagination débordante
  • enthousiasme, spontanéité
  • originalité
  • peut entreprendre plusieurs choses à la fois 
  • voit des détails que d’autres peuvent manquer

Mais dans l’ensemble il s’agit surtout de pointer en quoi cet enfant nous gêne, nous dérange :

  • il épuise tout le monde
  • il coupe la parole, il répond avant la fin de la question
  • il a besoin qu’on s’occupe de lui continuellement
  • il présente des troubles du comportement en situation de groupe, il se bagarre facilement, il ne respecte pas les règles de base

Faire la promotion d’un certain type de traitement. 

On nous dresse ainsi  le portrait d’un enfant insupportable,  au comportement inadapté, délinquant, épuisant, incontrôlable, diabolique, imprévisible, et d’autant plus incompréhensible et inquiétant qu’on ne lui donne pas la parole.

Car évidemment la vision comportementaliste et purement descriptive des conduites de l’enfant  empêchent de s’interroger sur ses motivations, et sur le sens de ses conduites.

De toutes façons, si  ses troubles sont d’origine neurologique, il n’y a pas de sens à ses conduites, elles sont l’effet d’une perturbation cérébrale.

Le diagnostic de la maladie est,  peut-on lire, «  réalisé grâce à des évaluations pluridisciplinaires (psychiatres, ou neurologue, psychologue) ». On ne nous  parle pas d’examens complémentaires, ce qui est étonnant, compte tenu  du  caractère « neurologique »  de cette  maladie. ( Nous savons que les « inventeurs «  de ce  trouble s’appuient sur l’imagerie cérébrale pour étayer leur diagnostic.  Ce faisant, ils ne s’interrogent pas   sur la validité  des images qu’ils utilisent : le cerveau de l’enfant est en construction et une image peut être  interprétée de 2 manières, soit comme cause soit comme conséquence d’un processus mental qui s’inscrit dans la matière neuronale.) Nous savons aussi que,  pour ces  « scientifiques »  l’origine de cette « maladie »  pourrait être  génétique ( La Génétique étant la figure actuelle du Destin). Il y aurait ainsi des familles TDAH, comme il y a des familles bipolaires.

Le problème c’est que à chaque théorisation de la maladie mentale correspond une théorisation du traitement.

Si l’on considère les enfants perturbés comme  des êtres en souffrance subjective, il faut, pour les soigner,  faire appel à des spécialistes de la subjectivité: psychothérapeutes, psychanalystes, psychomotriciens, éducateurs, infirmiers des CMP ou CMPP…

Ces  professionnels   se proposent d’écouter, un par un,  les  enfants  et parents  en détresse,  dans la complexité de leur histoire, de leurs relations aux autres, au monde,  au travail , à leurs désirs,  à leur  corps, leur affectivité, leur sexualité… car ils pensent  que  l’être humain est un être de relation et de langage, et que le  soin psychique passe forcément  par la rencontre avec un  autre humain parlant et  bienveillant.

Par contre si ces enfants sont atteints d’une maladie organique, ils relèvent tout simplement de la médecine du corps.

 Dans l’idéal des concepteurs actuels de cette   médecine « moderne »,  rationnelle et économe en moyens humains, c’est à peine si l’on a besoin de médecins pour ça : en allant sur internet et en tapant les mots clefs,  le malade se prend en charge, vaillamment, tout seul . Il  sait  démêler le vrai du faux,  trouver l’explication et le traitement de son cas :   listing  des symptômes, diagnostic, protocole thérapeutique uniformisé… Avec, en  prime,  l’ annuaire des spécialistes de sa maladie.

 Car maintenant il y a des spécialistes pour chaque situation.

Avant  d’aller consulter il faut  donc  forcément connaître son diagnostic.

A Robert Debré, par exemple, vous pouvez consulter si vous souffrez de :

  • Autisme – Trouble envahissant du développement – Syndrome d’asperger,
  • Anorexie mentale prépubère
  • Déficit de l’attention / hyperactivité
  • Troubles du langage et des apprentissages
  • Troubles anxieux, troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et syndrome de Gilles de la Tourette
  • Addiction
  • Obésité

Mais si vous souffrez d’un mal inconnu,  indicible, innommable,  il faut aller voir ailleurs…

L’EN prend partie dans un débat qui ne la concerne pas

La plaquette TDAH, offerte par l’Education nationale, c’est ça : une incitation  pour les  parents à diagnostiquer  eux-mêmes le trouble de leur enfant et à aller le faire soigner à  l’hôpital  Robert Debré ( dans  ce service de psychopathologie de l’enfant qui – sans craindre les  conflit d’intérêts ,  fait,  à la fois,  la promotion d’une  maladie et  la publicité pour sa  manière de la traiter)

Mais  sur ce point du traitement justement,  rien n’est dit.

 Les parents ne sauront pas en lisant la plaquette quelles sont les options thérapeutiques de ce service.

Nous savons,  nous, que  si l’on considère ces enfants comme des malades ils relèveront d’un traitement médical,  que,  si l’on   cherche à classifier les  troubles mentaux (comme dans le DSM) c’est pour associer un traitement  chimique à chaque symptôme.

Nous savons que la ritaline est  de plus en plus prescrite, souvent en première intention à des enfants et adolescents, censés  souffrir  de TDAH. Nous savons que des services comme Robert Debré ont choisi ces traitements médicamenteux et ne croient à rien d’autre…

Les parents le savent-ils ?

Et l’EN a-t-elle le droit de faire, à leur place,  le choix du traitement de leur enfant,  en les  orientant vers Robert Debré, alors que dans la communauté thérapeutique,  on continue de débattre  sur la meilleure manière de considérer et de traiter ces troubles ?

Autre remarque : les spécialistes de R. Debré ne parlent pas du traitement qui sera appliqué à l’enfant, par contre  ils s’adressent aux  enseignants.

Toute la fin de cette plaquette leur est dédiée,  et toutes les  propositions  qui y sont faites sont d’ordre éducatif et pédagogique :

  • aménagements possibles à mettre en place en classe/démarches et style d’intervention pour apprivoiser le TDAH
  • comment limiter l’agitation de l’enfant,  améliorer ses résultats, l’aider dans ses relations sociales etc…
  • contrat à mettre en place avec l’enfant/ Nom, prénom/ Je m’engage à être capable de demander à l’enseignant de sortir de classe / Je m’engage à  essayer de ne pas oublier mes affaires en classe, à persévérer quand je trouve les exercices difficiles… (sic !) 

On comprend mieux alors pourquoi cette plaquette est sur le site de l’EN,  elle s’adresse certes aux parents mais peut-être surtout aux enseignants.

 Et d’une manière qui traduit encore un mélange des genres,  une confusion des places : une équipe médicale  va conseiller les enseignants sur la manière de faire la classe à ces enfants particuliers, elle  va interférer avec le travail  pédagogique ! Et auparavant, ce sont les enseignants qui auront, non pas simplement alerté les parents, mais  fait  le diagnostic et envoyé les enfants dans le seul  service apte à les soigner  (à l’hôpital Robert Debré et non en CMP par exemple)

Chacun marche sur les plates bandes de l’autre, incapable peut-être de faire le travail qui est le sien.

L’école, en l’occurrence,  ne  se donne pas  les moyens de soutenir elle même les enseignants dans leur tâche  pédagogique auprès des enfants, ni dans leur  patient effort de communication  avec les  familles (travail difficile et souvent angoissant pour ces enseignants)
Au lieu de les y former et  de les accompagner,  on  les entraîne  à une  vision réductrice,  simplificatrice, comportementaliste  de l’enfant et des relations humaines : « Convoquez  les parents dont l’enfant dérange la classe,  et  expliquez leur ce  qui ne va pas pour lui,   ce qu’il « a »,  ce qu’il « est »  et ce qu’il faut faire ! » …

 C’est un abus de pouvoir (comme celui de la   HAS  qui,  en  2016, a voulu  interdire aux psychanalystes de s’occuper des enfants autistes)

Les victimes de ces abus ce sont les enfants, dont la subjectivité et le vécu intime sont  niés, effacés.

Puissent-ils retrouver leur voix !

DR. Danielle Lévy   Pédopsychiatre.

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