« Sauvés par Freud et les mammouths ! »

Sandrine Deloche, pédopsychiatre

Article paru dans Pratiques: les cahiers de la médecine utopiste. Juillet 18 n°82

Les coulisses savantes du pouvoir voudraient nous faire croire que le cerveau est monté comme un ordinateur. Rassurante conception du vivant servant dès demain à formater l’enfant apprenti, mais oublieuse d’une découverte de taille, l’inconscient et parmi ses diamants, l’humour. Incasable !

Il existe actuellement un gros bazar de « solutions clefs en mains » pour bambins en perdition toute génération confondue. Il vise à supplanter la psychanalyse au service de la souffrance des enfants comme des adultes, jugée ringarde, nocive voire politiquement incorrecte. Une foire aux trouvailles, un marché juteux, déballe chaque jour ses inventions bidon à coup de pub, de langue de bois et de scientisme à la noix. Ce consumérisme est une manne pour les escrocs politiques comme financiers. La part du lion revient évidemment aux laboratoires pharmaceutiques. Car sans la moindre hésitation, le méthylphénidate, la fameuse Ritaline, dérivé amphétaminique est prescrit larga manu pour des enfants agités, turbulents, rêveurs, paresseux, peu performants en classe, ou reclus dans leur monde. Dit comme ça, il serait aisé de se convaincre qu’on  devrait leur trouver d’autres solutions face à la difficulté universelle d’exister. Seulement voilà, quand la science s’en mêle, on ne parle
plus de douleur, de panne, de silence, de tourment, de ratage, de secret, d’histoire de famille. La panoplie EBM (evidence base medecine) nous a concocté tout un référentiel diagnostique qui coche-code-côte visant la suprématie du protocole « validé », comme seule réponse thérapeutique. La singularité des gamins est aplatie jusqu’à disparaître. Ce que nous dit l’enfant est nié jusqu’à devenir un numéro du DSM, jusqu’à être reconnu handicapé à qui on délivre toute sorte de prothèses anti-protestation. En voici quelques unes qui s’additionnent aux pilules du silence. Le fameux livre-CD intitulé « calme et attentif comme une grenouille. La méditation pour les enfants ». Le robot Cosmo « conçu pour aider les enfants atteints de troubles de l’apprentissage, à développer leurs capacités cognitives et comportementales ». Sans oublier les serious games, « des logiciels qui combinent une intention sérieuse, pédagogique ou informative à une forme ludique présentant de nombreux avantages pour les enfants autistes », ou la solution sablonneuse effective aux États-Unis, et tout juste débarquée dans des écoles à Hambourg pour enfants agités. Il s’agit du port de veste de sable très lourde, fabriquée par Beluga. « Les enfants adorent porter ces vestes et personne ne les force à le faire contre leur gré », renchérit une des directrices d’école. Ouf ! On respire. La camisole n’est donc plus de ce monde. « Nourrir votre bébé peut être un combat ! La Nutrispoon est là pour vous aider ». Ce gadget développé par Nutriben est une cuillère holographique connectée à un téléphone portable, qui grâce à une application réagit aux mouvements de téléphone et projette des animations 3D. A quand l’outil pédagogique d’un nouveau genre, les MOCC (massive open one line course) ou CLOM (cours en ligne ouvert et massif) délivrés pour enfants ou adolescents étiquetés « phobies scolaire », reclus chez eux ? A propos de réclusion, le ministère de la Santé et ses sbires sont en train de parfaire la liquidation des structures d’accueil comme les hôpitaux de jour, les instituts médico-éducatifs, les internats thérapeutiques. Ça s’appelle « le virage inclusif ». C’est simple, on ferme les structures bâties en général loin des villes et près des bois avoisinants. On renvoie des enfants en grande souffrance dans leurs familles, qui, par miracle d’équivalence et de plateformes de service, se verront aidés et visités à domicile. Une blague !! Sans rire, cette dématérialisation honteuse du service public emboite le pas de « l’hôpital numérique », futur vaisseau fantôme de l’AP-HP.

Que dirait le professeur face à ce chantre de bêtises, véritable politique de mépris pour la jeunesse ? Sigmund Freud ne cesserait de questionner ce qui est à l’œuvre: la jouissance d’une pulsion de mort inédite, logée à tous les étages de la vie, sans garde fou puisque devenue indissociable d’un flux unique d’énergie : la marchandisation. 

Pour rester vivant dans cette affaire là, il nous encouragerait sans doute à garder plus que tout, notre humour. Gage de santé psychique, noblesse du genre humain et talentueuse parade au scientisme ambiant qui voudrait nous faire croire que le cerveau fonctionne comme un ordinateur, sans mot d’esprit ni lapsus, ni rêve ou autre espièglerie de l’inconscient. 

Freud, aurait-il chercher à rencontrer le très innovant Sergueï Zimov, pour l’encourager à poursuivre son rêve ? Ce géophysicien russe plein d’humour lutte à sa manière contre notre suicide collectif, le réchauffement climatique. Il attend qu’on lui livre 150 mammouths laineux, possiblement remis sur pied grâce à la pointe du génie génétique. Il se donne pour mission de les introduire dans son « Pleistocène Park » au fin fond de la Sibérie. Ce type est un excentrique génial ! Il a eu l’idée de recréer un écosystème proche de celui du Pleistocène –l’âge de glace- pour lutter contre la fonte du permafrost, calotte glacière terrestre qui retient des milliers de bactéries et de gaz toxiques. Pour cela, il lui faut vaincre une toundra devenue mangrove. Il a besoin de pâturages herbeux, de bisons, d’élans, de chevaux sauvages, et plus encore de ces fameux mammouths laineux. Tous herbivores à foison, ces animaux grattent inlassablement les espaces enneigés pour se nourrir. Ce retournement des sols crée un frison général de la terre qui garde le permafrost intact grâce à des températures glacières. Une course contre la montre qui vaut son pesant d’or, non ?

Prenons-en de la graine ! Une certaine préhistoire nous est indispensable pour rester bons vivants et vaincre les tyrannies modernes!  

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