>Où allons-nous en psychiatrie ?

(Texte prononcé le 21 mars 2009 lors d’un débat public à TOURS)

Il faudrait que l’ensemble du monde psychiatrique arrive à se mettre d’accord sur la question suivante : Qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on devrait faire en psychiatrie ?

Il est évident que cette question en soulève bien d’autres et même, tellement, que cela produit une inhibition patente, particulièrement au moment où nous sommes confrontés à une véritable charge contre les malades et le service public de psychiatrie de secteur.

Je vais essayer de vous dire quelque chose et, pour ce faire, je vais vous poser cinq questions. J’ai écrit l’essentiel de ce petit texte en revenant de Paris samedi dernier d’une journée organisée par UTOPSY et où est intervenu le collectif de « la nuit sécuritaire ».

Ce serait vous mentir si je vous disais que je n’avais pas quelques réponses à ces cinq questions. Mais se poser quelques questions peut donner une direction aux réponses.

Iére QUESTION

Pensez-vous qu’il puisse y avoir une clinique sans politique ? Pensez-vous que la clinique, c’est à dire la façon, le chemin qu’on emprunte pour poser un diagnostic, même à titre d’hypothèse, et pour réfléchir à la façon dont on va soigner le patient, pensez- vous que tout cela n’a rien à voir avec le politique, c’est-à-dire la façon dont on envisage le rapport de chacun avec la chose publique ? Cette chose publique, c’est celle qui organise le fonctionnement économique et touche donc aux grands secteurs de la chose publique dont nous connaissons la triade : santé, éducation, justice. Mais on peut y ajouter la culture, etc…

2ème QUESTION

Pensez-vous qu’il soit possible de passer d’un système public de soins dont les coûts sont répartis sur l’ensemble des couches sociales à un système où l’organisation des soins, du diagnostic à la guérison ou à la stabilisation, ne soit réglée que par l’objectif de produire de l’argent et donc de soumettre l’ensemble du système de soins à une logique de production financière ?

3ème QUESTION

Pensez-vous qu’on puisse fonder un système de soins, donc des pratiques de soins, articulé autour d’objectifs de rentabilité, de profits financiers et parvenir ainsi, un jour, à trier les patients en fonction de ce qu’on pourrait appeler leur coefficient de rentabilité ?

4ème QUESTION

Pensez-vous que la maladie mentale puisse être abordée exclusivement à partir d’une clinique dite objective, quantifiée, standardisée, statistisée ? Pensez-vous que les soins des maladies mentale puissent subir le même traitement évaluatif et être organisés à partir de ces seuls critères d’objectivité dite scientifique, avec interchangeabilité des personnels, discontinuité des soins, multiplications des intervenants ? Pensez-vous que les soins des maladies mentales puissent être encore des soins dans la logique des produits financiers et dans le repérage et la surveillance continue de la dangerosité potentielle des malades.

5ème QUESTION

Si vous répondez oui à ces trois questions, pourriez-vous préciser
votre choix de société ?
votre conception de la maladie mentale ?
les actions que vous comptez entreprendre pour réaliser ces objectifs ?

Avant de vous laissez répondre à ces questions, je vais vous faire part de mes propres réponses ;

A la première, je réponds : Pas de clinique, pas de soins, en dehors du politique. Les malades en prison, les malades à la rue, les malades renvoyés chez eux, les malades dont on ne s’occupe pas, les enfants qu’on veut désignés dès leur petite enfance comme potentiellement dangereux ou potentiellement malades, je pourrais continuer la liste, tout cela se soutient d’une clinique qui ne va pas sans le politique. De la clinique et du politique, je me sens responsable à la place où je travaille. Je ne peux pas m’en laver les mains ou me contenter de dire que je dois me faire à tout cela !

A la deuxième et troisième question, je réponds : Rentabilité financière dans le domaine de la santé signifie que chacun doit faire face individuellement à ses problèmes de santé et non collectivement. Baisse des remboursements, franchises, augmentation des mutuelles et des assurances, dépassements d’honoraires, forfaits, dessous de table, sont les moyens politiques de nous faire accepter un système de soin à plusieurs vitesses avec de graves conséquences sur la santé et la vie même des individus. 25% des cancers, des personnes atteintes d’un cancer, ne reçoivent pas les soins qu’ils devraient recevoir soit à cause des durée d’attente pour un diagnostic soit parce qu’ils ne bénéficient pas des soins qu’ils devraient recevoir. Et, on nous parle de qualité des soins ! Il y a aujourd’hui un tri explicite (malades sans papiers ou ayant la CMU, malades à la rue, malades en prisons etc…malades ayant besoin de soins psychiatriques). Et, nous savons qu’il va s’accentuer du fait de la mise en place de la T2A à 100%.Lorsque qu’on parle de repérage, de détection à la place de prévention ou avant la prévention, dans le rapport COUTY , c’est le TRI qu’on a comme objectif. Lorsqu’on parle dans le document sur les indicateurs en psychiatrie des malades consommateurs de soins, il s’agit toujours du tri qui implique bien sûr exclusion des soins. Les vieux et les malades mentaux ont peu de chance d’être sélectionnés comme une matière première propre au plus grand profit. Ceux qui ne rentrent pas dans le système normatif, même enfant, doivent être séparés des normés et punis plutôt qu’éduqués ou soignés. Tout ceci est inacceptable. Mettre en danger la logique du profit financier dans le domaine de la santé, du fait même de notre mauvais état de santé, finira bien par nous faire tous, un jour, être considérés comme potentiellement dangereux pour le système.

A la quatrième question, je répons : Pas de clinique, pas de diagnostic, pas de soins sans l’engagement du soignant qui va de l’accueil à la prise en charge, comme on dit. On s’engage avec notre formation, notre culture, avec ce que nous sommes, avec nos résistances, nos défenses, nos désirs, nos angoisses…Pas de thérapeutique sans cette prise relationnelle sous transfert. Clinique, diagnostic et soins ne peuvent se soutenir que du transfert qui est à notre charge. C’est à cette condition qu’il n’y a pas les fous d’un côté et nous, les soignants, de l’autre. De même, il n’y a pas le politique d’un côté et notre pratique de l’autre. Je crois que la folie est propre à ne pas nous le faire oublier.

A la cinquième question, je réponds :

Mon choix de société est le suivant : Une société où la parole puisse aller le plus loin possible au cœur même de son impossibilité à dire. Et, là encore, la folie nous enseigne. C’est pour cela que ce que ce qu’on dit de la folie engage l’ensemble de la société, engage la façon dont on envisage constituer une société. Désigner les fous comme potentiellement dangereux, ou l’enfant au début de sa vie ou un peu plus tard, c’est affirmer qu’on ne croit pas à la parole, à ce qu’elle nous permet de construire. Répondons leur que la folie que nous fréquentons nous a appris que c’était pourtant le seul chemin, que la parole est notre seule possibilité d’être libre. Ce qu’on nous propose n’est qu’enfermement stérile et lâche.

Il m’est difficile de concevoir un modèle de société sans avoir une conception de la maladie mentale. La maladie mentale n’est pas une limite à la créativité, elle nous pousse à l’inventivité, à l’ouverture, à la construction.

Alors, pour conclure :

Sommes-nous prêts à demander le retrait du rapport COUTY et à imposer notre façon de concevoir l’avenir de la psychiatrie ?
Sommes nous prêts à demander le retrait de la circulaire du 21 février 2009 ?
Sommes nous prêts à rejeter la tarification à l’activité et à désobéir à toute injonction de produire des éléments qui y contribuent ?
Sommes nous prêts à rejeter les procédures d’accréditation et d’évaluation de l’HAS qui méprisent autant les patients que le travail des soignants ?
Sommes nous prêts à informer tous les élus nationaux de ces positions et à rencontrer le Préfet pour lui faire connaître ces mêmes positions ?

Qu’avons-nous à exiger pour le service public de psychiatrie de secteur ?
D’abord le maintien du secteur et d’une équipe formée, stable, en nombre, capable d’assurer la continuité des soins, si essentielle en psychiatrie, et les liens avec toutes les structures sociales et médico-sociales qui ont leur missions propres, différentes du soin que nous voulons réinscrire dans nos pratiques, en psychiatrie, de la prévention à une réinsertion quelqu’elle soit. Le soin et l’accompagnement sont tout un en psychiatrie et relève de l’équipe de secteur même si des soignants extérieurs à l’équipe vont y participer ou des structures sociales ou médico-sociale qui doivent disposer de personnels suffisamment formés pour accueillir certains patients.
Le maintien du lien étroit entre lieux d’hospitalisation et l’extra-hospitalier.
La nécessité de reconsidérer autant la formation des infirmiers que celle des médecins et celle des psychologues.
La réaffirmation que les hospitalisations sous contraintes n’ont pour finalité que de permettre le soin et non répondre au dictat de l’ordre public. Les patients doivent pouvoir avoir la possibilité d’un recours rapide lorsqu’ils sont placés sous contrainte et avoir recours, si nécessaire à un avocat. Des limites doivent être fixées à la durée de la sortie d’essai. La mise sous tutelle ne devrait priver du droit de vote qu’à titre exceptionnel. Les mesures de tutelles devraient être périodiquement réexaminées.
L’ALLOCATION d’Adulte Handicapé pourrait être renommée Allocation d’Aide à la Vie Quotidienne et faire que les patients ne soient plus sous le seuil de pauvreté.

Il y aurait tant de choses à dire, que je m’arrête là.

R. LEBRET

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