Quel avenir pour la psychiatrie ? – Samedi 17 mai 2014 – 9h00/12h30 à Reims

Forum citoyen des 39, animé par Patrick Chemla

Le forum citoyen des 39 se tient à Reims, à l’occasion des 14 èmes Rencontres de la Criée. Ouvert et libre d’accès pour tous, il est distinct des journées de formation et permet une ouverture et un débat public sur la situation de la psychiatrie et sur son avenir.

Ouverture par Adeline Hazan, Maire de Reims, sous réserve.

Philippe Bichon, psychiatre, collectif des 39, et Le fil conducteur
Christine Chaise, UNAFAM Reims
Mireille Battut, présidente de « La Main à l’Oreille »
Serge Klopp, cadre de santé, collectif des 39
Humapsy, Association de patients suivis en psychiatrie
Patrick Landman, psychiatre et psychanalyste, initiateur de l’appel « STOP DSM »
Thierry Delcourt, psychiatre et psychanalyste, vice président du Syndicat National des Psychiatres Privés.

Programme de la XIVème édition de LA CRIEE
Programme de la XIVème édition de LA CRIEE

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> Manifeste du groupe Le Fil conducteur

Manifeste du groupe Le Fil conducteur
Pour une refondation de la psychiatrie et de l’accueil de la folie dans notre société dans la perspective de la loi de la Santé publique, pour une psychiatrie humaine.

Le « Fil conducteur » est un espace de parole émanant de l’atelier Familles des Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social, qui ont eu lieu les 31 mai et 1er juin dernier, organisées par le Collectif des 39. Cet espace réunit des parents ou familles de jeunes adultes hospitalisés en psychiatrie, des patients et des soignants, tous concernés par la place des familles dans l’accompagnement et la prise en charge de la personne malade.

Le Fil conducteur est un groupe de réflexion qui a pour objectif d’élaborer des propositions à faire valoir auprès des responsables de la Santé. Rassemblés et unis par une expérience douloureuse basée sur un vécu semblable, tous ont la volonté de faire bouger et changer des dysfonctionnements criants et insupportables. Inventer ensemble autour des questions de l’accompagnement, de l’accueil, du soin, du suivi. Familles, patients, soignants, avec cependant des positions différentes, nous tenons à faire œuvre commune pour formuler ce que nous entendons par « soins en psychiatrie ».

Actuellement, les parcours dits « de soins » se révèlent inorganisés la plupart du temps, voire anarchiques, et représentent un véritable parcours du combattant pour les familles.

Pour cela, et pour un renouveau de la psychiatrie de secteur et de l’accueil de la folie dans notre société dans la perspective de la loi de Santé publique, nous, Fil conducteur, demandons :

Concernant les familles

– L’accueil des familles (parents, frères et soeurs, enfants…), lorsqu’un membre de la famille fait l’objet d’une première hospitalisation, afin d’expliquer la maladie, ses conséquences possibles. C’est un moment crucial pour le groupe familial, qui est en plein désarroi et en grande souffrance.

– Une reconnaissance du « savoir familial » (des parents et de la fratrie) par les soignants : la famille a une « connaissance affective » du patient, qui n’est pas un « savoir médical ». Ce savoir et cette connaissance ont une valeur qui mérite d’être reconnue.
Les parents connaissent l’histoire du patient depuis sa naissance, et souvent il apparaît qu’ils font office de « radars ». Il faut donc savoir utiliser cette connaissance, sans la nier ou la considérer comme superflue, voire toxique. Cette connaissance peut et doit être associée au soin.

– La prise en compte de la parole d’une famille lorsque celle-ci lance une alerte pour une situation de crise.

– Des entretiens de l’équipe soignante avec la famille seule, sans le patient, et ce dans l’objectif d’une explication vraie de la situation, lorsque celle-ci n’offre pas d’amélioration ; et une dédramatisation et une meilleure communication de la famille avec le patient.

– La reconnaissance des limites de la famille dans ses capacités d’hospitalité d’une personne malade.

Concernant les malades

– Supprimer le passage obligatoire par le service des urgences lorsqu’un malade est en crise, et l’intégrer directement dans le service où il est suivi habituellement. Passer par les urgences est non seulement inutile et une perte de temps, mais une source de perturbation supplémentaire.

– Lorsqu’un patient est emmené à l’hôpital par la police ou les pompiers et qu’il est suivi habituellement dans un hôpital, l’emmener directement dans cet hôpital, sans obéir à des contraintes administratives d’un secteur qui feraient que le malade serait dirigé vers deux, voire trois services successifs, comme cela arrive couramment.

– Une véritable coordination du suivi par un seul médecin ou une seule équipe d’un patient. On pourrait imaginer un « médecin référent » ou « coordinateur », qui assurerait la continuité des soins et la coordination entre les différents intervenants successifs dans le soin, et ce dans toutes les structures accompagnant le patient, quelles que soient ces structures : hôpitaux de jour, foyers de nuit, CMP (Centre médico-psychologique)…

– Suffisamment de structures type CMP pour répondre aux besoins de la population qu’ils desservent. Avec la possibilité de répondre rapidement à une demande d’aide ou de soutien provenant d’un patient ou de la famille (les familles n’étant pas là pour pallier les manques des structures de soins : ce n’est pas leur rôle).
Des équipes de CMP constituées de soignants formés à l’écoute, capables de soutenir et de dialoguer avec les familles, et pouvant accompagner les malades dans leur « vie dans la cité ».

– Une plus large ouverture des CMP, tant en horaires qu’en jours, et une permanence téléphonique 24 heures sur 24.

– L’organisation de déplacements, en cas d’urgence, d’une équipe de CMP, afin que le patient, déjà dans une souffrance exacerbée, soit mis en état de confiance et immédiatement pris dans une structure de soins.

– Un échange et une communication, lorsque le malade vit hors hôpital, entre le CMP et la famille, afin d’assurer un suivi et une attention communs et cohérents.

Concernant les professionnels

– Révision à la hausse du numerus clausus de la spécialisation en psychiatrie.

– Le rétablissement d’une formation d’ « infirmiers psychiatriques » (formation qui avait été supprimée en 1992). Les infirmiers ont un rôle « pivot » dans le soin, et souvent ceux qui sont en poste actuellement ne savent même pas ce que le terme « psychose » signifie au niveau clinique.

– Bonne gestion budgétaire ne veut pas dire moyens réduits et rapidité d’action menant à la contention, solution facile et rapide. Cela induit des coûts en souffrance qui, eux, ne sont pas chiffrés –ni chiffrables. Ce n’est pas du soin.

– Une augmentation du nombre de logements thérapeutiques ou de solutions de logements dans la cité, afin de répondre aux besoins réels des patients.

– La création de lieux d’accueil et de soins au long cours pour les personnes souffrant de troubles psychiques importants, pendant la période où ils n’auraient leur place ni à l’hôpital ni dans des logements thérapeutiques.
Ces espaces seraient des lieux dans lesquels des équipes soignantes pourraient travailler sur le long terme, et prodiguer une attention réelle et humaine aux patients en grande souffrance, à l’instar des institutions existantes qui pratiquent la psychothérapie institutionnelle. Les personnes en grande souffrance pourraient ainsi s’y reconstruire, le temps nécessaire.

D’une manière générale

– Une réflexion sur ce qu’est la souffrance psychique.

– L’emploi du terme « usagers », qui est inadapté. Euphémisme peut-être louable, il cache une réalité douloureuse : celle de personnes qui utilisent ces structures de soins et qui n’ont pas le choix, car souffrant de maladie. Ce qui les différencie de ceux qui souffrent de « mal-être » et qui suivent une filière de soins aussi et qui, eux, sont effectivement des usagers. Faire cet amalgame est dangereux, car pouvant induire une banalisation de la maladie mentale.

– Le soin, c’est de l’écoute, c’est de la parole, c’est de l’attention. Cela demande du temps, cela demande des efforts et de l’implication aux soignants, mais si cela mène à moins d’hospitalisations et surtout permet d’éviter des allers-retours hôpital-maison parce que les patients reçoivent un « vrai » soin et une vraie attention, ce seront au final des économies énormes pour l’Etat.

En conclusion

Si l’on parle de rénovation du secteur, il faut penser l’organisation des soins psychiatriques à partir d’une proximité sur le terrain qui facilite la mise en place des soins, du suivi dans la durée, du dialogue avec les proches et évite d’avoir recours aux urgences psychiatriques (qui représentent un moment traumatisant pour tous).

Fermer des lits (50 000 depuis quelques années), sans penser à des structures adaptées ou à un accompagnement approprié qui soutiendrait les patients dans une transition entre hôpital et autonomie revient à une non-assistance à personnes en danger avérée vis-à-vis de personnes reconnues « fragiles ».

Si une telle organisation demande des moyens financiers (nombre de soignants, formation à l’aspect relationnel des soins, locaux…), elle ne sera pas plus onéreuse pour l’Etat que tout ce qui est mis en place actuellement et qui, sous prétexte d’être efficace, devient « inhumain » et peut avoir des conséquences dramatiques pour les patients et pour les familles.

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> Pour une refondation de la psychiatrie et de l’accueil de la folie dans notre société, dans la perspective de la loi de santé publique

Mémorandum du « Collectif des 39 pour une hospitalité pour la folie »

Pour une refondation de la psychiatrie et de l’accueil de la folie dans notre société,dans la perspective de la loi de santé publique

L’accueil et les soins aux personnes souffrant de difficultés psychiques, de pathologies mentales, n’ont cessé de se dégrader depuis près d’une vingtaine d’années.
Déjà voilà dix ans, des États généraux de la psychiatrie avaient réuni -fait rarissime- toutes les organisations professionnelles et scientifiques pour alerter le gouvernement de l’époque en demandant 22 mesures d’urgence. En vain.
Depuis, des dérives, des carences graves ont été maintes fois dénoncées par des associations de patients et de familles ainsi que par des professionnels, tant au niveau des droits de l’homme qu’à celui de l’insuffisance et de la qualité des réponses aux demandes de soins.
Dans ce contexte catastrophique, certains professionnels ont fait miroiter des « avancées scientifiques » pour répondre au désarroi des patients et des familles : la fascination pour la science face à l’énigme de la folie est le meilleur anesthésiant, tant pour les politiques que pour une opinion inquiète.
Enfin, face à la montée des incertitudes sociales et des peurs de « l’autre », le précédent président de la République s’est emparé d’un dramatique fait divers pour désigner les malades mentaux comme de potentiels criminels.

C’est dans ce contexte que s’est constitué le Collectif des 39. Réunissant des professionnels, qu’ont rejoints des patients et des familles, le Collectif des 39 s’est d’abord opposé au tournant sécuritaire, qui s’est traduit par une modification de la loi sur les hospitalisations sans consentement de 1990 : la nouvelle loi visait à transformer la psychiatrie, dispositif de soins au service des patients, en un dispositif essentiellement centré sur des missions de contrôle social et de normalisation des comportements et des populations.
Le Collectif des 39, rejetant la banalisation de pratiques inacceptables, s’est mobilisé pour soutenir des démarches de soins et d’accueil autour de la notion d’hospitalité.

Notre action a toujours reposé sur une conception éthique associant :
• Une conception de la folie et de la psychiatrie, dont l’objet est de soigner des personnes en souffrance et non de se limiter à traiter des symptômes.
• Les moyens humains et financiers nécessaires pour mettre en œuvre une telle conception de la psychiatrie.
• Des formations permettant aux soignants de développer une telle conception du soin.

C’est cette conception éthique qui nous a amenés à multiplier les initiatives (meetings, manifestations, colloques au Sénat et à l’Assemblée nationale etc.) pour combattre cette politique sécuritaire et de normalisation.
Ces initiatives ont permis le rassemblement de la quasi totalité des syndicats de personnels et de psychiatres, de nombreuses associations d’usagers, des partis de gauche et écologistes, de nombreux citoyens, des familles de patients. Malgré notre mobilisation et le vote « contre » de tous les parlementaires de gauche, nous n’avons pas pu empêcher l’adoption de la loi du 5 juillet 2011.

Nous avons, tous ensemble, fait monter l’exigence d’une grande loi sanitaire pour la psychiatrie. Malheureusement, la nouvelle majorité présidentielle ne semble pas avoir maintenu le cap lié à son vote « contre » en juillet 2011.

Nous avons organisé avec les Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d'éducation active), en juin 2013, les « Assises citoyennes pour l’hospitalité dans la psychiatrie et le médicosocial » dans le but d’engager un travail de réflexion clinique et politique pour commencer ce mouvement de refondation de la psychiatrie. Plus de 1 000 participants, rassemblant toutes les catégories socioprofessionnelles du sanitaire et du médicosocial, des mères, des pères, des frères et sœurs, des patients, des enfants de patients, des élus, des gens de la culture et du spectacle, des citoyens se sentant concernés, sont venus pour témoigner ensemble de leurs vécus et de leur vision de l’hospitalité pour la folie, et de ses impasses dans le sanitaire et le médicosocial. Des groupes de travail et d'échanges issus de ces assises continuent de se rencontrer.

On nous annonce qu’une loi de santé publique devrait être débattue à la fin de l’année, loi qui devrait intégrer un certain nombre d’articles spécifiques pour la psychiatrie. Dans ce cadre vient d’être publié le rapport de la Mission d'information sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie (MISMAP). Ce rapport devrait servir de trame aux articles concernant la psychiatrie dans la grande loi sanitaire annoncée pour la fin de l’année.

Nous pouvons saluer les efforts de la Commission parlementaire dans sa démarche d’accueillir tous les acteurs du champ de la psychiatrie, l’essai de retraduire dans ce texte les différentes positions de ces acteurs, le climat positif des discussions. Cependant, la lecture attentive de ce rapport nous inquiète sur de nombreux points, il nous paraît présenter de graves dangers, voire des reculs par rapport à des acquis incontestables de la psychiatrie française.

A propos de l’étiologie des maladies mentales

• Les maladies psychiatriques étant définies comme multifactorielles par ce rapport, on peut entendre qu’il semble légitime de s’appuyer sur une multiplicité des recherches et des conceptions des maladies, avec des approches sociales, psychiques, biologiques.

Mais en fait absolument pas, puisqu’elles sont définies plus loin de manière univoque par un « terrain génétique et des facteurs environnementaux déclenchants ».
Cette définition reprend explicitement les conceptions de Marion Leboyer, de la Fondation FondaMental, sans faire la moindre référence à un éventail plus vaste et complexe concernant d’autres possibles étiologies. Toute confrontation, toute « dispute », toute réflexion scientifique sont ainsi évacuées au profit d’une seule orientation théorique hégémonique.
On ne trouve donc aucune référence dans ce rapport à la psychopathologie, à l’apport des travaux multiples, phénoménologiques, psychanalytiques, ni aux recherches des théories systémiques et familiales, qui ont irrigué la psychiatrie française depuis des décennies. La prise en compte de la psyché et de l’inconscient, l’histoire du sujet, sont ignorées, voire de ce fait récusées.
Cette orientation dans un rapport parlementaire vient apporter un caractère officiel à une théorie de l’étiopathogénie des pathologies psychiatriques. Cela nous apparaît totalement inacceptable, car elle donne son aval et son appui à une seule voie théorique, et vient en lieu et place de ce qui fait la dynamique même de toute recherche dans le domaine très complexe qui rassemble des professions dont l’expérience et la formation ne peuvent être niées par voie législative.

A propos du secteur, des pôles et CHT (Communauté hospitalière de territoire)

• Le rapport soutient la nécessité de « s’appuyer sur la politique de secteur qui fait l’unanimité des professionnels ».

Cependant le rapport montre explicitement que « la loi HPST (du 21 juillet 2009), en ne reconnaissant plus que des « territoires de santé », introduit une ambigüité quant à l’avenir du secteur »(p. 26).
Il n’est pas proposé de revenir à la réaffirmation du territoire du secteur. La suppression des pôles en psychiatrie n’est donc nullement envisagée. Il n’est pas non plus question de limiter les pôles en psychiatrie à un seul secteur, avec une direction médicale par secteur.
Rappelons qu’il n’y a plus aujourd’hui que des « chefs de pôles » et que, même dans les établissements où « un secteur = un pôle », on ne parle plus administrativement de « secteur psychiatrique ».

➢ Tout ceci est donc congruent avec la dernière des 31 recommandations, qui préconise de « diminuer le nombre de rapports et de donner la priorité aux recommandations récurrentes » des précédents rapports (Cléry-Melin 2003, Couty 2009, Fourcade,…). Or, ces rapports détricotent la politique de secteur.

• L’intégration du secteur dans une CHT (Communauté hospitalière de territoire) n’est pas remise en question par le rapport de la MISMAP.

Dans le cadre de cette « intégration », les lits seraient mutualisés et désectorisés comme le prévoit le rapport Fourcade.
La mutualisation à Paris pour une CHT regroupant 5 hôpitaux risque donc à court terme de se traduire par le retour d’unités spécialisées par pathologies ou troubles (aigus, dépressifs, gâteux, dangereux…).
Un tel « tri » a immanquablement pour conséquence, des regroupements et des concentrations pathogènes. Il entraîne la sédimentation et le rejet des malades les plus complexes et les plus graves, vers ce que Lucien Bonnafé appelait les « culs de basses- fosses » de la psychiatrie !
Ce tri conduit également à la remise en cause du principe fondateur du secteur qui repose sur la continuité des soins de prévention, des soins curatifs et de postcure par une même équipe. Tri auquel le mouvement désaliéniste a mis fin en développant, par la sectorisation, la réinsertion des malades dans la cité en assurant une continuité des soins à proximité des personnes en souffrance. Les patients sont ainsi accueillis dans leur globalité, en prenant en compte leur histoire, leur psycho-dynamique propre, leur entourage familial et social.
En cela, en effet, notre conception diffère d’une conception administrative étroite du secteur mise en œuvre par un bon nombre de psychiatres et d’équipes soignantes, conception qui s’est réduite à un simple quadrillage des populations sans souci de continuité des soins, et que nous critiquons.

• Le rapport Couty de 2009 envisageait que les unités hospitalières doivent relever d’une autre entité administrative de gestion que les unités de l’extra-hospitalier. Ce rapport réduisait à néant la loi de 1985 sur la globalisation et l’unité du secteur psychiatrique.

Or, lorsqu’une ré-hospitalisation d’une personne est nécessaire, il est rassurant et essentiel qu’elle puisse être proposée au patient dans un lieu connu de lui, et qu’il soit accueilli par une équipe soignante qui le connaît déjà. Une telle pratique peut atténuer l’angoisse du patient, ainsi que l’appréhension des soignants. Les phénomènes de violence liés à de tels processus peuvent alors être limités, voire évités.
Nous savons que cette violence est l’une des préoccupations essentielles des équipes de psychiatrie actuelles ; elle est à la base des dérives institutionnelles, et au développement problématique de l’isolement et de la contention.

En cela le rapport de la MISMAP est en-deçà du rapport Milon de 2012 présenté au Sénat, qui concluait de la même manière, mais après avoir mis en évidence toutes les contradictions soulevées par ces mesures.

➢ Nous ne pouvons accepter un tel paradoxe : le soutien explicite de la sectorisation, avec le maintien de toutes les recommandations qui le détruisent.

A propos de l’internement et de la contention

Le collectif des 39 l’affirme depuis 5 ans : des pratiques indignes de notre démocratie et de notre histoire ont envahi nombre de services et sont le signe d’une régression inacceptable de notre discipline.
Aussi sommes-nous en accord total avec ce qu’affirme le Dr Jean-Claude Pénochet, président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, qui considère que « La contention est un indicateur de la bonne ou mauvaise santé de la psychiatrie. Plus la psychiatrie va mal, plus la contention est utilisée. »

Concernant les pratiques de contention, le rapport semble aller dans ce sens puisqu’il fait le constat que cette pratique parfois nécessaire se banalise du fait du manque de moyens en personnel, insuffisamment nombreux et insuffisamment formé. Cependant, il ne fait aucune préconisation positive, sinon de mettre en place des procédures de contrôle. Or, nous avons pu constater, lors de la mise en place d’un protocole par la HAS pour encadrer la mise en isolement, une augmentation de ces pratiques ainsi légitimées !

Concernant la loi sur les soins sans consentement, le rapport annonce qu’il ne peut pas revenir sur la révision de septembre 2013 revoyant la loi du 5 juillet 2011 alors que, selon ses rédacteurs, cela serait nécessaire !

En fait, le rapport de la MISMAP ne fait aucune préconisation concrète, ni en termes d’augmentation du nombre de soignants ni en termes de formation ni en référence aux analyses faites sur les origines de cette violence institutionnelle. Qui plus est, tous les établissements organisent de nombreuses et coûteuses sessions de formation à la gestion de la violence, tant cette question est devenue prédominante dans les institutions depuis plus d’une dizaine d’années. Or, ces formations au traitement du symptôme ne tiennent pas compte de la complexité institutionnelle actuelle.

➢ Nous préconisons donc une réflexion sur l’envahissement gestionnaire déshumanisant, qui renforce l’application des protocoles sans réflexion, installe des phénomènes de cloisonnement dans les équipes et empêche toute créativité chez les soignants.

➢ Nous affirmons que l’angoisse des patients ne peut être appréhendée sur le seul mode comportemental ou médicamenteux en oubliant l’approche relationnelle. Lorsque l’angoisse n’est pas apaisée dans toutes ses dimensions, elle peut alors déboucher sur la violence, qui implique l’augmentation de la contention.

A propos du financement

• Le rapport ne propose pas de remettre en cause la réforme du financement qui envisage d’aller vers la T2A (tarification à l’activité) au travers de la VAP (Valorisation de l’activité en psychiatrie).

Le rapport se contente d’expliquer le mode de financement par la DAF (Dotation annuelle de fonctionnement). Il note que, quand le secteur de psychiatrie dépend d’un Centre hospitalier général, ce mode de financement est particulièrement défavorable à la psychiatrie.
Il constate que ce système pérennise les inégalités, car il repose sur des budgets historiques qui sont reconduits, et n’incite donc pas à la prise en charge ambulatoire.
Il reste dans une logique d’enveloppe fermée, dont nous expérimentons que le montant en euros constants se réduit année après année.

➢ Nous préconisons que, si l’orientation pour une politique des soins de qualité est l’objectif pour l’amélioration des conditions d’accueil et de soins, il faut au contraire :
augmenter sensiblement et progressivement cette enveloppe, en préservant la DAF pour l’existant ;
prendre en compte les projets innovants, abandonnant une logique de normalisation des comportements et des populations ;
intégrer la DAF dans une enveloppe nationale de la psychiatrie, afin de garantir une telle évolution positive et permettre de la vérifier.

A propos d’« une véritable politique de ressources humaines »

Cette « véritable politique de ressources humaines » ne propose surtout pas d’augmenter le nombre de soignants, malgré la pénurie d’infirmiers et la diminution alarmante du nombre de psychiatres.

Au contraire, le projet entérine « le contexte de vacance de postes de psychiatres » ! Ce qui l’amène à postuler à un nouveau partage des tâches :

– les infirmiers vont développer le concept de « pratiques avancées », avec la possibilité de pallier – à moindre coût – certains actes médicaux tels que la reconduction des prescriptions ;

– les psychologues vont êtres utilisés en « premier recours » : ils vont remplacer les psychiatres comme consultants. Le psychiatre, réduit à une fonction d’expert ne viendrait qu’en second recours en cas de problème. Dans le cadre libéral, les psychologues verraient leurs actes pris en charge par l’Assurance maladie, certainement à un coût nettement moindre que les consultations psychiatriques… Ce qui, là encore, devrait pallier le manque de consultants dans le cadre du secteur en CMP, mais cela reste illusoire car les situations pathologiques complexes nécessitent une approche par une équipe, et non dans l’isolement d’un cabinet. Nous réaffirmons ici la nécessité d’une approche pluridisciplinaire et en équipe, incluant les moyens réflexifs nécessaires afin de traiter la dimension personnelle et institutionnelle, deux facteurs spécifiques liés au traitement de la souffrance psychique ;

– les « médiateurs », nouveaux venus dont la mise en place de façon expérimentale montre déjà les effets pervers. Il s’agit là, en fait, de l’écrasement du potentiel soignant des patients par le choix des plus performants d’entre eux, avec toutes les conséquences néfastes pour ces patients choisis.

Il faut souligner que les clubs thérapeutiques, qui étaient jusque-là reconnus, ne sont plus mentionnés. Seuls les GEM (Groupe d’entraide mutuel), le sont, ce qui reviendrait à réserver l'entraide mutuelle et la solidarité à une dimension extérieure aux soins. Si nous reconnaissons la nécessité des GEM,

➢ Nous rappelons ici l'importance des clubs thérapeutiques. Ils sont essentiels, car ils s’inscrivent dans un cadre thérapeutique qui reconnait le potentiel soignant des patients/usagers tout en prenant en compte leurs fragilités spécifiques à certains moments de leur vie. Dans ces moments-là, le potentiel thérapeutique existant chez tout patient doit être soutenu par une dynamique groupale où les soignants sont attentifs à chacun.

A propos de la formation et de la démographie médicale

Cette politique des « ressources humaines » a également des conséquences en termes de formation :

– pour les infirmiers : le projet entretient une confusion concernant la formation infirmière entre « diplôme spécifique initial » pour tous les infirmiers exerçant en psychiatrie, et « spécialisation ». C’est pourtant d’une formation spécifique pour tous les soignants exerçant en psychiatrie dont nous avons besoin ! Formation initiale spécifique renforcée par un DPC (Développement professionnel continu), lui aussi spécifique, doit permettre aux infirmiers de développer une clinique infirmière à visée psychothérapique –comme avaient su le faire certains infirmiers de secteur psychiatrique en leur temps -. Et si, spécialisation il devrait y avoir, ce serait pour approfondir cette clinique à visée psychothérapique et relationnelle. Or, le rapport de la MISMAP avance dans le sens de la spécialisation du diplôme d’infirmier d’Etat avec la mise en place d’un master, qui devrait conduire à valider la formation des infirmiers pour pallier le manque à venir de psychiatres.

– pour les psychiatres : s’il propose un renforcement de l’encadrement des étudiants par l’augmentation de professeurs, il ne propose ni le retour à un internat spécifique ni de revoir le numerus clausus ni une formation qui ne soit pas assurée seulement par les universitaires. Or, nous savons tous, d'expérience, que les secteurs sont des lieux d'acquisition d'expérience et de formation de terrain beaucoup plus diversifiés que les seuls services hospitalo-universitaires, dont le cadre est strictement hospitalier. En revanche , dans la perspective où les médecins généralistes seraient amenés à suivre les patients en dehors de la crise, il propose d’intégrer quelques notions de psychiatrie dans le cursus de formation des généralistes.

Au total, le projet propose de continuer à diminuer l’efficience de notre outil pluridisciplinaire de soins, efficience déjà attaquée lors de la disparition de la formation initiale spécifique d’infirmier psychiatrique de secteur.

A propos de la recherche

Pour la recherche, le rapport reste à une conception essentiellement centrée sur les neurosciences et le cognitivisme, à peine mâtinée de sociologie réduite à l’enquête épidémiologique. Aux oubliettes, les recherches en psychopathologie, en psychanalyse, en thérapies familiales, en psychodrames, les apports de la créativité et de l’appui des arts, de la culture, entre autres choses. Ce qui vient confirmer la conception étiologique des maladies mentales réduites aux facteurs génétiques et environnementaux. Il ne fait même pas la critique de la méthodologie de l’Evidence Based Medecine que le rapport Milon avait avancée.

➢ Nous demandons la réhabilitation des conceptions psycho-dynamiques qui ont fait leurs preuves. Il suffit, pour le savoir, de se pencher sur les multiples publications pluridisciplinaires de ces 50 dernières années, mais aussi d’écouter ce que disent les patients accueillis dans des lieux de soins dignes du soin psychique.

➢ Nous nous étonnons que les « usagers » auditionnés pour établir ce rapport ne soient pas plus entendus par la MISMAP quant aux conclusions qu’eux-mêmes apportent : hospitalité, humanité relationnelle, proximité nécessaire des soignants, suivi cohérent…

A propos de la HAS (Haute autorité de santé)

Là aussi le rapport de la MISMAP fait état de la dispute, de la confrontation des idées, des polémiques, en proposant simplement d’ouvrir le débat. Mais il ne prend aucune position.

La « démarche qualité » est donc poursuivie et validée, avec son lot de « bonnes pratiques » et de protocoles définis par chaque établissement, en mobilisant des milliers d’heures de réunions, heures prises bien évidemment loin des services et des patients, et son « carnaval » quinquennal de visite des experts.
Il nous apparaît essentiel de rappeler que cette « démarche qualité » ne vise que l’application stricte du suivi des procédures et non la qualité des soins réellement dispensés de manière individualisée à chaque patient.
Cette politique de protocolisation des soins va à l’encontre de toute démarche de soins qui associe complexité, risque, doute, créativité, spécificité.
Elle oblige les soignants à des actes de soumission sociale, étrangers à la valeur humaine et relationnelle de tout acte de soins digne de ce nom.

Nous préconisons l’arrêt immédiat de tout ces processus bureaucratiques –coûteux tant financièrement que psychiquement– pour que puisse s’engager un débat démocratique sur la manière dont chaque collectif de soins doit construire ses propres outils d’évaluation afin d’éviter des dérives inhérentes aux difficultés de notre pratique : réhabilitation des réunions de service régulières, analyse des contenus, réflexion sur le cadre de soin proposé, etc.

A propos de la pédopsychiatrie

Il ne fait état que de généralités, mais fait un total silence sur le Plan Autisme, qui est de fait entériné dans sa totalité.
Nul doute que les Etats généraux de la pédopsychiatrie de ce printemps viennent faire entendre les besoins et les exigences indispensables à une pédopsychiatrie de qualité au service de la santé des enfants et adolescents.

Ce rapport de la MISMAP, en conciliant des positions forts différentes –voire opposées– tenues par les personnes auditionnées, conduit à de nombreuses contradictions laissant ouverts des choix politiques pour une psychiatrie aux antipodes de celle que le Collectif des 39 veut soutenir.

Nous reconnaissons que de nombreuses équipes –et en tout premier lieu les psychiatres y travaillant– ont une grande part de responsabilité dans les mauvaises conditions d’hospitalité et de soins aux patients, et ceci pour de multiples raisons : théorie réductrice de la folie, déploiement d’outils coercitifs plutôt que thérapeutiques, manque de soutien des équipes soignantes, absence de réflexion institutionnelle et micropolitique, manque d’investissement etc.

➢ Nous affirmons que les processus d’évaluation et d’accréditation actuels menés par la HAS ne traitent pas ces problèmes –voire les renforcent– du fait à la fois d’une conception de la folie qui ne tient pas compte de la psyché humaine dans toutes ses composantes, et de la mise en place de procédures d’homogénéisation déshumanisantes.

➢ Nous pensons que la continuité des soins au long cours par une même équipe de proximité doit être évaluée selon des critères basés sur la clinique et les diversités des références théorico-pratiques.

➢ Nous refusons les pratiques d’humiliation (mise en pyjama systématique, privation de liberté…), des isolements et des contentions qui se banalisent et doivent être remis en question.

Nous continuons d’affirmer que ceux qui souffrent de pathologie mentale ont et auront besoin à des moments de leur existence de recourir à des lieux d’asile : lieux où l’accueil de la souffrance est possible, lieux où les rencontres nécessaires à tout soin qui se réclame « humain » ne sont pas dictées par des protocoles aliénants, lieux où les règlements ne sont pas l’unique proposition « contenante », lieux où prendre du temps est possible et reconnu comme nécessaire, avec une écoute de ce que les personnes en souffrance psychique ont elles-mêmes à nous apprendre, lieux où les psychiatres et les équipes soignantes s’engagent dans un accompagnement au long cours, lieux où les patients puissent tout simplement être reconnus dans leur singularité.

Nous affirmons que, jour après jour, ces espaces sont de plus en plus difficiles à maintenir vivants, que beaucoup disparaissent pour laisser place à des endroits indignes des valeurs humanistes qui ont fondé la psychiatrie moderne. Nous ne l’acceptons pas, car cela nous fait honte et nous révolte.

A la suite des Assises de la psychiatrie et du médico-social, nous affirmons que seul un mouvement de grande envergure réunissant soignants, patients, familles, citoyens pourra stopper cette dérive insupportable, celle qui fait et fera de nos lieux d’acceuil et d’hospitalisation des lieux d’exclusion ou de ségrégation, donc des lieux antithérapeutiques.
Pour cela, nous proposons à toutes les forces associatives de soignants, de patients, de familles, à toutes les forces syndicales et politiques une mobilisation pour que soit adoptée une loi cadre en psychiatrie où seraient mis en valeur les points suivants :

• Une conception éthique du soin
Nous refusons la tenaille du sécuritaire et la protocolisation obsessionnalisée des pratiques, qui broient la clinique et la prise en compte de chaque situation singulière. Nous demandons la relance d’une véritable politique de secteur (cf. circulaire de 1960) afin qu’une même équipe assure la continuité des soins entre l’hospitalisation et la réinsertion dans la cité.

• Une exigence de formation initiale spécifique pour tout soignant exerçant en psychiatrie
Avec un DPC qui s’appuie sur d’autres critères que seulement ceux préconisés par la HAS, dont les recommandations et les intentions proclamées sont d’éradiquer la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle.

• Des moyens supplémentaires
Il est nécessaire de débloquer des moyens supplémentaires (nombre de soignants, budget spécifique pour la psychiatrie, arrêt des démarches qualités chronophages et homogénéisantes) pour soutenir le contenu du travail et la complémentarité entre professionnels. Et non leur mise en concurrence ou leur disparition.

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> Connaître n’est pas mesurer

Nous proposons à la réflexion cet article

Connaître n’est pas mesurer

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 27.01.2014

Tout a peut-être commencé chez de très lointains ancêtres avec la récupération des « restes » des repas destinés à être consommés le lendemain, y compris sous la forme élaborée de soupes ou gratins. Eviter le gaspillage : qui ne souscrirait à un tel principe ? Puis on a affiné, innocemment, des outils mathématiques pour rechercher « l’efficacité » : recherche opérationnelle, optimisation discrète ou continue, etc.

Il devint alors nécessaire de quantifier : les ressources disponibles, leur utilisation, le comportement des utilisateurs. Peu à peu s’est répandue la croyance naïve que tout est mesurable et quantifiable, voire que c’est la seule manière d’appréhender le réel. Une manière de prendre au pied de la lettre l’expression attribuée au philosophe français
Léon Brunschvicg (1869-1944) : « Connaître, c’est mesurer » qui a inspiré, à rebours, le titre de cet article (1).

C’EST AINSI QUE FURENT INVENTÉS LES INDICES…

Comme – heureusement – beaucoup de choses échappent à la mesure ou à la quantification, on décida d’inventer puis d’appliquer de force des critères paramétriques à des objets non clairement mesurables : de manière politique avec, par exemple, la notion de « pollueur payeur » ou de manière économique avec, imaginons, des objectifs ou injonctions de « rendement ». C’est ainsi que furent inventés les indices. Destinés au début à contourner l’oxymore de la « quantification de la qualité », ils devinrent progressivement sacro-saints. Personne ne remet en cause (ou si peu) la
fabrication de ces indices, encore moins leur existence, ni même leur fondement épistémologique. Interrogeons nos voisins d’autobus : savent-ils (savons-nous) comment sont calculés l’indice du coût de la vie, le salaire moyen des Français ou l’espérance de vie ? Et même si beaucoup sentent confusément les manipulations insensées des instruments de « mesure », personne ou
presque ne remet en question l’idée même que l’on puisse vraiment mesurer tout et n’importe quoi. Pire, les idées véhiculées par l’exploitation de ces indices s’enracinent dans notre pensée : un seul exemple, il a tellement été martelé que le salaire moyen des fonctionnaires était supérieur au salaire moyen des autres salariés que ceci est communément
admis comme un dogme, sans même qu’il soit possible de faire remarquer que le calcul n’est jamais fait « à diplôme égal »…

L’IDÉOLOGIE ILLUSOIRE DE L’ÉVALUATION QUANTITATIVE

Tant que ces questions restaient dans le domaine de l’industrie (comme optimiser la découpe de vêtements dans une pièce de tissu), elles n’affectaient qu’indirectement la vie de tous les jours, sauf peut-être hélas celle des travailleurs soumis à des objectifs de rendement dont nous nous souvenons bien (notamment le chronométrage du temps passé aux toilettes). Mais voilà que ces indicateurs débordent dans des domaines où leur utilisation est encore plus illégitime : classement de Shanghaï des universités, rentabilité des services publics, mesure du bonheur et autres fariboles, sornettes et billevesées.

Dans le domaine académique, l’idéologie illusoire de l’évaluation quantitative – et l’un de ses corollaires, l’utilisation aveugle de la bibliométrie – a été dénoncée à maintes reprises (voir par exemple le numéro 37 de la revue Cités, www.cairn.info/revue-cites-2009-1.htm (http://www.cairn.info/revue-cites-2009-1.htm) ), mais continue hélas à être prise au sérieux par ceux-là mêmes qui ont les outils intellectuels pour en montrer l’inanité.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas, comme essaient de le faire croire ceux qui veulent imposer ces indices, de prôner un laisser-faire ou laisser aller général dans des domaines qui seraient ainsi privilégiés, mais de comprendre que non seulement ces « calculs » n’ont pas grand sens, mais encore qu’ils favorisent des comportements qui sont de fait nocifs pour la communauté tout entière et qui aboutissent à l’opposé du résultat recherché.

EFFETS PERVERS

Le délicieux livre de Maya Beauvallet Les Stratégies absurdes. Comment faire pire en croyant faire mieux (Seuil, 2009) donne plusieurs aperçus des effets pervers de l’utilisation d’indices et mesures : ainsi, pour tenter d’éviter que les parents ne viennent à la crèche trop tard pour chercher leurs enfants, le directeur décide que les retardataires paieront une amende
proportionnelle à leur retard ; et aussitôt les retards explosent : les parents ont calculé que l’amende leur coûtait moins cher qu’une baby-sitter ! Ou bien, pour favoriser le don du sang dans un pays, on décide de rémunérer les volontaires ; et les dons s’effondrent : ceux qui donnaient leur sang sont choqués qu’on puisse rémunérer ce qui, pour eux, relève de la solidarité humaine et s’abstiennent désormais, tandis que les autres trouvent que la rémunération est largement insuffisante et ne modifient pas leur comportement.
Naturellement, la mise en place et la « sanctification » de ces indices ne sont possibles que grâce à la complicité, volontaire ou pas, des individus à qui on les applique. Même lorsque ces derniers pourraient avoir le choix de contester le bien-fondé ou l’utilisation de ces critères quantitatifs, ou même lorsqu’ils en comprennent parfaitement le fonctionnement pervers, ils les acceptent, par passivité, de peur de déplaire aux « décideurs » ou parce qu’ils comptent bien tirer leur épingle du jeu… au détriment de leurs pairs.

« EXPERTS » AUTO-DÉCLARÉS AUX CONTREMAÎTRES EMPRESSÉS

Plus grave, s’il est possible, est l’émergence de plusieurs catégories d’agents, tout aussi illégitimes que les calculs qu’ils prétendent imposer : des « experts » auto-déclarés aux contremaîtres empressés (pour utiliser un mot désuet, même si le concept de la contremaîtrise n’a jamais été aussi présent), des gouvernements utilisant des chiffres choisis uniquement pour confirmer leur prise de décision idéologique aux vérificateurs maniaques de bas étage.
Le choix de ce dernier vocable, volontairement péjoratif, a pour but de dénoncer la « caporalisation » de la société dont nous voyons les progrès chaque jour : une fois la mesure (ou l’indice) choisie et son infaillibilité posée en principe absolu et incontestable, se développe toute une confrérie d’adorateurs de l’indice qui, sous couvert de respecter les critères d’optimisation venus « d’en haut », donnent libre cours à leur autoritarisme haineux, faux prophètes d’une religion qu’ils cherchent à imposer comme une eschatologie ou un messianisme prétendument aussi souhaitables qu’inévitables.

Jean-Paul Allouche est mathématicien, directeur de recherche au CNRS.

(1) L’expression « Connaître, c’est mesurer » est attribuée à Léon Brunschvicg ; nous n’avons pas retrouvé la référence précise, mais, dans « La Philosophie de l’esprit » (PUF, 1950), Brunschvicg écrit : « Cette condition de mesure est préalable à toute conception, à tout langage, même d’ordre scientifique : “Je dis souvent, écrit Lord Kelvin, que si vous pouvez mesurer ce dont vous parlez et l’exprimer par un nombre, vous savez quelque chose de votre sujet, mais si vous ne pouvez pas le mesurer, si vous ne pouvez pas l’exprimer en nombre, vos connaissances sont d’une pauvre
espèce et bien peu satisfaisantes.” »

Le supplément « Science & médecine » du journal Le Monde.

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> Un homme comme vous.

Patrick Coupechoux: « La santé mentale ne soigne pas les psychotiques »
Médiapart -21 JANVIER 2014 | PAR SOPHIE DUFAU

Dans Un homme comme vous – Essai sur l’humanité de la folie, le journaliste Patrick Coupechoux démontre comment le concept de “santé mentale” exclut les grands malades psychiatriques.

Un article publié dans Médiapart, article réservé aux abonnés, présente ce livre : http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/210114/patrick-coupechoux-la-sante-mentale-ne-soigne-pas-les-psychotiques

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> Halte à la destruction d’un secteur Pilote

Halte à la destruction d’un secteur Pilote

L'administration de l'Hôpital Sainte Anne a décidé de rassembler sur un seul site, l’Institut de Puériculture de Paris (IPP) toute la pédopsychiatrie du Centre Hospitalier Sainte Anne (CHSA).
Concentrer sur un seul site, dans un projet unique, un axe pédopsychiatrique d’expertise non sectorisé et un axe pédopsychiatrique de soins sectoriels est un non sens en termes de complémentarité et d’articulation et va à l’encontre de l’esprit du secteur (cf circulaires de 1960 et 1972).
Le secteur de pédopsychiatrie du 14ème arrondissement s’est organisé en ayant des centres de consultations distincts tout en étant assez proches les uns des autres. Ces centres de consultation sont de petite taille, ou des maisons de quartier, recherchant la contenance et la sécurité nécessaires aux enfants accueillis tout en effectuant un travail de proximité facilitant l'accès aux soins des enfants et l'accompagnement de leur famille. Cette inscription au sein de la vie locale lui permet de tisser des liens de soutien et de complémentarité avec les différents partenaires que l'enfant rencontre dans son parcours de soin.

La Circulaire du 16 mars 1972 complète la circulaire du 15 mars 1960 et précise la raison d'être du secteur psychiatrique infanto juvénile en revendiquant l'originalité des objectifs et des moyens exigés pour l'approche des enfants et des adolescents dans leur milieu de vie habituel : « celui-ci n'est pas pure entité abstraite et statique mais il se définit par l'action d'une équipe dans un aire géographique donnée dont la situation, la délimitation sont en rapport direct avec la nature des besoins à satisfaire et des actions à entreprendre….. Cette limitation des distances permet également à une équipe médico-sociale, grâce à des déplacements restreints, non seulement d'avoir un meilleur rendement, mais aussi de prendre en charge des institutions diversifiées et implantées en des endroits distinct. »

Ce déménagement, concentrant l'ensemble de l'offre de soins sur la porte de Vanves, sans aucun projet médical et dans des locaux en l'état, avec l'attribution au 3ème étage de boxes de consultation le long d'un couloir borgne, va à l’encontre des missions de Secteur qui sont actuellement assurées au quotidien sur le terrain dans la complémentarité et à la satisfaction des patients, de leurs familles et des partenaires : écoles, collèges, lycées, services sociaux, médecins libéraux, PMI, MDPH.

La circulaire conteste la création de « complexes d'établissements » tel celui que Sainte-Anne est en train d’effectuer sur le site de l'IPP à travers le projet « Nouvel IPP Centre Référence Enfance » : « par le jeu de groupements, on ne peut être amené à envisager la création de « complexes d'établissements » importants ce qui n'est pas sans risque. Il faut éviter les groupements humains trop considérables sur une même assiette géographique, surtout si elle est restreinte.
On palliera cet inconvénient par un fractionnement de l'ensemble en des points géographiques distincts quoique assez proches les uns des autres, tout en maintenant l'unité de gestion. »

Afin de réaliser ce projet « Nouvel IPP centre Référence Enfance », un déménagement initial doit s’appliquer dès juillet 2014, aux unités de soins sectoriels implantées dans différents lieux du 14ème arrondissement.
Cette décision de l'administration de l'Hôpital Sainte Anne donne à penser qu'on pourrait se passer de la circulaire du 15 mars 1960 alors que le rapport d'information par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie présenté par M. Denys Robiliard souligne que la prise en charge organisée autour du « secteur » est toujours un dispositif novateur.

Il est urgent d’intervenir afin de s’opposer à ce déménagement initial, premier pas vers le démantèlement de l’intersecter du 14éme.

Voir l’extrait de la lettre adréssée à Claude Evin, parue dans Libération
jeudi 23 janvier 2014 –

Il faut garder une psychiatrie de proximité

Par Sandrine Deloche pédopsychiatre et Yann Diener psychanalyste, pour le Collectif 14

Ernesto est l’enfant fou et génial de la Pluie d’été, publié par Duras en 1990. Ernesto est en retard sur certaines choses, en avance sur d’autres. Il est «dans sa bulle». Il refuse d’aller à l’école, «parce qu’on y apprend des choses qu’on ne sait pas». Ernesto aurait pu bénéficier de consultations au centre médico-psychologique (CMP) de son quartier. Les CMP font partie des secteurs de pédopsychiatrie mis en place dans les années 70 : structures extra-hospitalières, lieux d’accueil à taille humaine, loin de l’asile, ils sont inscrits dans la ville. Les enfants et leurs parents y viennent plus facilement qu’à l’hôpital, à la recherche d’une adresse pour parler des angoisses, des traumatismes, des difficultés scolaires et autres cauchemars qui peuvent compliquer la vie jusqu’à la rendre impossible. Le travail des équipes de secteur se fait en partenariat avec les écoles spécialisées, les hôpitaux de jour, les jardins d’enfants, dans un maillage local qui permet d’appréhender la complexité d’un symptôme dans son contexte. La proximité avec le lieu d’habitation de l’enfant et de sa famille permet ce travail d’orfèvre, sans lequel bien des instituteurs ne tiendraient pas longtemps, sans lequel la violence des adolescents serait encore plus vive.
Mais aujourd’hui, les agences régionales de santé (ARS) poussent les hôpitaux à faire des économies sur ce réseau extra-hospitalier qui a un coût. Pour tenter d’équilibrer son budget étranglé par l’ARS, l’hôpital Sainte-Anne s’apprête à démantibuler l’historique et symbolique intersecteur infanto-juvénile du XIVe arrondissement de Paris, créé et tissé pendant plus de trente ans, par Michel Soulé, Yann du Pasquier, Jean Bergès et beaucoup d’autres. Le CMP des 6-12 ans est ainsi en passe d’être fermé, et son personnel affecté à un bloc hospitalier excentré. Cela aura pour effet de démanteler les pratiques de proximité et de rompre les parcours de soin, que l’ARS est pourtant censée garantir. Ces économies à court terme auront, à long terme, un coût énorme pour la santé publique.
Nous avons affaire à une politique hospitalière qui tente de faire passer une pure opération gestionnaire pour un projet d’expertise : un soi-disant «pôle référence enfance» avec mutualisation des moyens. «Mutualisation des moyens» : une expression de la novlangue administrative pour ne pas dire fermeture de postes, appauvrissement du travail, isolement des équipes. Une régression qui va avec un alignement sur les méthodes comportementalistes : la psychanalyse est attaquée en même temps que le secteur, la parole des patients et des équipes se referment. Ce qui se profile à l’horizon de ces fusions-mutualisations, c’est une régression au temps où l’on saucissonnait les enfants pour traiter leurs «troubles» hors de leur contexte, selon une conception mécaniste et localiste du symptôme, qui réduit les intervenants à des techniciens spécialisés et cloisonnés.
Les professionnels de la santé, qui se réfèrent à la psychanalyse, doivent tenir sur la conception qu’ils se font du symptôme comme d’une vérité à entendre. Nous devons tenir sur nos pratiques pour que les symptômes des enfants, comme des adultes, puissent encore leur servir à dire non, et pour que nos interventions (et nos institutions) ne servent pas à les museler. Lorsqu’ils refusent la place qui leur a été assignée, les enfants comme Ernesto nous apprennent à dire non. Monsieur Evin, directeur de l’ARS de l’Ile-de-France, peut encore dire non : ne pas laisser faire le démantèlement d’un maillage nécessaire à la parole de ces enfants qui déjà ne la prennent pas facilement. Vous pouvez empêcher la fermeture de ces espaces de parole et de soin nécessaires au lien social.

Pour soutenir le collectif 14, une pétition est en ligne :

http://www.petitions24.net/defendons_les_droits_des_patients_aux_soins_de_secteur

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> Démocratie sanitaire en psychiatrie : soigner d'abord la démocratie ?

COMMUNIQUE DE PRESSE
concernant le
Rapport de la Mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie 1 (MISMAP)

Démocratie sanitaire en psychiatrie : soigner d’abord la démocratie ?

Le 8 janvier prochain, le rapport de la MISMAP sera présenté à Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Fruit d’une large consultation de l’ensemble des acteurs de la psychiatrie, le rapport Robiliard élabore trente propositions pour tenter de trouver un consensus au sein du champ psychiatrique, certaines avancées existent.

A la différence des rapports précédents 2 , celui de la MISMAP réaffirme la place du secteur psychiatrique comme étant l’organisation la plus pertinente sur le plan clinique et en termes de maillage du territoire et d’accès aux soins 3. Que le service public soit à la disposition de tous et que son accès soit facilité nécessite des professionnels correctement formés, des moyens humains et financiers nécessaires afin que son rôle ne se résume pas à un traitement normatif de la population centrées sur des approches réductrices des problématiques psychiques. Ce qui s’illustre, depuis dix ans, par un certains parti pris concernant la clinique et la recherche qui tend à considérer les pathologies psychiatriques comme des pathologies cérébrales plus proches des pathologies neurologiques que des problématiques psychiques 4 .

Co-organisées par le collectif des 39 et les CEMEA, les Assises pour l’Hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social se sont tenues à Villejuif les 31 mai et 1er juin dernier. Elles ont réuni un millier de personnes et plusieurs axes se sont dégagés. Tout d’abord, pour le soin et l’accompagnement, la nécessité d’une articulation entre le sanitaire, le social et le médico-social était partagée par tous. Cependant, cette articulation doit d’abord se fonder au niveau local en s’appuyant sur la clinique et non sur une nécessité gestionnaire exclusive visant à rationaliser l’offre des soins 5.

Ce qui invite à nuancer la promotion des conseils locaux de santé mentale (CLSM). Si leur usage peut permettre que les personnes et les institutions se rencontrent pour échanger et élaborer ensemble l’accueil et la prise en charge des personnes en souffrance psychique dans la cité, ils peuvent également être des outils de normalisation, tant des pratiques que des personnes. Les conseils locaux de santé mentale ne sont pas une fin en soi. Cet outil de « la démocratie sanitaire » avec sa méthode prédéfinie par avance ne peut à lui seul instaurer une dynamique de travail 6 . Sur le terrain, si la participation de l’ensemble des personnes concernées est nécessaire 7 -usagers, professionnels, familles, politiques-, il faut également permettre les initiatives d’organisation échappant au cadre fixé, et parfois lourd, du conseil local de santé mentale.

Point central lors des Assises, la question des pratiques avaient été l’occasion d’un terrible constat sur leurs évolutions sécuritaires et protocolisées qui s’effectuent au détriment de la relation humaine et souvent en dépit du bon sens. L’ensemble des participants, qu’ils fussent usagers, familles, professionnels et citoyens, témoignaient de nombreuses dérives dans les services qui n’étaient même plus perçues comme telles. Nous confirmons le recours accrus aux moyens de contraintes, avec les infractions aux libertés fondamentales exigées par une démocratie 8 . Pour autant, à l’instar des protocoles de mises en chambre d’isolement et de contentions physiques, nous ne pensons pas que la mise en place d’un registre consignant ces pratiques suffisent à les limiter voire à les abolir. Il s’agit plutôt de repenser le soin psychique, la formation, la recherche et les moyens à l’aune de ce qu’il se passe concrètement sur le terrain.

Néanmoins, les participants des Assises témoignaient des possibilités d’inventivité sur le terrain, de créativité dans l’organisation locale et dans les modèles de soins, ce qui va souvent à rebours du formatage des pratiques telles qu’envisagées par les tutelles. Constat avait été fait que les services travaillant avec les outils de la psychothérapie institutionnelle, de la psychanalyse et du désaliénisme avaient des pratiques du soin psychique se fondant sur le respect des libertés démocratiques fondamentales. En ce sens, le recours aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) est problématique et présente de nombreuses limites dans le champ psychiatrique : ce sont ces mêmes pratiques qui se trouvent désavouées dans certaines recommandations par cette instance de normalisation.

Concernant la surspécialisation du champ psychiatrique, telle qu’elle est recommandée dans le rapport 9, force est de constater qu’elle est une des causes du morcellement des prises en charge. Sous couvert d’une expertise plus grande, la parcellisation des soins est accrue. Plutôt que de soutenir la mise en place d’équipes mobiles aux objectifs toujours plus larges (précarité, géronto-psychiatrie, addictologie…), il serait plus aviser de soutenir les interventions généralistes et globales centrées sur la personnes et non sur des troubles ou sur des problématiques spécifiques.

Ce modèle, qu’encouragent les centres de références par pathologies, n’est pas fondé en psychiatrie, d’autant plus que de tels centres n’assurent jamais le suivi dans l’urgence puis au long cours, une fois leurs recommandations établies. De plus, un tel modèle d’organisation des soins se fonde sur l’assimilation de la psychiatrie à une spécialité médicale comme les autres, ce qui concoure à des erreurs quant à la spécificité de la psychiatrie, du soin psychique, de l’accompagnement dans le temps et du travail à partir du milieu de vie des personnes et de leurs proches.

S’il est opportun de lutter pour le droit au logement et la signature de convention avec les bailleurs, avoir un toit ne suffit pas à soigner et prendre soin. Le recours au « housing first » 10 est une vitrine qui ne doit pas se substituer à une approche thérapeutique préalable, dans la durée.

Par ailleurs, que le rapport se penche sur des populations souvent oubliées et toujours marginalisées comme les détenus est une bonne orientation. (propositions 21,22,23,24).

Pour les professionnels, nous tenons à saluer le rappel qui est fait concernant l’importance du rôle des psychologues cliniciens dans la pratique quotidienne 11 alors qu’ils constituent sur le terrain les premières variables d’ajustement dans le budget des hôpitaux. La réarticulation des compétences des professionnels ne doit pas rimer avec dégradation de soins de qualité et avec l’acceptation du cadre construit et accepté de la pénurie des professionnels (psychiatres comme infirmiers). Une volonté politique est ici nécessaire. Dans cette perspective, la formation initiale des différents professionnels se doit d’être ambitieuse et prenant la personne souffrante dans sa globalité, là où les modèles de formation par compétence, tels que promus actuellement, tendent à la segmenter.

Pour la formation continue, la réforme sur le développement professionnel continu (DPC) n’est pas abordée alors qu’elle nous semble l’un des enjeux centraux concernant la normalisation du champ psychiatrique. La spécificité de la psychiatrie est celle du travail collectif d’une équipe pluridisciplinaire dans la durée. C’est le partage des approches et l’inventivité des réponses qui priment dans l’adéquation des soins. La formation permanente est un lieu indispensable de la prise en considération des patients dans le respect de leur souffrance et elle a toujours été présente depuis l’origine de la psychiatrie de secteur. La seule condition de sens de cet espace, c’est qu’il demeure un lieu de recherche et d’élaboration, ce que ne garantit en aucune façon le DPC.

En conclusion, si ce rapport présente des avancées dans l’attention du politiques aux affaires psychiatriques, ce travail devrait se poursuivre pour qu’une loi de santé mentale, à défaut un volet spécifique dans une loi de santé publique, soit le reflet des exigences réelles du terrain.

Enfin, concernant la déclaration relative à l’inertie présente dans le champ de la psychiatrie, elle n’est pas l’apanage des seuls professionnels et mérite une volonté politique puissante qui ne s’appuierait pas uniquement sur la ségrégation – comme l’a fait le précédent gouvernement – ou des logiques gestionnaires exclusives telles qu’elles sont mises en place depuis la fin des années 1990. Un signe de cette volonté politique pourrait être, par exemple, la création de places dans des structures de soins et d’accompagnement en France afin de cesser la délocalisation de milliers d’usagers, enfants et adultes, en Belgique .

1- http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i1662.pdf
2- Notamment le rapport Couty et le rapport de l’OPEPS qui prévoyait l’organisation de la psychiatrie en trois niveaux et confortait l’hospitalo-centrisme
3- Propositions 1,2,3,4,6,7,8,9,13
4- Propositions 27,28
5- Proposition 7,8
6- Propositions 16,17,18
7- Proposition 19,20
8- Propositions 14,15,16
9- Proposition 12
10- Proposition 11
11- Proposition 25

www.collectifpsychiatrie.fr

Contact presse : mathieu.bell@gmail.com

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> L’au-delà de la Révolte

Texte pour le colloque La Révolte, Bruxelles 23 et 24 Novembre 2013

L’au-delà de la Révolte

D’où me vient ce gout, cette nécessité intime de la révolte et mon irritation, mon étonnement sans cesse renouvelé devant l’acceptation conformiste de ceux que Freud désignait comme la majorité compacte ? On sait que Freud pressentait que sa condition de minoritaire, et je préciserai doublement minoritaire en tant que « juif et juif infidèle » le rendait insupportable pour les antisémites mais aussi pour les religieux.
Les religieux des trois monothéismes d’ailleurs, car je dois à Fethi Benslama d’avoir appris le rejet par le journal égyptien Al Arham des hypothèses freudiennes sur l’homme Moise. L’idée qu’il fut égyptien était donc insupportable, y compris pour des égyptiens qui auraient pu y trouver un signe de fierté nationale, s’ils n’avaient pas été aveuglés par leur fidélité au Coran, qui reprend comme on le sait la tradition de la Torah, et donc le camouflage textuel du meurtre par les juifs, de cet « homme Moise » que Freud appelle le « Grand Etranger »…
Je dois dire que je me replonge dans ce grand texte freudien (L’homme Moise et le Monothéisme) de façon symptomatique à chaque fois que l’enjeu de la transmission me revient de façon toujours plus inquiète.
Sans doute dans la mesure où j’y trouve l’infini courage de l’homme Freud, qui au seuil de la mort, ne peut renoncer à son travail de recherche malgré la maladie, les menaces qui rodent sur l’avenir de la psychanalyse, l’existence même du peuple Juif et l’avenir même de l’humanité. L’inquiétude de la trahison/au peuple juif plane sur ce texte qui est pourtant l’exemple même d’une tentative de transmission in fine d’une posture très particulière : celle d’un juif qui ne renie en rien sa judaïté sans pourtant arriver à en préciser la teneur, mais qui ne lâche rien sur sa critique du monothéisme et de l’aliénation religieuse.
A l’inverse de nombre d’analystes qui ont opéré de nos jours un retour au religieux, en même temps d’ailleurs qu’ils s’écartaient du Politique, je soutiendrais que cette posture de juif infidèle que nous pourrions décliner sous toutes ses versions dont celle de musulman infidèle, serait un des biens les plus précieux que Freud nous aurait légué en héritage. Un héritage qu’il ne s’agit en aucune manière de faire fructifier sur le mode capitaliste, mais qu’il s’agit de transmettre, c’est-à-dire à réinventer sans cesse.
Il y a bien sur une somme d’ailleurs hétérogène du savoir freudien, et de même pour les œuvres de ses continuateurs Winnicott, Lacan, Mélanie Klein, Oury etc…
Et il est très important d’accueillir par le biais du transfert les élaborations et les trouvailles de tous ceux qui nous ont précédés. Mais en même temps comment réduire autant que faire se peut le rapport religieux à ces textes que l’amour de transfert peut nous amener à sacraliser ? Car l’amour comme la nostalgie peuvent pour citer Jankelevitch fabriquer des lieux saints (dans l’irréversible et la nostalgie).
Nous nous trouvons ainsi devant un paradoxe qu’il nous faut garder comme paradoxe, pour le dire comme Winnicott :
Nous devons en passer par le transfert pour accueillir et transmettre le vif de la psychanalyse ; or le transfert qui est de l’amour véritable peut nous maintenir dans l’assujettissement amoureux, voire dans l’emprise. Et quand l’analyste s’avère avoir été un maitre il semble bien difficile de se dégager de cette emprise au discours du maitre !
Mais plutôt que de généralités sur la question, je préfère maintenant parler en terme d’expérience, sans doute parce que je me méfie des théories édifiantes réglant les difficultés par avance…
Je me suis ainsi engagé dans l’analyse dès mon entrée en psychiatrie en 1975, préalablement touché à l’adolescence par Freud pour des raisons sur lesquelles je reviendrai en partie, mais absolument irrité, j’allais dire révolté par le psittacisme des élèves de Lacan, leur façon de répéter les aphorismes de leur maitre : tout cela me rappelait la synagogue, et me paraissait bien loin de la révolte freudienne qui m’avait touché à la première lecture. J’étais il est vrai à l’époque très engagé dans la révolte politique post 68, et si j’ai quitté une organisation politique d’extrême-gauche quand j’ai cessé de croire à l’horizon messianique qu’elle promettait, je n’ai jamais quitté cet engagement de révolte contre un système de domination et d’oppression. J’ai choisi par contre une manière de mettre en acte une utopie concrète qui se passerait de la promesse du paradis sur terre, car entre temps j’avais lu Malaise dans la Culture avec la critique freudienne vigoureuse et extralucide de « la bonne promesse bolcheviste ». Surtout j’avais traversé une longue analyse et j’avais aussi découvert chemin faisant que les associations d’analystes, y compris le Cercle Freudien où je m’étais inscrit, n’échappaient en rien à l’aliénation groupale que je rencontrais à l’Hôpital Psychiatrique, cette aliénation au moi idéal du meneur que Freud décrit dans Massenpsychologie.

L’entrée dans le transfert suppose une attente croyante qui nécessairement impliquera de l’amour et peut-être aussi de la haine pour l’analyste, avec le passage nécessaire par une position infantile, voire une régression où l’analysant peut se trouver totalement dépendant de l’analyste et de la situation analytique. On dira que c’est l’enjeu même d’une analyse que de se dégager d’un tel assujettissement, voire de liquider le transfert, expression que j’ai toujours trouvé meurtrière et inquiétante. Car pourquoi aurait-on envie de tuer l’expérience qui vous a permis de vous dégager un peu de l’assujettissement à la jouissance du symptôme ? En tout cas l’expérience montre que ce n’est pas si simple, et que le monde analytique ne brille pas d’individus originaux et révoltés, ayant trouvé leur propre style.
Au contraire j’ai plutôt l’impression que nous avons assisté à un recul dans les trente dernières années. J’ai relu dans le cadre d’un séminaire de la Criée (le Collectif de travail que nous avons fondé à Reims en 1985 sur le bord du Centre Antonin Artaud) les positions tenues par les grands analystes de l’Ecole Freudienne qui s’exprimaient dans Enfance aliénée, colloque tenu en 1967, donc un an avant Mai 68, où Maud Mannoni avait invité Laing et Cooper, colloque où chacun surenchérissait dans la radicalité en misant sur le nom et la doctrine de Lacan comme subversion de l’ordre psychiatrique mais aussi de l’ordre social. Quand on effectue cette relecture et qu’on la compare aux positions d’aujourd’hui de la plupart des analystes, on ne peut que constater un écart assez vertigineux. Sans doute était-il déraisonnable de miser sur une doctrine analytique, et sur le nom d’un maître fut-il génial, comme instrument de subversion ? On me dira que les doctrines de subversion politique ont produit bien pire, et c’est hélas tout à fait vrai, d’où le double constat que Freud aura raté la trouvaille de l’analyse marxiste en ne voyant de façon extralucide que la dérive stalinienne, et que Marx bien entendu n’a rien perçu de la logique de l’inconscient freudien. J’ai l’air d’énoncer des évidences, mais il faut rappeler cette double impasse, car il y eut la tentative ratée du freudo-marxisme, et que nous pourrions croire que le seul horizon de la révolte aujourd’hui serait celui d’une subversion intime comme l’écrit Julia Kristeva dans le beau texte que Pascale Champagne nous a donné à lire.
Je dirais de cet horizon proposé par Juila Kristeva, qu’il constitue l’abri actuel de nombre de ceux qui ont théorisé leurs déceptions et ont renoncé aux révoltes collectives et politiques en acceptant de fait le monde néolibéral tel qu’il est.
Je ne saurais pour ma part m’en contenter, alors que ce monde est celui d’une guerre sociale et d’une violence des processus de domination et de ségrégation, où les discours nationaux populistes, ne cessent de progresser y compris dans le discours de la gauche de pouvoir ! Il m’est insupportable d’entendre le discours de Valls sur les Rom, et surtout l’assentiment qu’il rencontre chez une majorité de français. Il m’est insupportable que des propos « racistes décomplexés » se libèrent, et que des forces néonazies s’expriment ouvertement de partout en Europe et en particulier en Grèce.
Et ce n’est pas Wassila Tamzali et Fethi Benslama présents dans ce colloque qui me contrediront si j’affirme que la tolérance bienveillante en Europe envers les islamistes dits modérés est franchement inquiétante. Car à l’heure de la mondialisation, ce qui se passe en Europe a des effets immédiats dans le monde arabe et en particulier maghrébin. Que le néofascisme de Marine Le Pen s’alimente de l’islamisme fascisant, devrait nous mettre en alerte et nous éviter de nous contenter d’une subversion du sujet restreinte à l’espace de la logique de l’inconscient. Certes cette proposition est vraie sous tous les régimes démocratiques, mais précisément nous sommes en recul sur la démocratie.
Une interview récente (in larevuedesressources.org) de Giorgio Agamben par Dirk Schümer intitulée : la crise sans fin comme instrument de pouvoir, précise ce déficit démocratique, en revenant sur un article précédent que la rédaction de Libé avait titré de façon provocatrice : Que l’empire latin contre-attaque ! Evidemment ce titre ne devait rien à Agamben qui n’est pas devenu nationaliste et chauvin alors qu’il insiste depuis toujours sur l’universalité de la Culture. Mais il remarque l’absence de légitimité populaire de la Constitution européenne et surtout la muséification du passé qui est le corollaire d’un appauvrissement de la culture de chacun des pays. Alors qu’il s’agit pour lui de soutenir l’hétérogénéité des cultures européennes dans leur rapport dialectique avec l’histoire et le présent contre l’homogénéisation du monde néolibéral. Je rajouterai que de telles propositions, de tels enjeux ne sauraient s’arrêter aux frontières d’une Europe latine et chrétienne. Mais au contraire constituer la base d’un cosmopolitisme qui est le seul horizon souhaitable du monde arabe en proie actuellement aux tourments de l’origine et à la violence de l’homogénéisation islamiste.
Remarquons d’ailleurs que cette homogénéisation qui s’attaque aux femmes, mais aussi aux intellectuels et à tous les laïques, aura constitué le contrecoup des indépendances, avec le départ des minoritaires, et en particulier des juifs, même si aujourd’hui, c’est le sort des chrétiens lorsqu’ils sont encore présents, qui est en jeu.
Cet enjeu du minoritaire fut le mien d’une manière insue, car le refoulement politique produisit l’illusion fallacieuse que les juifs d’Algérie avaient toujours été français, alors qu’ils furent longtemps considérés comme des indigènes par le colonisateur, comme des dhimmi par les musulmans. Le beau livre de Jacques Derrida « le monolinguisme de l’Autre » m’ouvrit, lorsqu’il parut, les yeux et les oreilles, et me permit de m’inscrire dans un récit collectif, celui de l’exil/bannissement d’une communauté abandonnant rapidement la langue arabe pour parler français mieux que « les français de France ». En trois générations une acculturation, une assimilation forcenée se produisit dans un violent silence, ainsi que le refoulement de la langue arabe par toute une communauté : il y avait d’un côté l’idéalisation des indépendances et la critique justifiée du colonialisme ; et de l’autre la vive aspiration vers la France, perçue uniquement comme le pays des Lumières et de la liberté. N’oublions pas d’ailleurs que ce sont ces idéaux qui animèrent aussi nombre des militants anticoloniaux alors qu’ils se confrontaient à un racisme qui excluait des droits de l’homme les populations dites indigènes. Et que ce sont toujours ces mêmes idéaux qui ont porté les révolutions arabes actuelles !
Cette violence symbolique et réelle, cette bataille entre les langues, le refoulement de la langue et de la culture arabe pour les juifs d’Algérie, toute cette constellation complexe constitua le déchirement intime et le soubassement probable de tous mes engagements ultérieurs : révolte contre le fait colonial très tôt perçu dans l’enfance, révolte contre l’enfermement religieux et communautariste, mais refoulement massif de l’acculturation qui me fit adhérer à une vision universaliste marxiste qui aurait aboli toutes les frontières. La levée dans l’analyse de ce refoulement sur le trauma de l’exil me fit d’ailleurs retourner sur les lieux de mon enfance pour en quelque sorte me confronter à la vérité subjective des constructions dans l’analyse, mais aussi à une perte irrémédiable. Il n’y aurait pas de retour possible, et au-delà de la douleur de ce sentiment, la conviction troublante du soulagement, du bonheur quasi inavouable de ce bannissement et de l’accès à la modernité. Le rêve explicite et souvent inavouable de nombre d’algériens, y compris de ceux qui ont partagé les combats anticoloniaux, mais envoient leurs enfants à l’étranger et en particulier en France dès qu’ils le peuvent.
Habiter cet exil intime, en faire autre chose que du dolorisme, sans pour autant dénier non plus la perte et la nostalgie inévitables, m’apparait aujourd’hui comme ce que nous pourrions mettre en partage au-delà de nos existences et de nos trajets particuliers.
Il y aurait une énergie que nous pouvons puiser dans le trauma historique comme subjectif, à condition de retourner la pulsion de mort contre elle-même, d’en faire autre chose que de la destructivité ou de la silenciation. A une époque j’ai appelé cette énergie, énergie du désespoir, et il est vrai qu’elle peut revêtir cette forme. Aujourd’hui je la pense protéiforme et bouillonnante, et quand je me retourne sur mon parcours dans la politique, la psychiatrie et la psychanalyse, je ne peux que prendre acte de cette énergie à l’œuvre dans ce que j’ai entrepris. C’est sans doute ce qui m’a permis de surmonter assez facilement le deuil du grand soir sans sombrer dans l’apolitisme et le cynisme désabusés ce ceux qui sont revenus de tout.
Construire l’utopie concrète d’une institution accueillant la folie, et ceci depuis plus de 30 ans suppose un au-delà de la révolte, ce qui ne signifie pas son extinction mais sa mise au travail, ainsi qu’un renoncement à toute idéologie de bonne promesse fut-elle fondée sur la psychanalyse. Car nous avons traversé aussi une époque où la psychanalyse ou plutôt son idéologie-le Psychanalysme (Robert Castel)- a tenu cette place dans les institutions.
J’en ai raconté récemment pour le colloque de l’AMPI (Association méditerranéenne de Psychothérapie Institutionnelle) un épisode fondateur que je vais me permettre de reprendre pour vous. J’étais alors animé de la foi du charbonnier dans l’antipsychiatrie, la rage de détruire l’asile, mais aussi de promouvoir des lieux d’accueil pour les patients. Déjà en analyse depuis plusieurs années, j’étais encore prisonnier d’un clivage et d’une idéalisation. Clivage entre la psychiatrie qui aurait été l’enjeu d’une lutte politique, et la psychanalyse en cabinet, pure de préférence. Je voudrais évoquer une fois de plus ce patient psychotique chronique, mon premier maitre en psychiatrie, que je croyais avoir libéré de ses chaines asilaires en le faisant sortir en appartement thérapeutique, et qui pourtant ne cessait de me demander le retour dans son « paradis perdu », puisque c’est ainsi qu’il appelait l’HP à mon grand désarroi. Il fallut qu’il insiste vraiment beaucoup et que son état s’aggrave fortement pour que j’accepte de le réhospitaliser pour un temps nécessaire. Le chèque d’1 million de dollars qu’il me donna alors, je ne cesse de l’encaisser psychiquement depuis ! J’eus d’abord une impression de sidération, que je traversais en m’écartant lentement mais irrémédiablement de l’idéologie du rejet destructeur de l’hospitalisation, comme de la conviction de l’absence de transfert analytique en dehors du cabinet du psychanalyste. Je rappelle que ces idées étaient alors dominantes et peut-être le sont-elles toujours aujourd’hui, quand bien même nous serions moins nombreux à nous soucier du transfert dans nos pratiques psychiatriques. Mais la Résistance de la psychanalyse à son propre déploiement persiste bien sûr comme l’avait finement analysé Derrida dans son livre Résistances de la Psychanalyse.
En tout cas cette perte, cette castration symbolique pour appeler les choses par leur nom, provoqua ce gain très particulier de me mettre au travail en m’inscrivant peu ou prou dans le mouvement de Psychothérapie Institutionnelle. Point besoin d’être analyste pour constater ce premier paradoxe fondateur d’une sorte de discours de la méthode qu’il nous faudrait garder comme principe directeur.

La psychose, ou plutôt le psychotique peut, à certaines conditions, être à la source de l’invention et de la création. Cela vaut pour le délire qui n’est rien d’autre si nous suivons le frayage freudien qu’une tentative de guérison. Que cette tentative puisse rater et amener le sujet en question à devoir chercher de l’aide est une autre question …
Ce qui me permet de revenir à cet « enseignement de la folie » titre d’un livre de François Tosquelles que je reprends comme un mot d’ordre. Soutenir cette proposition constitue un enjeu clinique, celui de se tenir au transfert, mais également un enjeu politique crucial, qui devrait nous dégager de la conception de la folie comme handicap et déficit, y compris déficit d’un signifiant des noms du père ! C’est d’ailleurs en cela que j’ai d’une certaine manière retrouvé en les remaniant les idéaux de l’antipsychiatrie. A condition de se sortir de la pente idéalisante et esthétisante de la folie, ce mouvement comme le surréalisme précédemment, avait fait valoir la vérité dont vient témoigner le psychotique à condition qu’il puisse trouver un lieu d’adresse ou-autre possibilité non contradictoire- qu’il puisse faire œuvre de son délire. Encore faut-il pouvoir l’aider à déchiffrer ce qui ne peut se dire et vient se montrer sur le mode d’une « définition ostensive ». Je reprends là le concept que Françoise Davoine a fait dériver de la logique de Wittgenstein, pour construire une clinique dynamique du transfert psychotique. Il me parait important de souligner la différence radicale de positionnement que Françoise Davoine, comme tous les thérapeutes de psychotiques, chacun à sa manière, fait opérer par rapport à une clinique psychiatrique ou psychanalytique qui resterait fondée sur l’objectivation du patient et de ses symptômes, comme dans les présentations de malades. Il est clair qu’une telle posture hors-transfert ne peut produire qu’une théorie édifiante qu’il s’agirait ensuite d’appliquer. Ce qui bien sûr s’avère impossible et provoque inévitablement de la déception. C’est tout l’enjeu d’une fétichisation de la « structure » qui en vient à récuser les progrès de la clinique. Comment ne pas trouver révoltante la critique itérative à chaque fois qu’un psychotique s’en sort, et que nous transmettons la réussite d’une psychothérapie analytique ? A chaque fois il se trouvera quelqu’un pour objecter que le patient ne devait pas être psychotique au départ et qu’il s’agissait d’une erreur diagnostique…
Il faudrait en quelque sorte que la clinique vérifie la théorie, alors que nous aurions à produire au contraire une théorisation à partir de l’expérience clinique et institutionnelle, expérience du transfert que l’on ne peut penser qu’en la traversant : c’est ce mouvement que je qualifierai d’itinéraire de formation.
Nécessairement nous allons nous heurter à toutes les vérités préétablies, à tous les préjugés et en premier lieu les nôtres, bien entendu ! Quelle surprise quand j’ai pu constater que des patients psychotiques pouvaient à certaines conditions transférentielles être supports de transfert pour d’autres patients ? Ou arriver à nouer des relations amoureuses et à engendrer sans pour autant se mettre à délirer ? Ce qui rencontre pourtant leurs zones de fragilité et les met à l’épreuve, un peu plus que les névrosés sans doute, sans pour autant rencontrer la fixité systématique d’une impossibilité de structure. Cela suppose de soutenir dans le Collectif et dans chaque thérapie la fonction phorique, pour reprendre le concept que Pierre Delion a proposé comme équivalent au holding winnicottien. Encore faut-il imaginer une première strate d’hospitalité inconditionnelle, celle dont parle Derrida à la suite de Levinas, une bejahung, une affirmation primordiale, qui ouvre un espace de possibilisation du transfert. Et que cet espace que je mets en rapport avec la « fabrique du pré » dont parle Oury dans Création et Schizophrénie soit un lieu dont la vivance soit sans cesse relancée.
Il est sensible dans le travail que nous faisons d’avoir la sensation de pratiquer de façon répétitive une véritable réanimation du Collectif. D’où l’épuisement parfois éprouvé puisque nous luttons contre les forces de mort et de silenciation que j’ai évoquées précédemment.
Des forces qu’on aurait tort d’attribuer seulement à la psychose des patients projetant sur les soignants leurs pulsions et affects destructeurs. Ce bombardement est indéniable, mais la vraie difficulté consiste à supporter et à traverser les forces d’anéantissement intrinsèques à tout Collectif.
Depuis que la Psychothérapie Institutionnelle existe, elle a pris acte de ces phénomènes et inventé des outils et des opérateurs concrets : groupes, réunions, travail de constellation, et surtout clubs thérapeutiques : autant d’espaces partagés où chacun se trouve invité à construire la vie quotidienne.
C’est ainsi que depuis 33 ans nous avons créé à Reims un Club thérapeutique fondé d’ailleurs avec ce patient dont j’ai parlé, et qui continue à accompagner nos initiatives à la mesure de ses possibilités vieillissantes. Le Club est le fil conducteur du Centre Antonin Artaud, et l’un des supports essentiels du service, d’abord dans l’ambulatoire, à une époque où la situation était verrouillée dans l’hôpital, puis peu à peu dans chacun des lieux d’accueil avec création d’un club fédérant les cinq clubs du service, la création d’un GEM articulé étroitement au club etc…
Nous touchons là un des points cruciaux de mon propos, car le simple acte d’articuler étroitement le GEM et les clubs constitue une transgression par rapport aux clivages administratifs en vigueur : les GEM reprennent le signifiant fondateur des clubs : « l’entraide mutuelle » mais ne doivent pas s’articuler à la fonction soignante. Ce qui est une absurdité ! C’est l’exemple même de la fragmentation d’espaces du néolibéralisme, de même que l’éclatement entre le soin et le médicosocial etc…
Si nous obéissions à de tels commandements, nous renforcerions le clivage et l’éclatement schizophrénique : tout le contraire du travail incessant de rassemblement que notre expérience nous enseigne pour prendre soin du psychotique ! Ce qui est une manière d’imager cet au-delà de la révolte en question : tenir le cap nécessaire à la pratique clinique, sans se soumettre à des impératifs absurdes. Encore faut-il que cette insoumission nécessaire trouve des lieux de métaphorisation et de mise en commun politique !
Sans doute faut-il que je vous parle pour conclure du climat, de l’ambiance subversive qui s’est créée depuis 5 ans. Il faut bien reconnaitre notre dette à l’égard de Nicolas Sarkozy dont le discours haineux a provoqué un sursaut chez certains dont j’étais, qui en sont venus à fonder le Collectif des 39 à l’initiative d’Hervé Bokobza , et un questionnement des patients à notre égard dans ces espaces partagés : clubs et surtout l’AG mensuelle du centre Artaud où nous construisons ensemble l’espace institutionnel. Un lieu où les patients peuvent mettre à l’épreuve la fiabilité de soignants à prendre réellement en compte leur parole, à mettre en acte leur dire et à ne pas « se payer de mots ». Le fait de ne pas se dérober, et même de s’offrir à la discussion, malgré quelquefois l’envahissement du délire de chacun, nous a permis d’accueillir une demande que je n’aurais probablement pas pu supporter auparavant. Les patients ont demandé à venir aux mobilisations des 39, aux meetings où ils ont pris la parole. Quelquefois de façon brillante, toujours de façon sensible émouvante et courageuse. Vous savez que dans ce mouvement ils en sont venus pour quelques-uns à créer une association indépendante « HUMAPSY » qui se réunit régulièrement, est invitée à faire des conférences dans IRTS, des facs de psycho, autrement dit dans une position de formateurs pour des soignants etc… Vous pourrez trouver leur blog sur internet. Ils défendent leur point de vue, et très logiquement la Psychothérapie Institutionnelle et la psychanalyse puisqu’ils en ont fait l’expérience, et sont nos meilleurs ambassadeurs auprès des autres soignants, et des collectifs de patients qui étaient jusqu’alors résolument hostiles à la psychiatrie et à la psychanalyse. Nous sommes au contraire maintenant dans un rassemblement inédit lors des auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat…
Cette émergence me parait bien sûr tributaire du transfert, des transferts multiples, mais aussi des franchissements de frontières qui jusqu’alors paraissaient infranchissables. Il n’est pas simple du tout de créer des lieux de combats partagés qui ne dénient pas pour autant les liens complexes de transfert et d’amitié. Chacun se trouve poussé hors de ses retranchements, ce qui peut être angoissant pour les thérapeutes, quelquefois utilisés comme moi auxiliaire, et bien souvent malmenés dans des situations limites, mais aussi pour les patients qui utilisent des sortes d’extension du transfert pour se recréer des espaces habitables, en combattant un monde qui les exclue à tous points de vue. Il est très émouvant de constater qu’ils revendiquent alors cette part d’humanité qui leur est déniée et que leur révolte prend alors les chemins inédits de la subversion des mots et des représentations. Chaque année nous préparons ainsi avec eux, dans le cadre d’une réunion hebdomadaire, la bien-pensante semaine de santé mentale rebaptisée « semaine de la folie ordinaire». L’ensemble négocié pied à pied avec les officiels, donnant lieu chaque année à une célébration festive, joyeuse et émouvante où les prises de parole, les sketches drolatiques, et les discours politiques s’entrecroisent pour un public d’amis et de proches. Ces franchissements sensibles s’effectuent et construisent ainsi une sorte d’accumulation d’expériences collectives et singulières, dans la construction d’une contre-culture s’affirmant dans le monde.
Je n’en prône pas pour autant l’euphorie du collectif et l’abolition naïve des frontières, mais bien plutôt la posture revendiquée de se situer à la frontière comme passeurs et contrebandiers. Dans le contexte de plus en plus difficile que nous connaissons d’hypercontrôle et de certification, d’aliénation massive aux protocoles qui sévissent de partout, je remarque que notre travail n’a jamais été aussi vivant. Cela ne signifie aucunement la trouvaille mensongère d’une harmonie, mais l’efficace de la méthode analytique, celle de la Psychothérapie Institutionnelle qui en est tributaire, et la nécessité de la confiance dans le transfert pour surmonter les moments de crise inévitables, les passages à l’acte que nous tentons d’accueillir pour qu’ils deviennent des acting out…

Je suis persuadé que cette méthode clinique et cette éthique s’effondreraient rapidement sans cette posture insurgée et militante qui a construit la psychiatrie pendant la seconde guerre mondiale, le moment politique de St Alban, et qui aura été le ferment de toutes les créations institutionnelles et transférentielles que l’Etat néolibéral veut enterrer aujourd’hui parce qu’elles vont à l’encontre de sa logique biopolitique.
Encore s’agit-il de la transmettre, et de former dans et par le transfert les jeunes qui arrivent et se risquent à la rencontre. Cela suppose une volonté, une construction de dispositifs de formation, par exemple les stages que nous avons développé au Centre Artaud, mais en premier lieu un dessaisissement pour laisser la possibilité d’une réappropriation qui pourra en passer par des moments d’opposition créative qu’il s’agira d’accueillir et de dialectiser.
Cela suppose aussi des lieux de métaphorisation dont ce colloque pourrait être partie prenante, pour donner support à une transmission qui ne saurait se passer de la fondation freudienne, mais devrait en même temps récuser le culte des ancêtres idolâtrés et retrouver enfin les chemins toujours inédits d’une confrontation au Politique.
Patrick Chemla

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> Gaetano Benedetti

Gaetano Benedetti vient de mourir et sera enterré à Bâle le 13 décembre

Pour ceux qui ne le connaitraient pas, son œuvre importante se trouve traduite par Patrick Faugeras et publiée aux Ed ERES.
Bien sur “La mort dans l’âme” qui l’a fait connaitre en France, et aussi un très bon entretien avec Patrick Faugeras “Rencontre avec G.Benedetti” (ed ERES) qui est une excellente introduction à son œuvre.
Il a été une source d’inspiration pour nombre de thérapeutes de psychotiques, et en particulier Françoise Davoine et Jean Max Gaudillière qui en parlent abondamment dans leurs ouvrages.
Il nous laisse ses livres et son expérience à transmettre.
En hommage à Gaetano Benedetti nous publions, avec son accord, un texte de Patrick Faugeras qui constitue la préface d’un livre à paraitre chez ERES : “Entretiens sur la schizophrénie”.
Ce texte a le mérite de situer très précisément les enjeux de l’œuvre au regard du traitement de la psychose, mais aussi d’une ouverture à l’ensemble du champ psychopathologique à partir des découvertes provenant du transfert psychotique.
Patrick Chemla.

Préface
Lorsque Gaetano Benedetti quitte la clinique universitaire psychiatrique de Zurich, demeurée célèbre dans l’histoire de la psychiatrie sous le nom de clinique du Burghölzli, celle-ci bruisse encore des noms et propos des psychiatres qui, à des titres divers, y ont exercé ou y exercent encore leur talent. Continuer la lecture de > Gaetano Benedetti

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Audition à l'Assemblée Nationale du collectif alternatif formation à l'initiative des 39

« Dans la suite des Assises sur l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social qui se sont tenues à Villejuif les 31 mai et 1er juin dernier, nous avions décidé de former le collectif alternatif formation. Nous nous sommes réunis le 16 novembre dernier afin de créer un réseau et d’élaborer des propositions en vue de l’audition avec la Mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie (MISMAP). Denys Robiliard, le rapporteur de la mission nous a auditionnés hier. Ci joint les propositions qui lui ont été faites. »

Propositions pour les formations initiales
Collectif alternatif formation

– Formation initiale des psychiatres

o insister sur le partage des pratiques comme vecteur de formation, d’enseignement, de recherche et de transmission : supervision, groupe de partage d’expérience
o Valoriser la spécificité de la psychiatrie au sein de la médecine : pour la maquette de formation des internes privilégier les stages en psychiatrie (plutôt que la mise en place des stages hors filières en neurologie et en pédiatrie) dans les services de secteur et pas préférentiellement dans les secteurs universitaires
o Valoriser la dimension psychothérapique de l’exercice de psychiatre, dans sa dimension de psychothérapie individuelle, de psychothérapie de groupe et de psychothérapie institutionnelle
o Valoriser les formations indépendantes de l’industrie pharmaceutique
o Valoriser la recherche en sciences humaines et la recherche fondée sur l’expérience de la pratique quotidienne

– Formation initiale des médecins généralistes

o 20 à 25% des consultations de médecine générale touchent à des problèmes psychiques
o Mettre en place pour chaque interne de médecine générale, une possibilité de stage en psychiatrie (6 mois) avec préférence sur le dispositif ambulatoire de secteur (activités d’accueil, d’orientation et de consultations) afin de sensibiliser les futurs généralistes aux problèmes psychiatriques fréquents et de
limiter le recours à la prescription de psychotrope (valoriser les lieux de stages indépendants de l’industrie pharmaceutique)
o A défaut d’un stage : possibilité de mettre en place une consultation régulière durant l’internat (lors des demi-journées de formation hebdomadaire qu’ont les internes dans leur cursus) pour valoriser la dimension psychothérapique et le travail dans la durée.
o Privilégier le partage d’expérience à partir des groupes Balint (partage d’expériences entre pair visant à aborder les difficultés dues à la maladie, au malade, au médecin dans la relation thérapeutique)

– Formation initiale des infirmiers

o Mettre en place une formation spécifique pour les étudiants se destinant à la psychiatrie à partir de la deuxième année de formation une orientation sur les acquisitions théoriques et pratiques lors de stages de psychiatrie (adulte, enfant, gérontopsychiatrie, addictologie…) pour un diplôme IDE avec orientation psychiatrique (et non une spécialisation infirmière prenant un ou deux ans de plus au diplôme d’Etat)

– Formation initiale des psychologues

o Valoriser une formation diversifiée ou les psychothérapies dans les différentes dimensions soient envisagées (tant individuelle, de groupe qu’institutionnel). Faire une place à l’enseignement spécifique de la psychanalyse puisque de nombreux UFR de psychologie clinique n’enseignent plus la psychodynamique et les thérapeutiques institutionnelles
– Formation initiale des éducateurs spécialisés
o Sensibiliser aux problématiques psychiatriques avec le partage d’expérience à partir du terrain (possibilité sous la forme de supervision ou de groupe de parole lors du cursus initial)

Argumentaire concernant l’exigence d’un diplôme en Y pour les infirmiers

L’instauration du diplôme unique en 1992 a mécontenté tous les soignants. Le contenu de celui-ci étant jugé insuffisant tant pour les infirmiers amenés à travailler en soins généraux que pour ceux travaillant en psychiatrie.
Ce nouveau diplôme a entrainé une réduction considérable des heures de cours de psychopathologie, psychanalyse, psychologie, soins infirmiers en psychiatrie etc.
Par ailleurs, précédemment l’essentiel des stages étaient effectués dans des services de psychiatrie, le nouveau diplôme ne prévoyait plus qu’un stage obligatoire : soit en psychiatrie ou en gériatrie. Et un autre : soit en pédopsychiatrie ou en pédiatrie.
Ainsi un certain nombre d’infirmiers ont pu obtenir leur diplôme sans n’avoir jamais effectué de stage en psychiatrie.
Cette insuffisance particulièrement criante en psychiatrie à obligé le ministère à la reconnaitre à de multiples reprises (uniquement pour la psychiatrie et pas pour la MCO) au travers de circulaires, préconisant, puis obligeant : les infirmiers primo arrivant en psychiatrie à suivre une formation complémentaire dans le cadre de la formation continue, afin de pallier au manque de bases en psychopathologie et d’approche psychodynamique (psychanalyse, psychothérapie institutionnelle…) les établissements à mettre en place un dispositif de tutorat de ces primo arrivant par des infirmiers séniors, aptes à leur transmettre, pour palier le manque de stages en psychiatrie durant la formation initiale par la transmission in situ des savoirs faire et des compétences acquis des anciens « ISP » (Infirmiers de secteur psychiatrique).
Cette situation s’est encore aggravée avec l’instauration de la nouvelle formation universitaire des IDE. Du fait d’une nouvelle amputation des temps de cours consacrés à la psychopathologie et aux soins infirmiers en psychiatrie.

Pour compenser ce déficit de formation depuis 1992 un débat oppose les tenants de la spécialisation aux tenants de la spécificité.
L’intérêt de la spécialisation serait une reconnaissance statutaire et financière de ces infirmiers spécialisés en psychiatrie au même niveau que les IBODE (infirmiers de Bloc opératoire). Mais dans la mesure où tous les infirmiers exerçant en psychiatrie n’auraient pas obligatoirement cette spécialisation, cela ne règlerait pas la question de la formation adaptée au champ de la psychiatrie pour tous les infirmiers exerçant en psychiatrie.
La spécificité permettrait de redonner à chaque infirmier exerçant en psychiatrie une formation adaptée. De même que la formation des infirmiers exerçant en MCO serait, du coup, elle aussi revalorisée.

Suite aux Etats Généraux de la psychiatrie de 2003, cette question a été travaillée par un certain nombre de syndicats et d’associations aboutissant à l’élaboration d’une proposition de diplôme en « Y » soutenue par les associations Serpsy et CEMEA et par les fédérations CGT, SUD et FO.
Ce diplôme comprendrait une première année commune puis l’étudiant choisirait une option, soit Psychiatrie, soit MCO. A terme on pourrait même envisager une formation en « chandelier » en augmentant les options possibles (santé publique, gériatrie,…).
Après la première année commune de formation tous les étudiants étudieraient l’ensemble des « systèmes » somatiques et l’ensemble de la psychopathologie. Mais l’étudiant étudierait de manière plus approfondi l’option choisie. De même que l’essentiel des stages s’effectueraient dans ce champ.
Lorsque l’infirmier souhaitera changer de champ, il bénéficiera d’un dispositif d’adaptation comprenant des formations complémentaires et un tutorat, équivalent à ce qui se fait actuellement pour les primo arrivants en psychiatrie.

Voir les textes complet sur le site d’UTOPSY

http://www.utopsy.fr/IMG/pdf/proposition_pour_la_formation_collectif_alternatif_formation_-_collectif_des_39.pdf

http://www.utopsy.fr/IMG/pdf/audition_mismap_collectif_alternatif_formation_-_collectif_des_39.pdf

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> On ferme une UHTC alors qu'il faudrait en créer !

Communiqué du Collectif des 39 – « Quelle hospitalité pour la folie ? »

à propos de la destruction d’une unité d’hospitalisation pédopsychiatrique temps plein au CHU de St Etienne (Loire).

On ferme une UHTC alors qu’il faudrait en créer !

La pédopsychiatrie a vocation à apporter une réponse à toutes situations nécessitant des soins psychiques appropriés aux troubles présentés par chaque enfant.

Le manque crucial de places d’hospitalisation à temps complet en France ne permet pas d’assurer une hospitalité suffisamment bonne à de nombreux enfants. Dans la plupart des secteurs de pédopsychiatrie, les enfants très malades qui ont été soumis a des traumatismes relationnels précoces, sont abandonnés par les équipes de soin en ambulatoire qui n’ont pas à leur disposition les unités d’hospitalisation à temps complet qui leur conviendraient. Ces enfants sont surnommés les « incasables ».
Pour une fois qu’un service de pédopsychiatrie, dépendant du CHU de Saint-Etienne, assumait sa mission en développant une « clinique spécifique » concernant la psychopathologie des enfants protégés par l’ASE malades pédopsychiatriquement parlant et alors que de nombreux services de pédopsychiatrie ont du mal à les soigner, cette pratique se voit condamnée.
Or elle représente une exception souvent mal comprise mais novatrice dans ce domaine. De telles compétences, une telle expérience sont en train d’être cassées, rejetées.

En créant une Unité d’Hospitalisation à Temps Complet (UHTC) ainsi qu’un accueil familial thérapeutique (AFT), unités adossées à deux hopitaux de jour recevant les enfants en journée complète, nous ne pouvons qu’être consternés d’apprendre que l’ensemble de ce dispositif est remis en question comme la dénonciation par le CHU de la convention le liant au Conseil général.

Ces possibilités d’hospitalisations et de suivis doivent être préservés, reconnus et développés, car tous les secteurs de pédopsychiatrie devraient avoir un panel d’outils semblable à celui mis en place à Saint-Etienne, ce qui est bien loin d’être le cas.

L’administration du CHU de Saint-Etienne aurait-elle trouvé qu’il n’était pas productif de s’occuper des enfants de cette tranche d’âge-là (3-12 ans) car ils seraient encore trop jeunes pour représenter un danger pour autrui? Que ces unités, indispensables dans le champ de la santé publique de l’enfance, soient actuellement menacées dans leur existence par une gestion qui se montre aveugle à la valeur de ces dispositifs de soin spécifiques est tout simplement scandaleux.

Actuellement, d’autres structures sont menacées de fermeture : le CMP du 14ème arrondissement de Paris, l’école de Bonneuil…etc. Leur point commun avec le service de pédopsychiatrie de Saint-Etienne est qu’elles sont aussi des structures alternatives, des lieux singuliers, alors que nous sommes dans une période d’homogénéisation et de regroupement des structures.

Afin de lutter contre la suppression de l’AFT et des hôpitaux de jour, le Dr Maurice Berger, qui a dirigé ces unités pendant 34 ans, demande de l’aide en appelant à écrire à 6 personnes en plus de lui-même (cliquez sur ce lien pour avoir accès à sa lettre).

Nous demandons la réouverture de l’Unité d’Hospitalisation fermée en juillet ainsi que le maintien des Hôpitaux de Jour et de l’Accueil Familial Thérapeutique qui seraient actuellement gravement menacés.

Paris, le 25 novembre 2013

Un lien vers un article de presse sur la situation:
http://www.ouest-france.fr/chu-saint-etienne-soutiens-mondiaux-au-service-de-pedopsychiatrie-ferme-1726320

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> RESISTANCES A LA RESISTANCE

RESISTANCES A LA RESISTANCE

Les journées nationales de l’Association Française des psychiatres privés ( AFPEP) ont eu lieu à Lyon à la fin du mois de septembre.  » Résistances  » en fût le thème et nombre d’intervention de grande qualité ont jalonné deux jours de travail passionnant , voire passionné . Nous publions ici l’intervention du Dr Hervé BOKOBZA, président d’honneur de l’AFPEP et membre du collectif des 39:

Oserais-je une question pernicieuse : être là parmi vous n’est il pas un signe de résistance ?

Intervenir aux journées de l’AFPEP n’est-ce pas me positionner ou être positionné comme un résistant ?

Car j’ai ouï dire que cette association serait un repère de résistants. C’est ce qui se dit dans les couloirs, les ministères, parmi les adhérents ou ceux qui n’adhérent pas, par certains universitaires.
Etre ici me stigmatiserait, me désignerait : résistant
Je ne pourrais pas y échapper

Ceci pour prévenir tous les intervenants et tous les participants : être présent aujourd’hui est déterminant pour la suite de vos parcours ! Mais si mais si… croyez moi !
AH ! Vous étiez aux Journées à Lyon en 2013 ! Oui, c’est dans votre dossier ! Non, ce n’est pas très bon pour vous ! Parce que vous refusiez le stade 2 et qui plus est vous voudriez vous retrouver au stade1 ! Non, vous n’avez pas toujours été au stade 1, de toute façon nous n’y avez plus votre place ! Et puis si cela continue on vous mettra au stade 3 ! Comme cela on sera tranquille !

Au stade ? Quel stade ? Je n’ai pas dit stade, j’ai dit strate ! Quelles strates ? Ben au sein des strates de Bredzinski ?

Je vous prie d’abord d’accepter cette répétition chronique concernant ce cher Bredzinski qui doit être très surpris que je parle de lui si souvent; en effet je suppose que certains d’entre vous doivent être las, j’entends déjà vos soupirs : encore lui
Et oui, que voulez-vous quand on tient une pareille merveille on ne la lâche plus !

Cet ancien conseiller de Carter qui en 1995, proposa, pour assurer la domination des puissants, un cahier des charges pour la transmission des savoirs à venir, à même d’assurer la gouvernance de 80 % d’humanité surnuméraire (dixit) dont l’inutilité est programmée : trois pôles ou strates sont alors définies:

D’abord un pôle d’excellence: il devra être en mesure de transmettre des savoirs sophistiqués et créatifs, ce minimum de culture et d’esprit critique sans lequel l’acquisition de savoirs n’a aucun sens ni surtout aucune utilité véritable.

Pour les compétences moyennes, il s’agit de définir des savoirs jetables, aussi jetables que les humains qui en sont les porteurs, dans la mesure où, s’appuyant sur des compétences plus routinières et adaptées à un contexte technologique précis, ils cessent d’être opérationnels sitôt le contexte dépassé. C’est un savoir qui, ne faisant pas appel à la créativité et l’autonomie de pensée, est à la limite un savoir qui peut s’apprendre seul, c’est à dire chez soi, sur un ordinateur et avec le didacticiel correspondant ; ce pourrait être l’enseignement multimédia.

Restent enfin les plus nombreux, les flexibles, ceux qui ne constituent pas un marché rentable et dont l’exclusion de la société s’accentuera à mesure que d’autres continueront à progresser. La transmission de savoirs réels, coûteuse et donc critique n’offrira aucun intérêt pour le système, voire pourra constituer une menace pour sa sécurité. C’est évidemment pour ce plus grand nombre que l’ignorance devra être enseignée de toutes les façons concevables.
Et qu’il faut tout faire, qui plus est, pour cloisonner ces trois champs de savoir et de transmission
Moi qui croyais qu’il n’ y avait que les classes sociales qui se distinguaient, moi qui croyais tout bêtement que la lutte des classes existait, encore et encore, voilà que j’apprends qu’il existe d’autres catégories en apparence inconciliables !
Sauf à oser une interprétation possible : que Bredzinski propose une transmission des savoirs à même de maintenir les classes sociales existantes et surtout à faire croire qu’il n’y plus de luttes de classes, concept dépassé, éculé, voire ringard, archaïque
Tout cela pour dire que la psychiatrie étant une discipline sociale par excellence, il me parait important de rappeler rapidement le contexte dans lequel nous nous trouvons pour bien poser cette question :
Au nom de quoi et de qui faudrait il résister ?
A mon avis, c’est au nom d’une conception du fonctionnement psychique, en bref au nom d’une éthique que nous pouvons élaborer nos pensées et nos actions. J’essaierai aussi de démonter les principaux mécanismes tentant de nous expulser de cette position éthique et dans un troisième temps j’aborderai quelques éléments qu’il nous faudrait clairement appréhender pour éviter les pièges qui nous sont tendus.

Ethique : certes ce mot est galvaudé, sur représenté, voire confisqué ; mais nous avons le souhait de continuer à le faire vivre, à le cajoler, l’apprivoiser, l’écouter et nous demander quel rapport existe entre l’éthique et l’Hospitalité, l’hospitalité étant quand même au cœur de l’énigme de notre choix d’être psychiatre.
Pour Derrida, l’hospitalité est infinie ou n’est pas ; elle est accordée à l’accueil de l’intime, de l’inconditionnel ; elle n’est pas une région de l’éthique.
L’éthique est l’hospitalité
Mais il précise que sans les lois conditionnelles de l’hospitalité, la loi inconditionnelle de l’hospitalité risquerait d’être un vœux pieux, sans effectivité, voire de se pervertir à tous moments.
Il y aurait donc un lien, voire un impossible ou un hiatus entre la loi de l’hospitalité universelle et ancestrale et les lois de l’hospitalité contextuelles par essence. C’est peut être cette mise en tension entre l’utopie nécessaire et la réalité qui constitue l’essence même de notre pratique en sachant que l’utopie restera toujours une utopie car elle ne sera jamais réalisée et que cette mise ne tension demeurera toujours …en tension
Ouvrir la porte de la salle d’attente ou répondre au téléphone ferait partie de l‘hospitalité universelle, de cette hospitalité qui serait nommée éthique. Mais comment accueillir l’Autre ? L’accueil de cet étranger dans cet espace serait de l’ordre du contextuel, dont le contenant et le contenu, dialectiquement liés, constitueraient alors la trame
Le contenant c’est le cadre de travail patiemment élaboré, défendu et exigé depuis plus d’une quarantaine d’années, celui de la psychiatrie libérale conventionnelle et j’insiste toujours sur le mot conventionnel. Ce cadre s’articule autour de 5 critères fondamentaux inéluctablement liés entre eux : indépendance professionnelle, liberté de choix, remboursement des soins de haut niveau, reconnaissance de la valeur du CPSY, respect du secret médical
Ce cadre a subi et subit des attaques permanentes et il continuera d’en subir.
Je pense que le défendre maintenant, résister à son démantèlement aujourd’hui comme hier constitue le devoir de résistance le plus noble et le plus élevé de nos associations. Il affirme dans ses principes que les patients doivent pouvoir se soigner quand ils veulent, où ils veulent, auprès de praticiens libres de leurs actes, sans jamais oublier que le psychiatre libéral conventionné est le premier praticien dans la cité et que cette spécificité française développée à partir des années 70, comme le développement du secteur psychiatrique, d’ailleurs, a constitué un progrès formidable contre le désenclavement et l’exclusion des malades mentaux. Pour cela le rôle du SNPP a été et demeure fondamental.
Cependant ce dispositif est essentiel mais non suffisant à l’exercice de la pratique. Il faut se forger les outils conceptuels nécessaires à cette pratique, en quelque sorte conceptualiser le contenu.
Car accueillir des personnes en souffrance ne va pas de soi et représente toujours un risque : l’étranger est potentiellement menaçant, le fou d’autant plus.
Ce risque a un versant obscur et Bruce Bégout cité par Jean Jacques Martin déclare dans son ouvrage « la découverte du quotidien » « le choc de l’étranger ne revient pas simplement pour moi à être exposé à une expérience dérangeante et impénétrable, mais à vivre une expérience qui opacifie mon propre commerce avec le monde (…)Même s’il n’a aucune intention hostile à mon égard, l’étranger parce qu’il est étranger m’aliène, il peut me rendre étranger à moi même. La révélation de son identité différente me dévoile par contre coup la différence douloureuse de ma propre identité ; car à la vérité ce n’est pas la différence qui m’importune mais le fait que sa différence me fait prendre conscience de ma différence, celle qui se révèle entre moi et moi même » l’étranger révèle ce que Bégout appelle l’inquiétante étrangeté du familier, il sert de bouc émissaire à notre insécurité ontologique.
Il n’y a aucune raison que les psychiatres ne soient pas aux prises avec ce penchant naturel, avec cette crainte, cette ambivalence d’affects, de rejet quasi ontologique. Freud nous l’avait enseigné : le petit enfant fait une expérience inaugurale d’ambivalence très jeune quand il prend comme premier objet hostile celui qui lui est indispensable.
Jean Jacques Martin (opus cité) parle du syndrome de Robinson Crusoé parlant de sa double terreur : peur que jamais personne ne vienne et peur que quelqu’un vienne.
Tout cela pour vous dire que l’hospitalité de la folie ne va pas de soi, surtout si on la définit comme : venez faire du chez vous, vous qui en êtes plus ou moins dépourvu, avec moi qui vais faire du chez moi avec vous
En comprenant bien dès lors que faire du « sans vous » , du sans eux me préserve d’être obligé de ne plus être tout à fait chez moi ; ne pas prendre le risque du heurt, de l’ébranlement, de la menace que représente toute rencontre.
Qui plus est ce « sans eux » nous épargne d’être éprouvé par l’ambivalence de l’hospitalité et le hiatus entre l’utopie et la réalité de cette éthique de l’hospitalité
Le « faire sans eux » c’est prendre toutes les mesures possibles pour organiser une grande exclusion dont un des symboles est par exemple l’invention d’une nouvelle classe chimique de médicaments : les anti psychotiques
Qui supporterait que l’on dise les anti dépressifs ?
On se ne se cache plus, on est décomplexé : on veut éradiquer les psychotiques, c’est écrit dans le texte
Comment faire sans eux, c’est comment faire contre l’humanité de l’ambivalence, contre la poésie de l’incertitude, contre la dette que l’humanité entière doit à la folie !

Depuis toujours sans doute mais surtout depuis une trentaine d’années un traitement de choc, si j’ose dire , est administré dont l’objet va être de ‘faire sans eux », c‘est à dire donc « faire sans une bonne partie de soi» : Une formidable collusion entre les intérêts du capital financier et une certaine conception de la maladie mentale a vu le jour : plus qu’un mariage, c’est une alliance quasi symbiotique dont il s’agit, une passion raisonnable et folle à la fois; une folie passionnelle, un acharnement pour exclure, dénier, rejeter la folie de la condition humaine, ou tout au moins la transformer en excroissance hideuse et honteuse .
Première médication : des slogans martelés à souhait, comme des évidences de langage, indiscutables et indiscutées:
Maîtrise, transparence, homogénéité en sont les fers de lance.
Pas un texte, pas un décret, pas un enseignement, pas un protocole qui ne s’appuie sur ce triptyque
Pour résister il nous parait essentiel de repérer quelques mécanismes essentiels de cette machine de guerre : je ne ferai que les citer brièvement :
– dé conflictualiser : pour cela on inventera les conférence de consensus: consensus mou par essence (comme en Politique d’ailleurs), élaboration de références dites adéquates, une procédure que l’on pourra appliquer sans risque et sans engagement personnel.
La question du soin aux enfants autistes en est la triste résultante et sans doute la première avancée d’une longue série
– déhiérarchiser la juxtaposition de différentes théories et l’affirmation sans cesse réitérée de l’origine multifactorielle des troubles est utilisée pour apaiser les dissensions, on les énoncera de façon linéaire, monocorde : génétique, environnementale, psychologique, biologique etc. L’être bio psycho social nous est vendu comme la norme où tout serait l’égal du tout

– Penser que la technique est neutre, alors qu’elle est toujours au service d’une idéologie

– Mettre sur le marché les processus d’évaluation : orchestrés comme un véritable rituel c’est la mise sur le marché d’un immense et tragique processus de colonisation mentale à même de nous convertir à une nouvelle religion, «celle du faire sans eux». La scène de l’évaluation, qu’elle prenne les visages de l’accréditation, de la démarche qualité ou autre évidence base médecine (EBM) est la scène d’une véritable propagande qui nous convoque tous à l’adoption d’une véritable novlangue, d’un style anthropologique dont nous devrions emprunter les voies lexicales.
L’évaluation ne croit ni aux éthiques professionnelles, ni aux régulations institutionnelles. Elle se méfie de l’humain. Elle ne veut qu’une seule chose : nous soumettre.
– médicaliser ou socialiser le fait psychopathologique : vieux débat qui est d’autant plus d’actualité aujourd’hui.
-dé spécifier : faire de la psychiatrie une discipline médicale comme les autres –

– introduire et maintenir la peur du fou : voir le discours du plus haut représentant de L’Etat, à Antony il y a près de 5 ans ; reprenant en cela ce que disait Kraeplin, le père de la psychiatrie moderne : Méfions-nous , méfiez-vous des fous, ils seront dangereux toute leur vie qui hélas sera bien longue»

– Créer un climat où dire le diagnostic et pronostic serait une fin en soi ! Alors que ces dires peuvent être les éléments qui feront du patient un prisonnier, liés par des chaines qui ne sont plus des chaines mais des mots. Et comme le disait déjà le regretté André Bourguignon, poser un diagnostic c’est tarir deux sources de l’angoisse du psychiatre : l’inconnu devant la folie et de la relation au fou.

– utiliser les dérives de la psychanalyse pour mener une offensive de grande ampleur contre la plus extraordinaire découverte du 20ème siècle concernant le fonctionnement psychique.

Vous avez sans doute compris pourquoi je vous ai parlé de Bredzinski et de la question de la transmission des savoirs : Il a raison car pour assurer leur domination les maîtres de l’époque post moderne (telle que définie par Lyottard) ont besoin pour la pérennité de leur divin marché de maintenir une domination idéologique sans faille , de convertir la majorité des humains à cette pensée technicienne sans faille. Nous devons appartenir à cette deuxième strate, bien calés avec notre savoir spécifique, cloisonné, fermé et réconfortant pour le pouvoir que nous pourrions avoir sur ceux qui nous sont confiés.

C’est une conversion douce, en apparence dépourvue de barbarie
Une conversion perverse car elle tente de nous compromettre dans le processus de notre propre exclusion.
Une conversion brutale car elle nous impose un chantage insupportable: obéis et tais-toi, obéis ou disparaît ou meurs ( la condition marrane)

C’est une conversion à une pensée qui abolit le sens, (le soignant technicien est corvéable à merci et surtout interchangeable)

Nous savons que le combat pour la reconnaissance du caractère humain de la folie est intemporel
Ce qui est temporel c’est la stratégie et la tactique à adopter en fonction du contexte socio politique, d’une part et du contexte scientifique de la discipline d’autre part, même si les deux sont intriqués d’une telle façon aujourd’hui, qu’il n’est même plus besoin de dialectique pour s’y retrouver. L’enseignement de la psychiatrie, le discours et la pratique universitaire, des pratiques inféodées à l’industrie pharmaceutique ne sont que le bras scientifique d’une exigence du marché, du diktat financier sur le fonctionnement psychique, d’un essai permanent d’assurer, sous prétexte d’une maitrise des couts de la santé publique, une maitrise de la relation , une maîtrise du psychiatre (lutte contre son indépendance ), une maîtrise même du sujet avec cette nouvelle loi qui introduit à mon sens une véritable rupture épistémologique : les soins sans consentement en ambulatoire

ALORS COMMENT RESISTER ?
La résistance individuelle, permanente, quotidienne, est sans doute au cœur de l’invention thérapeutique, du praticien comme du patient, en cabinet ou en institution.
Cette résistance au quotidien a besoin de s’appuyer sur une résistance collective.
Celle-ci parait bien sûr indispensable et pourtant elle va se heurter à d’importantes réticences voir des résistances tenaces, en nous mêmes comme chez les autres.
je ne m’étendrais pas sur la tendance la plus lourde, style : «tout cela ne sert à rien» –
En revanche, je voudrais insister sur deux modes de réticences très opératoires et contre lesquelles nous avons à affiner notre riposte et à accroitre notre vigilance :

1- combattre la nostalgie
Notre génération est parfois traversée par un dire nostalgique : « c’était mieux avant » je vous épargnerai un commentaire sur les mécanismes psychiques à l’œuvre dans ces cas si fréquents, mais pour en parler je vais revenir sur cette conversion qui nous est imposée et sur la question de l’héritage.
C’était mieux avant c’est sans doute ce que se sont dits les marranes, ceux qui furent aussi appelés les nouveaux chrétiens avec le maintien d’une foi cachée et de rituels à même de maintenir la mémoire. Cependant pour ces nouveaux chrétiens le clivage entre l’éducation chrétienne et l’héritage juif pouvait conduire à une distanciation critique, à une remise en cause de l’une et de l’autre tradition.
Car ce que le champ religieux des “ nouveaux chrétiens ” comporte de spécifique, c’est précisément cette tension vécue entre les deux religions, judaïsme et christianisme, avec les hésitations qui en résultent. De ces complexités mouvantes émergent, en définitive, un sens inédit de la relativité des croyances (comme en témoigne Montaigne), ainsi que l’esprit critique qui pour la première fois dénie leur caractère sacré aux textes bibliques, comme ose le faire Spinoza.
N’en est il pas de même pour notre pratique et son évolution depuis une trentaine d’années ? L’expression de la folie varie à travers les âges et le cadre transférentiel aussi; ainsi il serait utopique de penser, par exemple, que la question du diagnostic qui prend une telle ampleur ces dernières années n’aurait pas d’effet sur les mécanismes relationnels en jeux dans la rencontre thérapeutique et ceci quels que soient notre position ou nos dires concernant cet énoncé du diagnostic; Cela vient du dehors, du socius et nous convoque à élaborer de nouveau les conditions de notre accueil
Devant cette tentative de conversion, un immense piège nous est tendu : pour nous protéger nous pourrions être tentés de défendre avec acharnement notre territoire, repliés, narcissiques , nostalgiques et disons le tout net défaits d’avance; gardons encore cette position marrane en ligne de mire : Celle qui bricole avec l’ exigence publique (on est bien obligé de préparer dans une institution les visites de nos chers accréditeurs) tout en préservant «notre religion privée», en sachant que ce bricolage débouchera sur une nouvelle façon d’être ou de travailler.
Qui plus est, on trouve dans le marranisme, un glissement très significatif de la notion classique de conversion vers la notion beaucoup plus ouverte et indépendante de conversation intime entre des univers spirituels et des imaginaires ennemis, ou pour le moins étrangers l’un à l’autre.
Ne devons-nous pas garder en mémoire cette formidable leçon d’histoire pour mieux résister?
Abordé sous un autre angle Derrida nous dit quelque chose d’équivalent : «je me sens héritier , fidèle autant que possible » et il ajoute : « la meilleure façon d’être fidèle à un héritage est de lui être infidèle »
Il s’agit ainsi de ne pas le recevoir à la lettre comme une totalité mais plutôt de le prendre en défaut, d’en saisir le moment dogmatique, pour rester inventif, créatif.
En fait quitter les dogmes pour pouvoir élaborer des doctrines, c’est faire usage de ce savoir d’excellence dont nous parle ce cher Bredzinski

2- Mettre en garde ceux qui, parmi nous, identifient comme extrême, ou extrémiste la radicalité parfois nécessaire du discours : les extrêmes seraient insupportables, assimilés les uns aux autres
Un petit point d’histoire apparaît indispensable : le 20ème siècle a été dominé par deux événements effroyables : le stalinisme et le nazisme
Certains ont élevé le discours de symétrisation entre nazisme et stalinisme au rang d’un combat contre toutes les formes d’oppression.
Or il me semble qu’il ne faut pas céder à la symétrisation , non pas que le stalinisme soit moins ou plus grave que le nazisme mais parce qu’il est impératif de tenir compte du fait que le goulag, le stalinisme est une corruption, une confiscation éhontée de l’idéal de justice que porte le communisme tandis que dans le projet nazi , tout était dit; le pire était dans le projet même; la dissymétrie n’est donc pas dans les faits mais dans les idéaux, les projets; Les victimes du goulag , avant d’être des victimes , furent des résistants féroces à la mise en place de cette bureaucratisation barbare à même de trahir les actions, acquis et rêves de la révolution; ils furent défaits, liquidés, assassinés,; le plus célèbre d’entre eux fût poursuivi jusqu’au Mexique, lâchement assassiné tant sa seule présence représentait un danger pour les bourreaux de l’idéal communiste gardons bien cela en tête pour ne pas alors sombrer dans le discours sur les extrêmes que l’on renverrait dos à dos; et qui nous priverait de la possibilité de tenir un discours radical quand cela est nécessaire sans se faire accuser d’extrémisme.

Car les excès, ou ce qui peut apparaitre comme tel, sont parfois nécessaires, ce sont souvent des symptômes à respecter pour sortir d’un carcan où règne l’immobilisme et l’indifférence! Dans les années 70, combien de psychiatres de toutes obédiences affirmaient que le combat contre l’utilisation de la psychiatrie à de fins politiques était un combat extrémiste, qu’il valait mieux balayer devant sa porte. D’ailleurs à Honolulu l’association mondiale de psychiatrie regarda le psychiatres français représentés par Gérard Bles et Jean Ayme comme de dangereux extrémistes car tout simplement ils posaient avec le comité Français contre l’utilisation de la psychiatrie à des fins politique les questions éthiques et politiques à un niveau peut être jamais atteint et dans ses attendus et dans son action permanente, tenace, inébranlable. La libération du mathématicien Leonid Plioutch, diagnostiqué schizophrène torpide (invention diagnostique!!) fut un immense succès : Jean Ayme qui m’accueillit comme externe me disait : être psychiatre c’est être militant et Gérard Bles qui m’accueillit comme jeune psychiatre à L’AFPEP dans les année 1980 élabora avec d’autres notre charte de la psychiatrie, celle de l’AFPEP qui n’a pas pris une ride,.
Près de 40 ans après, j’ai initié il y a près de 5 ans maintenant une réunion de soignants qui refusaient d’accepter que la discours du Président de la République sur la dangerosité du fou devienne une évidence indiscutable.

Les 39 sont nés, extrêmes et extrémistes pour certains, mais surtout extrêmement surpris de réunir près de 2000 personnes dans un meeting préparé en moins de trois semaines. Meeting qui fut à l‘évidence l’acte le plus accompli de la résistance collective et unitaire en psychiatrie depuis longtemps
30 ans après la rédaction de la charte de la psychiatrie, il s’agit du même combat : celui tout simplement de la dignité, vous savez celui dont Kant dit : « tout a un prix ou une dignité. Ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité.  »

Près de 5 ans après, notre axe de réflexion et d’action se maintient : celui de conditions matérielles de l’éthique celles que Derrida appelait donc les lois de l’hospitalité celles qui permettent que nous puissions vivre en tentant de se rapprocher, voire d’entre apercevoir cette impossible de cette hospitalité universelle Le combat éthique nous fait ressentir, approcher, appréhender combien il ne peut y avoir de compromis et combien ce soucis nous renvoie à la radicalité d’une position à tenir et à soutenir.

C’est cela qui réussit à fédérer et à réunir des soignants de différents bords, toutes professions confondues ; il est indéniable que les collectifs qui se multiplient dans tous les domaines du champ social ont pour objet de briser les isolements/ou les divisions syndicales; ils permettent à de nombreux citoyens de se ré approprier un espace du dire et de l’agir, à ré inventer de nouvelles formes de réflexion et d’action. Comme des îlots de résistance démocratique dans un océan de mensonges, de trahison et de capitulation
Aussi l’existence des 39 fait-elle des vagues, la mer est agitée, elle est cependant vivifiante bien que nous soyons fatigués par ce voyage dont nous ne connaissions pas le point d’arrivée, ni la route, ni l’équipage, ni même le bateau ; mais il nous a semblé qu’il nous fallait partir pour se lancer dans cette formidable traversée.

Ces deux points rapidement évoqués, parmi d’autres, allient complexité et radicalité, que je considère comme inéluctablement liées à l’époque actuelle

–Résister collectivement nous demande une intervention à deux niveaux :

– contre la machine ultra libérale et son relais gouvernemental avec ses attendus destructeurs et ses effets ravageurs sur l’existence même de l’humain,

– contre nos chers collègues , notamment nombre d’universitaires qui épousent , à leur insu ou de leur plein gré, ce discours éminemment réducteur; en soutenant un discours d’imposture : car il s’agit bien là de falsification et de mensonge, quand on se dit psychiatre et que l’on ose affirmer au début du 21ème siècle, que par exemple soigner revient principalement à faire et à énoncer un diagnostic, que le psychisme et le cerveau c’est du pareil au même, que l’inconscient on s’en fout, que tel patient devra prendre des médicaments à vie, que la dépression a comme unique origine des dysfonctionnements biologiques ou génétiques etc. Nous ne pouvons plus nous taire devant cette prévarication organisée, puissante, qui reçoit l’aval du prestige, du pouvoir et de la manne financière : nous ne pouvons plus accepter la décapitation clinique de l’abord du sujet ( Pierre Sadoul) car alors nous serions les complices de se «faire sans eux » , propre à organiser la nouvelle exclusion des temps post modernes

En conclusion : à l’époque actuelle que j’ai désignée par ailleurs comme celle des trois P : Preuve, peur et prédiction, éléments constitutifs du discours dominant, opposons l’éthique qui est l’hospitalité et qui en psychiatrie peut s’énoncer ainsi : éthique du doute, de l’engagement, du risque, ces trois termes étant dialectiquement liés
Celle qui nous permet de combattre tous les réductionnistes, celle qui nous permet de nous dégager du face à face morbide et mortifère que Patrice Charbit nous avait présenté l’année dernière : ce fameux balancier entre l’organique et le psychique
Alors peut être qu’au delà des notions de complexité et de radicalité, la question du paradoxe pourrait nous permettre de nouvelles ouvertures. Ce sera sans doute l’objet d’un prochain travail
Mais écoutons Thomas Szasz : « Si vous croyez être jésus, ou si vous croyez avoir découvert un remède contre le cancer ( et que ce n’est pas vrai) ou que vous croyez que vous êtes persécutés pas les communistes et que ce n’est pas vrai, alors il est probable que vos croyances seront interprétées comme des symptômes schizophréniques. Mais si vous croyez que le peuple juif est le peuple élu, que Jésus est le fils de Dieu ou que le système communiste est le seul système scientifique moralement juste alors on interprétera cela en rapport avec ce que vous êtes : juif, chrétien ou communiste
C’est pourquoi je pense que nous ne découvrirons les causes chimiques de la schizophrénie que lorsque nous découvrirons les causes chimiques du judaïsme, de la chrétienté ou du communisme; ni avant ni après »

Je pense que le combat pour l’hospitalité de la folie est au cœur de notre praxis ; aujourd’hui comme hier ou demain. Le sens de ce combat est clair : être du côté de nos patients, être avec eux, faire avec eux.
Ce combat ne sera jamais victorieux car toujours en devenir, qu’il n’aboutira jamais car il est impossible d’offrir l’hospitalité à la folie, on ne peut que tendre vers comme pour la démocratie ou pour la laïcité.
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Dr Hervé Bokobza

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> COMMENT SORTIR DE LA TOUR DE BABEL ? DE L’ART ET LA MANIERE D’ETRE POLYGLOTTE EN PSYCHIATRIE

VIIIème rencontre de Maison Blanche
« à propos de la psychothérapie institutionnelle d’hier à aujourd’hui.»

E.P.S. Maison Blanche – Salle Van Gogh
6-10 rue Pierre Bayle – 75020 Paris
Métro Philippe Auguste

Vendredi 13 décembre 2013
Le mythe de la Tour de Babel peut parfois illustrer le vécu de soignants ne sachant plus quelle langue utiliser pour se faire entendre ou comment traduire les enjeux de leur clinique dans le lexique référé aujourd’hui en psychiatrie.
Quelle langue nous faudrait-il apprendre ? Et surtout qu’y gagnerai-t-on vraiment au regard de tout ce qu’elle ne traduira jamais ?
Car si nous pouvons retrouver ça et là les bribes de ce désir fou qu’eurent nos ancêtres mythiques de vouloir égaler Dieu, unis et forts d’une même langue, peut-être d’une même lecture du monde, l’histoire nous rappelle que sa réponse (celle de Dieu), certains dirent son châtiment, furent de nous obliger à Le chercher en l’autre. Dispersé sur la terre, divisé en mille langues, condamné à ne plus jamais se retrouver semblable, mais « forcé » de s’arracher à notre langue maternelle pour entendre l’Autre, autre, étranger, dans son humanité.
Si donc ce désir de recréer une langue commune universelle peut paraître louable, elle porte toujours en elle le risque de nier l’altérité en soi.
Mais alors de quoi s’agit-il en psychiatrie ? De quoi cela nous parle ? Peut-être d’une disponibilité pour entendre la singularité de « lalangue « de chacun, de sa lecture du monde et de sa jouissance. Peut-être aussi de supporter le pluriel, la conflictualité de nos équipes à l’image de nos instances (et objets) intrapsychiques et de ceux que l’on soigne, en évitant autant que faire ce peut, le clivage.
Respecter la spécificité des diverses disciplines, leurs enjeux, la subtilité de leur théorie. Entendre et se faire comprendre de l’autre, médecin, administratif, infirmier d’état ou psychiatrique, ergothérapeute, éducateur, psychologue, psychanalyste ou cognitivo-comportementaliste… Tel est l’enjeu du travail ensemble autour d’un seul et même objectif : celui de prendre soin des malades en souffrance psychique.
Quelle traduction possible des enjeux thérapeutiques aux enjeux administratifs et économiques ?
Qu’est-ce qu’une équipe soignante ou pluridisciplinaire ? Quel échange encore possible et quels outils de transmission ? D’une génération à l’autre de soignants que reste-t-il de commun à leurs formations et leurs pratiques?
Traduire et écrire, chaque langage sa saisi, de l’informatique au poétique, chaque discipline sa lecture et son écho pour ce qui est dit. Traduire et interpréter n’est-ce pas le propre de nos métiers ?
S. Benchelah
Présidente de l’ASCMB

9h Accueil des participants
9H15 Ouverture de la journée par Mme SALEM (Directrice des Soins Infirmiers)
Dr Annie MSELLATI (Présidente de la CME, médecin- chef du 23èsecteur)
Mme Selma BENCHELAH (Présidente de l’ASCMB, Psychologue sur le 7ème secteur)

MATIN
Modératrice : Selma BENCHELAH Discutant : Dr C. FROMENTIN (psychiatre 7ème sect.) 9h30 : Georges ARCHAMBAULT (Psychiatre, 22ème sect.) et Eléonore ERRAACH (Psychologue 24è sect.) : « A propos du mythe de la tour de Babel. »

10h15 : Monique ZERBIB (Psychologue 26è et 28è sect. Intervenante en IFSI) :
« à propos de la formation infirmière »
Monique OSTERMEYER (ISP au CATTP Les Cariatides, 6ème sect.) :
« La transmission en psychiatrie : terrain vague. »

11h Pause

11h15 : Equipe de l’ASCMB : « Cortexte : nouvel outil de communication ? »

12h : Aurélie TESSIER (Educatrice spécialisée. Maison relais Navarin 7ème sect.) :
« Différences entre prise en charge et prise en compte de la personne »
Elisabeth BELLANGER (Infirmière à l’HDJ du 7è secteur) :
« ISP : étranger dans son propre pays »

De 12h45 à 14h Pause Déjeuner

APRES-MIDI
Modératrice : Catherine RIFAULT (ISP, 7ème sect.) Discutant : Dr A. KLEIN (Psychiatre, 7ème sect.)
14h : Dr Brigitte OUHAYOUN (Psychiatre 23ème sect. foyer la chapelle) :
« Des mots justes pour agir »

14h45 : Patrick FAUGERAS (Psychanalyste à Alès, Gard) :
“La langue est plus pensante que nous-même  »

15h30 : Axel GAUTHIER (Psychologue au foyer La Métairie, 27ème sect.) :
« Entre asiatiques, on peut se comprendre » (la langue en terre schizophrène)

16h15 : PAUSE

16h30 : Collectif HUMAPSY
17h : Collectif des 39

Inscriptions :
Service Formation Continue : 01 49 44 40 36
formcont@ch-maison-blanche.fr

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> … la question du savoir et de l’héritage.

MARSEILLE. 11 octobre 2013.Journées de l’AMPI

Patrick Coupechoux

Je crois que je ne vais pas vous parler de formation, tout simplement parce que ce n’est pas mon domaine et que je ne suis pas compétent pour cela.
Mais je voudrais, sur la base de mon travail de journaliste, dans le domaine de la psychiatrie, vous proposer les quelques réflexions que le thème de cette journée m’a suggéré.
D’abord, il y a la question de la transmission qui est bien sûr la toile de fond de celle de la formation.
Je dois vous dire que je viens de terminer un travail sur la folie, en perspective d’un nouveau livre, qui m’a conduit à revenir sur les années passées depuis la libération et sur le mouvement désaliéniste.
Ce qui est frappant dans cette période, c’est la question du savoir et de l’héritage.
Parce que ce savoir se nourrit d’un héritage, comme tous les savoirs : celui de Pinel, celui de Freud, celui de Lacan, celui de Marx, celui de Bachelard et de bien d’autres encore. Sans lequel rien n’aurait été possible.
Ce qui m’a également frappé, ce sont les efforts qu’ont consentis les tenants du désaliénisme pour donner à celui-ci les fondements théoriques dont il avait besoin.
Je pense à Lucien Bonnafé, à François Tosquelles et bien sûr à Jean Oury, qui ne se sont pas contentés d’être des praticiens, mais qui ont toujours cherché à théoriser leur démarche, à fonder une pensée.
Je dis cela, pour revenir à des questions très actuelles et très politiques, parce qu’il me semble qu’il est dangereux d’opposer savoir et capacité à aller vers l’autre. Aller vers l’autre suppose un savoir.
Ce n’est pas seulement lui taper dans le dos.
Cette idée, simple pourtant, est totalement en opposition avec la pensée dominante actuelle, surtout concernant la folie, mais pas seulement, j’y reviendrai.
Il suffirait, autrement dit, de confier les fous au milieu social et associatif pour que cette relation puisse s’établir, spontanément.
Je ne suis pas en train de dire que les gens qui animent ces associations, souvent avec un dévouement pouvant aller jusqu’à l’épuisement, ne nouent pas de relation avec les patients.
Mais je pense que leur démarche, ils le reconnaissent souvent volontiers, ne constitue nullement le soin au sens de Tosquelles. Parce qu’il y manque trop souvent le savoir théorique et clinique sur la maladie mentale.
Parce que, dans la pensée dominante, et dans les politiques mises en œuvre, on a mis un trait d’égalité entre traitement et soin. Le médicament opposé au « prendre soin de ».
Parce que la relation, considérée désormais comme un « supplément », a été largement confiée au milieu social et associatif. Parce qu’on est en train d’en déposséder la psychiatrie, ce qui revient à nier le soin, à le faire disparaître.
Il faut donc, à mon avis, défendre becs et ongles, l’idée d’un savoir et donc d’une transmission de celui-ci.
Ce qui m’a frappé également dans ce travail de retour aux sources à propos de ce livre, c’est la volonté de penser. Et l’affirmation de sa nécessité absolue.
Or il n’y a pas de pensée sans savoir, sans l’effort continu d’interroger celui-ci, en permanence.
Au fil des années – et vu de l’extérieur – je me suis convaincu que la psychiatrie, telle qu’elle est conçue ici, ne peut se faire sans la mise en œuvre d’une pensée perpétuellement critique, perpétuellement en mouvement, perpétuellement créative.
Pour illustrer cela, je reviendrai à une réflexion d’Hélène Chaigneau qui m’a beaucoup frappé, à propos de la fameuse « continuité des soins », concept clé de la psychiatrie de secteur.
Elle proposait de « renverser la vapeur » et de lui substituer un autre terme, celui de « continuité de l’existence psychotique ».
Il me semble que la première formulation se situe du côté de l’institution, la deuxième de celui du sujet.
Il s’agit là d’autre chose que d’une nuance : dans le premier cas, il y a le risque de figer des pratiques, aussi positives soient-elles, et donc de renforcer l’aliénation.
Dans le deuxième, il y a la nécessité absolue d’interroger ces pratiques, de les critiquer, de les modifier, parce que l’on n’a pas perdu de vue l’essentiel : le patient lui-même et la nécessaire action contre l’aliénation – dont le niveau dépend, comme chacun le sait, de la nature de notre relation à lui.
Bonnafé parlait à ce propos de la relation entre l’observateur et l’observé. Lacan disait de son côté que « la folie change de nature avec la connaissance qu’en prend le psychiatre. »
En fait Chaigneau interroge le savoir parce qu’elle remet le patient sur le devant de la scène.
Et je me demande si là ne réside pas le sens de la fameuse formule de Tosquelles, qui m’a longtemps intrigué : la psychothérapie institutionnelle, cela n’existe pas.
Peut-être voulait-il dire que la psychothérapie institutionnelle n’est pas, elle non plus, à l’abri des risques de fossilisation de la pensée, du risque de rester figée sur ses certitudes, si elle n’y prend garde.
Cela me fait penser à ces réflexions de Bachelard, mille fois citées par Bonnafé, concernant la nécessité d’interroger jusqu’à la raison elle-même.
Il disait que ce que l’on sait bien, on le répète « fidèlement, aisément, chaleureusement ». Ou citant Dostoïevski que « la raison connaît seulement ce qu’elle a réussi à apprendre ».
Et Bachelard d’ajouter : « cependant pour penser, on aurait d’abord tant de choses à désapprendre ».
On pourrait ajouter aujourd’hui que, pour désapprendre, il a d’abord fallu apprendre. Il faut d’abord avoir reçu en héritage la pensée de nos prédécesseurs, ne serait-ce que pour la dépasser.
Sans cela, on ne dépasse rien du tout, on ne pense plus.
Artaud de son côté disait que « les idées claires sont des idées mortes et terminées. »
Logiquement, il y a aussi chez Bachelard une critique du scientisme, « conception bornée et bornante de la science », parce que toujours préoccupée de donner « une borne au possible. »
Le scientisme qui est une forme de pouvoir et de domination de ceux qui « savent » sur ceux qui « ne savent pas ». On est loin de la distinction entre rôle, fonction et statut proposée par la psychothérapie institutionnelle.
Tout cela le mène à une conclusion que nous devrions méditer : la raison figée dans ses certitudes, « correspond à ces sociétés sans vie où l’on est libre de tout faire, mais où l’on n’a rien à faire. Alors on est libre de penser, mais on n’a rien à penser. »
Et c’est bien là, me semble-t-il, que se situe le fond de l’affaire.
Parce qu’au fond, à quoi avons-nous assisté depuis une trentaine d’années dans nos sociétés ?
A la victoire d’une idéologie – après l’effondrement du mur de Berlin et la victoire par KO du capitalisme qui va se muer en un capitalisme mondialisé, financier et dominateur.
Une idéologie qui nie la culture conçue comme la quête par l’être humain de la compréhension du monde. Autrement dit comme la quête de la liberté.
Comme disait Victor Hugo : « la liberté commence où l’ignorance finit. »
Pour illustrer cela, je voudrais donner trois exemples.
• Celui de la marchandisation des produits culturels qui sont désormais conçus comme des produits de consommation de luxe réservés à une élite. La grande masse doit se contenter des jeux vidéos, de la télé abrutissante et du football business.
• Celui du système éducatif. Qu’a-t-on fait de l’école ? On a abandonné sa mission d’éducation des citoyens, et l’ambition de leur donner accès à la culture. Songez par exemple au recul incroyable de l’enseignement de l’histoire, de la littérature et de la philosophie.
On l’a domestiquée pour en faire une fabrique de « ressources humaines », adaptée aux exigences changeantes du marché. Avec le nombre impressionnant de laissés pour compte que cela entraîne.
C’est au fond, le sens de toutes les réformes du système éducatif qui se sont succédé depuis 30 ans. Le résultat, c’est qu’il n’y a plus – ou si peu – de transmission. Il n’y a même plus de mémoire.
Ces changements sont intervenus pour des raisons économiques – de gestion de la ressource humaine – mais pas seulement. On a aussi tiré les leçons de 68 : un peuple trop éduqué a une certaine tendance à penser et donc à se rebeller.
C’est pour cela que Bonnafé dénonçait « l’influence de ceux pour qui la passion de tirer les leçons et les enseignements du passé est redoutablement subversive. »
Pour revenir à la maladie mentale, je voudrais évoquer le rapport sur la santé mentale remis au 1e ministre en 2010, écrit par Viviane Kovess-Masféty.
En terme de formation, elle insiste sur une seule chose : le champ des compétences cognitives, émotionnelles et sociales.
Il s’agit d’apprendre à être, ce qui renvoie aux aptitudes personnelles (gestion du stress, des émotions, développement de la conscience et de la confiance en soi, apprendre à vivre ensemble…) Je vous épargne le détail.
En d’autres termes, le système éducatif et celui de la formation consistent à aider l’individu à s’adapter à un monde changeant qu’il subit.
Un monde qui tient le passé pour suspect, le futur pour incertain, qui nous propose de vivre dans un éternel présent, condamnés que nous sommes à ne rien comprendre, à ne rien maîtriser.
Souvenez-vous, dans le film de Philippe Borrel, « Un monde sans fous ? », de ce responsable des ressources humaines de Manpower qui disait crûment : « la question, ce n’est pas tellement le changement, mais l’adaptation au changement.

Avec cette politique de santé mentale, il s’agit de faire face aux difficultés – les cabinets de psy sont pleins, les suicides au travail n’en finissent pas.
Il s’agit surtout d’aider l’individu à être toujours plus autonome et performant, dans la version positive de la santé mentale.
A aucun moment, dans le rapport de Viviane Kovess, il n’est question de culture, si ce n’est pour noter, au détour d’une phrase, que les activités artistiques sont bonnes pour la santé mentale.
La culture – pas trop ! – conçue comme un moyen d’affirmation de soi, d’adaptation, jamais comme le chemin vers une connaissance et donc vers une libération.
• Le troisième exemple que je voulais donner, après celui de la culture et de l’école, est celui de la conception dominante de la vie en société.
On sait, c’est un lieu commun, que désormais, c’est l’individu autonome, gérant sa vie comme une entreprise, qui domine.
Mais il ne s’agit pas seulement de l’émergence de l’individu. Celle-ci est un phénomène ancien, depuis Pascal et son pari – si le parieur peut parier sur l’existence de Dieu, c’est bien parce qu’il est devenu un individu – à la Renaissance et au siècle des Lumières.
Il y a donc dans cette émergence un côté éminemment démocratique et positif.
Mais il s’agit, avec la vision néolibérale qui s’est imposée, de cet individu « dé-collectivisé et désencastré » dont parle Robert Castel, dont la grille de lecture du monde réside, désormais, uniquement dans le psychologique. « Le premier individu de l’histoire qui ignore qu’il vit en société » selon la formule de Marcel Gauchet.
Mais un individu seul comptable de sa vie, qui ne se rebelle pas, qui exhibe les médailles de ses réussites toujours individuelles et porte la croix de ses échecs, toujours personnels.
Je ne vais m’attarder là-dessus, cela nous mènerait trop loin. Je voudrais seulement souligner deux choses :
• C’est la vie en société qui est ainsi remise en cause. Souvenons-nous du « Il faut sauver la société » de Michel Foucault. Souvenons-nous de Margareth Thatcher qui disait : « la société n’existe pas, il n’y a que des hommes, des femmes et des familles. »
Dès lors la société n’est plus qu’un agrégat d’individus, mus par leur intérêt personnel, en guerre les uns contre les autres.
Dès lors, les hommes ne sont plus que des ressources humaines, comme les abeilles de Mandeville qui, même si elles sont pleines de vices, contribuent, par la recherche de leur satisfaction personnelle, à la richesse de tous. Il serait plus juste aujourd’hui de dire, à la richesse de quelques-uns.
D’où l’éloge permanent de la réussite individuelle, quel qu’en soit son coût éthique, d’où une conception du bonheur humain à l’aune de la richesse. On n’a réussi sa vie à 50 ans que si l’on a une Rolex.
D’où la suspicion contre toute pensée, contre la culture, contre toute tentative de comprendre le monde, qui pourrait contester cette vision étroite de l’homme.
D’où le rejet de tout grand récit visant à proposer une vision plus globale du monde. D’où les attaques répétées contre la psychanalyse. D’où l’éloge du « pragmatisme » conçu comme l’antidote à toute théorisation, celle-ci nous menant, nécessairement, au totalitarisme.
D’où la négation de la folie, au sens de Tosquelles. Considérer le fou dans son humanité, c’est chercher à comprendre la folie dans toutes ses dimensions.
C’est interroger le monde qui aliène le fou, qui aliène l’homme en général.
C’est nous interroger sur ce que notre société fait de l’individu. C’est nous interroger nous-mêmes. C’est interdit.
Mieux vaut considérer le fou comme un handicapé, c’est-à-dire comme un être figé dans son état, « déficient, diminué, retardé, incapable, invalide, infirme, mutilé, inférieur, voire taré », je cite les mots de Robert Castel.
En réalité, le handicapé est celui qui ne peut ou ne veut pas s’adapter, dans la perspective d’un monde conçu comme une course d’obstacles.
Cela dépasse largement le cadre de la médecine puisque l’on n’hésite pas à parler de « handicapé social ».
Le licencié de Florange qui, à 50 ans, vit dans une région où il n’a aucune chance de retrouver un emploi, est un « handicapé social » !
Dès lors, comment s’étonner que la transmission en psychiatrie – comme partout d’ailleurs – soit si difficile ?
On voit bien que cela dépasse les problèmes réels de conditions de travail, de parcellisation des tâches que tout le monde ici connaît. Que cela dépasse la psychiatrie elle-même.
C’est bien de notre vision du monde dont il s’agit. Et c’est bien celle-ci qu’il faut interroger.

Patrick Coupechoux.
http://www.serpsy.org/des_livres/livres_06/monde_fou.html

AMPI Marseille les 11/12 octobre 2013
FORMATIONS DANS LA PSYCHIATRIE CONTEMPORAINE…

« AUTREMENT QUE SAVOIR »

Travailler dans le champ de la psychiatrie nécessite une réflexion continue sur l’objet même du travail. Cette « évidence naturelle » semble concerner de moins en moins de monde. Cette absence de réflexion et la parcellisation des tâches entrainent une perte de sens qui, associée à l’aggravation des conditions de travail, participe de la souffrance au travail et alimente le discours de la plainte.

Dans ce contexte, toute difficulté relationnelle ou institutionnelle, est interprétée comme un manque de connaissance et la solution proposée est une formation ad hoc. L’ idée de se former ne peut que susciter adhésion mais la lecture des programmes de formation en psychiatrie, initiale et continue, médicale et paramédicale, refroidit tout éventuel enthousiasme.

Les formations managériales transforment le thérapeute institutionnel en un efficient gestionnaire d’équipe et la violence institutionnelle trouve sa solution par la découverte des arts martiaux…

Il est dès lors urgent de s’ intéresser aux contenus des formations.

La première urgence est de retrouver le goût de la pensée, forme de savoir que nous rappelle l’étymologie du mot savoir : « avoir du goût pour… ». La pensée est notre outil thérapeutique majeur, attaquée à la fois par les projections psychotiques et le productivisme de la société de consommation.

Savoir évoque connaissances, nécessaire apprentissage de connaissances, les plus larges possibles comme le préconisait Lucien Bonnafé : « il faut pour les psychiatres, une culture encyclopédique ». Théories de tous ordres, neuro-sciences, sciences humaines, disciplines artistiques, culture générale et surtout ne pas oublier l’épistémologie… Connaissances sur l’autre et connaissance de l’autre.

« Autrement que savoir » est le titre d’un livre d’Emmanuel Lévinas, penseur de la relation intersubjective, qui insiste sur l’ importance de l’autre, du visage de l’autre, dans la constitution de soi.

Cette responsabilité pour autrui engendre un désir de rencontre qui différencie radicalement accueil, hospitalité, ambiance et protocole d’admission. Si le projet thérapeutique se déplace de l’abrasement symptomatique à l’organisation de la rencontre avec l’autre, présentement désigné patient, les soignants devront choisir les formations qui permettent cet accueil.

Se rendre disponible nécessite un travail sur soi, une réflexion sur la relation à l’autre, des capacités d’écoute…Chacun trouvera l’outil qui lui convient, les possibilités sont multiples : approche groupale, psychodrame, atelier artistique…

En cette année où Marseille est capitale de la Culture, citons Antonin Artaud : « je n’ai jamais rien étudié mais tout vécu et cela m’a apporté quelque chose ».

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> L'enseignement de la Folie

INTERVENTION POUR L’AMPI – MARSEILLE 2013

L’enseignement de la Folie

J’ai repris à dessein ce titre d’un livre de François Tosquelles qui constitue à lui seul tout un programme ! J’essaierai d’entrecroiser formation et transmission qui me paraissent indissociables : que serait une formation qui viserait un standard d’une bonne forme plus ou moins idéalisée de la doxa ?
Lacan soutenait dans un des aphorismes radoté depuis par ses fidèles : « il n’y a de formation de l’analyste que de formations de l’inconscient ». Pourrions-nous l’interpréter librement dans le sens d’une formation qui permettrait l’accueil du désir inconscient, ou pour le dire comme M. Litlle et Winnicott un rapport moins phobique, moins paranoïde à l’inconscient ?
Il est loin d’être évident, par ces temps qui rampent, de soutenir un tel axe de travail, alors que notre époque veut réduire la folie à un handicap psychique de causalité forcément biologique, et qu’il s’agirait si on suivait cette pente d’en finir avec la folie comme condition tragique de l’humain.
D’en finir ainsi avec une conception de l’humain inscrit dans l’histoire et sujet du Politique, en proie également au désir inconscient. Cette double aliénation est le ressort même de la PI, double articulation qui suppose d’être repensée à la mesure des nouveaux enjeux auxquels nous sommes confrontés. Comme je l’avançais ici même l’année dernière, il me parait hors de question de célébrer une histoire sainte commencée à St Alban dont Tosquelles et Oury seraient en quelque sorte les prophètes, ou pire les icones. Une telle perspective envisagerait la transmission et donc la formation dans une perspective fétichisée, religieuse qui arrêterait le mouvement de la pensée : un arrêt sur image a contrario de la logique qu’il s’agirait de promouvoir.

Ce qu’il s’agit de transmettre c’est le geste fondateur, l’énergie créatrice d’une nouvelle forme, d’une métamorphose, qui crée de fait un nouveau paradigme.

Après-coup nous pourrons dire qu’il y a eu fondation, ce qui ne signifie aucunement que Tosquelles savait consciemment qu’il fondait un mouvement théorico pratique qui allait être déterminant pour la psychiatrie française. Et pour en avoir discuté avec lui lors des brèves rencontres que j’ai pu avoir à St Alban, il récusait totalement l’idée d’un label ou d’une appropriation de l’origine. Ce qui le préoccupait avant tout c’était l’idée de révolution permanente à poursuivre, qu’il puisait bien sûr dans le POUM, et qu’il tentait de transmettre à ceux qui venaient lui demander un modèle.
Ce n’était pas mon cas puisque je venais du trotskysme et de l’antipsychiatrie, et qu’il eut l’intelligence d’accueillir avec une grande générosité ce que je découvrais naïvement sur le terrain avec quelques copains, je dirais même quelques complices, engagés dans la subversion de l’ordre asilaire. Au lieu de récuser la nouveauté de ce que j’avançais, alors qu’à cette époque la plupart de ses disciples avaient la conviction assez irritante que la PI ne pouvait exister en dehors de l’hôpital, lui pouvait accueillir un renouveau de la méthode. Au-delà des formes et des opérateurs concrets tributaires des conditions sociohistoriques, il avait pigé en bon marxiste que la praxis devait nécessairement tenir compte du contexte pour viser non une adaptation, mais une transformation possible de la réalité psychiatrique.

Mais pourtant je venais de loin, et je vais me permettre un petit détour pour en quelque sorte imager un itinéraire de formation qui n’a rien d’exemplaire, commencé en 1975 à l’HP où j’arrivais avec une formation militante, et le livre de Maud Mannoni « Le fou, son psychiatre et la psychanalyse » en guise de talisman. Quand j’ai démarré en psychiatrie nourri des lectures des années 60 et du militantisme de mai 68, il ne faisait guère de doute que nous allions réussir à détruire l’Asile ; la seule question qui nous partageait à l’époque étant celle de la psychanalyse : certains s’y engageant passionnément et j’en faisais partie, d’autres la récusant en remettant au gout du jour la vieille critique stalinienne des années 50 considérant la psychanalyse comme « un faux contre-révolutionnaire » (cf le numéro de la Nouvelle Critique en 1949 où le PCF demanda à ses psychiatres de désavouer la psychanalyse : et ils obtempérèrent même si plusieurs, après avoir quitté le PC devinrent ensuite des dirigeants d’associations analytiques)…
Récemment André Bitton, dirigeant d’un collectif de patients à l’origine de la chute de la loi d’internement (le CRPA) me rappelait l’importance de ce moment post 68 où fleurissaient de nombreux collectifs qui surenchérissaient dans la radicalité : GIA, AERLIP (élèves infirmiers psy), Réseau Alternative à la Psychiatrie etc…
Je rajouterai mon propre militantisme dans le Collectif Garde-Fous, animé entre autres par celui qui devint mon analyste, Jacques Hassoun, et par nombre d’analystes pour la plupart très loin aujourd’hui d’un tel engagement, engagés même pour certains dans la défense de l’Ordre Symbolique contre le mariage gay aux cotés des catho.
Ceci pour témoigner d’une époque où il paraissait nécessaire de penser notre monde avec la psychanalyse, mais aussi dans un registre politique puisé avec beaucoup de liberté dans le marxisme et une posture libertaire.

Bien sur il y eut beaucoup de bêtises proférées et d’illusions ravageuses dans cette mouvance, une certaine idéalisation/esthétisation de la folie, et également l’idée d’en finir avec l’hospitalisation que le néolibéralisme nous a repris avec perversité.
J’expliquerai plus tard comment je m’en suis dégagé irrémédiablement sous l’impact de la clinique et de la réalité institutionnelle. Ce qui m’aura permis de comprendre avec un certain retard la justesse cruelle de Oury lorsqu’il évoque les « régénérés de 68 » qui confondant aliénation sociale et psychopathologique embarquèrent les patients dans des aventures aberrantes et périlleuses. Mais ce fut aussi un moment d’effervescence qui permit à une génération de psy de se former et pour certains d’initier une pratique vivante et désirante : la seule façon de traverser les illusions, et à certaines conditions-en premier lieu l’inscription dans une transmission réinventée-de se forger une boite à outils métapsychologique. La seule possibilité me semble-t-il de frayer son propre chemin et de se former au gré des rencontres transférentielles, et de l’entame quelquefois blessante qu’elles effectuent. J’évoquerai plus tard une des rencontres qui me fit basculer, mais j’aimerais d’abord vous raconter comment je crus avoir inventé le club thérapeutique. J’ai eu l’intuition de cette nécessité dès mon début d’internat alors que j’effectuais une consultation dans la campagne profonde : j’avais remarqué que mes patients venaient passer l’après-midi dans ce couloir d’une mairie pourtant assez sinistre où je consultais. Il se produisait manifestement des rencontres et des processus de socialisation ; ce qui me donna l’intuition dès que j’en eus la possibilité de créer un tel lieu de rencontre et d’entraide mutuelle. Nous écrivîmes les statuts avec les patients et ce fut le début d’une histoire qui se poursuit toujours au Centre Antonin Artaud avec le club le Grillon.
C’est avec beaucoup d’étonnement que je découvris peu après l’invention du premier club thérapeutique par Tosquelles à St Alban en 1943 : avais-je retrouvé par nécessité objective cette forme instituante, ou pouvait-on parler au sens freudien de cryptomnésie ?
Je cite Claude Rabant dans le chapitre consacré à ce terme dans « Inventer le Réel» : « Crytomnésie désigne en effet ce phénomène qui, en de si nombreux cas, peut être conjecturé derrière une apparente originalité : le fait que des paroles oubliées servent de matrice ou de noyau à une « idée originale », paroles prononcées par d’autres que celui en qui l’idée semble surgir du néant. L’idée originale révèle alors son origine étrangère et l’originalité son caractère de semblant : l’idée nait du dehors, disséminée dans des mots de hasard, dans des fragments objectifs prononcés par des locuteurs qui ne savent pas le sens de ce qu’ils disent, avant de pouvoir se rassembler dans l’énonciation d’un sujet qui parait alors avoir fait une découverte originale. Cryptomnésie : la mémoire est cachée. ».
Ce concept de crypte que Torok et Abraham ont exploré plus tard de façon fort différente dans leur œuvre se trouve donc bien chez Freud dans plusieurs occurrences : en particulier « les cinq leçons sur la psychanalyse » et « l’autoprésentation ». Et je le trouve passionnant pour nos enjeux de transmission et formation, dans la mesure où l’origine se trouve sans cesse relancée en amont : une sorte d’antidote à l’imaginaire de la fondation dans l’autoréférence.

J’ai donc avec quelques complices cru réinventer le club qui ne cesse depuis d’irriguer le travail de tout le service. Et c’est en l’animant pendant 10 ans que je me suis formé à la thérapie des psychoses, que j’ai appris en la créant la strate d’hospitalité inconditionnelle qu’il s’agit de construire comme préalable au transfert. Mais aussi que j’ai pu expérimenter le partage de la vie quotidienne avec des patients qui de façon étonnante se trouvaient comme métamorphosés pendant le temps et l’espace du Club. Et qui pour certains m’ont mis en place de thérapeute alors que j’étais encore pris dans une idéalisation de la psychanalyse pure en cabinet clivée du travail institutionnel envisagé sous le seul angle politique.
L’enseignement universitaire déjà bien misérable à cette époque ne me fut d’aucune aide, alors que l’analyse personnelle m’aura permis d’accueillir ce à quoi je n’étais pas préparé : le tout autre, de dépasser l’effroi et l’incompréhension d’une telle tuche. Mais ce fut l’expérience du transfert psychotique dans l’institution, et son élaboration dans l’interlocution avec d’autres qui constitua mon principal espace de formation.
Longtemps après ces débuts, j’ai lu Enfance Aliénée pour un séminaire de la Criée sur la transmission, livre qui reprend les actes d’un colloque demandé par Lacan à Maud Mannoni. Celle-ci invitant d’ailleurs les représentants de l’antipsychiatrie anglaise en 1967 (Laing et Cooper), autrement dit 1 an avant mai 68. Ce qui m’a stupéfié à la lecture/relecture de ce recueil, c’est l’implication politique radicale de la plupart de ces grands analystes : Oury bien sur, Maud Mannoni, Anne Lise Stern et bien d’autres qui misaient sur la psychanalyse pour subvertir l’ordre social. Leur discours parait à des années lumières de celui qui se tient habituellement aujourd’hui en misant sur une subversion opérée par une psychanalyse qui se dégagerait de tout carcan institutionnel : Lacan représentant cette mise emblématique pour toute cette génération.
Revenir ainsi sur une histoire somme toute récente (46 ans), c’est remarquer en premier lieu le refoulement actif du Politique qui s’est effectué chez les analystes et les psychiatres s’appuyant sur la psychanalyse. Sans doute y a-t-il eu trop d’espoir mis dans l’analyse qui serait venue en lieu et place d’une pensée du politique ? A force de parler de la subversion freudienne et lacanienne on en serait venu à prendre l’analyse pour ce qu’elle n’est pas : une pensée critique de transformation sociale…
D’où la déception rencontrée dans les institutions où le discours analytique fut perçu au mieux comme un supplément d’âme ou de brillance pour ceux qui s’en prétendaient les concessionnaires ; un moyen aussi de promotion sociale pour quelques-uns qui crurent ainsi accéder à une certaine « distinction » au sens retenu par Bourdieu. En 75 le « parler Lacan » fonctionnait comme un schibboleth quelque peu agaçant cependant que les disciples ressassaient quelques aphorismes lacaniens bien sentis dans les salles de gardes et les services hospitaliers. Une telle manière de prendre les choses, d’appréhender la réalité politique glissa sur les institutions comme l’eau sur les plumes d’un canard. Cela donna tout au plus l’illusion d’une hégémonie de la psychanalyse, alors qu’il ne s’agissait la plupart du temps que d’un discours de façade ou de vitrine. Ce que nous payons très cher aujourd’hui alors que les lobbies de parents d’autistes et de zoopsychiatres, car c’est ainsi que je nomme les tenants d’une psychiatrie animalière, se déchainent en mettant en avant cette prétendue hégémonie qui aurait interdit toute recherche sur l’autisme et la psychose. Et de demander et même d’obtenir l’interdiction de la psychanalyse et de la PI par la HAS l’année dernière, pour en arriver aujourd’hui au plan autisme et aux déclarations menaçantes d’une ministre de la république Marie Arlette Carlotti, déclarant à la presse : « En ouvrant ce dossier, j’ai trouvé une situation conflictuelle, un climat tendu », déclare-t-elle. « Je n’en veux plus. En France depuis quarante ans, l’approche psychanalytique est partout, et aujourd’hui elle concentre tous les moyens. Il est temps de laisser la place à d’autres méthodes pour une raison simple : ce sont celles qui marchent, et qui sont recommandées par la Haute Autorité de santé. »
« Que les choses soient claires », ajoute-t-elle en forme d’avertissement, « n’auront les moyens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler ».
C’est ce discours agressif qui nous a alertés immédiatement : Pierre Delion et les 39 en particulier, puis peu à peu, mais lentement une partie des professionnels s’est mise en mouvement.
Il est important de faire le point à partir de cette actualité politico-clinique( ce que nous vous proposerons tout à l’heure dans le forum des 39) et de remarquer que nous_ je veux dire le Collectif des 39_ avons réussi à réunir avec les CEMEA 1000 personnes dans un meeting tenu à l’issue des Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médicosocial les 31 mai et 1° juin à Villejuif, à rassembler également la quasi-totalité des associations analytiques de France pour aboutir à un résultat quelque peu mitigé. 6800 signatures à une pétition ce n’est pas rien, mais c’est beaucoup trop peu par rapport aux enjeux d’un tel discours qui promeut ouvertement l’idée d’une interdiction de la psychanalyse dans sa pratique comme dans son enseignement, tant à l’université que dans la formation continue.
Et je vous invite à signer et diffuser cet appel dont j’ai apporté 200 exemplaires.
Tout se passe comme si nous traversions une période d’abattement politique : certains responsables d’associations disant ouvertement que la psychiatrie est foutue comme aux USA et qu’il vaut mieux pour les analystes composer avec cette réalité.

Réalpolitique ou renoncement ? Il me semble que le renoncement au nom du réalisme produit une posture désabusée et cynique, bien dans l’air du temps. Que dire de cette posture qui ne fait qu’amplifier le malaise dans la culture sinon qu’elle mélancolise les meilleurs et qu’elle autorise les autres à l’imposture ou à la fuite ?
Car c’est à une fuite massive que nous avons assisté, sans doute explicable aussi par la rudesse des résistances au changement dans les institutions et la dureté du combat politique nécessaire. Par une résistance aussi bien sur du Réel dans la clinique, car le miracle annoncé n’a pas eu lieu, même si Freud et Lacan nous en avaient prévenu l’un et l’autre, chacun à leur manière.
Il y a certes un efficace de la méthode analytique et surtout une éthique, un respect de la dignité de la parole de tout sujet fut-il le plus fou. Mais cet efficace ne signifie en aucune manière suppression des symptômes et accès progressif au bonheur. Ce qu’il s’agirait de viser ce serait « la guérison psychanalytique » dont parle Nathalie Zaltzman en visant le remaniement interne du sujet dans son rapport à l’inconscient, ou pour le dire comme Winnicott et Margaret Little un rapport moins paranoïde ou phobique à l’inconscient, une capacité pour l’analysant à mener une vie vivante. Toutes ces propositions mériteraient d’être discutées à la lumière de la clinique de chacun, des améliorations obtenues mais aussi des échecs. Il arrive malheureusement que la pulsion de mort soit plus forte que les pulsions de vie, et que nous soyons impuissants à endiguer les processus de dévitalisation, sans parler des suicides. Je ne peux m’empêcher de repenser à un collègue parmi les meilleurs concluant son propos d’ouverture à un colloque sur la créativité par un lapsus assez terrible : « ce travail n’aurait pas été possible sans le cimetière » ; lapsus qu’il analysa à haute voix pour sortir de la sidération : « cimetière » était venu à la place de « séminaire » et « la part maudite », les échecs douloureux avaient fait valoir leurs droits. Effectivement il nous faut bien admettre cette part qui est bien plus qu’une limite, mais qui représentait l’adversaire, ou plutôt l’adversité. D’où l’impression souvent d’une bagarre, d’un corps à corps quelquefois violent dans les institutions, bien au-delà des enjeux souvent dérisoires qui semblent les déclencher.
Comment travailler contre/tout contre cette pulsion de mort que nous penserons au-delà de la pulsion de destruction comme anéantissement et silenciation ? Cette pulsion que Freud pose comme une supposition indispensable pour sa métapsychologie, et dont ne pouvons constater que les effets indirects, lorsqu’elle vient s’intriquer aux pulsions de vie et qu’elle engendre de la destructivité, des somatisations graves, mais aussi des silenciations dans les généalogies des patients en particulier border line et psychotiques.
Comment également penser cette intime intrication entre cette pulsion de mort et les forces politiques qui poussent au formatage et veulent nous réduire au silence ?
Autant de questions que je ne peux que laisser ouvertes, et qui constituent la toile de fond de la situation difficile que nous connaissons dans les institutions, dans toutes les institutions d’ailleurs, bien au-delà de la psychiatrie.
D’où l’importance d’un rassemblement pour analyser et combattre cette évolution qui semble programmée depuis plus de 25 ans. Comme si le processus enclenché à St Alban pendant la guerre, relancé par le mouvement désaliéniste et la PI, et qui avait abouti dans les années 80 à la légalisation du Secteur à la suite d’un long travail dans les institutions s’était perdu dans les sables. Voire même qu’une sorte de retournement se soit alors produit sans que la plupart n’y prennent gardent ou ne veuillent y croire. Ce retournement politique m’a surpris alors que je découvrais dès 1980 la réalité d’une pratique de l’institutionnel, animé à l’époque par les idéaux de l’antipsychiatrie, ce dont j’ai parlé précédemment, mais c’est la découverte du transfert psychotique là où je ne l’attendais pas qui m’a déconcerté et déplacé, et qui a levé cette idéalisation et ce clivage.

Je voudrais évoquer une fois de plus ce patient psychotique chronique, mon premier maitre en psychiatrie, que je croyais avoir libéré de ses chaines asilaires en le faisant sortir en appartement thérapeutique, et qui pourtant ne cessait de me demander le retour dans son « « paradis perdu », puisque c’est ainsi qu’il appelait l’HP à mon grand désarroi. Il fallut qu’il insiste vraiment beaucoup et que son état s’aggrave fortement pour que j’accepte de le réhospitaliser pour un temps nécessaire. Le chèque d’1 million de dollars qu’il me donna alors, je ne cesse de l’encaisser psychiquement depuis. J’eus d’abord une impression de sidération, que je traversais en m’écartant lentement mais irrémédiablement de l’idéologie du rejet destructeur de l’hospitalisation, comme de la conviction de l’absence de transfert analytique en dehors du cabinet du psychanalyste. Je rappelle que ces idées étaient alors dominantes et peut-être le sont-elles toujours aujourd’hui, quand bien même nous sommes moins nombreux à nous soucier du transfert dans nos pratiques. Mais la Résistance de la psychanalyse à son propre déploiement persiste bien sûr comme l’avait finement analysé Derrida dans son livre Résistances de la Psychanalyse.
En tout cas cette perte, cette castration symbolique pour appeler les choses par leur nom, provoqua ce gain très particulier de me mettre au travail en m’inscrivant peu ou prou dans le mouvement de PI.
Point besoin d’être analyste pour constater ce premier paradoxe fondateur d’une sorte de discours de la méthode qu’il nous faudrait garder comme principe directeur. La psychose, ou plutôt le psychotique peut, à certaines conditions, être à la source de l’invention et de la création. Cela vaut pour le délire qui n’est rien d’autre pour suivre le frayage freudien qu’une tentative de guérison. Que cette tentative puisse rater et amener le sujet en question à devoir chercher de l’aide est une autre question …
Ce qui me permet de revenir à cet « enseignement de la folie » dont j’ai repris l’intitulé comme un mot d’ordre. Soutenir cette proposition constitue un enjeu clinique, celui de se tenir au transfert, mais également un enjeu politique crucial, qui devrait nous dégager de la conception de la folie comme handicap et déficit, y compris déficit d’un signifiant des noms du père !
C’est d’ailleurs en cela que j’ai d’une certaine manière poursuivi et remanié les idéaux de l’antipsychiatrie. A condition de se sortir de la pente idéalisante et esthétisante de la folie, ce mouvement comme le surréalisme précédemment, avait fait valoir la vérité dont vient témoigner le psychotique à condition qu’il puisse trouver un lieu d’adresse ou-autre possibilité non contradictoire- qu’il puisse faire œuvre de son délire. Encore faut-il pouvoir l’aider à déchiffrer ce qui ne peut se dire et vient se montrer sur le mode d’une « définition ostensive ». Et je reprends là le concept que Françoise Davoine a fait dériver de la logique de Wittgenstein, pour construire une clinique dynamique du transfert psychotique. Il me parait important de souligner la différence radicale de positionnement que Françoise Davoine, comme tous les thérapeutes de psychotiques, chacun à sa manière, fait opérer par rapport à une clinique psychiatrique qui resterait fondée sur l’objectivation du patient et de ses symptômes, comme dans les présentations de malades. Il est clair qu’une telle posture hors-transfert ne peut produire qu’une théorie édifiante qu’il s’agirait ensuite d’appliquer. Ce qui bien sûr s’avère impossible et provoque inévitablement de la déception. C’est tout l’enjeu d’une fétichisation de la « structure » qui en vient à récuser les progrès de la clinique. Comment ne pas entendre la critique itérative à chaque fois qu’un psychotique s’en sort, et que nous transmettons la réussite d’une psychothérapie ? A chaque fois il se trouvera quelqu’un pour objecter que le patient ne devait pas être psychotique au départ et qu’il s’agissait d’une erreur diagnostique…
Il faudrait en quelque sorte que la clinique vérifie la théorie, alors que nous aurions à produire au contraire une théorisation à partir de l’expérience clinique et institutionnelle, expérience du transfert que l’on ne peut penser qu’en la traversant : c’est ce mouvement que je qualifierai d’itinéraire de formation.
Nécessairement nous allons nous heurter à toutes les vérités préétablies, et en premier lieu les nôtres, bien entendu ! Quelle surprise quand j’ai pu constater que des patients psychotiques pouvaient à certaines conditions transférentielles être supports de transfert pour d’autres patients ?
Ou arriver à nouer des relations amoureuses et à engendrer sans pour autant se mettre à délirer ?
Ce qui rencontre pourtant leurs zones de fragilité et les met à l’épreuve, un peu plus que les névrosés sans doute, sans pour autant rencontrer la fixité systématique d’une impossibilité de structure. Cela suppose de soutenir dans le Collectif et dans chaque thérapie la fonction phorique pour reprendre le concept que Pierre Delion a proposé comme équivalent au holding winnicottien. Encore faut-il imaginer une première strate d’hospitalité inconditionnelle, une bejahung, qui ouvre un espace de possibilisation du transfert. Et que cet espace que je mets en rapport avec la « fabrique du pré » dont parle Oury dans Création et Schizophrénie soit un lieu dont la vivance soit sans cesse relancée.
Il est sensible dans le travail que nous faisons d’avoir la sensation de pratiquer de façon répétitive une véritable réanimation du Collectif. D’où l’épuisement parfois éprouvé puisque nous luttons contre les forces de mort et de silenciation que j’ai évoquées précédemment.
Des forces qu’on aurait tort d’attribuer seulement à la psychose des patients projetant sur les soignants leurs pulsions et affects destructeurs. Ce bombardement est indéniable mais la vraie difficulté consiste à supporter et à traverser les forces d’anéantissement intrinsèques à tout Collectif.
Depuis que la PI existe, elle a pris acte de ces phénomènes et inventé des outils et des opérateurs concrets : groupes, réunions, travail de constellation, et surtout clubs thérapeutiques : autant d’espaces partagés où chacun se trouve invité à construire la vie quotidienne.

C’est ainsi que depuis 33 ans nous avons créé un Club fondé d’ailleurs avec ce patient dont j’ai parlé et qui continue à accompagner nos initiatives à la mesure de ses possibilités vieillissantes. Le Club est le fil conducteur et l’un des supports essentiels du service, d’abord dans l’ambulatoire, à une époque où la situation était verrouillée dans l’hôpital, puis peu à peu dans chacun des lieux d’accueil avec création d’un club fédérant les 5 clubs du service, la création d’un GEM articulé étroitement au club etc…
Nous touchons là un des points cruciaux de mon propos, car le simple acte d’articuler étroitement le GEM et les clubs constitue une transgression par rapport aux clivages administratifs en vigueur : les GEM reprennent le signifiant fondateur du club : « l’entraide mutuelle » mais ne doivent pas s’articuler à la fonction soignante. Ce qui est une absurdité ! C’est l’exemple même de la fragmentation d’espaces du néolibéralisme, de même que l’éclatement entre le soin et le médicosocial etc…
Si nous obéissions à de tels commandements nous renforcerions le clivage et l’éclatement schizophrénique : tout le contraire du travail incessant de rassemblement que notre expérience nous enseigne pour prendre soin du psychotique !
Sans doute faut-il que je vous parle pour conclure du climat, de l’ambiance subversive qui s’est créé depuis 5 ans. Il faut bien reconnaitre notre dette à Sarkozy qui a provoqué un sursaut, et un questionnement des patients à notre égard dans ces espaces partagés : clubs et surtout l’AG mensuelle du centre Artaud où nous construisons ensemble l’espace institutionnel. Un lieu où les patients peuvent mettre à l’épreuve la fiabilité de soignants à prendre réellement en compte leur parole, à mettre en acte leur dire et à ne pas « se payer de mots ». Le fait de ne pas se dérober, et même de s’offrir à la discussion, malgré quelquefois l’envahissement du délire de chacun, nous a permis d’accueillir une demande que je n’aurais probablement pas pu supporter auparavant. Les patients ont demandé à venir aux mobilisations des 39, aux meetings où ils ont pris la parole. Quelquefois de façon brillante, mais toujours de façon sensible émouvante et courageuse. Vous savez que dans ce mouvement ils en sont venus pour quelques-uns à créer une association indépendante « HUMAPSY » qui se réunit régulièrement, est invitée à faire des conférences dans IRTS, des facs de psycho, autrement dit dans une position de formateurs pour des soignants etc… Vous pourrez trouver leur blog sur internet. Ils défendent leur point de vue, et très logiquement la PI et la psychanalyse puisqu’ils en ont fait l’expérience et sont nos meilleurs ambassadeurs auprès des autres soignants, et des collectifs de patients qui étaient jusqu’alors résolument hostiles à la psychiatrie et à la psychanalyse. Nous sommes au contraire maintenant dans un rassemblement inédit lors des auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat…
Cette émergence me parait bien sûr tributaire du transfert, des transferts multiples, mais aussi des franchissements de frontières qui jusqu’alors paraissaient infranchissables. Je n’en prône pas pour autant l’abolition des frontières mais bien plutôt la posture revendiquée de se situer à la frontière comme passeurs et contrebandiers. Dans le contexte de plus en plus difficile que nous connaissons d’hypercontrôle et de certification, d’aliénation massive aux protocoles qui sévissent de partout, je remarque que notre travail n’a jamais été aussi vivant. Cela ne signifie aucunement la trouvaille mensongère d’une harmonie, mais l’efficace de la méthode et de la confiance dans le transfert pour surmonter les moments de crise inévitables, les passages à l’acte que nous tentons d’accueillir pour qu’ils deviennent des acting out.

Je suis persuadé que cette méthode clinique et cette éthique s’effondreraient rapidement sans cette posture militante qui a construit la psychiatrie depuis la 2° guerre mondiale.
Encore s’agit-il de la transmettre, et de former dans et par le transfert les jeunes qui arrivent et se risquent à la rencontre. Cela suppose une volonté, une construction de dispositifs de formation, par exemple les stages que nous avons développé, mais en premier lieu un dessaisissement pour laisser la possibilité d’une réappropriation qui pourra en passer par des moments d’opposition créative qu’il s’agira d’accueillir et de dialectiser.
Comment transmettre autrement cet enseignement de la folie ?

Patrick Chemla
Marseille le 11 octobre 2013

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> AUDITION des 39 au SENAT le 9 SEPTEMBRE 2013

NOTES POUR L’AUDITION AU SENAT DU 9 SEPTEMBRE

Je vous remercie au nom du Collectif des 39 de nous auditionner dans le cadre de la révision de la loi du 5 juillet 2011. Nous allons d’une certaine manière vous redire ce que nous avions avancé lorsque monsieur Denys Robillard nous avait auditionné le 9 Juillet dernier avant que son rapport d’étape soit soumis à la discussion parlementaire.

D’entrée de jeu, 2 points :

Il eut mieux valu abroger carrément une loi scélérate que de vouloir l’amender

En même temps nous ne pouvons que saluer le très important travail mené par la commission parlementaire menée par Denys Robillard qui a été réellement à l’écoute des acteurs de terrain : des psychiatres, mais aussi des usagers : familles et patients ; cela pour aboutir à un compromis qu’il considérait lui-même comme provisoire.
Ce compromis voudrait en quelque sorte adoucir le sécuritaire par la médicalisation. Ce qui nous fait aboutir à des paradoxes logiques et très concrets comme les soins sous contrainte en ambulatoire, rebaptisés entre temps programmes de soins. Et qui sont le cœur même de la loi du 5 Juillet. C’est en généralisant l’espace de la contrainte que cette loi nous a paru scandaleuse quand elle fut promulguée et cet aspect demeure dans l’actuel projet.
Il eut mieux valu procéder à une abrogation préalable comme promis avant les présidentielles, pour repenser une nouvelle loi cadre sur la psychiatrie qui aurait commencé par affirmer la primauté des soins libres, et qui aurait réaffirmé et réactualisé la politique de Secteur.
Et même dans le projet actuel, il ne semble pas suffisant d’affirmer que le reste des enjeux de la psychiatrie sera envisagé plus tard ! Il faudrait insister d’emblée sur une politique incitative qui fasse de la contrainte une exception, alors que nous savons que les mesures d’internement n’ont cessé d’augmenter de façon exponentielle avant même la loi du 5 Juillet !
Même si nous manquons de chiffres, nous savons que dans le même établissement les mesures de contrainte aux soins peuvent varier de 1 à 10.
Et que certains multiplient les programmes de soins alors que d’autres dont je fais partie n’en ont aucunement besoin, bien au contraire pour promouvoir des soins libres !
Il s’agirait d’inverser cette tendance lourde et rétrograde pour promouvoir une psychiatrie fondée sur l’accueil et l’hospitalité, recherchant la confiance entre patients, soignants et familles.
A quoi servent ces soins sous contrainte en ambulatoire, qui ne peuvent désormais plus être exécutés de force, et qui nécessitent une relance complète de l’hospitalisation sous contrainte en cas de refus, comme l’a rappelé le Conseil Constitutionnel ?
– A rassurer de façon illusoire les familles qui vont croire que leur proche sera ainsi soigné par des équipes placées sous contrainte de la loi ?
-A rassurer des équipes qui voudraient faire l’économie d’un travail de construction d’un espace de confiance préalable à toute possibilité de thérapeutique ?
-A continuer à faire peur à des patients récalcitrants qui refuseraient de prendre leur traitement ?
Nous le réaffirmons avec insistance : ce sont là de très mauvaises raisons, et il vaudrait mieux purement et simplement abolir ces mesures : un internement peut se faire sous la contrainte, pas un soin psychique !
Il eut mieux valu maintenir les termes de « placement » comme Denys Robillard l’avait préalablement envisagé « pour appeler un chat un chat », et réserver le terme de soin à un registre contractuel, négocié et renégocié autant que de besoin tout au long d’une prise en charge.
Cela constitue le quotidien de nombreuses équipes qui se passent de tout « programme de soins », ou qui ne les utilisent que dans les très rares situations cliniques que la loi de 90 encadrait déjà en terme de sorties à l’essai. Pourquoi réintroduire ces sorties à l’essai pour les limiter à seulement 48 H ? Nous pourrions évoquer les longs week-ends et tenter de négocier leur durée, mais surtout imaginer qu’elles pourraient venir en lieu et place des programmes de soins qui n’introduisent que de la confusion et une sécurité illusoire.
Ainsi l’hôpital retrouverait une fonction contenante dans le bon sens de ce terme , à charge pour des équipes relancées par le législateur de faire que ces lieux d’hospitalisation retrouvent ou réinventent leur fonction thérapeutique, sans laisser croire à une pseudo accélération de la « guérison » par la mise en isolement, la contention et l’administration de traitements à forte doses sans cesse présentés comme des panacées ou pire des avancées de la science !
Le tout à marche forcée aboutissant à rejeter de l’hôpital et souvent sans concertation avec les proches des patients gavés de traitements qu’ils s’empressent de rejeter.
Nous l’avons déjà dit à Denys Robillard : ces pratiques barbares ne cessent de progresser dans les établissements (enfermement et contention) et leur protocolisation ne fait malheureusement que les cautionner !
Du coup l’hospitalisation devient l’exact contraire d’un temps fort quelquefois nécessaire pour qu’un patient puisse se rassembler, réduire les excès de son délire quand celui-ci l’empêche de vivre, et se préparer à la sortie avec le soutien d’une équipe ambulatoire. Puisque c’est dans l’ambulatoire et l’espace de la cité que des soins peuvent être prodigués au long cours lorsqu’ils sont nécessaires et négociés entre les uns et les autres.
Et que ces soins libres devraient constituer la base même d’une politique de secteur à refonder dans un contexte difficile.
En conséquence, à défaut d’une abrogation pure et simple de la loi du 5 juillet, nous demandons la suppression pure et simple des soins sans consentement en ambulatoire pour les remplacer par des sorties à l’essai qui devraient rester marginales et permettre la réinsertion dans la cité.
Un tel changement ne prendrait de valeur qu’à la faveur d’une relance politique d’une psychiatrie fondée sur l’accueil et des valeurs humanistes de solidarité.
Cette politique pourrait aussi se fonder sur les nouvelles convergences qui ont pu se construire entre des collectifs d’usagers, de familles et de soignants qui ont trouvé récemment, les 31 mai et 1° juin, l’expression de leur rassemblement massif dans les Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médicosocial appelées par le Collectif des 39.

Pour le Collectif des 39
Dr Patrick Chemla
Psychiatre chef de pôle Reims, Centre de jour Antonin Artaud

Intervention lors de l’audition de la commission des affaires sociales du Sénat le 9 septembre 2013 (Serge Klopp)

Dès 2010 nous nous sommes opposés au projet de révision de la loi de 1990
Notamment en ce qui concernait le projet liberticide des soins ambulatoires sous contrainte.
Certes, certaines dérives du régime des sorties d’essai posaient question. C’est la raison pour laquelle, certaines associations d’usagers étaient favorable à la révision de la loi de 1990.
Mais cela ne justifiait pas l’instauration de cette extension liberticide de l’internement.
Je rappelle qu’en 2011, l’ensemble des parlementaires de gauche se sont opposés à ce projet en le qualifiant expressément de « sécuritaire » et de « liberticide ».
D’autant que cette forme de contrainte, non seulement échappe au contrôle du JLD, mais en plus entraîne chez les soignants une banalisation de l’internement – fut-il à domicile.
Nous parlons d’internement, parce qu’il s’agit bien d’une mesure de droit d’exception entraînant une privation de certains droits fondamentaux, qui ne dit plus son nom.

Etant donné que les sorties et permissions d’essai sont réintroduites dans le projet actuel, et de ce fait soumises au contrôle du JLD, nous considérons qu’il n’y a plus lieu de maintenir les soins ambulatoires sous contraintes. C’est pourquoi nous proposons leur abrogation.
Ce qui remettrai l’accent sur le caractère d’exception de ces mesures.

Au-delà se pose la question plus globale des enjeux politiques de la psychiatrie.
Certes, les politiques n’ont pas à définir les bonnes pratiques en psychiatrie. Mais la définition des missions et du soin en psychiatrie les concerne.
La psychiatrie n’aurait-elle pour mission que de traiter des troubles et des symptômes (comme le préconisaient les rapports Cléry Mélin en 2003 et Couty en 2009), ou de normaliser et contrôler les populations ?
La psychiatrie n’a-t-elle pas, avant tout, à soulager la souffrance d’un sujet ? Ce qui implique une clinique qui repose sur la relation et la confiance. Ce qui se construit avec la personne.

Or la banalisation de la contrainte vient structurer une culture soignante, où ce n’est plus au soignant de faire l’effort d’aller vers le patient et d’établir un lien thérapeutique de confiance. Puisque le patient est obligé de venir. Les soignants considérant dans ce cas là que cela suffit !
Maintenir les soins ambulatoires sous contrainte et leur banalisation revient donc à définir la psychiatrie avant tout comme outil de contrôle et non comme système de soins chargé de soulager la souffrance de nos concitoyens.
Nous récusons cette conception et c’est pourquoi nous insistons sur la nécessité de l’instauration d’une grande loi sanitaire redéfinissant les missions humanistes de la psychiatrie.

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> Regards croisés sur la loi du 5 juillet 2011

Vendredi 4 octobre 2013
Centre équestre « Les Cavaliers du Pays Cathare » à Magrin (81) 20 heures

RESPECTER LES DROITS, CONTROLER, JUGER, CONTRAINDRE …PSYCHIATRIE SOUS SURVEILLANCE ?

« Le fou n’est coupable de rien. La folie n’est pas une infraction » Serge PORTELLI
La loi du 5 juillet 2011 s’inscrit dans un contexte sécuritaire et une politique illusoire du risque zéro qui conduit à faire du soin psychiatrique un outil au service de l’ordre public et de la sécurité.
Cela rend de fait, le soignant acteur et comptable de cette mission.
Prévenir, protéger, soigner sont-ils des concepts dépassés ?

Comment analyser la loi du 5 juillet 2011 réformant les modalités d’hospitalisations sans consentement en psychiatrie ?

Que penser de la judiciarisation des patients ? De la psychiatrisation de la justice ?
Quel bilan peut-on dresser de l’intervention du Juge des Libertés et de la Détention, du respect des droits des patients, des convocations au tribunal, des possibles amalgames folie/délinquance ou encore des programmes de soin, des soins contraints à domicile…

Quelles répercussions sur les patients, les familles et les équipes concernées ?
La Psychiatrie n’est pas là pour surveiller ou contrôler, elle est là pour prendre soin.
Mais alors quel rôle et quelle place pour la justice ?
Dans le cadre de la contrainte aux soins psychiatriques, comment concevoir, imaginer, mettre en œuvre cette dualité Psychiatrie/ Justice. Une fusion, une union ! Pour le meilleur…

Nous vous proposons ce soir un débat intitulé : « Regards croisés sur la loi du 5 juillet 2011 »

Avec la participation de Serge PORTELLI , Président de chambre à la Cour d’Appel de Versailles
et Thierry NAJMAN, Psychiatre, Psychanalyste, Chef de Pôle.

06 87 28 08 05 Mail : lespsycausent@gmail.com
Site: http://lespsy-causent.over-blog.fr/
Entrée libre – PS : Les plats ou boissons que tu apporteras seront partagés…avec justice et sans contrainte !

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> La psychiatrie en contrebande

Pourparlers en Picardie et l’ICSMP vous invitent à une rencontre avec

Patrick Chemla

Psychiatre, Psychanalyste, Chef de service au Centre Antonin Artaud à Reims, Membre du Collectif des 39,
Auteur de Expériences de la folie, Erès 2010, La fabrique du soin, Erès 2012, etc

La psychiatrie en contrebande

Le mercredi 25 septembre 2013 à 20 h 30
Amphi Jean Cavaillès, 3 place Dewailly, 80000 Amiens

Il sera ici question d’une certaine psychiatrie, qui, prenant appui sur la psychanalyse, a inventé depuis la 2°
guerre mondiale la Psychothérapie Institutionnelle et le Secteur.
Cette psychiatrie recouvre un ensemble hétérogène qu’il est difficile de nommer, en tout cas pour le
moment. Entre la destruction de l’ordre asilaire ancien produisant le mouvement du Secteur et le lent déclin
des pratiques respectueuses de l’humain, nous avons traversé le plus souvent à notre insu une période
politique qu’il nous faudra caractériser : régression ? Ou marche en avant d’un néolibéralisme articulé avec
toutes les techniques d’instrumentalisation de l’humain ?
Dans cette situation la psychiatrie est redevenue un enjeu politique crucial, mettant en évidence et
condensant tous les processus de destruction des collectifs, de ravalement de l’éthique et de formatage des
subjectivités.
La question peut se poser en termes de résistance, qu’il faudrait articuler avec la construction de lieux de
production d’une contre-culture, où d’autres rapports sociaux s’inventent entre patients et soignants, où une
autre langue se dégage des enjeux de la production marchande et de la démarche qualité.
Nous avons besoin dans ce contexte d’un incessant mouvement de rassemblement de tous ceux qui se
refusent à cette « Nouvelle raison du Monde » (cf Dardot et Laval). Il est également certain que sur le
terrain, dans les institutions, la praxis politique et clinique en passe déjà par l’usage de la ruse (la metis
d’Ulysse) pour tenir bon et transmettre l’essentiel : l’ambiance, le souci de l’autre, l’humour, l’hospitalité au
tout autre et à l’énigme du désir inconscient.

Soirée co-organisée par l’Association Pourparlers en Picardie, 93 rue Vulfran Warmé,80000 Amiens et l’Institut Collégial pour la santé mentale en Picardie (ICSMP), hôpital de jour la Marelle, 18 boulevard Carnot, 80000 AMIENS.

Contact et infos :
jeanwattiau@gmail.com
contact@icsmp.fr
http://pourparlersenpicardie.jimdo.com/
http://www.icsmp.fr/
Entrée gratuite pour les adhérents Pourparlers en Picardie et ICSMP
Non adhérents : entrée 5 euros (tarif plein) /ou 3 euros (étudiants ou demandeurs d’emploi).

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Le collectif est à Jazz in Marciac

AVEC LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT DU GERS ET LES 39
Dimanche 4 août 2013
à 14h30

Salle des arènes
(Chemin de ronde, à proximité des arènes)

Projection-débat

organisé par le Collectif des 39

« Création artistique et soins psychique, est-ce encore possible ? »

Projection du film

« Le dernier voyage de l’Arbre Rose »

de Philippe Borel et Suzanne Allant

24 min

* * *

Ce film est un témoignage de l’atelier d’expression libre « l’Arbre Rose » qui après 35 ans d’existence a du fermer ses portes en décembre dernier.

A l’heure où la santé mentale est médicalisée et où les hôpitaux ont d’autres priorité, comment réagir quant eu devenir incertain des ateliers d’expression intra-hospitaliers, qui ferment les uns après les autres au départ en retraite de leurs animateurs .

Débat en présence de Jean-Bernard Couzinet, plasticien ; animé par Simone Molina, psychanalyste et Sylvie Prieur, psychologue clinicienne, membre du collectif des 39.

Lundi 5 août 2013
à 14h30

Au Cinéma
(place du Chevalier d’Antras)

Projection-débat

organisé par le Collectif des 39

« Où en est l’accueil en psychiatrie ?»

« 15 jours ailleurs »

Réalisation Didier BIVEL, Productrice Elisabeth ARNAC

Acteurs : Didier BOURDON, Judith CHEMLA, Agathe DRONN, Bernard VERLEY

Laurent BATEAU, Camille PANONACLE

90 min

* * *

Vincent fait un burn out au bureau. Il est hospitalisé « sous contrainte » par sa femme en unité psychiatrique. Lors de ce séjour, Vincent se lie d’amitié avec une jeune psychotique, Hélène, qui veut absolument sortir pour revoir son enfant. Elle convainc Vincent de fuguer avec elle.

Ce court voyage va les amener au delà de leur destination.

Débat en présence de la productrice, Elisabeth Arnac, animé par Paul Machto, psychiatre, membre du collectif des 39 et un représentant de l’UNAFAM

Mardi 6 août 2013
à 14h30

Salle des arènes
(Chemin de ronde, à proximité des arènes)

Projection-débat

organisé par le Collectif des 39

« Un parcours singulier en psychiatrie, un exemple africain »

Projection du film

« Les enchaînés»

réalisé par Alexis Duclos

* * *

En Afrique, une réalité existe à propos des malades mentaux : trop nombreux d’entre eux sont « condamnés » à l’errance ou à être enchaînés parfois pendant longtemps faute de lieux de soins et de soignants.

Ce film retrace le parcours d’un homme qui, après avoir lui même traversé une période de désarroi, s’est révolté contre cette situation et s’est engagé pour développer un accueil humain et des soins dignes. Sans aucune formation il a œuvré avec d’autres pour créer des centres de soins en Côte d’Ivoire et au Benin.

Cela pose des questions très actuelles qui concernent aussi la situation française où l’on assiste au retour des pratiques de contention. Quel accueil pour la folie ? Quelle implication et quelles alliances possible entre professionnels, les usagers et leurs familles ? C’est aussi une question centrale qui concerne une société dans son ensemble : quelle place pour l’humain, dans notre monde actuel ?

Débat animé par Bénédicte Maurin, éducatrice et Philippe Bichon, psychiatre, membre du collectif des 39

Notez aussi que le mardi 6 août à 18 h -la pièce de Rosemonde Cathala à la salle des fêtes, Gerschwin, l’esprit du Jazz, à propos de Thélonious Monk. Il y aura un quartet qui jouera la musique créée par Emile Parisien.

« L’ESPRIT DU JAZZ – GERSHWIN » 3 au 10 AOUT

Une rencontre inédite entre Thelonious Monk et Louis Armstrong autour d’un enregistrement devenu célèbre : « The man I love » dans la chanson de Gershwin avec Miles Davis. Pour Monk, ce jour là Miles a tué le plus grand moment du Jazz en brisant son solo. Il n’a pas compris que Monk allait atteindre le son pur juste après le silence… Créé en 2008 à Jazz In Marciac, ce spectacle revient cette année dans une ultime version ! (conseillé à partir de 12 ans) Spectacle théâtral et musical (publié aux ed. E.T.G.S.O. vol.13 : www.etgso.com/)

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> Audition MISMAP Collectif des 39 – 9 juillet 2013

Audition MISMAP Collectif des 39 9 juillet 2013

1) Dr Mathieu Bellahsen

Le collectif des 39 travaille depuis plus de cinq ans pour une psychiatrie promouvant des soins psychiques fondés sur l’accueil et l’hospitalité. Il regroupe des soignants de toutes catégories professionnelles, des usagers, des familles et des gens du monde de la culture.
Nous prenons acte de la volonté d’apaisement dans la rédaction de la proposition de loi et considérons comme des avancées positives:

1- la suppression du statut spécial des patients passés en UMD

2- la mise en place de sorties de courte durée non accompagnées (ce qui ne modifie pas le mode de l’hospitalisation temps complet). Mais le délai maximal de ces sorties non accompagnées est de 48h, ce qui semble trop court. Pourquoi d’ailleurs les limiter ?

 Nous demandons un allongement de ce délai. 3- La suppression du certificat de J5-J8 4- L’intervention du JLD à 10J en audience foraine+++
Pour autant, le problème central est celui du cadre de discussion comme va l’abordera après moi Patrick Chemla, et notamment l’existence de soins sans consentement en ambulatoire. Nous le répétons, la garantie que ces soi disant « soins » soient de véritables soins est maigre voire nulle.
Rappelons qu’avant l’avis du conseil constitutionnel, la loi de juillet 2011 était fondée sur un postulat erroné qui, pour aller vite, qui confondait « soins » et « prise des médicaments ». Dans cette optique réductrice les soins se limitaient à être certain que les patients psychotiques aient une « injection mensuelle de neuroleptique retard » puisque des nouveaux médicaments étaient supposés mieux soigner les troubles psychiques (ce qui est faux, aucune avancée réelle depuis 50 ans dans la chimiothérapie).
Lors des Assises de la psychiatrie et du médico-social les 31 mai et 1er juin derniers, qui ont été un franc succès avec plus d’un millier de personnes présentes, nous avons consolidés notre engagement commun contre la bascule de paradigme opérés par la création de ces « soins sans consentement en ambulatoire ». La malaise était d’ailleurs perceptible par le législateur dans la loi de juillet 2011, puisque ces soit disant « soins » n’apparaissent que sous la paraphrase de « soins selon l’article… »
Malgré les critiques du pré-rapport de la mission parlementaire, deux points importants n’ont pas été modifiés :
– l’expression « soin » n’est pas remplacée par le mot « placement »
– les soins sans consentement en ambulatoire et les programmes de soins ne sont pas remis en question malgré le déplacement de la contrainte centré sur un lieu, l’hôpital, vers une contrainte centré directement sur la personne.
C’est une bascule puisque l’extension du champ de la contrainte est devenue illimitée, tant sur le nombre de personnes qui sont concernées, que sur son temps d’application. Par ailleurs cette contrainte peut défausser les professionnels de travailler à un lien thérapeutique avec patients et famille fondé sur la confiance.
En conclusion le point négatif central est la perpétuation des « soins ambulatoires » et « soins à domicile ». Soyons clairs, ce ne sont pas d’autres « modalités de soins » mais d’autres modalités de contrainte aux soins en ambulatoire.
Après cette remise en question du cadre général de la loi, les autres points à modifier sont :

1- Il n’y a pas de délai clairement donné à l’administration pour modifier une prise en charge d’hospitalisation complète en SSCA, ce qui dans la pratique laisse latitude à l’administration de nous faire mariner et de refuser cette modification parce qu’on est pas dans les délais, « qu’il aurait fallu s’y prendre plus tôt » etc.

 l’inscription dans la loi d’un délai de la décision du directeur pour la transformation du mode contraint de prise en charge est une mesure importante

2- la vidéoaudience est certes encadrée mais n’est pas supprimée. Nous plaidons pour sa suppression pure et simple, là aussi le principe en lui-même ne peut subir d’adaptation

3- La primauté de la confidentialité de l’audition et non sa publicité sont indispensables pour des raisons compréhensibles cliniquement : la levée partielle du secret médical (certificats), audition devant d’autres patients de l’hôpital

4- Enfin, dans le cas des SPDRE, pour une permission, le psychiatre doit faire la demande 48h avant. Le préfet peut s’y opposer jusqu’à 12h avant la permission, ça semble très court et cliniquement ça peut créer des tensions inutiles avec les patients

 Un temps entre le délai d’opposition du préfet et la sortie du patient plus long (24h par exemple au lieu de 12h) nous semble préférable

2) DrPatrickChemla

Notes pour l’audition du 9 juillet par la commission en charge de l’avenir de la Psychiatrie
Une fois l’exposé de Mathieu Bellahsen effectué, je ne rajouterai rien sur le projet de loi lui- même, sinon qu’il est manifestement le fruit d’un compromis, et qu’il voudrait en quelque
sorte adoucir le sécuritaire par la médicalisation. Ce qui nous fait aboutir à des paradoxes logiques et très concrets comme les soins sous contrainte en ambulatoire, rebaptisés entre temps programmes de soins. Et qui sont le cœur de la loi du 5 Juillet. C’est en généralisant l’espace de la contrainte que cette loi nous a paru scandaleuse quand elle fut promulguée et cet aspect demeure dans l’actuel projet.
Il eut mieux valu procéder à une abrogation préalable comme promis, pour repenser une nouvelle loi sur la psychiatrie qui aurait commencé par affirmer la primauté des soins libres.
Et même dans le projet actuel, il ne semble pas suffisant d’affirmer que le reste des enjeux de la psychiatrie sera envisagé plus tard ! Il faudrait insister d’emblée sur une politique incitative qui fasse de la contrainte une exception, alors que nous savons que les mesures d’internement n’ont cessé d’augmenter avant même la loi du 5 Juillet !
Il s’agirait d’inverser cette tendance lourde et rétrograde pour promouvoir une psychiatrie fondée sur l’accueil, recherchant la confiance entre patients, soignants et familles.
A quoi servent ces soins sous contrainte en ambulatoire, qui ne peuvent désormais plus s’exercer sous la contrainte, et qui nécessitent une relance complète de l’hospitalisation sous contrainte en cas de refus ? A rassurer de façon illusoire les familles qui vont croire que leur proche sera ainsi soigné par des équipes placées sous contrainte de la loi ?
A rassurer des équipes qui voudraient faire l’économie d’un travail de construction d’un espace de confiance préalable à toute possibilité de thérapeutique ?
A continuer à faire peur à des patients récalcitrants qui refuseraient de prendre leur traitement ?
Nous le réaffirmons avec insistance : ce sont là de très mauvaises raisons, et il vaudrait mieux purement et simplement abolir ces mesures : un internement peut se faire sous la contrainte, pas un soin psychique !
Il eut mieux valu maintenir les termes de « placement » comme Denys Robillard l’avait préalablement envisagé « pour appeler un chat un chat », et réserver le terme de soin à un registre contractuel, négocié et renégocié autant que de besoin tout au long d’une prise en charge.
Cela constitue le quotidien de nombreuses équipes qui se passent de tout « programme de soins », ou qui ne les utilisent que dans les très rares situations cliniques que la loi de 90 encadrait déjà en terme de sorties à l’essai. Pourquoi réintroduire ces sorties à l’essai pour les limiter à 48 H ?
Nous pourrions évoquer les longs week-ends et tenter de négocier leur durée, mais surtout imaginer qu’elles pourraient venir en lieu et place des programmes de soins.
Ainsi l’hôpital retrouverait une fonction contenante dans le bon sens de ce terme , à charge pour des équipes relancées par le législateur de faire que ces lieux d’hospitalisation retrouvent
ou réinventent leur fonction thérapeutique, sans laisser croire à une pseudo accélération de la « guérison » par la mise en isolement, la contention et l’administration de traitements à forte doses sans cesse présentés comme des panacées ou pire des avancées de la science !
Le tout à marche forcée aboutissant à rejeter de l’hôpital et souvent sans concertation avec les proches des patients gavés de traitements qu’ils s’empressent de rejeter.
Nous vous l’avons déjà dit : ces pratiques barbares ne cessent de progresser dans les établissements et leur protocolisation contrôlée ne fait malheureusement que les cautionner !
Il s’agit de l’exact contraire d’un temps fort quelquefois nécessaire pour qu’un patient puisse se rassembler, réduire les excès de son délire quand celui-ci l’empêche de vivre et se préparer à la sortie avec le soutien d’une équipe ambulatoire. Puisque c’est dans l’ambulatoire et l’espace de la cité que des soins peuvent être prodigués lorsqu’ils sont nécessaires et négociés entre les uns et les autres.
Et qu’ils devraient constituer la base même d’une politique de secteur à refonder dans un contexte difficile.
En conséquence, à défaut d’une abrogation pure et simple de la loi du 5 juillet, nous demandons la suppression pure et simple des soins sans consentement en ambulatoire pour les remplacer par des sorties à l’essai qui devraient rester marginales et permettre la réinsertion dans la cité.
Un tel changement ne prendrait de valeur qu’à la faveur d’une relance politique d’une psychiatrie fondée sur l’accueil et des valeurs de solidarité.
Cette politique pourrait aussi se fonder sur les nouvelles convergences qui ont pu apparaitre entre des collectifs d’usagers, de familles et de soignants qui ont trouvé récemment l’expression de leur rassemblement dans les Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médicosocial, appelées par le Collectif des 39.

3) MatthieuDissert

L’hospitalisation sous contrainte qu’il s’agisse de son ancienne ou sa nouvelle dénomination est un acte d’une violence extrême, bien sûr elle est parfois nécessaire même quand le patient adhère à ses soins, il peut arriver qu’une crise le conduise à refuser une hospitalisation.

1- une hospitalisation sous contrainte commence souvent par l’intervention de la force publique et des pompiers avec, parfois, une violation du domicile du patient.

2- lors de l’arrivée à l’hôpital, on vous dépouille de vos vêtements et effets personnels. 3- parfois on vous enferme, voire même on vous attache.
La nécessité de cette procédure n’en atténue pas moins la violence et cette violence ne peut être considérée comme un soin.
Dans le meilleur des cas la crise passe et le délire diminue, et la contrainte cesse, c’est là que commence le soin.
Certaines équipes, refusent d’admettre que si le patient n’adhère pas au soin, il s’agit bien de leur échec, le patient n’étant en aucun cas responsable de ce qui lui arrive.
Les soins sous contrainte en ambulatoire sont la perpétuation de cette violence initiale, qui devient une menace, l’hospitalisation faisant office de sanction de type carcérale.
Il est inadmissible que sous prétexte de l’incompétence de certaines équipes de « soins » soit renforcée par une loi qui leur permet de se passer de faire leur travail, établir le contact et instaurer la confiance.
Un traitement médicamenteux non accepté aura des effets qui augmenteront son rejet.
Les soins sous contrainte en ambulatoire, loin d’améliorer la prise en charge, ont et auront pour effet de maintenir les mauvaises pratiques violentes des mauvaises équipes.

4) Dr Thierry Najman

Juste quelques mots de conclusion, afin de préciser encore trois points, dans la lignée et la philosophie de ce qui vient d’être évoqué :
Il est étonnant que le rapport d’étape ne dise rien au sujet de cette nouvelle mesure d’hospitalisation, introduite par la loi du 5 juillet 2011, appelé « péril imminent sans tiers » mais que l’on pourrait paradoxalement et logiquement qualifié « d’HDT sans tiers ». Ce nouveau mode de placement est source de confusion et d’ambiguïté sur plusieurs points. Sur le terrain, il est possible de constater son utilisation dévoyée dans un certain nombre d’hôpitaux. Dans différents SAU, par exemple, des médecins adoptent cette mesure par commodité, face à une surcharge de travail, afin de ne pas avoir à rechercher un tiers qui pourtant existe et pourrait venir signer un certificat en se déplaçant jusqu’au SAU. Cette SPDT sans tiers reflète, au même titre que d’autres aspects de cette loi, l’idéologie sécuritaire qui la sous-tend et dans laquelle elle prend son origine. Sur le terrain, de nombreux acteurs hésitent quant à la façon d’interpréter et de mettre en pratique la loi à son sujet. Lorsqu’un membre de la famille ou un ami se manifeste dans un second temps, et que la mesure avait été prise faute de tiers, est-il possible, ou même est-il souhaitable, de la transformer en SPDT ? Il ne serait pas inutile que le projet de loi clarifie ce qu’il en est cette modalité d’hospitalisation ambiguë et source de dérives potentielles que l’on observe déjà dans la pratique sur certains secteurs.
Par ailleurs, il faut reconnaître les avancées de ce projet de loi en matière d’allègement bureaucratique, avec en particulier la disparition du certificat du 8ème jour. Cependant, il serait probablement possible d’aller un peu plus loin dans ce domaine afin de favoriser le développement du temps soignant relativement au temps purement administratif. D’autres certificats ne sont bien souvent que des copies inutiles des précédents et mobilisent des médecins dans des services sous dotés en temps médical. Il nous faut créer les conditions d’un meilleur accueil de nos patients et élaborer un cadre de travail mettant l’accent vers un soucis clinique plus qu’un souci bureaucratique. De surcroît, dans beaucoup de services, tous les médecins ne disposent pas de la signature concernant les certificats. En des temps de pénurie, et après les diminutions d’effectifs de ces dernières années dont nous n’avons peut-être pas encore vu le bout, il nous faut ménager ce qui reste de moyens humains et employer ces moyens humains sur le terrain de la relation au patient, de l’échange clinique, et des activités thérapeutiques. Nous savons que la déflation du temps passé auprès des patients et la diminution du temps soignant sont des facteurs d’accroissement de la contrainte, de l’enfermement, voir de la contention. Or, il est clair que depuis un certain nombre d’années le mouvement général est celui de l’addition des protocoles, à l’utilisation des ordinateurs (y compris en matière de soins sans consentement) et à l’accumulation contre productive de formulaires en tout genre.
Un dernier point, pour appeler à la prudence en matière de systématisation de l’intervention des avocats, tel que le prévoit le projet de loi. Une meilleure information des patients est indéniablement souhaitable, concernant le droit des malades, et la possibilité de se faire assister d’un avocat au moment où le patient le souhaite. Le matériel doit être fourni pour rédiger un éventuel courrier, ainsi peut-être, qu’une liste d’avocat, avec les démarches précises pour être mis en relation avec un avocat commis d’office. Un livret d’accueil clair à ce sujet est nécessaire. Mais une systématisation trop poussée dans ce domaine comme dans d’autres, un défaut d’adaptation, par conséquent, à la singularité du cas, une logique trop purement juridique, ne prenant pas suffisamment en compte la dimension clinique de cette question, pourrait parfois produire des résultats contraires à l’intérêt du patient et au but rechercher. Cela suppose une discussion au cas par cas avec le patient et ses proches. Enfin, comme cela avait noté lors des précédentes auditions, il serait véritablement important que le juge, en cette circonstance particulière, puisse être requalifié de «juge des libertés» et que soit officiellement écarté le terme de « détention » qui renforce malheureusement l’amalgame trop souvent relevé, entre maladie mentale et dangerosité. La très grande majorité des patients ayant des soins sans leur consentement n’ont commis aucun délit, aucun crime, et le terme de « juge des libertés et de la détention » n’aide pas les patients à penser que le juge est présent pour les protéger, ce qui est pourtant la réalité.

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> LA PAROLE EN PSYCHIATRIE. ENCORE EFFICACE ?

Vendredi 28 juin 2013 Centre équestre « Les Cavaliers du Pays Cathare » à Magrin (81)20 heures

LA PAROLE EN PSYCHIATRIE. ENCORE EFFICACE ?
Maintenir un espace du dire…
Alors que la parole se fait la malle ne restons pas sans voix !
Pour autant peut on dire que parler finira par ne plus rien dire ?
Parole qui s’estompe ou devient sourde…

Nous devons prendre un engagement : Tenir et prendre parole. Cela nous permettra d’accueillir la souffrance psychique que « Chaque – Un » nous amène. Un espace du dire, mais pour dire quoi ?
De plus en plus de soignants, doivent assurer seuls, en extra hospitalier comme en intra, des prises en charge psychiatriques qui demandent une réelle inventivité et de solides ressources personnelles pour appréhender les difficultés de l’autre, tout en les respectant.
De leur côté les familles compensent toujours davantage les défaillances d’un système avec leur bonne volonté et leur amour pour faire face à la maladie de l’un des leurs.
Nous vous proposons ce soir avec nos deux invités de nous réapproprier le soin et la clinique pour que la parole ne perde pas sa consistance.
Faisons en sorte de créer un état dynamique toujours possible à améliorer et tentons de trouver des outils pour penser la folie et le cadre de soin.

Avec la participation de Fernando VICENTE, Psychologue, Psychanalyste Barcelonais et Blandine PONNET, Infirmière de Secteur Psychiatrique, titulaire d’un DESS de psychopathologie clinique.
PS : Tu connais désormais la musique… et la parole : apporte quelque chose à boire ou à manger !

Contacts: 0687280805 Mail : lespsycausent@gmail.com Site: http://lespsy-causent.over-blog.fr/

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> Quelle hospitalité pour les autistes ?

Quelle hospitalité pour les autistes ?

Ce texte polémique, et initialement présenté lors du meeting du 1° Juin 2013 concluant les Assises citoyennes pour l’hospitalité dans la psychiatrie et le médicosocial, s’inscrit dans une interlocution avec les intervenants qui avaient précédé : Laure Murat, Pierre Dardot et Jean Oury.
Ceux-ci ayant très largement « déblayé le terrain » et éclairci la situation, je renvoie chacun à leurs propos déjà publiés pour deux d’entre eux : Laure Murat et Pierre Dardot.
Ce qui nous a choqués et déterminés en toute hâte à modifier l’organisation de ces Assises pour provoquer ce meeting unitaire, se trouve déployé et précisé dans leur analyse critique de la rhétorique et des enjeux politiques du plan Autisme 2013, dans son écart et son articulation étrange avec les propos publics de Marie Arlette Carlotti insultant, en tant que ministre, les pratiques s’appuyant sur la psychanalyse.

Oui il s’agit d’une entreprise délibérée et explicite d’exclure la psychanalyse et la Psychothérapie Institutionnelle, autrement dit tout un champ du savoir humain qui a construit notre modernité, pour laisser place à un mode de pensée et d’action réducteur et exclusif, un véritable rouleau-compresseur qu’il s’agit de stopper.
Oui les recommandations de la HAS contre laquelle nous nous insurgions lors de notre précédent meeting le 17 Mars 2012 à Montreuil, constituent le pivot de ce plan qui prend prétexte de la détresse des familles pour imposer un dispositif extrêmement construit à tous les niveaux. Un monstre bureaucratique qui s’impose, remarquons le par la menace, mais aussi et surtout par les processus de formatage des « soignants », qui deviendraient, s’ils obéissent à de telles procédures, de simples « exécutants aux ordres ». Et qui seraient à chaque étape évalués, contrôlés par toute une série de supervisions et de certifications dont on voit aujourd’hui ouvertement l’aspect intrusif dans les pratiques de chacun. Nous avons critiqué depuis nos débuts ces processus de certification s’avançant au nom du bien et prétendant garantir les prétendues « bonnes pratiques » en s’en tenant prétendument à la forme. Nombre d’entre nous s’épuisent chaque jour à tenter de traduire leur travail dans cette novlangue appauvrissante, puisque nous sommes contraints à passer sous les fourches caudines des certifications si nous voulons continuer à faire notre travail soignant en institution.

Aujourd’hui un masque tombe bruyamment : ces certifications vont intervenir explicitement sur le fond, c’est-à-dire sur la relation soignante, sur la prise en charge avec ce qu’elle suppose à chaque fois de prise en compte de la singularité, avec aussi la part d’invention et de création qui fait la difficulté mais aussi la richesse passionnante de nos métiers. Nous travaillons avec des personnes prises dans une histoire sur plusieurs générations, un réseau de relations humaines et sociales, et aucune approche de cette complexité ne peut prétendre être univoque et s’imposer à tous et en toutes circonstances.

Ainsi un certain nombre d’entre nous, et j’en suis, construisent leur pratique en s’appuyant sur la psychanalyse et la Psychothérapie Institutionnelle, mais il ne nous viendrait pas à l’idée d’en faire une approche exclusive !

Et nous nous insurgerions de la même manière contre une telle prétention totalitaire !
De plus face à la grande détresse de ceux que nous accueillons, qui oserait prétendre que des abords multidimensionnels ne sont pas indispensables ?
Chaque jour il m’arrive de prescrire des psychotropes, même si j’essaie d’en faire un usage bien tempéré, pour pouvoir apaiser la trop grande souffrance, chercher le contact, le garder et nouer des relations de confiance préalables à toute possibilité de soin relationnel.
C’est cette posture se réclamant des lois de l’hospitalité qui nous parait le soubassement, le socle d’une psychiatrie à reconstruire sans négliger aucun des apports de la biologie, des sciences sociales, de la philosophie etc…
Cette liste n’est pas limitative par principe, et c’est cet hétérogène-Jean Oury le définit comme un hétéroclite travaillé- qu’il est toujours indispensable de maintenir comme un ouvert riche de potentialités.

On m’a appris à la Faculté de médecine, il y a déjà longtemps à prescrire, mais ce que j’ai appris de réellement opératoire s’est effectué sur le terrain, au contact des équipes avec lesquelles j’ai travaillé, avec les patients qui ont été mes vrais maitres en psychiatrie dans les espaces de vie quotidienne et de club thérapeutique. C’est toute la dimension d’un Collectif de travail qui inclut tous ceux qui concourent aux soins, mais aussi les patients qui peuvent, si on leur en donne la possibilité, participer de la construction de l’espace thérapeutique.
Ce propos pourrait paraitre utopique si je ne vivais pas quotidiennement cette pratique, comme tous ceux qui s’engagent à leur manière à chaque fois particulière dans cet enjeu d’un soin relationnel qui constitue le lieu de la « fabrique du soin », celui où nous pouvons rencontrer l’autre. Et cela vaut pour le collectif comme pour les rencontres apparemment les plus individuelles.
Or ce plan autisme 2013, et ces recommandations de la Has sont exactement antagoniques à tous ces préalables nécessaires pour construire un tel espace thérapeutique. D’autres que moi, je pense bien sûr en premier lieu à Pierre Delion, ont pu montrer le caractère opératoire d’une « psychiatrie intégrative » avec les personnes souffrant d’autisme ; et pour lesquelles les soignants usent de toutes les possibilités en leurs moyens pour entrer en contact, réduire la souffrance et les automutilations, aider la personne à l’accès au langage et aux acquisitions.
Il est complétement absurde d’opposer psychanalyse et éducation : Anna Freud, Françoise Dolto pour parler des plus célèbres ont consacré leur vie à tenter d’articuler ces approches hétérogènes et complémentaires.

Et quand nous travaillons avec des patients désinsérés par leur maladie, pour retrouver un logement qu’ils puissent habiter, au sens fort de ce terme, quand nous les aidons à gérer leur budget et à s’inscrire dans des échanges sociaux, quand nous partageons avec eux des moments de vie quotidienne, des repas ou des fêtes, nous travaillons dans une complexité de registres qui interdit toute prétention à une vérité exclusive. Aujourd’hui on nous présente une Vérité d’Etat garantie par la HAS qui prétend s’appuyer sur des avancées scientifiques et même sur une recherche dont on connaitrait par avance les résultats ! On n’avait jamais rien lu d’aussi grandiose depuis l’époque du génial camarade Staline !
Or cette Vérité Ultime et exclusive se trouve dans le plan « fédérée » explicitement par la fondation Fondamental, que le film de Philippe Borrel (« Un monde sans fous ») nous avait montrée dans sa fondation entre des politiciens de droite, des bio-psychiatres quelque peu fanatiques, et quelques savants qui paraissaient bien illuminés…
Il semble bien hélas que cette Fondation ait donc pris le pouvoir sur toute une partie de l’appareil d’Etat au point de lui dicter un plan totalement calqué sur ses positions et son appareil de formatage.

Il semble aussi que la gauche de gouvernement se soit laissée convaincre par ce discours pseudoscientifique que les meilleurs chercheurs en neuroscience ont pourtant déjà démonté : qu’on se rappelle entre autres les contributions de François Gonon et de André Coret lors du meeting de Montreuil ainsi que pendant ces Assises, leurs publications lisibles par toute personne souhaitant s’informer de l’état de la science! Et de l’imposture de la psychiatrie qualifiée de « bulle spéculative » par François Gonon dans la revue Esprit de novembre 2011.
Il faut aussi insister sur un point crucial : il ne s’agit en aucune manière pour nous de proposer un retournement en mettant une autre orientation, telle la psychanalyse actuellement désignée comme un épouvantail, en position de vérité ultime. Un tel retournement laisserait intacte cette idée totalitaire d’une Vérité d’Etat, alors qu’il faudrait préconiser la plus large ouverture à la recherche et à l’inventivité dans le soin et la formation.

Et nous serions enchantés d’ailleurs que des avancées pratiques se produisent dans le domaine biologique : mais pour le moment cela reste de l’ordre de l’imposture, comme nous avions pu le lire et le dénoncer dans le préambule de la loi du 5 Juillet, avec ces médicaments antipsychotiques qui prétendent de façon mensongère en finir avec le « déni des troubles », voire en finir avec la folie !
Pour autant certains patients, certaines familles ne veulent en aucune manière d’une thérapie s’appuyant sur la parole, et il s’agit absolument de respecter cette possibilité : car la thérapie forcée, la parole imposée c’est aussi totalitaire voire plus que les médicaments sous contrainte en ambulatoire !
Ce qu’il s’agit de soutenir : c’est la possibilité la plus grande de choix pour les patients, les familles et les professionnels. Un choix éclairé par un autre discours que celui de la propagande des laboratoires pharmaceutiques qui trame et finance cette HAS dont les décisions sont contestées dans bien d’autres domaines : maladie d’Alzheimer, taux de cholestérol etc… en vue de prescrire des médicaments aussi couteux qu’inefficaces ou dangereux.

Des collègues médecins ont contesté ces recommandations et ont eu à plusieurs reprises gain de cause : ainsi l’association des psychiatres d’intersecteurs (l’API) a refusé récemment de produire une recommandation sur « le syndrome d’hyperactivité chez l’enfant » en arguant de l’inexistence d’une telle entité inventée essentiellement pour prescrire de la ritaline à un enfant sur 10 aux USA.
Il nous est donc possible de contester et même de récuser des recommandations purement idéologiques de cette HAS, dans la mesure où elles sont absolument non scientifiques contrairement à ce qu’elles prétendent, et qu’elles vont à l’opposé de tout ce qui fait la richesse et la diversité de notre clinique et de la réalité psychique de chaque personne.
Autrement dit il ne faut pas laisser passer les déclarations démagogiques d’une ministre sous prétexte qu’elles recevraient l’assentiment d’une partie des familles. D’autres groupes de familles, comme l’association « la main à l’oreille » mènent le combat à nos côtés, et à leur manière, pour des soins ouverts et de qualité : au nom de quoi ces familles ne mériteraient-elles pas d’être reconnues et prises en considération ?

La démocratie ne consiste certainement pas à écraser les minoritaires sous le poids du plus grand nombre, et « d’homogénéiser » les pratiques pour que tout soit conforme à une norme d’Etat.
Nous savons depuis le 9 Mars 2012 la volonté, déclarée dans le journal l’Express, du président de la HAS de généraliser ses « recommandations » à tout le champ psychopathologique : aujourd’hui l’autisme, demain les bipolaires et les schizophrènes …

Il suffira à chaque fois de prétendre à une pseudo-découverte scientifique pour vouloir imposer un traitement formaté des patients considérés comme un tas de molécules et de neurones !
Répétons-le une fois de plus : quand bien même des troubles génétiques, biologiques seraient avérés dans une pathologie mentale, cela ne signifierait en aucune manière que la personne en souffrance serait dépourvue de vie psychique et d’inconscient. Ou alors nous nous dirigerions tout droit vers ce que Tony Lainé appelait en son temps une psychiatrie animalière, une zoo-psychiatrie.
Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres, il est important de nous mobiliser ensemble contre ce plan qui est lourd de menaces cette fois tout à fait explicites. C’est toute la possibilité des soins psychiques qui se trouve mise en danger par un tel dispositif qui marque le début d’une destruction organisée d’une psychiatrie fondée sur des valeurs humaines de solidarité et d’hospitalité.
Il est essentiel enfin que soient promus des lieux d’accueil pour les personnes autistes, ce qui implique en premier lieu des moyens, mais surtout la nécessité d’une politique de soins tenant compte de l’infinie diversité des situations et de l’articulation indispensable des différentes approches thérapeutiques et éducatives existantes et à venir.

Pour le Collectif des 39
Dr Patrick Chemla
Psychiatre et psychanalyste, chef de service,
Centre Antonin Artaud Reims
Juin 2013

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> Quelques réflexions à partir du troisième plan autisme

Le troisième plan autisme paru ce mois de Mai 2013 est un pur produit de la pensée novlangue, dicté par des opposants farouches à la psychanalyse et à la pédopsychiatrie de service public. Son contenu est rempli de « non surprises » et aurait très bien pu être annoncé par Valérie Létard dans le gouvernement précédent. Là, c’est pire encore que ce que l’on aurait pu imaginer, puisque les politiques que nous avons élus se comportent en porte paroles d’un seul point de vue, sans compter les commentaires indignes que madame la ministre des handicapés a tenu à l’occasion de sa sortie, entourant cet événement d’une nouvelle atmosphère de chasse aux sorcières dont nous n’avions absolument pas besoin.
Ne pouvant évidemment reprendre l’ensemble de ce document, je souhaite évoquer quelques points particuliers qui m’ont parus révélateurs d’un climat de vil règlement de compte plutôt qu’annonciateurs d’une nouvelle alliance des différents praticiens, nécessaire à la prise en charge des enfants concernés et au soutien de leurs parents.

La pédopsychiatrie de service public, en charge des problèmes sanitaires des enfants autistes n’existe tout simplement plus dans le rapport, et la psychiatrie de secteur, invention dont la France peut s’enorgueillir à juste titre n’est citée qu’une seule fois, et encore, en tant qu’ « équipe hospitalière de pédopsychiatrie ». Les enfants autistes et leurs parents iront dans les CAMSP et les CMPP, parfois dans les établissements médicosociaux, mais n’iront pas voir le pédopsychiatre de secteur dans son CMP, alors que la psychiatrie de secteur est toujours la modalité légale d’organisation de la psychiatrie française, et que cette pathologie infantile est encore, pour combien de temps, du ressort de cette spécialité médicale, et enseignée dans les facultés de médecine par les professeurs de pédopsychiatrie.

Sous le couvert d’un libéralisme de bon aloi, la recherche, qui semble un axe essentiel pour nous tous, suit une ligne en contradiction avec tout projet scientifique : il est déjà précisé à l’avance ce que les chercheurs doivent trouver, des étiologies génétiques et des marqueurs biologiques, avant même d’avoir envisagé l’ensemble des pistes à suivre, notamment épigénétiques, voire évoqué leur complémentarité avec les premières. Certaines de ces hypothèses sont purement et simplement niées et passées sous silence, ce qui est une autre manière de définitivement condamner leur existence même, tandis que d’autres sont déjà présentées comme des résultats scientifiques avérés, alors qu’ils ne le sont pas.

La prévention à dix huit mois est présentée comme un scoop qui devrait enfin venir réparer les dégâts faits par « les pédopsychiatres, infiltrés par la psychanalyse depuis quarante ans » (commentaires de la ministre des handicapés), qui en ont empêché la mise en place. Tous les travaux en langue française parus à ce sujet sont tout simplement passés sous silence une fois encore, alors qu’ils contiennent de nombreuses recherches, pratiques et résultats précieux à ce propos. De plus, la question n’est pas si simple que le plan nous l’annonce, car plusieurs diagnostics sont possibles lorsque le pédopsychiatre se trouve devant un tableau de syndrome autistique survenant chez un bébé, et il est alors difficile d’annoncer un diagnostic d’autisme à des parents quand, quelques mois plus tard, il s’avère qu’il s’agissait en réalité d’une dépression grave, d’un trouble sensoriel ou d’une déficience. Ceux qui n’ont pas rencontré dans leur pratique ces problématiques peuvent facilement donner des leçons de prévention générale !

Les TED/TSA doivent tous emprunter le chemin de l’école. Soit ! La loi de 2005 est certes généreuse, mais le gouvernement qui l’a fait voter a simplement oublié de fournir les moyens ad hoc pour faire vivre ce bel effort d’inclusion. La psychiatrie de secteur a toujours joué l’intégration scolaire lorsqu’elle était possible, et a soutenu les enseignants et les parents pour la réussir. Mais où sont les moyens pour inclure à l’école tous les enfants concernés ? Les enseignants ont-ils été invités à donner leur avis sur cette politique intéressante mais nécessitant d’autres aménagements que les seules injonctions parentales en appui sur une loi sans moyen de l’appliquer ? Pour ma part, j’enseigne depuis de nombreuses années à mes étudiants en médecine et à tous les professionnels concernés par l’autisme que le trépied sur lequel repose la prise en charge des enfants TED/TSA est : « l’éducatif toujours, le pédagogique si possible et le thérapeutique si nécessaire ». Mais la formulation « le pédagogique si possible » ne vaut que si d’autres formules sont trouvées pour les enfants qui ne peuvent en bénéficier, et notamment les établissements du médicosocial (IME), ainsi que les hôpitaux de jour qui doivent apporter à l’enfant une possibilité pédagogique en rapport avec leur niveau cognitif.

Autre inconvénient majeur : l’extension du modèle TED/TSA à toutes les pathologies développementales des enfants, et notamment aux enfants appelés « dysharmoniques » par Misès, qui sont désormais recouvertes par la catégorie TED Non Spécifiés (TEDNOS). Si la prise en charge des premiers peut être améliorée par les recommandations HAS ANESM (et encore faudrait-il se mettre d’accord sur les dérapages interprétatifs des résultats statistiques exposés, et épinglés par l’éditorial de la revue Prescrire d’avril 2013), il n’en est rien des seconds, alors que leur prévalence est nettement supérieure à celle des premiers. Il s’agit, ni plus ni moins d’une OPA sur l’ensemble des enfants présentant un trouble envahissant du développement et sur leurs parents, pour augmenter le rapport de force en faveur d’une position manichéenne d’exclusion des points de vue différents et des pratiques institutionnelles portées par les équipes de pédopsychiatrie.

Enfin, la référence constante aux recommandations de l’HAS/ANESM est affligeante lorsque l’on sait l’écart qui existe entre les prétentions scientifiques qu’elles affichent et la réalité de leurs résultats objectifs.

Voilà déjà quelques éléments que je peux livrer à votre réflexion pour montrer en quoi les troisième plan autisme est en fait une injonction destinée à détourner les moyens d’une pédopsychiatrie de service public jetée aux orties par ses propres ministres de tutelle, vers des pratiques prônées comme efficaces, sans prendre en compte la plus élémentaires des réalités : si certains enfants autistes n’ont besoin que de pratiques éducatives et pédagogiques, d’autres ont également besoin de soutiens thérapeutiques du fait de leurs comportements et si le service public n’existe plus ce ne sont pas les quelques places de « répit » qui sont créées qui vont répondre aux problèmes posés par les psychopathologies autistique et psychotique, notamment en cas de « comportements-problèmes ».

Mais je souhaite reprendre rapidement quelques étapes de l’histoire récente des enfants autistes pour mieux éclairer les positions scandaleuses exposées par la ministre des handicapés à l’occasion de la sortie du troisième plan, qui montrent à l’envi sa méconnaissance du problème qu’elle prétend traiter.

L’autisme décrit en 1943 par Kanner constituera le point de départ d’une prise en considération scientifique médicale des enfants concernés. Les secteurs de pédopsychiatrie créés en 1972, et la pédopsychiatrie universitaire en 1973, permettront de développer des structures de soins adaptés à ces pathologies infantiles, notamment par la création du concept d’hôpital de jour. Ce dispositif permet à l’enfant de venir se soigner et d’apprendre dans la journée sur des horaires comparables à ceux de l’école et ensuite à rentrer chez ses parents. A l’époque, seules les équipes de pédopsychiatrie se mobilisent pour prendre en charge ces enfants. Mais le manque de moyens suffisants et les réticences de certains psychanalystes n’ayant pas pris suffisamment en considération les caractéristiques de ces pathologies archaïques ne donnent pas à ces équipes la possibilité de développer davantage ces prises en charge en intégrant les aspects éducatifs et pédagogiques, autant qu’il aurait fallu. C’est l’époque des orientations de nombreux enfants vers le médicosocial. Les pédopsychiatres plaident pour une plus grande intégration à l’école, mais le temps d’une loi allant dans ce sens n’est pas encore venu. Toutefois, un certain nombre d’équipes ouvertes commencent à articuler les approches éducatives, pédagogiques et thérapeutiques (Jacques Constant en sera un pionnier à Chartres avec Catherine Milcent). Simone Veil va alors déclencher un mouvement à partir du politique et sur la demande de nombreuses familles qui ne trouvent pas de réponses pertinentes pour leur enfant. Un mouvement va ainsi se développer sous le nom de pédopsychiatrie intégrative, et permettre à de nombreuses équipes de pédopsychiatrie de se réformer pour aller dans ce sens des complémentarités nécessaires en fonction de chaque enfant.
Dans la période plus récente, des attaques dirigées vers certaines techniques (packing, pataugeoire, psychothérapie) sont organisées par certaines associations de parents et visent à sensibiliser l’opinion publique en recourant à des méthodes de désinformation très élaborées mais indignes de notre démocratie. Des députés de droite comme de gauche se mettent en tête d’interdire la psychanalyse dans l’autisme. Le sommet sera atteint dans les recommandations de l’HAS parues en mars 2012. Si certaines parties de ce texte sont intéressantes et acceptables de façon consensuelle, la partie concernant les prises en charge est un véritable traquenard intellectuel puisqu’elle prétend s’appuyer sur ces considérations scientifiques, alors que la preuve est faite depuis qu’il n’en est rien. Si la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle sont jugées non consensuelles, et à ce titre disqualifiées de fait, la packing se voit interdit sauf dans le cadre de la recherche que je mène à Lille dans le cadre d’un PHRC accepté sur le plan scientifique par le ministère de la santé et de la recherche et sur le plan éthique par la commission de protection des personnes (CPP).
Le troisième plan autisme paraît alors que la majorité politique a changé et que nous attendions de la nouvelle majorité une capacité à dépasser ces conflits délétères pour enfin partir sur des bases redéfinies dans un esprit d’ouverture et de complémentarité. Il n’en a rien été, et nous voyons se déployer sous nos yeux, les triomphes ordinaires du lobbying des plus forts et des plus organisés alliés à ceux d’une démagogie jamais encore atteinte, surfant sans problème sur la souffrance des familles.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à une problématique complexe qui peut être éclairée par plusieurs niveaux d’analyse.
Tout d’abord, au niveau sociétal, le procès en sorcellerie fait à la psychanalyse devrait être instruit contre des psychanalystes qui n’ont pas su accueillir avec le respect humain que l’on doit dans nos métiers aux personnes qui souffrent psychiquement. Lorsqu’un patient se plaint d’un chirurgien, fait-il un procès à la chirurgie ? Ceux qui payent aujourd’hui injustement cette haine ne font que tenter dans leurs pratiques, chacun à leur manière, non pas de psychanalyser les enfants autistes, mais d’utiliser les conceptions psychanalytiques dans leurs réflexions et leurs pratiques relationnelles autour des enfants autistes, et quand la possibilité se présente, d’adapter les dispositifs de soins en tenant compte de ces avancées dans la prise en charge, et ce, toujours en alliance avec les parents. Si la psychanalyse a été importante dans la formation de nombreux pédopsychiatres, en aucun cas elle n’a été la seule, et beaucoup d’entre nous tentons d’articuler les hypothèses neuroscientifiques avec les hypothèses psychopathologiques dans le cadre des secteurs de pédopsychiatrie.
Ensuite, sur le plan politique, le passage progressif, trop rapide à mes yeux, d’une démocratie participative à une démocratie médiatique, met sur le marché informatif beaucoup d’éléments qui se présentent comme scientifiques alors qu’il n’en est rien. Nous savons que les discussions sur des sujets comme l’autisme deviennent volontiers passionnelles. Et le circuit des pseudo-discussions sur les forums qui sont « occupés » par des groupes bien organisés pour en saturer les contenus n’est pas de nature à favoriser une vraie dispute au sens scientifique du terme. Les attaques « ad hominem » remplacent les arguments scientifiques, et je sors d’un combat sur le packing où j’ai pu mesurer à quel point la passion destructrice tient souvent lieu de pensée. En fait il s’agit probablement d’une défense contre l’angoisse qui consiste à relayer ad libitum, sur le modèle de la publicité, les messages destructeurs pour terrasser l’adversaire intellectuel, ce qui évite d’avoir à penser soi-même.
Enfin, la surdétermination économique ne fait pas de doute dans ce conflit majeur actuel. Il me semble qu’il serait intéressant de la part des politiques de dire qu’ils disposent de telle somme pour résoudre la question des TED/TSA, et qu’il faut se mettre autour d’une table pour répartir la mise après des discussions démocratiquement organisées. Or ils ont choisi de désigner un bouc émissaire, le service public de pédopsychiatrie, de le disqualifier, de le détruire et pour y arriver d’utiliser toutes les armes, mêmes celles qui ne sont pas autorisées, pour lui prendre ses crédits, et les « transférer » à ceux qui se présentent comme les « vrais scientifiques ». Pas de chance pour nous, nous incarnons le bouc émissaire, et cet appel au lynchage que la ministre des handicapés a organisé à l’occasion de la sortie du troisième plan n’est pas digne de nos démocraties.

Nous devons faire savoir qu’il s’agit d’une imposture, et nous devons continuer à suivre notre chemin des complémentarités nécessaires dans ce domaine de l’autisme, comme dans tous ceux des sciences médicales dans lesquelles la souffrance ne se réduit jamais à la solution d’une équation mathématique.

Villejuif, 31 mai et 1er juin 2013
Quelques réflexions à partir du troisième plan autisme
Pierre Delion

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Soutien de Mme A. Hazan Maire de Reims

Mesdames et messieurs,

Retenue à Reims pour l’organisation des Fêtes Johanniques, je ne peux être présente aujourd’hui à vos côtés, à mon grand regret. J’ai néanmoins souhaité vous transmettre ce message par lequel je tiens à renouveler une nouvelle fois mon soutien au « Collectif des 39 » et aux actions qu’il porte.

Cela fait maintenant de nombreuses années que la psychiatrie française est au cœur de la tourmente. Cela fait des années que la possibilité même du soin psychique est malmené, que le personnel soignant est humilié et les patients atteints dans leur dignité.

Aujourd’hui, nous sommes enfin sortis d’une longue période douloureuse, marquée à mes yeux par le terrible et intolérable discours de l’ancien Président de la République, prononcé à Antony en décembre 2008.

Le pacte républicain qui fonde la France est fondé sur une idée simple : que chaque citoyen de ce pays, peu importent ses origines, son handicap, sa situation sociale, sa condition sanitaire, chaque citoyen possède ce droit le plus immédiat qui est celui de la reconnaissance de son humanité.
La valeur qui nous rassemble, la valeur qui fait société : c’est l’égalité.

Or cette égalité est trop souvent remise en cause, précisément dans le domaine où elle devrait être la plus protégée : celui de la santé mentale.

Il n’est pas acceptable que des patients atteints de troubles psychiatriques puissent être stigmatisés parce que notre société s’abandonne et se perd dans une idéologie sécuritaire.
Mais il n’est pas plus acceptable que ces mêmes patients ne puissent plus bénéficier d’une prise en charge relationnelle et humaine décente parce qu’adaptée à la situation singulière de chacun.

Je crois que ces Assises Citoyennes sont l’occasion d’appeler encore et toujours à la refondation de la psychiatrie en France. L’occasion de rappeler inlassablement qu’il en va de la dignité humaine et de la lutte contre l’exclusion.

Le nouveau gouvernement doit entendre ce qui se joue ici et prendre la mesure des menaces qui pèsent aujourd’hui sur la possibilité même du soin psychiatrique. Si nous voulons sauvegarder un système de soin fondé sur la solidarité, l’humanité et l’hospitalité, alors il est plus que jamais nécessaire de changer durablement et profondément avec l’idéologie qui a prévalu jusqu’alors.

Soyez assurés de mon entier soutien à cette démarche que nul autre que vous ne porte aujourd’hui avec autant de force et de vigueur.

Adeline Hazan

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L’État n’a pas plus à définir la «vérité historique» que la «vérité scientifique»

L’État n’a pas plus à définir la «vérité historique» que la «vérité scientifique»

06 juin 2013 | Par Les invités de Mediapart – Mediapart.fr

Pour la chercheuse en histoire Laure Murat, quand une ministre dicte ce qui doit être enseigné en matière de traitement de l’autisme, c’est tout aussi choquant que lorsque l’Etat a voulu obliger les historiens à reconnaître le rôle « positif » de la colonisation.

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Il y a un mois, Patrick Chemla m’a proposé de participer à ces Assises et m’a demandé si, à titre d’historienne (et plus spécialement d’historienne de la psychiatrie), j’aurais été intéressée d’intervenir à propos du Troisième Plan Autisme. Comme beaucoup, j’avais été choquée par les propos de Mme Carlotti condamnant la psychanalyse au profit des « méthodes qui marchent », précisant : « Que les choses soient claires : n’auront les moyens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler » (Le Monde, 2 mai 2013). Cette phrase, qui a été beaucoup reprise – à juste titre –, est d’autant plus frappante qu’elle dit haut et fort ce que le rapport s’évertue à diffuser mais de façon beaucoup plus perverse, comme l’eau qui dort, sans l’énoncer une seule fois.
N’étant ni médecin, ni psychiatre, je n’ai aucune qualification pour me prononcer sur l’autisme. Mais je suis professeure à l’université et le rapport aborde précisément l’enseignement et la recherche, domaines sur lesquels je me concentrerai, en prenant soin de distinguer le discours implicite du discours explicite – la langue de la bureaucratie requérant d’autant plus d’attention du point de vue rhétorique que sa médiocrité poétique, souvent lénifiante, est, contrairement à ce qu’on pourrait croire, très élaborée et très signifiante politiquement.

On peine en général à juger des textes qui, en apparence, ne se réclament d’aucune théorie. Mais c’est oublier que l’absence de théorie est déjà une théorie. De même, d’un point de vue lexical, l’absence de certains mots est au moins aussi révélatrice que l’emploi répété de certains autres. Que les mots « psychanalyse » ou « psychothérapie », par exemple, ne soient pas prononcés une seule fois sur les 121 pages du Troisième Plan Autisme (2013-2017) me semble plutôt être une revendication idéologique en creux que le fruit d’une étourderie des rédacteurs. Car on sait bien que la réduction au silence est une méthode beaucoup plus efficace qu’une attaque frontale, dont les arguments pourraient être soumis à la discussion et au débat. En parvenant – car c’est une manière de tour de force – à ne citer ni la psychanalyse, ni la psychothérapie institutionnelle, le rapport entérine, comme une évidence, leur disparition de fait dans le paysage intellectuel. Le silence joue ici le même rôle qu’un énoncé performatif, qui « acte » une éradication : ce qui n’est pas nommé n’existe pas – ce que la presse n’aurait peut-être même pas relevé, n’était la déclaration martiale de Mme Carlotti, que j’interprète comme une « gaffe politique », à la limite du lapsus, officialisant ce qu’il fallait stratégiquement continuer à taire.
De même qu’il y a réduction au silence de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle, il y a, dans le rapport, suremploi de certains termes. Le mot « cognitif » (diversement accordé), par exemple, est prononcé vingt-six fois, loin derrière, il est vrai, l’expression « recommandations de la HAS » qui ne compte pas moins de cent huit occurrences.

En gardant ces remarques lexicales en tête, la lecture des passages consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche s’avère d’autant plus éclairante. Je lis par exemple, p. 15 : « (…) les universités ont un rôle important à jouer pour déployer de nouvelles formations respectant les recommandations de la HAS et de l’ANESM. » Et deux phrases plus loin: « Les licences professionnelles permettront aux étudiants de découvrir la diversité des méthodes existantes compatibles avec les recommandations de la HAS et de l’ANESM et de pouvoir ensuite, grâce aux compétences acquises, effectuer les choix adéquats en fonction des besoins spécifiques de chaque situation. Ces licences pourront également favoriser le développement de cursus articulés avec d’autres formations diplômantes, notamment éducateurs spécialisés. » (1)
« Les nouvelles formations respectant les recommandations de la HAS », « la diversité des méthodes existantes compatibles avec les recommandations de la HAS »… Il ne faut pas être grand clerc pour observer que la pluralité affichée des positions (nouvelles formations, diversité des méthodes existantes, besoins spécifiques de chaque situation, développement de cursus) est une pluralité faussée, puisqu’elle est en réalité réduite aux « recommandations de bonne pratique » de la HAS publiées en 2012, qui concluaient à la non-pertinence des interventions fondées sur l’approche psychanalytique et la psychothérapie institutionnelles (2). Prôner la diversité, dans ce cas, c’est donc prôner la diversité dans un seul domaine scientifique, les sciences cognitives et comportementales. C’est un peu comme si je disais vouloir étudier la diversité des couleurs de cheveux… parmi les blonds.

Un même principe préside à la partie consacrée au renforcement de la recherche, mais formulé différemment et, pour tout dire, de façon plus explicite : « Cette action vise à renforcer la recherche sur l’autisme dans le domaine de la biologie, des sciences cognitives, et des sciences humaines et sociales (3). »
Les actions envisagées sont au nombre de quatre :


« 1) Promouvoir la recherche sur les marqueurs précoces et le suivi évolutif de l’autisme (bio-marqueurs, données de l’imagerie cérébrale) en l’articulant à l’analyse clinique, cognitive et comportementale.

2) Promouvoir la recherche sur les mécanismes moléculaires et cellulaires à l’origine de l’autisme.

3) Promouvoir la recherche cognitive sur l’autisme (…) [et, en particulier] développer et affiner divers modèles (theory of mind, etc.)

4) Etudier les dispositifs de remédiation (…) (4) »

Traduction : seules la biologie et les sciences cognitives et comportementales (citées deux fois) peuvent apporter une réponse à l’autisme. Les « divers » modèles étudiés, comme la theory of mind, appartiennent exclusivement à ce même domaine.
Ces deux passages me paraissent exemplaires d’une réflexion à mener sur le rôle et l’intervention de l’Etat dans la formation universitaire et dans la recherche en général, problème qui s’est récemment cristallisé, en Histoire, avec la polémique autour des lois mémorielles. J’en rappellerai rapidement la genèse et les enjeux. Le 12 décembre 2005, Pierre Nora lançait une pétition, « Liberté pour l’histoire », signée entre autres par Pierre Vidal-Naquet, Paul Veyne et Elisabeth Roudinesco. L’appel s’insurgeait contre les procédures judiciaires visant des historiens, dont le travail était entravé par une série de lois (la loi Gayssot, la loi Taubira, la loi du 29 janvier 2001 portant reconnaissance du génocide arménien ou celle du 23 février 2005 demandant au programmes scolaires de reconnaître le « rôle positif de la présence française outre- mer, notamment en Afrique du Nord », etc.), lois qui « ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites. » Le collectif demandait en conséquence « l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique ». Quelques jours plus tard, un autre collectif, composé entre autres de Serge Klarsfeld et de Claude Lanzmann, lançait une contre-proposition intitulée : « Ne mélangeons pas tout », qui affirmait entre autres, à propos de la loi Gayssot dont le maintien était réclamé : « Le législateur ne s’est pas immiscé sur le territoire de l’historien. Il s’y est adossé pour limiter les dénis afférents à ces sujets historiques très spécifiques, qui comportent une dimension criminelle, et qui font en tant que tels l’objet de tentatives politiques de travestissements. »

Lorsque le pouvoir interdit l’enseignement du négationnisme à l’université, est-ce choquant? Lorsque le pouvoir autorise (dans certaine universités américaines) l’enseignement du créationnisme réfutant Darwin, est-ce choquant ? Y aurait-il une bonne et une mauvaise ingérence ? Ou est-ce l’ingérence qu’il faut condamner par principe ? Ces questions me semblent facilement transposables à l’objet qui nous occupe. Car l’État n’a pas plus à définir la « vérité historique » que la « vérité scientifique ». Que l’Etat donne un certain nombre de grandes orientations ne me paraît pas choquant en soi. Mais qu’il réduise à la source et de facto la formation et la recherche à un seul ensemble de propositions (ici, les sciences cognitives et comportementales, à l’exclusion de toutes les autres, comme l’a bien rappelé Mme Carlotti) me paraît très grave. Car c’est, d’une part, condamner la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle à n’être aussi « valides » que le négationnisme ou aussi farfelues que le créationnisme. Et c’est, d’autre part, accorder à la HAS un pouvoir d’autant plus exorbitant que son infaillibilité est un peu comme celle du pape : elle n’a toujours pas été prouvée scientifiquement. Je vous rappelle en passant que dans un communiqué du 20 mai 2011, par exemple, la HAS annonçait un retrait « spontané » de ses recommandations pour la maladie d’Alzheimer : sur les 25 experts ayant élaboré lesdites recommandations, 3 n’avaient pas fait de déclaration publique d’intérêt ; plus embêtant, sur les 22 autres, 11 étaient accusés de conflit d’intérêt « compte tenu des liens étroits que les expert(e)s entretenaient avec les laboratoires chargés de la fabrication et de la commercialisation des produits médicamenteux » du traitement de la maladie (lire ici)

Que ce soit cette instance-là précisément qui dicte les orientations de la recherche (puisqu’on a compris grâce à Mme Carlotti que ces recommandations étaient en réalité des sommations) me paraît, oui, tout aussi choquant que lorsque l’Etat a voulu obliger les historiens à reconnaître le rôle « positif » de la colonisation (loi du 23 février 2005). À cette époque, Christiane Taubira s’était exprimée pour juger la loi « désastreuse » car « catégorielle ». En 2001, la loi Taubira, précisément, demandait pourtant à ce que la traite des Noirs soit inscrite dans les programmes mais (et la différence est cruciale) n’imposait en aucune façon la manière dont les enseignants devaient en parler.

Le plébiscite exclusif des sciences cognitives et comportementales du Troisième Plan Autisme me paraît comparable à ces oukazes officiels en ceci qu’il impose une orientation scientifique qualifiée de seule « positive », et limite ainsi la recherche c’est-à-dire l’appauvrit. Après la proposition de loi du député UMP Daniel Fasquelle en janvier 2012 appelant à une interdiction pure et simple de la psychanalyse dans le traitement de l’autisme, il est très regrettable que soit entériné si vite ce qu’il faut bien appeler la victoire d’un lobby, au mépris des règles élémentaires qui président à tout travail intellectuel.

Laure Murat,
chercheuse spécialisée dans l’histoire culturelle,
auteur de La Maison du docteur Blanche (2001) prix Goncourt de la biographie
et de Passage de l’Odéon (2003).
Elle a publié en 2006 un essai consacré au ‘troisième sexe’ intitulé La Loi du genre.
Diplômée de l’EHESS et docteur en histoire, elle est professeur au département d’études françaises et francophones de l’université de Californie-Los Angeles.

Texte écrit pour les Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie,
Villejuif, 31 mai-1er juin 2013

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(1) Troisième Plan Autisme (2013-2017), présenté le jeudi 2 mai 2013 par Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Ministère de la Santé, p. 15.
(2) Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Recommandation de bonne pratique, Mars 2012, p. 27. Téléchargeable sur le site de la HAS : http://www.has- sante.fr/portail/jcms/c_1101438/fr/tableau-des-recommandations-de-bonne-pratique
(3) Troisième Plan Autisme (2013-2017), présenté le jeudi 2 mai 2013 par Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Ministère de la Santé, p. 100.
(4) Ibid. C’est moi qui souligne.

URL source: http://blogs.mediapart.fr/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/060613/l-etat-n-pas-plus-definir-la-verite-historique-que-la-verite-scientifiq

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Communiqué de presse du collectif des 39 et des Ceméa

Communiqué de presse du collectif des 39 et des Ceméa

Les assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social
L’appel des 1000

Les assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social organisées par le collectif des 39 et les CEMEA dans le but d’engager un travail de réflexion clinique et politique ont été un immense succès.

Elles ont été une réussite tant par le nombre des participants (près de mille), que par l’hétérogénéité de ceux-ci. En effet, toutes les catégories socioprofessionnelles du sanitaire et du médicosocial, des mères, des pères, des frères, des enfants de patients, des patients, des élus, des gens de la culture et du spectacle, des citoyens se sentant concernés, se sont retrouvés pour témoigner ensemble de leurs vécus et de leur vision de l’hospitalité pour la folie et de ses impasses dans le sanitaire et le médicosocial.

Ces assises ont commencé, il y a un an, à la suite du meeting de Mars 2012, par un appel à témoignages. Cet appel, largement entendu par tous les usagers (au sens Bonnaféen du terme)
de la psychiatrie et du médicosocial a permis de construire et de donner la forme et le ton de ces assises : un style très vivant et participatif dans une ambiance chaleureuse et engagée.
Un immense laboratoire, découverte de points de vue habituellement inaccessibles, permis par cette ouverture et une qualité d’écoute de tous les participants-acteurs quel que soit leur statut.

Cette transversalité, offerte par la mise en forme de ces assises, a porté ses fruits. Les prises de parole se sont faites dans la justesse et la retenue, décrivant pour certains, des situations parfois dramatiques et terribles d’inhospitalité des services publics, sans basculer dans la déploration. Les hospitalisations sous contraintes, les contentions, les mises en pyjama deviennent de plus en plus systématiques. Mais aussi, les contraintes de plus en plus fortes exercées sur les professionnels par les processus d’évaluation et d’accréditation, par la normalisation des pratiques et des formations soumises aux recommandations réductrices et simplistes extrêmement critiquables de la HAS.
Malgré la pression de plus en plus forte d’une bureaucratie envahissant tous les actes, sous prétexte de traçabilité et de risque zéro, plusieurs collectifs ont présenté leurs expériences créatives de résistance, nous encourageant tous à inventer et ne pas céder à la destruction. Il s’agit de soutenir le désir de construire une autre psychiatrie plus humaine, tenant compte des difficultés et des impasses dans laquelle la psychiatrie et le médicosocial se trouvent.
Il s’agit aussi de dépasser les clivages administrativo-économiques, en reconnaissant la dimension soignante des structures médicosociales et leur nécessaire réarticulation avec la psychiatrie.

Un immense chantier collectif et inédit, à contre-courant des dérives actuelles d’hyperprotocolarisation des pratiques et d’assujettissement des patients et des professionnels à ces diktats vient de s’ouvrir et va se poursuivre. Le travail d’élaboration collective ne fait que commencer, certains ateliers vont continuer à se réunir et une autre rencontre est prévue pour le 16 novembre à la Maison de l’Arbre à Montreuil.

Les assises se sont terminées le samedi après-midi par un meeting, passant du politique, de la vie quotidienne, à un engagement dans la politique.
Un appel des mille, a été voté à l’unanimité. Cet appel demande le retrait de la recommandation sur l’autisme faite par la HAS et donc le retrait de ce troisième plan autisme qui s’appuie sur cette recommandation. Les participants aux assises, rejoints par de nombreuses organisations et d’autres militants sont venus dire non à cette HAS de plus en plus discréditée et appeler le gouvernement à plus de discernement dans ces décisions.
En cas de maintien de ces mesures discriminatoires et inacceptables, les 1000 participants du meeting ont décidé d’organiser une manifestation à la rentrée.

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Une politique « fondée sur l’évidence scientifique » ?

Une politique « fondée sur l’évidence scientifique » ?
Pierre Dardot

Je reprends à mon compte ce qui vient d’être dit par Jean Oury sur la « bureaucratie exacerbée » :
le Troisième Plan Autisme présenté par Madame Carlotti nous fait respirer d’un bout à l’autre ce que Marx appelait à juste titre en 1843 dans sa Critique du droit politique hégélien, « l’esprit de la bureaucratie ».
« L’esprit de la bureaucratie » : l’expression sonne tout de même étrangement, fera-t-on remarquer, car l’absence d’esprit n’est-elle pas la caractéristique même de la bureaucratie, de toute bureaucratie ? Il y a malgré tout un « esprit de la bureaucratie » : en disant cela, Marx pensait à l’esprit de secret et de mystère de la vieille bureaucratie d’Etat qui se protège à l’intérieur par sa hiérarchie et à l’extérieur par son caractère de société fermée, protégée de la société réelle par ses rites, sa langue, ses procédures de cooptation, bref par tout un « formalisme ». C’est pourquoi il définit la bureaucratie comme le « formalisme d’Etat ».

Que le texte du Plan Autisme soit imprégné jusqu’à saturation de ce formalisme dans sa langue et son écriture, voilà qui n’est pas douteux. Il l’est jusque dans ses moindres formulations, jusque dans son goût immodéré pour les subdivisions mécaniquement reproduites d’une partie à l’autre (I. A. B. 1. 2. 3., etc.), jusque dans ses blancs si méticuleusement mesurés, jusque dans la monotonie affligeante de son lexique (en particulier dans les 37 « Fiches Action » qui occupent à elles seules près de 90 pages sur les 121 que compte ce rapport !), jusque dans son abus de l’abréviation (que l’on songe à l’insupportable attente qui est la nôtre en tant que lecteurs puisque c’est seulement à la page 59 que le sigle « RBP » se substitue enfin à notre plus grand soulagement à l’expression « recommandation de bonnes pratiques » et seulement à la page 68 qu’apparaît le sigle « RBP HAS 2011» !). Pourtant, d’un autre point de vue, il pourrait sembler qu’aujourd’hui, à l’inverse de l’époque de la bureaucratie prussienne, tout est étalé, dit de manière directe et transparente : plus de demi-mots ou de formulations allusives, les objectifs sont ouvertement affichés et, en un sens, jamais les choses n’ont été dites aussi clairement et crument. Il suffit de lire le Plan Autisme III pour s’en convaincre. On affirme dans un passage relatif à la formation des acteurs que « l’autisme est un trouble neuro-développemental » et qu’il est essentiel aux professionnels comme aux familles de le savoir (p. 26). On prescrit à la recherche de s’orienter vers la « découverte de marqueurs biologiques » en arguant du fait que leur identification « pourrait ouvrir la voie » à la connaissance des causes de cette pathologie.
A cette fin, on préconise d’ « inclure » la recherche sur l’autisme dans celle qui est développée dans le domaine des neurosciences, de la psychiatrie, des sciences cognitives et des sciences de l’homme et de la société (p. 21). On attend de l’Association nationale des CRA qu’elle facilite par son action le développement de « pratiques de prise en charge homogènes » (p. 14) et qu’elle permette d’« harmoniser » les pratiques des CRA (p.19). On prévoit de confier à la HAS l’organisation d’une audition publique en vue de « l’élaboration de recommandations de bonne pratique » pour les adultes sur le modèle de celles qui ont été faites pour les enfants (p.15). On invite les étudiants des futures licences professionnelles à découvrir la diversité des méthodes existantes « compatible » avec les RBP de la HAS (p. 28 : le lecteur découvre ainsi le charme discrètement bureaucratique de la « diversité compatible » !). Dès décembre 2012, le rapport du sénateur Milon, administrateur de FondaMental, avait donné le ton et enfoncé le clou en réduisant d’entrée de jeu la psychiatrie à une spécialité médicale qui relève des mêmes « critères d’évaluation » (p. 47) que les autres disciplines médicales et appelle à mots couverts à étendre la « validation scientifique » pour faire pièce à l’intérêt pour la psychanalyse (puisque c’est l’absence de validation qui « renforce l’intérêt pour la psychanalyse », comme l’aveu en est fait à la p. 43 du rapport!).

Je voudrais m’arrêter à une phrase de ce Plan qui me paraît mériter toute notre attention. Elle figure à la page 22, c’est la première phrase du 3. de la partie B du IV consacrée aux « axes prioritaires de la recherche ». Elle dit exactement ceci : « Les politiques de santé publique demeurent au plan international, et également en France, insuffisamment « fondées sur l’évidence » scientifique. » Le scrupule le plus élémentaire m’oblige à préciser que les trois mots « fondées sur l’évidence » sont mis entre guillemets par l’auteur de ce Plan. Il faut lire cette phrase remarquable tant elle résume à elle seule « l’esprit de la bureaucratie ». Les mots placés en italiques « fondées sur l’évidence » renvoient manifestement à l’expression anglaise « evidence based medicine » devenue par abréviation « EBM ». On sait que cette expression a été forgée dans les années 1980 au Canada pour baptiser une pratique qui était déjà entrée en vigueur depuis plusieurs années. Le rapport d’information du sénateur Milon de décembre 2012 déplore à cet égard : « La France a par ailleurs un faible taux de suivi des recommandations internationales, notamment parce que certains praticiens contestent l’evidence based medicine qui fonde les études anglo-saxonnes. Elle paraît à certains praticiens trop abstraite face aux pratiques de la psychiatrie française et au cas singulier de chaque patient » (p. 34).
On admirera au passage le « certains » de certains praticiens et le « paraît » de l’expression « elle paraît ». Cependant là n’est pas le plus important. La phrase citée du Plan joue sur l’équivoque du mot anglais « evidence » et sur la difficulté de rendre exactement en français l’expression anglaise : on convient le plus souvent de parler de « médecine factuelle » ou de « médecine fondée sur des preuves ». Le terme anglais « evidence » peut se traduire tout aussi par « données probantes » que par « preuves » : il fait en tant que tel partie du vocabulaire de l’enquête policière, tout particulièrement de celui de la police scientifique à laquelle il incombe précisément au cours de l’enquête de recueillir et de réunir le maximum de preuves (comme on peut l’apprendre en regardant une série policière américaine). De là la double traduction que l’on rencontre souvent : « médecine factuelle » ou « médecine fondée sur les preuves », selon que l’on privilégie les seules données factuelles ou la force des preuves. Et c’est en ce point que le mot français « évidence » est introduit à point nommé pour s’annexer les sens du mot anglais : en français le mot a le sens de ce qui se voit de soi-même, dans une visibilité immédiate qui contraint l’assentiment de l’esprit. Peu importe que cette introduction soit consciente ou non. Ce qui est symptomatique, c’est l’association implicite de la preuve et de l’évidence qui appartient à une épistémologie dépassée. Il n’est en effet aujourd’hui aucun épistémologue sérieux pour soutenir que la preuve scientifique relève de l’évidence.
La preuve suppose tout un montage, patient, laborieux et souvent collectif, qui n’a rien à voir avec la visitation de l’esprit illuminé par l’éclat insoutenable de la vérité. Une politique « suffisamment » fondée sur l’évidence scientifique, vraiment fondée sur cette évidence, est par conséquent, tout au moins dans l’esprit de ses promoteurs, est une politique qui se déduit directement et immédiatement de certaines « données » ou de certains « faits » qui sont censés valoir comme « preuves » en raison de leur « évidence » même. En affirmant que les politiques de santé publique sont « insuffisamment » fondées sur l’évidence scientifique, on élève implicitement l’exigence que ces mêmes politiques soient entièrement et intégralement fondées sur la dite évidence. Du même coup, puisqu’il est avéré qu’on ne saurait résister à l’évidence, on suspecte toute politique « insuffisamment » fondée sur l’évidence de procéder d’une mauvaise volonté, c’est-à-dire d’une volonté, fut-elle inavouée, de ne pas « se rendre » à l’évidence.

Mais que faut-il penser d’une telle exigence adressée à la politique de santé publique ? On a souvent fait valoir, à bon droit, que la médecine, contrairement à la biologie, est irréductible à la science qu’elle s’incorpore et dont elle se nourrit, si bien que l’on peut s’interroger sur la valeur d’une expertise clinique entièrement fondée sur des preuves : l’expertise clinique, celle que fait et qui fait le clinicien, repose sur un jugement singulier rendu sur un sujet singulier par un sujet singulier, et l’on voit mal qu’elle puisse se déduire directement de l’évidence des preuves. Le propre de l’ « évidence » est justement qu’elle dispense de tout véritable jugement parce qu’elle s’impose immédiatement à l’esprit. C’est pourquoi certains adeptes du paradigme EBM ont eux-mêmes mis en garde contre le danger d’une expertise clinique qui succomberait à la tyrannie de la preuve. Ce qui est vrai de la médecine et du jugement du clinicien est encore plus vrai de la politique et du jugement en vertu duquel une politique est déterminée et conduite. Car la politique n’est pas une espèce de médecine, elle n’est pas une médecine à l’usage de la cité, elle est tout autre chose qu’une médecine. Comment peut-on attendre, espérer ou pis exiger qu’une politique soit entièrement fondée sur l’évidence scientifique ? Par définition la détermination d’une politique, au sens d’une certaine orientation de l’action gouvernementale, par exemple en matière de santé publique, procède d’une activité de délibération et de jugement qui se confond avec la politique elle-même : une politique implique en ce sens toujours un choix entre plusieurs possibles dans une situation donnée, une politique n’est jamais dissociable de la politique comme activité, et c’est précisément en quoi une politique n’est jamais la seule politique possible. L’exigence d’une politique fondée sur l’évidence scientifique c’est l’exigence d’une politique unique qui s’imposerait par la seule « force des choses », c’est-à-dire l’exigence d’une politique qui nous affranchirait de la politique. Il suffit d’écouter Madame Carlotti dire et répéter à propos des méthodes de traitement de l’autisme : « je ne choisis pas », « je ne choisis pas », et ce alors même qu’elle choisit d’exclure la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle au profit des seules approches neurologiques et comportementales. Mais ce choix ne doit pas apparaître dans la mesure où une politique qui se soumet d’elle-même à la tyrannie de la preuve ne peut que se nier comme politique.
Une telle exigence n’est pas à vrai dire tout à fait nouvelle : au début du XIXe siècle le saint-simonisme avait formulé la prédiction d’une proche extinction de la politique comme activité distincte dans la société industrielle. Selon lui, la politique, ou le « gouvernement des hommes », consiste en l’exercice arbitraire du commandement par lequel une volonté cherche à s’imposer à une ou d’autres volontés, alors que l’« administration des choses », qui revient aux savants et aux industriels, est rationnelle parce qu’elle est indexée à la vérité de la science.
La supériorité de l’administration des choses vient de ce qu’on ne saurait résister à la vérité parce qu’elle s’impose d’elle-même sans avoir à commander, précisément par son « évidence ». Que se passe-t-il lorsque le gouvernement, qui est et reste quoiqu’il dise un gouvernement des hommes par des hommes, cherche à substituer au nom de la « vérité scientifique » l’administration des choses au gouvernement des hommes ? Ce qui se met alors en place, ce n’est pas l’administration des choses, parce que celle-ci, aussi efficace soit-elle, ne pourra jamais faire qu’il n’y ait plus d’hommes à gouverner, c’est bien plutôt l’administration des hommes, mieux c’est l’administration des hommes qui traite les hommes comme des choses dont on peut disposer à partir de statistiques et de méthodes d’évaluation interchangeables car profondément indifférentes au sens de leur activité. Mais pour administrer les hommes comme des choses, le gouvernement doit s’interdire d’exercer une contrainte directe et massive, il doit dans la mesure du possible déléguer et transférer à différentes instances le soin de s’acquitter de cette tâche de légitimer son activité d’administration. En d’autres termes, le gouvernement se doit d’organiser sa propre défection. C’est exactement ce qui se passe sous nos yeux : FondaMental se charge d’élaborer la « bonne norme scientifique » en faisant pression sur le gouvernement, de droite comme de gauche, pour qu’il reprenne à son compte sa conception de la « validation scientifique » taillée sur mesure pour avantager la neuropsychiatrie. Il suffit de lire la première partie du rapport Milon pour se rendre compte que cette association est prête à certaines concessions nominales pour continuer de défendre l’essentiel : ce texte ne parle plus de la « santé mentale », comme s’il avait entendu notre critique, notamment celle faite par Mathieu dans sa thèse (il reconnaît ainsi à la page 12 que la santé mentale tend à se confondre avec la capacité d’adaptation à la vie sociale et au « comportement social dominant »), mais il parle d’intégrer la psychiatrie dans une « politique de santé publique ». Fort de cette délégation dans la production de la norme, le gouvernement peut alors installer la HAS dans la fonction de police des bonnes pratiques, ce qui lui permet de se retrancher derrière le paravent d’une instance qu’il a lui-même activement promue au rang d’« autorité scientifique ». C’est tout ce dispositif qui produit l’« évidence scientifique » sur laquelle on voudrait fonder la politique de santé publique alors qu’en réalité elle est fabriquée pour dissuader de toute véritable délibération politique.

Revenons maintenant à cet « esprit de la bureaucratie » dont nous parlions au début. Si la vieille bureaucratie d’Etat était une bureaucratie du mystère et du secret, la nouvelle bureaucratie managériale est une bureaucratie de la transparence gestionnaire. Reste qu’il y a bien un esprit de cette bureaucratie, quelque chose comme un « nouvel esprit de la bureaucratie ». Ce nouvel esprit ne peut prospérer que parce que le politique s’évertue à organiser méthodiquement sa propre défection. L’expansion de la bureaucratie ne résulte pas en effet d’un excès de politique, mais tout au contraire d’un renoncement du politique à la politique. Ce nouvel esprit est de protéger l’Etat de la politique en réduisant l’action gouvernementale à la continuité d’une gestion des populations au-delà de toute alternance gouvernementale, ce qui est la version néolibérale de l’« administration des choses », c’est-à-dire de protéger l’Etat de « toute manifestation publique de l’esprit politique » ou de « l’esprit civique », comme dit encore Marx. Il nous revient dans ces conditions de rappeler activement et publiquement que cet esprit politique ou civique ne peut vivre que dans et par l’hétérogénéité des pratiques et que cette hétérogénéité doit être préservée contre la funeste et mortifère homogénéisation de ces mêmes pratiques sous l’effet d’une police exercée au nom de l’évidence scientifique qui est la négation même de la politique. En ouvrant un espace à la confrontation, à la délibération collective, à l’invention de nouvelles relations, l’hétérogénéité des pratiques sauve la possibilité même de la politique.

Pierre Dardot
Pierre Dardot et Christian Laval La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale La Découverte.2009

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La Parisienne libérée chante la vertu des méthodes

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Programme des Assises Citoyennes le 31 mai et 1er juin 2013

Devant la gravité des interventions de madame Marie-Arlette Carlotti, ministre chargée des personnes handicapés et de la lutte contre l’exclusion, et la sortie du plan Autisme 2013, nous avons décidé de modifier l’organisation prévue des Assises.
Nous vous transmettons donc le programme actualisé ci dessous en signalant un changement important : les Assises se concluront samedi à 13H, et nous reprendrons à 14H par la tenue d’un Meeting Unitaire pour demander le retrait du plan autisme et montrer les dangers potentiels qu’il recèle pour toute la psychiatrie à laquelle nous aspirons, fondée sur des valeurs de solidarité et d’hospitalité.

Programme des Assises Citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social

Vendredi 31 mai 2013.

8h30 – Accueil des participants

9h – Allocution de Mme le Maire de Villejuif, Mme Claudine Cordillot

9h15 – Ouverture – Philippe Bichon psychiatre clinique de La Borde et Benjamin Royer, psychologue clinicien, association Vice&Versa – université Paris XIII, La nouvelle Forge

9H45 -Simone Molina ( psychologue clinicienne, psychanalyste)
“Les enjeux historiques de la présence des psychologues cliniciens en institution.”
-Leslie Kaplan écrivain: “Folie et Création”
-Frédéric Niquet usager: ”Pourquoi Humapsy?”
Séance modérée par Paul Machto

10h30
Monsieur le Député DENYS ROBILIARD, rapporteur de la mission parlementaire sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie , présentera le pré-rapport parlementaire qui doit être publié ce mercredi 29 Mai
Discutants Mathieu Bellahsen / Olivia Gili / Annick Lair

11h30
– Patrick Landman, co-fondateur du mouvement « stop DSM », autour de la sortie du DSM 5 : Quel impact sur les pratiques ?
Discutants: Mathieu Dissert (Humapsy), Dominique Besnard (CEMEA) , Bénédicte Maurin éducatrice

12h
– Pierre Delion et Elisabeth Roudinesco , au sujet du troisième plan autisme.
Discutants Loriane Brunessaux, Patrick Chemla, Christian Guibert.

13h repas

14h à 17h30 Les Ateliers :
voir la présentation sur le site : https://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=6816

Samedi 1er Juin 2013.

9h à 12h – Les Ateliers 2e temps

12h à 13h – Table ronde conclusive des Assises

avec Sylvie Prieur, Monique Vincent, Hervé Bokobza, Patrick Chemla, Fréderic Niquet, Serge Klopp

14h à 17H– MEETING UNITAIRE CONTRE LE PLAN AUTISME

Modéré par Hervé Bokobza

Avec la présence de nombreuses associations, syndicats et partis politiques dont :
L’AFPEP-SNPP, le SPH, l’USP, la fédération Croix Marine, les Ceméa, Humapsy,le CRPA, Advocacy France, l’intercollège des psychologues d’île de France, Utopsy, SUD SANTE, le Front de Gauche, le NPA, la CGT, et EELV (sous réserve), la fédération des orthophonistes de France, l’association de parents : “la main à l’oreille”, et le soutien d’ associations de psychanalyse : La Fédération des Ateliers de Psychanalyse, le Point de Capiton, le Cercle Freudien, Espace Analytique, le Champ Freudien ,

Interventions de
-Jean Oury médecin directeur de la clinique de La Borde
-Pierre Dardot, philosophe, coauteur de “la nouvelle raison du Monde”
-Mireille Battut, parente, présidente de l’association “la main à l’oreille”
-Laure Murat, historienne auteur de “L’homme qui se prenait pour Napoléon”
-Bernard Odier (SPH)

Présentation d’un appel unitaire

avec comme intervenants
Patrick Chemla (collectif des 39), Jean Vignes (SUD Santé), Jean-Luc Gibelin (Front de Gauche), Dominique Besnard (Ceméa), Matthieu Dissert (Humapsy)

propositions d’actions.

Conclusion du meeting

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Communiqué de presse " Les assises et le meeting "

COMMUNIQUE DE PRESSE

Présentation du pré-rapport sortie mercredi sur la santé mentale par Mr Denys Robiliard

député rapporteur de la mission parlementaire sur la santé mentale

Les Assises Citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social auront lieu vendredi 31 MAI et samedi 1er JUIN prochain à Villejuif, espace de Congrès les Esselières. Nous sommes à ce jour plus de six cents inscrits. Le programme est modifié pour tenir compte de l’actualité :

Vendredi 31 MAI de 9h à 13h : trois tables rondes seront organisées avec :

– Monsieur le Député DENYS ROBILIARD, rapporteur de la mission parlementaire sur la santé mentale, il nous présentera en exclusivité le pré-rapport parlementaire qui devrait être publié mercredi 29 Mai.

– Patrick LANDMAN, co-fondateur du mouvement « stop DSM », autour de la sortie du DSM 5

– Elisabeth ROUDINESCO et Pierre DELION, au sujet du troisième plan autisme.

Samedi 1er JUIN de 14h30 à 17h, un meeting sera organisé avec syndicats, associations et partis politiques (L’AFEPP-SNPP, la fédération Croix Marine, les Ceméa, Humapsy, l’association du champ Freudien, l’intercollège des psychologues d’île de France, Utopsy, la fédération des ateliers de psychanalyse, Dimension de la psychanalyse, le Cercle Freudien, Espace Analytique, La CGT, SUD,le SPH,le Front de Gauche,le NPA,et EELV sous réserve).

Y interviendront notamment :

– Jean OURY, psychiatre directeur de la clinique de Laborde (Cour Cheverny)

– Laure MURAT, historienne et professeure au « Département d’Études françaises et francophones » (Department of French and Francophone Studies) de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), auteur de L’Homme qui se prenait pour Napoléon : Pour une histoire politique de la folie (Gallimard)

– Mireille BATTUT, Présidente de l’association La Main à l’Oreille

– Pierre DARDOT, philosophe et co-auteur de « La nouvelle raison du Monde » (La découverte)

www.collectifpsychiatrie.fr

ceci modifie l’organisation de la matinée de vendredi, les deux moments
Formation, Transmission et Culture.
Ethique, Science et politique.
sont décalés en fin de matinée

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Le cerveau n'est pas un ordinateur

Le cerveau n’est pas un ordinateur

Philippe Bichon, psychiatre à La Borde, fait partie du “ Collectif des 39 ” dénonçant le plan autisme. Il explique pourquoi il défend le libre arbitre des soignants.

La psychiatrie institutionnelle a une longue histoire en Blaisois. Les cliniques de La Borde, La Chesnaie et Saumery sont des lieux ouverts où les patients sont soignés par des équipes pluridisciplinaires.
C’est tout naturellement que nombre de leurs praticiens s’inscrivent dans le courant du « Collectif des 39 » (constitué en 2008), qui se mobilise actuellement contre le plan autisme du gouvernement, mais également contre sa vision globale de la psychiatrie. Philippe Bichon, psychiatre à La Borde, est membre du collectif. Et il nous explique son point de vue.

Que dénoncez-vous dans les directives gouvernementales ?

« L’application aveugle de méthodes évaluatives. On nous impose de plus en plus de normes, nous avons des obligations de résultats et sommes comparés aux services de médecine, chirurgie. C’est pour cela que la clinique Freschines a quitté son château en début d’année. Il y a une véritable attaque de notre culture, on nous délivre un catalogue de symptômes à cocher face à un patient. Pourtant chaque diagnostic est singulier. Par rapport à l’autisme, le gouvernement s’en remet à la Haute Autorité de santé qui dit que les méthodes éducatives sont les plus efficaces. Ce n’est pas prouvé scientifiquement et cela prive les patients d’autres méthodes dont la psychanalyse. On veut sortir l’autisme de la psychiatrie en expliquant qu’il s’agit d’un dysfonctionnement génétique. C’est nier que l’homme et sa maladie sont liés à son histoire, à son environnement. D’autres études que celles mises en avant par la ministre démontrent qu’il y a une interaction entre l’expression des gènes et l’environnement. »

Cela va-t-il avoir des conséquences dans vos pratiques quotidiennes ?

« Il y a menace de ne plus financer les établissements qui n’iront pas dans ce sens. Il y a un glissement général vers le médico-social. Lorsque j’étais étudiant, l’autisme représentait environ 1 cas pour 1.000. Maintenant on est à 2 ou 3 % car on a élargi le spectre de l’autisme à des troubles de l’enfant à communiquer. Comme pour les bipolaires ! Cela sert l’industrie pharmaceutique, car l’efficacité des médicaments est plus probante sur des sujets moins atteints. Or, depuis cinquante ans, il n’y a aucune révolution dans les médicaments au niveau de la pratique clinique. Les lois se construisent à partir de contre-vérités et c’est grave. »

Vous dénoncez le manque de liberté des praticiens ?

« Il y a une crainte permanente de ne pas obéir à la norme qui empêche de penser. Or notre travail est fait d’incertitudes, nous devons être inventifs et prendre des risques. Si un patient me dit qu’il veut sortir à Blois, je vais peut-être prendre un risque. Ou alors on veut des murs autour de La Borde ! On veut gérer et soigner le cerveau comme un ordinateur, or il bouge en permanence. L’histoire d’un patient est aussi importante que ses symptômes. Nous dénonçons la dérive scientiste qui voudrait donner une seule formation pour s’occuper de l’autisme dans des groupes de patients homogènes. C’est l’inverse exact que nous pratiquons à La Borde depuis des années, nous avons une pratique de terrain pluridisciplinaire et nous voulons faire remonter notre expérience au gouvernement. Nous tenons nos assises (*) dans deux semaines et nous avons invité le député Denys Robiliard, rapporteur du rapport de l’Assemblée nationale «  santé mentale et psychiatrie  ». »

Le député à l’écoute

Denys Robiliard, député de Blois, est rapporteur de la commission « santé mentale et psychiatrie » actuellement en cours à l’Assemblée nationale. C’est donc tout naturellement que les praticiens de la psychiatrie institutionnelle blésoise l’ont alerté.
« Dès le départ, nous savions que notre travail ne porterait pas sur l’autisme car il y a assez de travaux par ailleurs sur le sujet », explique le député. « Concernant la psychiatrie, le mouvement institutionnel, comme on le connaît à Blois, vient en contradiction de la Haute Autorité de santé. Nous menons des auditions, organisons des tables rondes pour mettre tout à plat. Nous avons d’ailleurs déjà auditionné un praticien du Collectif des 39. »
Le député se garde bien de dévoiler le moindre avis tant que le rapport ne sera pas officiellement clos et présenté à l’Assemblée, vraisemblablement en septembre. La partie concernant l’hospitalisation sous contrainte devrait, quant à elle, être publique tout prochainement. Le député n’est pas opposé à l’idée de participer aux assises, pour écouter uniquement. « Ma préoccupation première est de ne pas retomber dans l’instrumentalisation des malades mentaux. »

(*) Assises pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social, les 31 mai et 1er juin à Villejuif, à l’initiative du Collectif des 39 et des Cemea.
la nouvelle république 23 05 2013

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Plan autisme 3 – commentaire sur la lettre de Mme Mireille Battut.

Voici une lettre (https://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=6824) dont le ton est celui qui convient au regard de la violence des attaques du lobby comportementaliste, et des abus de pouvoir répétés des instances gestionnaires. Elle situe le débat non pas en termes de savoirs comme c’est le cas le plus souvent – fut-ce le savoir des autistes « eux-mêmes » ou le savoir des parents – mais en termes de choix de société. La prétention de groupes, quels qu’ils soient, à dire la vérité pour tous est toujours le signe de la haine de la démocratie dont parle Rancière. Ce texte réintroduit la politique dans la prétendue dispute de La science opposée au soi-disant conservatisme de professionnels ringards attachés aux valeurs du passé. La politique, c’est le conflit des argumentations où nul ne peut prétendre parler au nom de tous.
La force de cette lettre, c’est qu’elle prend parti et du coup permet de débattre. Je m’appuie sur sa lecture pour souligner ce qui me semble l’essentiel. Sous couvert d’universalité (« l’autisme », « la » science, « l’intérêt commun ») il y a bien une politique de privatisation générale du champ, soutenue voire organisée par des lobbys puissants. Certaines associations de parents sont ici utilisées, instrumentalisées, en connaissance de cause ou pas, peu importe. Ce sont ces lobbys puissants – aux cotés desquels on rangera certains secteurs intéressés de l’Université et de l’industrie pharmaceutique, qui ont trouvé leur porte voix dans la personne de certains hérauts ministériels. C’est que l’immense marché de « la dépendance » est un secteur prometteur, où s’investissent les services (privatisés) d’aide à la personne et les prescripteurs de psychotropes. La promotion de réponses fragmentaires (par exemple les services des aides à domicile ou à l’école) marche du même pas que la mise en cause des services publics.

Un des aspects de cette politique consiste donc dans la mise en cause et la destruction des professionnalités, ce que l’on a vu sous Sarkozy sous le vocable de l’attaque des « corps intermédiaires ». Contre la complexité des métiers, le pragmatisme qui se déclare athéorique (« ça marche », les chiffres le disent) constitue le cheval de Troie de la domination du marché. Les professionnels pensent se défendre en y opposant leurs savoirs, leurs pratiques, leur histoire, mais leur « bonne volonté » est battue en brèche, car leurs interlocuteurs ne se situent pas du tout dans le même registre. Croire que c’est en montrant la qualité de nos élaborations que nous allons convaincre les artisans d’une telle politique est une illusion que nous risquons de payer cher.
Malheureusement, la complicité de nombreux politiques (ou bien leur cécité) ne contribue pas à placer le débat sur son juste terrain. C’est que très souvent ils sont gestionnaires (purs gestionnaires des collectivités locales, dès lors qu’ils passent à la trappe le concept de service public) et sont assaillis de « réponses techniques » proposées par les marchands de toutes sortes (et ceci jusque dans les antichambres ministériels, certaines affaires récentes ont montré jusqu’où cela pouvait aller). Ainsi un monde bascule, sans que l’on en prenne la mesure. Par exemple « l’aide à la personne » constitue dans ses termes même le programme d’une extraordinaire régression au regard de la notion de solidarité. Le « service », est proposé en kit bon marché ; qui résisterait à une telle simplification de la gestion ? Le management de l’entreprise diffuse dans le social, au titre des politiques dites de « santé mentale ».
Tous les professionnels sont à ce titre nécessairement des emmerdeurs, avec leur habitude de couper les cheveux en quatre (i. e. de réfléchir à leur métier), et de faire valoir leur qualification, c’est à dire leur manière de prendre en compte la complexité du réel. Circulez il n’y a rien à penser, les réponses sont préformées, disponibles pour pas cher. La phase actuelle du libéralisme se caractérise par une attaque frontale des solidarités au profit des attributions d’aides personnalisées. Comme l’ont montré Dardot/Laval et bien d’autres, le néolibéralisme n’est pas la loi du laisser faire du marché mais l’utilisation déterminée de l’Etat pour sa propre destruction. Nous l’avons sous nos yeux: HAS, ARS etc sont des machines gestionnaires visant à détruire les régimes historiques de solidarités qui constituent la sédimentation des luttes du passé.

La démocratie version néolibérale, c’est la destruction de tous les obstacles à l’extension du marché.

C’est à ce titre que les métiers sont des obstacles à la logique de circulation généralisée. Ce qui est vrai et bon c’est ce qui circule plus: cf Google ou le classement des revues selon leur impact factor. Le néolibéralisme, on l’a souvent remarqué, présente d’étranges ressemblances avec la bureaucratie totalitaire. La science d’Etat est ici (dans les propos de Madame Carlotti) incroyablement revendiquée. Du haut de sa position de représentante de l’Etat et de garante de l’interêt commun, cette dame prétend distinguer la vraie science, c’est à dire celle qui convient à sa politique. Qu’elle fasse un choix se conçoit, évidemment, mais qu’elle le fasse non pas au nom d’une politique mais d’une vérité de La science est d’une gravité dont il faut s’étonner qu’elle ne fasse pas réagir, bien au delà de nos cercles professionnels. Ce serait drôle si le passé ne nous avait pas montré que ce pouvait être sinistre. Sans rire : Les pédopsychiatres seraient donc tous fervents de la psychanalyse? pas de problème, supprimez les! Remake de la fameuse formule brechtienne je crois, le peuple ne veut plus du tyran, pas de problème, changez le peuple!

On se souvient qu’il y a peu, les historiens sont montés au créneau car certains sujets devenaient interdits, au nom de la mémoire des victimes. La conflictualité de la recherche et des pratiques est ici virtuellement supprimée, circonscrite. Mais alors, on s’interroge : comment la science avance-t-elle? Sous le jugement de quelle haute autorité du pouvoir? Science d’Etat, art d’état, mémoire d’Etat…

Comme sur les photos, on voudrait effacer les personnages indésirables et réécrire l’histoire de la science (avec ses passions violentes, la guerre des laboratoires etc) et des arts, (les violentes polémiques des écoles de peinture, de poésie, de … psychanalyse).

Normez-moi tout ça, je vous prie, au nom de la lutte contre les charlatans. Le petit problème, voyez-vous, c’est que ça ne marche pas comme ça. Le problème, c’est que le fait humain comme tel est conflictuel. Supprimez le conflit, vous vous supprimez la pensée, vous supprimez la vie.

Nous sentons bien que la culture politique elle-même est ici profondément menacée, et que dans cette spirale morbide, ceux là même qui sont mis en position de l’incarner (les « élus ») peuvent être fascinés par le soulagement que procure le discours d’experts et de tous ceux qui disent détenir les solutions qu’ils prétendent « d’évidence ».

Là où les élus se trouvaient confrontés à la complexité et à la conflictualité, voici la certitude des expertises, prétendument authentifiées par la vox populi (les fameux « usagers »). Plutôt que faire face par exemple à l’extrême complexité de situations d’enfants dits autistes et devoir interroger concrètement la manière dont la collectivité comme telle et au delà la culture lui fait une place, il est tentant de croire à la solution autoproclamée de pratiques standardisées et labellisées. Quitte à ce que la « collectivité » mette sérieusement la main à la poche !

Le problème c’est dans une telle logique c’est la mort du politique comme tel qui est ainsi programmée. Le paradoxe, c’est que les politiques peuvent s’y précipiter. Certes, nous savons que l’on peut se vouer à sa propre mort, selon la pulsion du même nom. Mais nous savons aussi que la servitude pour être parfois volontaire, n’est pas obligatoire ; le livre de La Boétie en témoigne, dans sa lucidité.

La seule voie est donc, avec d’autres, de mettre en cause cette gangrène du discours expert, c’est à dire de restaurer la conflictualité politique. « Vivre ensemble », est affaire de choix. Tout ne se vaut pas, au delà des « solutions techniques ». Vivre ensemble, avec des personnes dites autistes, est une question pour tous, et sans garantie de réponse, en vérité.

Franck Chaumon

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Les psychiatres et la gauche

Les psychiatres et la gauche

Caroline Eliacheff – France Culture

logoLes médecins n'attendent généralement pas grand-chose de la gauche à une exception près: les psychiatres surtout depuis l'orientation impulsée par Nicolas Sarkozy vers le tout sécuritaire. Ne voyant rien venir concernant la refondation de la psychiatrie plus conforme à l'éthique soignante, ils commencent à s'impatienter.
C'est dire que le plan autisme présenté par Mme Carlotti, ministre déléguée aux personnes handicapées, était attendu avec espoir. Eh bien, ce plan renforce plutôt le camp des déçus.
Pour comprendre la déception -le mot est faible- il faut rappeler que nous en étions restés, en matière de prise en charge de l'autisme, aux recommandations de Haute Autorité de Santé classant les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle dans les interventions "non consensuelles" au seul profit des approches éducatives comportementales. Au grand dam des psychiatres et psychanalystes qui pratiquent depuis des années, pour autant qu'ils en aient les moyens, une approche variée, adaptée à chaque cas et aux souhaits des parents, contestant qu'une seule méthode, la leur ou une autre, puisse avoir le monopole de la prise en charge des autistes.
Leur critique a reçu le renfort inespéré de la revue indépendante Prescrire qui s'est penchée sur le guide issu de ces recommandations. La revue conclut:
"Ce guide privilégie les méthodes cognitivo-comportementales et écarte les autres approches sans argument solide. Ce choix exclusif est non ou mal étayé. Il n'aide pas les soignants de premier recours ni les familles à faire des choix éclairés".
Le plan autisme était l'occasion d'apaiser un conflit largement dépassé en pratique entre psychanalyse et éducatif ainsi qu'en témoignent les livres récemment parus de Bernard Golse, Pierre Delion ou Laurent Danon-Boileau. C'est exactement l'inverse qu'a choisi Mme Carlotti. Elle affirme:
"En France depuis 40 ans, l'approche psychanalytique est partout et aujourd'hui elle concentre tous les moyens. Il est temps de laisser la place à d'autres méthodes pour une raison simple: ce sont celles qui marchent et qui sont recommandées par la HAS".
On ne s'attendait pas à retrouver des propos aussi tranchés qu'inexacts dans la bouche de la Ministre. Si l'on veut rattraper notre retard, est-ce bien le moment de s'engager dans le tout-éducatif au moment où ce choix, appliqué depuis longtemps aux Etats-Unis, est fortement remis en question. Dans quelques années, le bilan risque d'être accablant. Au moins les psychiatres ne pourront pas être désignés comme bouc émissaire!
Mais la ministre ne va-t-elle pas trop loin en déclarant:
"N'auront les moyens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demandons de travailler".
Depuis quand un ministre impose-t-il un mode unique de prise en charge qui ne fait pas consensus? On attendait de la gauche qu'elle résiste à imposer une réponse univoque à la plus complexe des affections, tant par son origine multifactorielle que par ses expressions cliniques. Hélas, à tort.

à écouter: http://www.franceculture.fr/emission-les-idees-claires-de-caroline-eliacheff-les-psychiatres-et-la-gauche-2013-05-15

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PLAN AUTISME 2013 « QUAND L’ETAT SAIT LES BONNES PRATIQUES EN MATIERE DE SOIN ET DE FORMATION ! » par Ceméa

COMMUNIQUE DE PRESSE

PLAN AUTISME 2013 « QUAND L’ETAT SAIT LES BONNES PRATIQUES EN MATIERE DE SOIN ET DE FORMATION ! »

Le plan Autisme 2013 a été présenté très récemment par Madame CARLOTTI, Ministre Déléguée aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion, accompagné de déclarations citées par le journal Le Monde du 2 mai 2013 :
 « En France depuis quarante ans, l’approche psychanalytique est partout et aujourd’hui elle concentre tous les moyens. Il est temps de laisser la place à d’autres méthodes pour une raison simple : ce sont celles qui marchent et qui sont recommandées par la Haute Autorité à la Santé. »
 « N’auront les moyens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler. »
Nous comprenons les pressions d’associations familiales pour aller vers plus de travail éducatif, en réaction à certains excès de pratiques psychanalytiques. Pour autant le plan Autisme tout en annonçant un certain nombre de mesures qui sont attendues (dépistage précoce, accueil des enfants à l’école, création de places en institution), exprime clairement la nécessité de la mise en oeuvre des recommandations de la Haute Autorité à la Santé (HAS) qui préconisent les approches neurocognitives, éducatives et comportementales et les méthodes de « l’analyse appliquée des comportements » et elles seules !
Exit les approches qui réfèrent à la psychopathologie, aux courants de la psychanalyse et non reconnues les professionnels et les équipes qui construisent le soin ou le travail social du point de vue de la psychothérapie institutionnelle. L’obtention des moyens sera conditionnée à l’application de ces recommandations. De même la formation des professionnels devra en tenir compte et le justifier pour être validée !
C’est une première, l’Etat sait et affirme ce que sont les bonnes pratiques professionnelles, y conditionne les moyens et oriente les formations des cursus initiaux et des contenus de la formation professionnelle continue. Et pourtant ces recommandations de la HAS conclues dans un climat de pression du lobbying de quelques associations actives mais minoritaires, que nous dénoncions déjà dans un précédent communiqué en avril 2012, sont des recommandations dont la pertinence a été questionnée très précisément par la revue Prescrire dans son numéro d’avril 2013. En effet, contrairement à ce qui est affirmé, aucune approche ne fait accord sur le plan scientifique dans le domaine de l’autisme et les travaux de la HAS n’ont pas non plus fait consensus.
Ces recommandations deviennent alors partisanes sans plus. Les travaux les plus concluants s’accordent pour énoncer la complexité de l’autisme, des autismes devrait-on dire ; ce sont les approches pluri dimensionnelles qui apportent les meilleures évolutions, les approches qui combinent les réponses éducatives, comportementales et thérapeutiques. En cela les pratiques inspirées de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle sont à considérer au même titre que les autres et non à rejeter, ni à opposer systématiquement et à valoriser en terme de complémentarités.
Que penser de l’imposition d’une seule méthode à tous ? Que penser d’un seul enseignement et d’une seule formation dans le registre de la souffrance psychique et des handicaps, au mépris des acquis de tous les travaux cliniques et des enseignements universitaires ; en jetant l’anathème sur la psychanalyse sans aucun discernement et en faisant croire que trop de professionnels du soin et du travail social s’y réfèreraient ! C’est bien mal connaître les réalités des équipes et des structures. Aucune nuance, aucune différence avec les options et les préconisations de la Droite précédemment au pouvoir, au contraire une continuité et un volontarisme affiché. Alors il faut se rendre à l’évidence et reconnaître l’adhésion du ministère aux pressions des lobbys puissants des quelques associations et des laboratoires, et une lecture idéologique des résolutions des souffrances. En un mot la mise en place d’une thérapie d’Etat en vue du contrôle et de l’adaptation par ce biais de l’être humain à la logique gestionnaire au service de l’économie de marchés.
Ainsi, il est prévu dans la partie consacrée à la formation initiale de repenser les contenus des formations des professionnels du soin, médecins et psychologues, des travailleurs sociaux concernant les TED (Trouble Envahissant du Développement) de ce seul point de vue. De même pour les futurs enseignants, dans les ESPE (Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education). La formation continue n’est pas épargnée et il est prévu que les organismes agréés soient en demeure de proposer ces approches au risque de se voir supprimer leurs agréments et leurs financements. Chaque année, par nos actions de formation dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale, ce sont près d’un millier de professionnels que nous rencontrons ; chaque année, dans nos trois centres de formation aux métiers du travail social ce sont près de huit cents étudiants qui se préparent à l’exercice difficile et passionnant des métiers de l’éducation spécialisée. Notre engagement et nos options dans le champ de la formation en psychiatrie et dans l’éducation spécialisée depuis plus de soixante ans n’ont jamais obéi à quelque imposition que ce soit ; nous sommes même fiers de contribuer par nos conceptions pédagogiques et nos valeurs au maintien des approches de la complexité quand il s’agit de prendre en considération la souffrance de l’autre.
En avril 2012, dans le communiqué qui énonçait la position des CEMEA sur l’autisme, nous écrivions : « L’être humain ne peut se réduire à une collection de comportements qu’il faudrait rééduquer pour une meilleure adaptation. La question de la relation aux autres et au monde est assujettie à la question du désir, des émotions et des intelligences partagées et à l’inscription de chacun dans une histoire et une culture dont les aspects inconscients sont une composante et fondent l’humanité. Nos pratiques de formation depuis leur origine dans le champ de la psychiatrie et de l’éducation spécialisée ont toujours récusé les réponses univoques. » Nous ne pouvons imaginer former les professionnels dans nos sessions de formation continue et les étudiants de nos trois centres de formation aux métiers de l’éducation spécialisée dans cette vision imposée et faussement scientifique.
LES CEMEA
Contact : Dominique Besnard, Directeur des Activités du Développement et de la Prospective.
dominique.besnard@cemea.asso.fr – Tel : 01 53 26 24 53 – 06 89 86 11 17
ASSOCIATION NATIONALE – RECONNUE D’UTILITE PUBLIQUE
24, rue Marc-Seguin – 75883 Paris cedex 18 – Tél. 01.53.26.24.24 – Fax 01.53.26.24.19 – www.cemea.asso.fr

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Lettre ouverte de Mireille Battut, présidente de l’association La main à l’oreille

Lettre ouverte de Mireille Battut,
présidente de l’association La main à l’oreille
à Marie Arlette Carlotti, au sujet de la présentation
du 3ème plan autisme

Madame la ministre,
Je viens de recevoir votre appel à soutenir votre candidature à la mairie de Marseille, sur la boite mail de l’association que j’ai créée, La main à l’oreille.
La main à l’oreille est née en 2012, année consacrée à l’autisme Grande cause nationale, pour porter une parole autre : nous refusons de réduire l’autisme à la seule dimension déficitaire et sa prise en charge à la seule approche rééducative, nous voulons promouvoir la place des personnes autistes dans la Cité, sans nous référer à une norme sociale ou comportementale.
C’est en 2012 que vous avez découvert l’autisme. Vous repartez maintenant vers d’autres aventures, mais vous nous laissez un 3ème Plan Autisme rapidement ficelé, accompagné de déclarations martiales : « En ouvrant ce dossier, j’ai trouvé une situation conflictuelle, un climat tendu, je n’en veux plus. » Vous avez, en effet, vécu des moments très chahutés. J’en ai été témoin lors d’un colloque au Sénat dédié à l’autisme, où un groupe de parents bien déterminés vous empêchait de parler. Le député Gwendal Rouillard, votre collègue, qui a choisi de soutenir les plus virulents, était à la tribune, les yeux mi-clos et le sourire aux lèvres. Comme vous étiez toujours coincée sur le premier paragraphe de votre discours, il a levé un bras et a demandé silence aux parents en les mettant en garde « ne prenez pas la ministre pour cible, n’oubliez pas que votre véritable ennemi, c’est la psychanalyse ». La salle s’est calmée et vous avez pu poursuivre votre propos, après avoir jeté un regard de remerciement à celui qui vous sauvait ostensiblement la mise. Vous avez retenu la leçon : vous ne voulez plus de parents chahuteurs dans vos meetings. Aussi, en partant, vous donnez des gages : « En France, depuis quarante ans, l’approche psychanalytique est partout, et aujourd’hui elle concentre tous les moyens ». Vous savez pourtant, en tant que Ministre, que depuis trente ans la psychanalyse n’est plus dominante en psychiatrie, que les établissements médico-sociaux ainsi que les hôpitaux de jour ont intégré des méthodes comportementales ou développementales dans leurs pratiques et que le problème majeur, c’est le manque de place et de moyens. Est-ce à cause de la psychanalyse que les enfants autistes restent à la porte de l’Ecole républicaine ? C’est donc en toute connaissance de cause que vous vous faites le relai d’une fable grossière, dictée à la puissance publique par quelques associations extrémistes.
Dès votre arrivée, vous avez annoncé que vous seriez très à l’écoute des parents. Il eut été plus conforme à la démocratie d’être à l’écoute des différents mouvements de pensée. « Les » parents, ce n’est ni une catégorie, ni une classe sociale. Il y a abus de généralisation dans la prétention du « collectif autisme » à s’arroger la parole de tous « les » parents. Vous ne pouvez pas ignorer qu’il y a d’autres associations représentant d’autres courants de pensée puisque nous avons été reçus par votre cabinet où nos propositions ouvertes et constructives ont été appréciées, et où l’on nous a assurés que le ministère n’avait pas vocation à prendre parti quant aux choix des méthodes. C’était le moins que nous demandions. Nous ne cherchons à interdire ou à bannir quiconque, et surtout pas qui pense différemment. Nous sommes trop attachés à la singularité, qui est l’agalma de ce que nous enseignent nos enfants.
« Il est temps de laisser la place à d’autres méthodes pour une raison simple : ce sont celles qui marchent,… Permettez-moi de m’étonner que vous n’ayez pas attendu pour affirmer cela que les 27 projets expérimentaux, tous attribués unilatéralement à des tenants de l’ABA par le précédent gouvernement, et jugés sévèrement par vos services comme trop chers, aient été évalués. La diversité et la complexité du spectre autistique peuvent justifier différentes approches, en tout cas, vous n’avez rien de concret permettant d’étayer le slogan de l’efficacité-à-moindres-couts-d’une-méthode-scientifique-reconnue-dans-le-monde-entier- sauf-en-France. En Amérique, le conditionnement comportementaliste est fortement critiqué, notamment par des personnes se revendiquant autistes, aussi bien pour son manque d’éthique, que pour ses résultats en fin de compte peu probants, conduisant parfois à de graves impasses thérapeutiques.
…et qui sont recommandées par la Haute Autorité de Santé. ». Si, en privé, vos services reconnaissent que le ministère a choisi de s’appuyer sur ces recommandations, en l’absence d’autres bases, encore faut-il ne pas en faire une lecture outrageusement simpliste se résumant à « une méthode ». La HAS s’efforçait tout de même de maintenir l’intégration des différentes dimensions de l’être humain, sous la forme d’un triptyque « Thérapeutique/pédagogique/éducatif ». Dans le 3ème plan autisme que vous venez de présenter, seul l’éducatif est maintenu. Le mot « thérapeutique » est employé une seule fois, de façon surprenante pour qualifier « la » classe de maternelle spécialisée pour les autistes, une par académie !
« Que les choses soient claires, n’auront les moyens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler ». L’écrasante majorité des établissements a déjà prudemment annoncé être en conformité avec les recommandations de la HAS. Il faut donc entendre que vous souhaitez aller au-delà ? Votre volonté est clairement d’intimider tous ceux qui s’efforcent de mener une démarche au un-par-un et qui ne calent pas leur pratique exclusivement sur des protocoles dépersonnalisés. En faisant cela, vous transformez les intervenants en exécutants serviles, vous réduisez à néant l’apport pacificateur de la dimension thérapeutique face à la violence potentielle de la sur-stimulation, du dressage et de la volonté de toute-puissance. En procédant ainsi vous menacez directement tout le secteur médico-social au profit d’un système de services à la personne et de privatisation du soin, avec formation minimale des intervenants. D’autant que vous n’annoncez pas la création de nouvelles structures avant 2016.
La fédération ABA France revendique sans ambages « une approche scientifique qui a pour objectif la modification du comportement par la manipulation » destinée à tous les domaines, bien au-delà de l’autisme, de la psychiatrie à l’éducation en passant par la communication. On trouve dans leur programme les ingrédients du traitement qui vous a été réservé : définition externe d’un objectif cible, mise sous situation de contrainte du sujet, au cours de laquelle il sera exposé à la demande de l’autre de façon intensive et répétitive, la seule échappatoire étant de consentir à ce qui est exigé de lui. On comprend que vous soyez soulagée d’en finir. Si je tiens personnellement à éviter que mon enfant subisse ce type de traitement, j’attends aussi d’un ministre de la République qu’il sache y résister.
Madame la Ministre, si vous voulez mettre vos actes en accord avec les annonces de votre candidature à la mairie de Marseille « pouvoir rassembler les forces de progrès … et tourner la page du clientélisme… », il est encore temps pour vous de le faire, j’y serai attentive.
Mireille Battut
Présidente de La main à l’oreille

http://lamainaloreille.wordpress.com/2013/05/14/lettre-ouverte-de-mireille-battut-presidente-de-lassociation-la-main-a-loreille-a-marie-arlette-carlotti-au-sujet-de-la-presentation-du-3eme-plan-autisme/

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Les Ateliers aux Assises Citoyennes

Ateliers

ATELIER 1
Pratiques de soins et d’accompagnement : entre résistances et inventions
avec la participation de Pierre DARDOT, philosophe
Modérateurs : Dr Yacine Amhis, psychiatre, la CRIEE, Reims – Françoise Nielsen, psychanalyste, Utopsy,
Paris Benjamin Royer, psychologue clinicien, association Vice&Verça – université Paris XIII, La nouvelle Forge
Dominique Damour, Psychologue clinicienne, membre de la coordination Inter-collèges des psychologues
hospitaliers IDF, Pontoise – Dr Mathieu Bellahsen, psychiatre, Utopsy, Etampes

 » L’atelier sera l’occasion d’une discussion citoyenne pratique et politique. Nous tenterons d’ouvrir ensemble les contradictions qui animent le champ du soin et de l’accompagnement. Comment penser différentes possibilités d’accueil et de relation de soins ? Comment œuvrer à une hétérogénéité de pratiques qui dessineraient des perspectives émancipatrices singulières et collectives ?

Pour nourrir la discussion seront notamment présents à l’atelier : Loïc Andrien, Marie José Cinq Mars, Marie José Villain, Collectif Artaud de Reims, les Psycausent, Pierre Dardot. »

ATELIER 2
Espaces partagés : vie quotidienne et citoyenneté
Les clubs thérapeutiques, les associations de secteur, les groupes d’entraide mutuelle, sont des espaces où se rencontrent, débattent, se construisent des projets en partage entre patients, soignants, voire des citoyens concernés par le champ psychiatrique, les questions qui touchent à la culture, l’être ensemble, le « vivre ensemble », matrice du politique. A ce titre ce sont aussi des lieux d’expérimentation de la citoyenneté. Ce sont aussi des espaces qui permettent des ouvertures des institutions vers la cité, le champ social, et permettent ainsi une circulation « entre le dedans et le dehors ».
Nous envisagerons de partager différentes expériences, de nombreuses pratiques, qui même si elles ne sont pas répandues dans la plupart des lieux de soins, ou dans la cité, devraient se développer avec l’émergence d’une parole collective des patients, à laquelle se risquent à la confrontation des professionnels et des acteurs de la culture ( arts plastiques, théâtre, etc).

Atelier animé par Aurore Le Nail, Monique Vincent, Paul Machto et Fredéric Niquet, auxquels se joindront notamment Laure Wolmark, psychologue au COMEDE – accueil des exilés-, Nausica Zaballos,doctorante en histoire de la médecine et en anthropologie, Agnès Faulcon, directrice du centre social intercommunal de Montfermeil-Clichy sous bois, Guy Bénisty, metteur en scène directeur du Groupe d’Intervention Théâtrale et Cinématographique, et d’autres …

ATELIER 3
Les familles et les proches comme partenaires pour les soins et l’accompagnement
Crise du patient , Crise de la famille, Crise de la psychiatrie : qui est envahi par les troubles ?
Comment le “système de soins “ se doit-il de soutenir la famille pour qu’elle puisse rester “ aidante “dans ses relations avec la personne touchée par “des troubles psychiques “ ? Quel accueil pour la partie silencieuse de la famille, la fratrie, les enfants, les grands parents ? Quelle place pour les familles et pour les patients?
L’atelier sera un moment de discussion et d’échanges autour du rôle et de la place de chacun par rapport à celui ou celle qui a besoin de soins .
Avec la participation d’ Annick Ernoult, Héléne Davtian, Lise Gaignard, Pascale Molinié, Christine Chaise, Barbara Wallian, Mireille Battut, Victoire Mabit…

ATELIER 4
Articulation du sanitaire et du médico-social
Avec la participation de Marjolaine Rauze, Maire de Morsang sur Orge, vice présidente du Conseil
Général de l’Essonne chargée de la Santé et des Solidarités et du Dr Pascal Crété, psychiatre, Fédération
Inter Associations Culturelles (FIAC), Caen
Modérateurs : Dr Pedro Serra, psychiatre, Utopsy, Bondy – Brigitte Voyard, psychanalyste, Paris – Serge
Klopp, cadre infirmier, Ceméa, Paris

Depuis le rapport Cléry Mélin en 2003, le ministère ne cesse de vouloir limiter la mission sanitaire du Secteur au traitement de la crise, l’hospitalisation ne releverait plus de la sectorisation (rapport Couty 2009). On passerait de la continuité des soins (qui serait dorénavant assurée par le généraliste) à la continuité de la prise en charge « segmentée », assurée alternativement par le Secteur ou le médicosocial. Ce qui remet en cause toute conception psychodynamique du soin intégrant l’histoire de la maladie et du sujet. Ce qui met en concurence le sanitaire et le médicosocial. Le « plan autisme » qui vient d’être publié va-t-il être le levier pour mettre en oeuvre concrètement ces projets? Peut-on sortir de cette impasse? Le Secteur a-t-il encore un avenir? Comment inventer de nouvelles coopération entre ces champs respectant l’approche psychodynamique et articulant continuité des soins avec continuité des prises en charge?

ATELIER 5
Enjeux actuels des soins psychiques pour les enfants
La notion de soin psychique fait elle toujours partie de notre univers quotidien (parent,soignant,pedagogue,directeur)? Les souffrances psychiques des enfants deviennent progressivement de simples troubles neuro-développementaux excluant inexorablement la pédopsychiatrie (cf 3ème plan autisme) tandis que le médico-social sera doté à condition d’utiliser des techniques comportementales. La pédopsychiatrie a t-elle donc toujours un avenir? Comment dans ce contexte, penser une coopération et une continuité des soins entre pédopsychiatrie et médico-social pour préserver l´hospitalité dues aux enfants, en développant des pratiques plurielles et pluridisciplinaires orientées par la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle.?

Avec la participation de Dominique Amy, Pierre Suesser, Dominique Bertin, Moïse Assouline, Pierre Delion et d’Agnès Bachelet et Patrick Sadoun.

ATELIER 6
Justice et Psychiatrie : le Droit, l’Ethique et le soin. Jeunesse, médico-social et sanitaire
La psychiatrie se trouve à la croisée de nombreuses disciplines et les professionnels de la psychiatrie travaillent à la frontière de plusieurs institutions. La justice est de celles-là. Pour autant, les relations entre justice et psychiatrie se situent au cœur de plusieurs contradictions. Ces liens remontent à l’origine même de la psychiatrie comme discipline médicale. Ils constituent par là le pêché originel de la psychiatrie. Les rapports qu’entretiennent l’une et l’autre, peuvent-ils exister dans un climat serein ? Psychiatrie et justice ne peuvent évoluer l’une sans l’autre. On assiste en ce point à une alternance entre recherche d’alliance et clivage institutionnel. Entre altérité et affinité, les paramètres propices à un mariage heureux de ces deux champs d’exercice peuvent-ils être décrits ?

Un grand nombre de questions peuvent être abordées. La loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement occupe de nombreux débats actuels. Mais le droit évolue bien vite, dans tous les domaines. Ainsi des lois sur la protection des biens, des lois sur l’irresponsabilité pénale ou de celles touchant au secret médicale, pour ne citer qu’elles. La justice des mineurs également, n’est pas indemne d’évolutions nombreuses, dont certaines inquiètent les professionnels de l’enfance et de l’adolescence. Comment ne pas perdre son âme de soignant, d’éducateur, ou d’accompagnant, tout en gardant la préoccupation d’un partenariat avec la justice, et pourquoi pas, la police ? Est-il possible de maintenir une hospitalité pour la folie en se moulant dans les nouveaux cadres législatifs ? Telles sont quelques une des questions difficiles qui se posent quotidiennement à ceux qui travaillent dans le médico-social ou pour les hôpitaux psychiatriques.

Avec la participation de Serge PORTELLI, magistrat, vice président au tribunal de Paris
Modérateurs :
Dr Thierry Najman, psychiatre des hôpitaux, chef de pôle, Moisselles – Lysia Edelstein, psychologue clinicienne
à la PJJ, Seine Saint Denis – Selma Benchellah, psychologue, association culturelle de Maison
Blanche, Paris – Antoine Machto, psychologue clinicien, Gentilly

ATELIER 7
Évaluation, Qualité… Comment nous réapproprier les mots occupés ?
Avec la participation du Pr Yves Clot, chaire de psychologie du travail, CNAM, Paris et du Professeur
François Gonon, directeur de recherche au CNRS, neurobiologiste, Bordeaux
Dr Bernard Odier, psychiatre, psychanalyste, chef de service, ASM 13, Paris.
Modérateurs :
Émile Lumbroso, psychologue clinicien, association Europsy, Reims – Dr Patrice Charbit, psychiatre
et psychanalyste, Montpellier – Dr Guy Dana, psychiatre chef de service, psychanalyste, Longjumeau –
Dr Bruno Tournaire Bacchini, psychiatre, Utopsy, Clermont de l’Oise

ATELIER 8
Folie, Culture et Sociéte
Dans un monde où domine l’obsession de la norme, de la conduite conforme, toute recherche de façons de penser nouvelles, de façons d’agir différentes, d’un ailleurs, d’un inconnu, provoque des violentes résistances.
La « folie » est toujours la tentative de trouver au-delà de la brutalité du conformisme une voie singulière, inédite. La « culture » sous toutes ses formes s’enracine dans cette exigence, ce risque et ce courage, d’ou la nécessite cruciale d’espaces sociaux qui permettent d’accueillir la transgression, et la relance incessante de la créativité.

Modérateurs: Heitor de Macedo, Alexandra de Seguin , sylvie Prieur, Jacques Mairesse et Patrick Chemla
Pour nourrir la discussion seront notamment présents à l’atelier : Sophie Sirere, Régis Sauder, Lutia Erati, Marie-France Negrel, Lancelot Hamelin, Laure Murat, Adrien Beorchia, Patrick Franquet, Dina Joubrel, Pierre Smet, Charles Burquel

Les modérateurs de l’atelier 8

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LETTRE OUVERTE A MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

LETTRE OUVERTE A MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

Il est des mots, des discours prononcés, des dérives, en face desquels le devoir d’une prise de parole exigeante s’impose.
Notre collectif composé de professionnels -psychiatres, infirmiers, éducateurs, psychologues, psychanalystes…- de patients et de familles, d’acteurs du monde de la culture, est né en 2008 en réaction aux prises de position de votre prédécesseur considérant les malades mentaux comme des êtres potentiellement dangereux. Il s’agissait d’utiliser un fait divers pour alimenter une idéologie politique « sécuritaire », en prenant la personne souffrante pour cible.
Cette position, éminemment stigmatisante a provoqué un émoi justifié parmi les citoyens de notre pays : 40 000 personnes signèrent alors un texte dénonçant vivement cet incroyable recul culturel.

Faire des malades mentaux un enjeu idéologique n’est hélas pas nouveau et la peur ou le rejet de la folie sont toujours présents dans nos sociétés. Or, seul un état républicain et démocratique permet d’accueillir les plus démunis d’entre nous et nous sommes fiers d’appartenir à un pays qui prône les valeurs d’égalité, de fraternité et de liberté.
C’est autour de ces acquis que s’est progressivement institué un exceptionnel système de soins solidaires permettant de réelles avancées. Un système qui nous a permis de nous confronter à la complexité inhérente à toute pratique relationnelle : comment éduquer, soigner, être soigné ou comment accueillir la souffrance de l’autre.
Cette complexité se nourrit de l’engagement, du doute, de la prise de risques. Elle exige des citoyens libres, créatifs, cultivés. La possibilité de penser est au cœur de ce processus. Une pensée ouverte et partagée, à la croisée des savoirs. Elle est alors porteuse des plus grands espoirs car elle laisse place à la singularité de chacun, à l’expression de la subjectivité et à la création collective. Elle demande une formation de haute exigence, une remise en question permanente, une appropriation par chacun et par le collectif, des projets de soin et d’accompagnements.
Mais hélas, depuis une vingtaine d’années, des méthodes évaluatives issues de l’industrie doivent être appliquées à toutes les professions qui traitent des rapports humains, s’opposant ainsi frontalement à notre histoire et à notre culture.

Il a été décidé que nous devrions nous plier à des protocoles imposés par «des experts» bien souvent étrangers aux réalités plurielles de la pratique.
Monsieur le Président, pouvez-vous accepter l’embolisation de ces pratiques par des tâches administratives aussi stériles qu’ubuesques ? Croyez-vous qu’il soit possible de coter avec des petites croix la valeur d’une relation, d’un comportement, d’un sentiment ?

Pouvez-vous tolérer que l’on ait confisqué aux citoyens leur possibilité de construire les outils éthiques d’appréciation de leur travail, de leur façon de soigner, d’enseigner, d’éduquer, de faire de la recherche? De leur imposer des normes opposables et opposées à tout travail de créativité ?
Pouvez-vous cautionner la victoire de la hiérarchie qui écrase, de la bureaucratie qui règne, de la soumission imposée qui s’étend?
Enfin, élément le plus préoccupant, ces protocoles qui excluent la dimension relationnelle de la pratique prétendent s’appuyer sur des bases scientifiques, contestées au sein même de la communauté ! Comme s’il fallait s’exproprier du terrain de la rencontre à l’autre.

Et ces directives s’imposent partout, dans tous les domaines, dans toutes les institutions : cela va des gestes répétitifs et codifiés des infirmiers, au SBAM (Sourire, Bonjour, Au revoir, Merci) pour les caissières en passant par l’interdit de converser avec les patients pour les « techniciens de surface ». Tous les personnels se voient contraints de donner de leur temps à cette bureaucratie chronophage.

Combien d’heures de travail abêtissant, perdu, gaspillé, activités en apparence inutiles, mais qui dans les faits, ont pour objet de nous entraîner dans des rituels de soumission sociale, indignes de la République à laquelle nous sommes attachés.
Comment pouvons-nous accepter cela, Monsieur le Président? Comment pouvez-vous l’accepter?
Le réductionnisme est à son apogée : tentative de nous réduire à une technique, à un geste, à une parole désincarnée, à une posture figée.
Nous tenons à nos valeurs fondatrices, celles qui font de nos pratiques, un art, oui, un art qui allie les connaissances, le savoir-faire et l’humanité accueillante des hommes qui construisent leur propre histoire.

Ouverte à toutes les sciences humaines et médicales, la psychiatrie se doit de lutter en permanence contre cette tentation réductionniste des évaluations-certifications soutenues par la Haute Autorité de Santé (HAS) qui, sous l’impact de l’idéologie ou de puissants lobby financiers, tendent à anéantir l’extraordinaire potentiel soignant des relations subjectives entre les personnes.

Ainsi par exemple, à propos de l’autisme, de quel droit la HAS peut-elle affirmer que ce qui n’entre pas dans ses codes d’évaluation est non scientifique donc non valable, alors que des milliers de professionnels, loin des caricatures et des polémiques, travaillent en bonne intelligence avec les familles et des intervenants divers, que cela soit sur le plan éducatif, pédagogique ou thérapeutique ? De quel droit la HAS dénie t-elle la validité de pratiques reconnues, que des associations de patients, de soignants, de familles, défendent pourtant humblement ? Au nom de quels intérêts surtout, la HAS a-t -elle imposé une « recommandation » dont la revue Prescrire, reconnue pour son indépendance, vient tout récemment de démontrer les conditions totalement partiales et a-scientifiques de son élaboration ?
Comment enfin, lors de la parution du dernier plan Autisme, Madame Carlotti, Ministre aux personnes handicapées, ose t-elle menacer sans réserve aucune, les établissements qui ne se plieraient pas à la méthode préconisée par la HAS, de ne plus obtenir leur subvention de fonctionnement ? Comment un ministre de la République peut-il imposer aux professionnels et par voie de conséquence, aux parents et aux enfants, sans plus de précaution, de travailler comme elle l’ordonne ?
C’est une grande première, porte d’entrée à toutes les dérives futures.

L’Histoire, la philosophie, les sciences en général nous le rappellent : l’être humain se construit dans le lien avec ses contemporains, son environnement, dans les échanges. Une alchimie complexe, unique à chaque fois, qu’une pluralité d’outils aident à penser. Quelque soit le handicap, l’âge, la maladie, les « troubles » comme on dit, de quel droit priver certains de cet accompagnement pluridimensionnel (et de tous les éclairages dont il se nourrit) ? Toute réponse univoque et protocolaire, qui dénie la singularité de chacun, est à cet égard indigne et au final stigmatisante.
Or, cette logique techniciste n’est-elle pas déjà en route dans les autres domaines du soin psychique ? Ce même principe d’uniformisation par voie d’« ordonnance modélisée » ne peut que s’étendre à d’autres catégories de troubles (cernés par le DSM, manuel diagnostique lui aussi éminemment contesté) : à quand une méthode systématisée puis dictée, pour « les dépressifs », pour « les bipolaires », « les schizophrènes », les troubles dus à la souffrance au travail » etc.?

Ne pensez-vous pas Monsieur le Président que cette pression inadmissible procède d’une idéologie normative, véritable fléau pour la capacité de débattre, d’élaborer des idées ?
Monsieur le président, entendez-vous qu’il s’agit d’une vaste entreprise d’assèchement du lien relationnel, de mise en route d’une inquiétante machine à broyer la pensée, d’un système qui risque d’amener toutes les parties concernées à l’indifférence et à la résignation?
Monsieur le Président, vous avez les pouvoirs, de la place qui est la vötre, d’agir immédiatement pour que soient remis en cause ces systèmes qui produisent les monstres bureaucratiques de protocolarisation présents dans tous les domaines de la vie publique, notamment en psychiatrie et dans le médico-social.

Il est des mots, des discours prononcés, des dérives, en face desquels le devoir d’une action exigeante s’impose…

Monsieur le Président, nous vous demandons solennellement d’intervenir.
Permettez nous de garder l’espoir.

LE 8 MAI 2013

LE COLLECTIF DES 39 CONTRE LA NUIT SECURITAIRE

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Communiquė de presse – plan autisme 2013

Plan Autisme 2013
8 mai 2013

L’autisme laissé en plan ?

Que penser des dernières déclarations au sujet de l’autisme de la Ministre déléguée aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion, Mme Marie-Arlette Carlotti, dans le journal « Le Monde » daté du 2 mai 2013 :

– « En France depuis quarante ans, l’approche psychanalytique est partout, et aujourd’hui elle concentre tous les moyens. Il est temps de laisser la place à d’autres méthodes pour une raison simple: ce sont celles qui marchent, et qui sont recommandées par la Haute Autorité de Santé. »

– « N’auront les moyens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler »

Ainsi, il ne s’agit même plus de faire reconnaître d’autres approches que la psychanalyse mais carrément de remplacer une prétendue hégémonie par une autre.

Le lecture du plan autisme est édifiante et excède même les déclarations de la Ministre. En effet, s’il comporte des points intéressants, notamment le fait de favoriser le diagnostic précoce, de créer des places en institution, d’améliorer l’accueil des enfants à l’école et l’accès aux soins somatiques des personnes autistes, ce plan constitue une application aveugle de la dernière recommandation de la Haute Autorité de Santé (HAS), en conditionnant le financement des établissements recevant des personnes autistes à leur obéissance à ces nouvelles normes officielles, obéissance dont il est prévu qu’elle soit mesurée par des évaluations internes et externes et autres certifications. On peut donc penser qu’il s’agira en pratique, pour un établissement, de prouver qu’il se forme et met en application la méthode de « l’analyse appliquée des comportements » (ABA) pour recevoir un soutien financier. Par ailleurs la formation des professionnels sera également infléchie dans cet unique sens. Mais au-delà, ce plan réalise une étape supplémentaire d’un processus de normalisation mis en place par une logique bureaucratique, d’un dispositif de contrôle des théories et des pratiques véhiculant une vision adaptative de l’être humain dont on ne peut douter qu’elle est amenée à s’étendre. On peut déjà imaginer le contenu d’un prochain plan schizophrénie, ou trouble bipolaire, hyperactivité, anorexie mentale…

Il est important de rappeler que l’illégitimité de la recommandation de la HAS, qui donne sa caution scientifique à l’ensemble, a pourtant été démontrée:

– D’une part, en ce qui concerne son contenu : ainsi la revue Prescrire dans son numéro d’avril 2013 démontre la non consensualité des méthodes recommandées et indique que, contrairement à ce qui est affirmé, aucune approche ne fait consensus sur le plan scientifique dans le domaine de l’autisme.

– D’autre part, du fait des modalités de sa rédaction : le lobbying de certaines associations minoritaires mais très actives étant affiché, comme en témoigne d’ailleurs la stigmatisation d’un certain nombre de professionnels et de parents d’autistes ne prônant pas exclusivement les approches qui conviennent à ces associations.

On pourrait penser qu’il s’agit seulement d’un manque de courage du gouvernement et d’un électoralisme à courte vue. Mais quel serait l’intérêt de répondre à l’agitation de quelques associations et collectifs, s’aliénant ainsi la grande majorité des professionnels et des familles ? On peut aussi penser qu’il s’agit là d’autre chose, et que les revendications rééducatives et réadaptatives de ces groupes ont trouvé un écho dans un processus étatique déjà présent visant à une normalisation et un contrôle des pratiques, sous couvert de gestion et d’économie.

Concrètement, l’hyper promotion d’une approche plutôt qu’une autre dans les lieux déjà existants ne changera rien à la situation déjà explosive dans le champ de l’autisme, sera contre-productive et n’endiguera pas les souffrances qui y sont attachées. Nombreux sont les familles et les professionnels écœurés par ce parti pris sans nuance.
Il est au contraire crucial de permettre une diversité d’approches pour respecter la singularité des personnes autistes. Aucune méthode ne « marche » sur tout le monde et que deviendront ceux à qui l’unique approche proposée ne conviendra pas voire pour qui elle sera nocive ?

Les personnes autistes et toute personne en souffrance psychique ainsi que leurs familles devraient pouvoir rencontrer plusieurs types de professionnels, d’institutions, de manière de travailler, y compris celles qui sont inspirées par la psychanalyse.
Il est honteux de diaboliser la psychanalyse dans son ensemble au prétexte de propos stupides tenus par certaines personnes s’en réclamant, qui ont blessé des mères et des familles. Il est bien évident que la tendance à culpabiliser les familles existe dans tous les corps de métier en lien notamment avec la santé et l’éducation et doit absolument être combattue. Cependant, il est inacceptable que toute la richesse d’un champ de pensée, de recherche et de pratique consacré à la souffrance humaine soit balayée dans sa totalité, et irrespectueux vis-à-vis des personnes autistes et de leur proches qui ont pu y trouver du réconfort. Il est permis de penser que tout être humain a un inconscient et peut bénéficier de sa prise en compte s’il y trouve un intérêt.

Refusons ce dispositif normalisant qui, en débutant avec l’autisme, ne fera que s’étendre aux autres « troubles ».

Travaillons ensemble, notamment pendant les Assises pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social, pour que tous les citoyens – personnes avec autisme comprises – trouvent leur place dans la société. Place qui ne se résume pas aux seuls lieux de prise en charge mais doit se déployer dans tous les espaces du quotidien, de culture et de convivialité, où chacun peut apporter sa richesse humaine et en faire bénéficier la démocratie.

Le collectif des 39
www.collectifpsychiatrie.fr

Le collectif des 39 et les CEMEA organisent les Assises pour l’Hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social les 31 mai et 1er juin prochain à Villejuif
Lien : https://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=5793

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Le Collectif des 39