>La menace d’être en permanence sous surveillance

Le Projet de loi sur les soins sans consentement ? 

La menace d’être en permanence sous surveillance et une sortie d’essai à vie !

Un contrôle insupportable ! 

Les adhérents de la RadioCitron ont écrit aux Députés et vont saisir les sénateurs. Après les « V.I.P. en psy », les Voix Iséroises des Patients en psy, le Groupe d’Entraide Mutuelle La Locomotive, le Club thérapeutique le Grillon de Reims, une nouvelle prise de position d’association. 

Les Patients se saisissent de la parole et ont leur mot à dire sur ce projet de loi qui les concerne au premier chef ! Salutaire. 

Paul Machto

 

LETTRE DES ANIMATEURS DE RADIO CITRON AUX DEPUTES 

 

Mesdames et Messieurs les Députés,

Un projet de loi va vous être soumis à la mi-mars concernant la psychiatrie. En tant que patients et en tant qu'animateurs de Radio Citron, nous avons lu attentivement ce projet de loi et nous tenons à attirer votre attention sur différents points.

La substitution de la notion d'hospitalisation sous contrainte par la notion de soins sous contrainte représente pour le patient la menace d'être en permanence sous surveillance, même bien après la crise et jusque dans son espace privé. En cas de soupçon de discontinuité d'observance, le patient serait réhospitalisé d'office, ce qui équivaut à être une sortie d'essai à vie : c'est un contrôle insupportable.

Le fichage et la surveillance par un comité spécial dès l'hospitalisation d'office, en plus du psychiatre, à l'encontre du patient même stabilisé ou guéri, la décision d'un juge ou d'un préfet sur le placement, le prolongement et la levée de l'enfermement, la dénonciation des soignants auprès d'eux, le protocole de soins établi par le Conseil d'Etat, protocole stéréotypé et non personnalisé, l'accaparement des psychiatres à des fins d'expertise auprès des juges au lieu des soins, les jours d'hospitalisation complète imposés pour débuter les soins, la suppression totale des sorties d'essai, l'agitation procédurière nuisant au patient, toutes ces mesures et bien d'autres encore dans ce projet sont démesurément sécuritaires.

 

Rappelons qu'un patient en psychiatrie n'est pas un délinquant, mais un sujet de droit, qui, pour un moment, peut avoir le discernement amoindri. Verrouiller encore plus l'hôpital psychiatrique, favoriser l'enfermement et la médication, considérer les personnes comme dangereuses, et à vie, n'est pas la solution à cette souffrance. C'est même pathogène.

 

Pourquoi donc nous enfermer, nous surveiller et nous contraindre pour une dangerosité supposée, quand toutes les études menées démontrent que nous ne sommes pas plus dangereux que les autres ? Même, les malades psychiques sont 300 fois plus susceptibles d'être attaqués par des gens non malades, que l'inverse. L'événement qu'évoque Nicolas Sarkozy dans son discours d'Anthony en 2008 est l'exception. Alors pourquoi nous stigmatiser ? Et pourquoi vouloir soumettre cette loi en urgence, alors qu'elle est loin d'être anodine, et qu'elle est lourde de conséquences pour nous ?

 

En fait, cette réforme est complètement centrée sur une prise en charge autoritaire de la maladie psychique, contre la liberté individuelle et contre toute logique de résultat parce qu'elle ne prend pas en compte l'idée d'un contrat responsable entre patient et psychiatre, et donc la possibilité pour le patient de négocier sa prise en charge librement avec les soignants, ce qui garantit l'observance du soin.

Les soins efficaces, qui laissent au patient la possibilité d'adhérer librement au soin et lui permettent donc d'être un je-sujet de son être, de sa vie, capable de penser sa maladie, la mettre en perspective, en comprendre la source de ce fait, la désamorcer en partie ou complètement, et éviter un éventuel passage à l'acte, les soins qui permettent le lien transitionnel avec les soignants, les soins humains, la parole, les entretiens, les activités sociales et créatives, ces soins efficaces ne sont pas soutenus par cette loi, au contraire elle les met en péril, contre toute raison. De plus, contraindre aux soins médicamenteux certains patients est si violent que l'ambiance des unités de soins psychiatriques s'en trouvera détériorée.

Poser un jugement de dangerosité et d'"irrécupérabilité" sur un patient, c'est lui donner la sensation qu'il est traqué, par tous et partout, et cela favorise les passages à l'acte violents. Or les malades psychiques ont souvent subi une maltraitance dans leur jeunesse, source de pathologies. Car c'est par trop de souffrance que l'esprit cherche des solutions qui parfois génèrent des pathologies. Verrouiller encore plus l'hôpital psychiatrique, l'enfermement et la médication, les considérer comme dangereux, à vie, n'est donc pas la solution à cette souffrance.

 

Cette loi nous propose d'aller mal, à vie. Elle est totalement contre-productive. Qui y gagne ? Ni les malades, ni la société, ni la sécurité.

 

Déjà, nous connaissons depuis quelques années une augmentation des hospitalisations d'office, pas parce que nous sommes plus dangereux ou plus nombreux à être malades, mais parce que beaucoup de structures de proximité, intermédiaires, qui accueillaient la parole des patients, on été fermées, alors qu'elles constituaient un véritable outil de prévention des risques et dont se saisissaient les patients. Celles qui restent manquent de moyens, de personnel, les attentes pour des rendez-vous sont dangereusement longues. Telle structure a vu en quelques mois son nombre d'hospitalisations d'office être multiplié par… 10 ! Par 10 ! Alors que les pathologies restent les mêmes. Que se passe-t-il ? Le préfet semble signer l'enfermement à tour de bras, comme le psychiatre, mais hésite à signer les levées : ils ont peur d'être jugés trop laxistes… non pour le bien du patient, ni pour celui de la société ! Voici des conséquences déjà visibles de l'esprit de cette loi.

Toute hospitalisation d'office est toujours extrêmement violente pour le patient. Tous nos témoignages personnels sont terrifiants. Nous en gardons un traumatisme à vie. L'hospitalisation doit de toute façon être soigneusement réfléchie et durer le moins possible. Or ce n'est pas du tout le sens de cette loi.

Si le grand public et notre entourage sont amenés à penser que nous sommes dangereux au point de nous contraindre, de nous enfermer à ce point, de nous contrôler à ce point, de nous "judiciariser" et qui plus est, d'urgence, quelle image de nous et quelle réaction vont-ils avoir ? Et nous, quelle image pouvons-nous avoir de nous-mêmes ? Et vous, si vous craquez ? Comment va se comporter une population persuadée que tous les malades sont dangereux, ou que tous les dangereux sont enfermés ?

Aussi, dans un souci d'efficacité des soins, comme dans un souci d'une société capable de se pencher avec raison sur les véritables dangerosités dans notre vie à tous, dans un souci de justice et de justesse, nous refusons chaque terme de cette réforme. Ces actes risquent d'être perpétrés en votre nom, en notre nom.

Ne sacrifions pas des citoyens qui souffrent, qui se battent individuellement pour se soigner, et toute la profession qui avait tant progressé pour le bien de toute la société. Nous souffrons de ce projet. Nous faisons peu de bruit parce que nous sommes surtout occupés à tenir et nous soigner. Mais nous sommes là, nombreux, à vouloir nous soigner correctement et rester citoyens libres et responsables.

Ne nous enfermez pas dans des hôpitaux-prisons, dans une image terrible, dans des contraintes et des protocoles de soins stéréotypés, par peur ! Au nom d'un principe illusoire de précaution. Aidez-nous, au contraire, car nous souhaitons aller mieux, souffrir moins et avoir notre place, utile et légitime, dans notre société.

Mesdames et messieurs les députés, vous nous représentez, nous vous demandons de porter nos voix et notre refus légitime de cette loi, lors du débat à l'Assemblée Nationale.

Veuillez recevoir nos salutations citoyennes.

Les patients et animateurs de RADIOCITRON.COM

Une émission récente avec Pierre Sadoul, membre du collectif des 39 : http://www.radiocitron.com/index.php?pisteId=393&pisteEmision=1&page=0&PHPSESSID=6240158b8aa553b0e1512778e2126e05

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Une réflexion sur « >La menace d’être en permanence sous surveillance »

  1. Ce n’est pas une découverte que pour parler du fondamental il faut s’approcher des limites de l’expérience. La folie est un des limites d’humanité. Dans le sens que lorsqu’on est là on ne peut pas être autre chose qu’humain en difficulté (là le soin, la main tendu de Camus, la main solidaire est nécessaire). Dans la contingence d’humanité, lorsqu’on a un certain control sur notre comportement, on peut choisir entre être une bonne personne ou non, même on peut choisir être une mauvaise bête. Et c’est vrai que cette dernière possibilité est aussi humaine : mais là, le fait d’être une mauvaise bête, est responsabilité principalement du sujet qui décide de l’être. Dès que j’ai la possibilité je m’éloigne du pire en moi : j’ai réussi dans cet essai pas mal (excusez-moi la vanité, mais je le crois ainsi). J’avoue, nonobstant, que j’ai eu des chutes circonstancielles où je me suis trouvé ignoble et je le regrette beaucoup.
    Bon, j’ai commencé avec « le fondamental » et j’ai fini avec un discours-confession moral qui, en plus, m’engage personnellement (« ¡ ça ne se fait pas ! » je me dis, mais…).
    Le fondamental m’a été évoqué par votre pétition d’attention à vos Députés au sujet du projet de loi sur les soins sans consentement. Dans votre texte il y a du droit et du sens commun ; un magnifique élan social qui part du fondamental pour une vraie sociabilité.              
    Par rapport à la dangerosité. Si on comprend la souffrance et la vulnérabilité circonstancielle de la personne psychotique en crise il n’y a pas de danger de passage à l’acte. Toutefois il faudrait que les soignantes puissent rencontrer la personne, établir une bonne relation avec elle dans le cadre du soin, « de la préoccupation pour l’autre » que l’on dit lorsqu’on parle d’une sociabilité tout court.  
    Le projet de loi dont on parle fera  plus difficile cette tâche. Il va à l’encontre de la possibilité de ce nécessaire accueil de la folie dont Paul Machto a proposé le 23 de janvier de 2011.   
    J’ai exercé 23 ans comme psychologue dans un hôpital psychiatrique en Espagne. L’hôpital avait une organisation très archaïque (rien à avoir avec l’accueil de la folie dont vous et moi pouvons, au moins, parler). Cette expérience me permette d’évaluer la dangerosité supposée de la folie. Une seule fois je me suis senti menacé, mais on a pu retrouver la calme et parler. Mon contendant n’était pas psychotique (je crois que moi non plus).
    Quelque fois – même sans le prétendre de moi même – je me suis réconforté avec la compagnie des patients. Je l’avoue, j’étais là pour servir a l’autre et c’était l’autre qui me donnait du souffle, ¡ah !
    La sociabilité que les professionnels pouvions faire valoir dans l’hôpital où je travaillais était très déficitaire, c’est pour cela que j’allais retrouver du souffle chez les patients ; pour relancer la volonté de travailler pour faire de l’hôpital un endroit thérapeutique ou, quelque fois, tout simplement habitable (parfois la tâche était si fondamentale).
    Le meilleur dans l’humain c’est très fragile et la tâche soignante dont on parle demande le meilleur. Il faut avoir fait l’expérience du soin psychiatrique pour savoir quelles conséquences peut avoir une législation non avertie : l’humain, en l’occurrence, pourrait être gravement maltraité ; cette humanité qui articule une sociabilité précaire et une thérapeutique tout suite après.
    Vous me donnez du souffle, animateurs de Radio Citron, avec votre travail, avec votre élan citoyen. Je traduis vos écrits pour donner du courage à d’autres psychologues qui m’ont remplacé (je suis déjà retraité).  
    ! Salut !       

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