> "La folie n'est pas une infraction"

 

Psys et membres d’associations de malades étaient réunis samedi en Seine-Saint-Denis pour contester la politique du gouvernement, à l’appel du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire.

Par ERIC FAVEREAU


Ce fut le moment le plus chaleureux, le plus symbolique aussi. Samedi, à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), aux portes de Paris, tout le monde est debout dans ce hangar où s’entassent plus d’un millier de participants à l’appel du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. Et la foule d’applaudir à tout rompre le professeur Pierre Delion, pédopsychiatre à Lille.

Le vieux médecin est ému. Il hésite. Il a été mis au pilori ces derniers jours car il pratique dans son service le packing : une technique de tradition psychanalytique utilisée pour des patients autistes très gravement atteints, mais fortement contestée par certaines associations de parents d’autistes. Elle consiste à recouvrir dans un drap humide le malade, puis à le réchauffer progressivement.

«Scientiste». Le 9 mars, la Haute Autorité de santé (HAS) a déclaré que non seulement «le packing ne devait en aucun cas se faire», faute d’avoir été évalué, mais aussi que «la psychanalyse, comme la psychothérapie institutionnelle, n’étaient pas recommandées dans la prise en charge de l’autisme».

Une prise de position polémique, dernier avatar d’un vieux conflit entre la psychiatrie biologique et comportementale d’une part, une psychiatrie plus humaniste et proche de la psychanalyse de l’autre. Les pouvoirs publics ont choisi. Depuis plus de quatre ans, la politique gouvernementale en matière de psychiatrie a été fortement déséquilibrée, renforçant le volet sécuritaire. D’abord, en 2009, avec un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques (multiplications des chambres d’isolement, instauration des bracelets électroniques, etc.). Puis avec une loi instaurant, en 2011, les soins obligatoires à domicile (et plus seulement à l’hôpital). Et voilà que tombent ces recommandations polémiques de la HAS…

A quelques semaines de l’élection présidentielle, le rassemblement initié par le Collectif des 39 autour du thème «quelle hospitalité pour la folie en 2012 ?» avait valeur de bilan et de symbole. Simple coup d’épée dans l’eau un brin nostalgique ? Ou début de reconquête ?

Psys, soignants, membres d’associations de malades, ils sont venus très nombreux. Avec la forte envie d’en découdre, en particulier contre la HAS et son «faux discours scientiste». Le collectif a d’ailleurs clôturé cette journée très offensive en appelant tous les psychiatres de France à ne plus «collaborer» avec la Haute Autorité de santé. Dès la matinée, Pierre Joxe, figure de la gauche, lançait : «Vous n’avez rien de moribonds. Ce ne sont pas quelques réformes réactionnaires qui vont tout bouleverser. La situation est certes consternante, mais ce que le législateur a détruit, un autre législateur peut le reconstruire.» Pierre Joxe fait référence à son combat actuel sur le dispositif de prévention et de protection de la jeunesse, aujourd’hui «totalement effondrée».

«La folie n’est pas une infraction», poursuit avec force le magistrat Serge Portelli. Martelant : «La médecine n’est pas là pour surveiller, elle est là pour soigner.»

Puis arrive le pédopsychiatre Pierre Delion, combatif mais inquiet. Comme un reflet du moment. Après une standing ovation, il prend la parole: «Et je serais, moi, un barbare ? Et je ferais, moi, de la torture, interroge-t-il de sa voix douce. Rendez-vous compte qu’aujourd’hui, on en arrive à recommander de mettre des casques sur les enfants agités !» Puis, avec son visage de vieux sage, il affirme : «Il faut nous mettre debout pour dire "cela suffit".»

«Bulle». Debout ? Loriane et Mathieu, deux jeunes psychiatres, le sont. Dès le début, ils ont été dans le collectif des 39. Lui travaille à l’hôpital d’Etampes (Essonne). Loriane est pédopsychiatre dans un Centre médico-psychologique à Corbeil-Essonnes. «Si j’y crois ? Drôle de question, dit-elle. Je pense à ce que j’ai à faire, j’essaye de maintenir à tout prix une éthique dans mon travail de psy. Et, pour moi, ne pas être seule est essentiel. Même si on traverse une période difficile, on réfléchit et on essaye de mettre au point des pratiques émancipatrices.» Dans un grand sourire, elle ajoute : «Non, je ne me sens pas moribonde.»

Mathieu, acquiesce : «J’en ai encore pour quarante ans à faire de la psychiatrie, et rien n’est foutu. Je reprends le service de Michaël Guyader, un grand psychiatre qui s’est battu contre l’asile. Je n’ai pas connu ce combat-là, et mon travail est différent : c’est aussi de rouvrir des lits, de faire des lieux d’hospitalisation accueillants. Dans ce service, il y a une histoire. Et c’est possible de travailler, de créer des collectifs.» Puis d’affirmer : «Mais si on reste dans notre bulle, on se fait dégommer.»

source Libération 19 mars 2012

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