> Pour accompagner quelqu’un, encore faut-il marcher sur ses deux jambes !

Pour la journée de PI de Bruxelles du samedi 24 Mars 2012

 

 

Pour accompagner quelqu’un, encore faut-il marcher sur ses deux jambes !

Quand Pierre Smet m’a proposé d’intervenir dans cette 26° journée de PI, j’étais bien loin de me douter de la campagne idéologique qui allait exploser contre la psychanalyse et la Psychothérapie Institutionnelle, et mettre Pierre Delion en place de bouc émissaire pour sa pratique auprès des enfants autistes.

J’étais aussi bien loin de me douter que Pierre ferait l’objet d’un marchandage assez abject de certains de ses collègues le lâchant au milieu du gué, c'est-à-dire  lâchant le packing pour prétendument sauver la psychanalyse et la PI !

Il est clair qu’il va nous falloir encore plus de détermination dans nos pratiques pour éviter de tels sauveteurs ne voulant pas se rendre compte de leur responsabilité dans la destruction de la psychiatrie.

Jamais depuis longtemps, la double aliénation dont je voulais vous parler n’aura été aussi explicite et violente !

Nous ramenant à une situation que je qualifierais bien de fascisante et propice à un climat de chasse aux sorcières, pour ne pas dire de chasse à l’homme…

La semaine dernière à Montreuil, comme l’a souligné MC Hiebel, malgré la standing ovation que le grand meeting des 39 a réservé à Pierre Delion, sa peine nous faisait tous très mal. Alors bien sur nous sommes à ses cotés, mais je crois aussi qu’il ne faut pas en rester là et qu’il s’agit de traverser cette zone de douleur, de trauma, pour en faire une colère active, celle de l’intelligence de la situation, de l’art de la guerre qu’il va falloir mener contre nos ennemis, et en même temps de notre appui sur les collectifs que nous animons.

Au sujet de ces collectifs, une remarque : depuis trois ans que le combat s’est radicalisé contre le discours fascisant de Sarkozy et d’une partie de l’appareil d’Etat, l’implication des patients à nos cotés a été de plus en plus forte. Au point que dans certaines manifestations que les 39 ont proposées, ils étaient probablement plus nombreux que les professionnels.

Mais pour être au plus juste, je voudrais vous parler de ce qui s’est passé dans ma praxis, et qui pourrait se passer partout si nous nous donnons les moyens.

Comme certains ici le savent, nous avons démarré à Reims dès 1980 en nous réappropriant à notre manière et à notre rythme la méthode de la Psychothérapie Institutionnelle.

Certes il y avait eu pour ma part quelques années de tâtonnements: j’avais été séduit par la geste basaglienne et le projet d’en finir avec l’asile.

Mais très vite sur le terrain de la praxis, j’ai pu constater l’impasse de ce discours dont il faut remarquer combien il a été récupéré et instrumentalisé par l’idéologie néolibérale. Aujourd’hui le nouveau discours antipsychiatrique et antipsychanalyse a pris le pouvoir dans les ministères, à l’OMS, et maintenant dans certaines associations  de parents.

Qu’on ne s’y méprenne pas : je ne confonds pas un discours qui a pu porter l’illusion, autrement dit le désir de transformation et même de révolution ; avec sa perversion qui a pulvérisé la psychiatrie en l’attaquant dans son essence même.

Les responsabilités sont multiples et il faudra bien un jour faire l’inventaire de tous les « collabo » qui auront contribué à cette situation, mais l’urgence consiste à analyser la situation présente.

Donc retour à Reims : nous avons donc commencé par un club thérapeutique dans l’ambulatoire, club qui continue à vivre et à fédérer aujourd’hui l’ensemble des clubs du service. Puisqu’entre temps, nous avons considérablement développé le dispositif ambulatoire, avec un réseau d’AT et un autre d’AP, un centre de jour à la campagne, le centre Artaud au centre ville de Reims constituant le lieu de rassemblement et d’orientation de l’ensemble.

 Nous avons aussi repris un travail solide à l’hôpital avec un club qui gère la vie quotidienne et s’articule avec les clubs hospitaliers, mais aussi avec le GEM articulé comme un club etc.…

Rien de très original pour tous ceux qui connaissent les principes directeurs de la Psychothérapie Institutionnelle, sauf peut-être que le centre de gravité de notre travail s’est déplacé en ville, l’hôpital s’inscrivant comme un des lieux possibles du soin.

Ce qui surprend, c’est plutôt notre sentiment de solitude, la rareté actuelle des expériences de terrain et les difficultés innombrables auxquelles nous nous heurtons, tant du côté des administrations que des collègues.

IL est important de souligner cette démoralisation, cette apathie qui prévaut dans tous les métiers de la psychiatrie, tout en soulignant qu’il s’agit aussi des effets d’une destruction qui a été voulue, pensée et exécutée ! Ce qui est inquiétant c’est le peu de résistances rencontrées, et même le désir de servitude volontaire manifesté par de nombreux soignants courant au devant des attentes de l’Etat ! Bien avant que l’indépendance professionnelle des psychiatres soit vendue pour un plat de lentilles, on a pu constater cette soumission à tous les diktats normatifs, alors pourtant qu’il n’y avait pas grand risque à y opposer un refus !

Je ne crois pas que cette soumission soit explicable par des erreurs théoriques sur l’analyse de la fonction de l’hôpital, ou sur l’approche psychanalytique. Je crois que nous nous sommes heurtés à une espèce de catastrophe politique qui reste à analyser : une défaite sans combat.

Sans doute, les analyses de G. Agamben, et en particulier Homosacer sont elles fort utiles pour relier cet effondrement à la catastrophe qui a ravagé le 20° siècle et que C. Lanzmann a nommée Shoah. Comme si une frontière avait été franchie dans la possibilité de l’impossible de la destruction de « l’espèce humaine » (Robert Antelme) ; et qu’une fois cette frontière franchie, elle soit devenue totalement poreuse.

Traiter l’humain comme du bétail, pratiquer le tri et la sélection, évaluer ceux qui méritent de survivre et ceux qui devront être liquidés en premier etc.…

Il m’aura fallu un certain temps pour supporter cette idée d’une continuité dans la discontinuité des processus historiques, et d’une réappropriation de l’idéologie nazie par le néolibéralisme.

Pas de raccourci sommaire, ni de simplification abusive en avançant cela, mais la nécessité d’affronter une réalité et donc de l’analyser si nous voulons nous dégager de cette passivation dangereuse et de l’incorporation insidieuse des discours « santémentalistes ». Je fais allusion au développement important que Mathieu Bellahsen a consacré dans sa thèse de médecine à ce qui se présente comme nouveau discours des bien-pensant prônant la déstigmatisation des « handicapés psychiques » etc.…Vous entendez comme cette idéologie malfaisante et destructrice de la psychiatrie s’est avancée en détruisant, dévoyant les mots de la mouvance désaliéniste, puis produisant une novlangue qui tourne sur un vocabulaire restreint mais efficace pour nier la réalité de la maladie mentale, de la psychose, et prôner une nouvelle conception du monde. Ce modèle qui se présente comme intégratif, et même partisan d’une intégration forcée, a besoin de nier la spécificité de l’humain, du « désir inconscient inaccessible » (comme dirait Oury), du rapport de l’humain au langage et à l’altérité. Autant de notions qui nous paraissaient jusqu’alors comme tombées dans le domaine public, et qui se trouvent rejetées violemment.

Il faut dire que la violence s’est avancée masquée dans un premier temps, sous ce prétexte de déstigmatisation, en subvertissant les mots et en formatant les pratiques par les biais des accréditations et de l’évaluation. Beaucoup de « collabo » pour cette mise en place des « bonnes pratiques », du culte de l’homogène et de  la transparence ! Tout cela s’avançait sous couvert de bons sentiments dont on ne se méfie jamais assez, et d’une meilleure qualité d’accueil pour les patients. Moyennant quoi, tous ceux qui se sont prêtés à cette mascarade depuis des années ont contribué à construire cette idéologie gestionnaire, prétendument athéorique comme le DSM, et autres machines de guerre construites pour défaire une clinique multiréférentielle s’adossant à la psychanalyse et à la phénoménologie. 

C’est ainsi que ce modèle gestionnaire a été voulu par la droite, comme par la gauche : Edouard Couty, militant socialiste comme JL Roelandt, n’est-il pas l’auteur d’un des derniers rapports de psychiatrie proposant une « gestion de la folie » et voulant entre autres joyeusetés cliver l’intra de l’extrahospitalier ?

Edouard Couty présente l’actuel plan de santé mentale à la Fédération Hospitalière de France sur des pdf  frappés du sigle de Fondamental : le lobby mené par Marianne Montchamp et Marion Leboyer auprès des entreprises et des politiques. Ce même lobby montré dans le film de Borel « Un monde sans fous »  qui veut en finir avec la psychanalyse qualifiée de romantique pour arriver enfin à une conception scientifique de la maladie.

Traduisez : une conception scientiste et réductrice, qui conçoit le sujet comme un système cérébro-spinal et nous ramène à un modèle animalier. Une conception en fait fort ancienne qui fait croire à des découvertes récentes, ce qui est un mensonge repris par les media et par l’Etat, que François Gonon est venu pulvériser au meeting de Montreuil, mensonge auquel beaucoup finissent par croire !

Les agrégés de psychiatrie adulte sont en train de vouloir s’aligner sur ce modèle qui nous vend de l’ancien pour dissoudre leur discipline dans la neurologie alors même que leurs « laboratoires de recherche » ne trouvent strictement rien de probant tout en multipliant IRM, scanners et recherches génétiques !

Je dis bien « leur » discipline, mais allons-nous nous laisser exproprier de nos pratiques et de nos savoirs ?

Que signifierait une telle régression politique alors que les pratiques de Psychothérapie Institutionnelle lorsqu’elles sont soutenues et mises en acte, rencontrent un efficace, qui ne se mesure pas avec une petite échelle ?  Mais qui redonne un point d’appui au sujet psychotique dans sa reconstruction d’un monde vivable, un point d’appui aussi pour ceux qui tiennent une fonction soignante. Nous sommes là au cœur de ce qui peut faire accompagnement comme ce colloque en propose l’enjeu.

 Revient la question : qui accompagne qui  et vers où?

Question cruciale car toute la pratique des clubs thérapeutiques témoigne de cette extension possible de la fonction soignante aux patients, comme à chaque membre du Collectif qui veut bien s’y tenir ! Si nous n’avions pas eu à Reims la matrice du club thérapeutique, nous n’aurions jamais rien su des potentialités soignantes des patients, de leur capacité d’écoute sensible, voire d’écoute de l’inconscient d’autant plus aigue qu’elle est fort peu clôturée par du refoulement.

Bien au-delà des limites géographiques d’un club, ce qui compte c’est la mise au travail de la « fonction club » dans une topologie en remaniement constant, ce qui permet la circulation, l’accueil et l’accompagnement.

Nous aurions ainsi besoin d’un double niveau de structuration : celui visible du dispositif  qui articule plusieurs structures et institutions ; et celui sous-jacent d’une structuration dynamique qui remette en permanence du mouvement.

Je vais isoler deux moments de structuration, et chacun est hautement problématique :

– D’abord la création du Gem la Locomotive il y a cinq ans, alors que j’avais pourtant une analyse résolument critique de la fonction des GEM, comme une des pierres de l’édifice néolibéral pour détruire les clubs, cliver le soin et l’accompagnement, enfermer les patients dans une sorte de « réserve indienne » où ils se débrouilleraient entre eux. On ne parlait pas encore des « pairs aidants » mais c’était dans la logique de la construction d’un dispositif au sens que Michel Foucault a donné à ce terme (repris d’ailleurs dans un petit livre d’Agamben) : un dispositif de fabrique de subjectivités formatées pour les besoins du système néolibéral. Une nécessité : nier la folie et la vie psychique, tout ramener à une simple question d’aide sociale, et à une logique du sujet entrepreneur de lui-même. Il s’agit bien sur d’une imposture et il n’y avait qu’à lire le texte fondateur des GEM pour y lire le désaveu explicite : comme un club/pas comme un club ; distinct et coupé du sanitaire mais parrainé et conventionné par un EPSM…etc.

Nous aurions pu refuser cette manne séductrice de la dotation annuelle, mais voilà nous n’avons pas un sou pour les clubs actuellement dans le public, et nous travaillons en permanence avec ce genre de paradoxe. Si nous voulions avoir les mains pures nous aurions arrêté depuis longtemps de travailler. Ceci dit la ligne de partage est mince entre compromis et compromission, et il s’agit à chaque fois d’un pari.

Je n’aurais jamais osé le tenir s’il n’y avait pas eu ce travail des clubs depuis 1980, avec tout ce que ça suppose de prise de responsabilité pour les patients et pour les soignants embringués dans l’aventure.

Nous avons donc démarré en refusant d’entrée de jeu le clivage entre le soin et le social, entre le GEM et les clubs, en favorisant au contraire les responsabilités croisées. Des membres de droit du club dans le bureau du GEM et réciproquement, et une analyse institutionnelle permanente pour ne pas perdre le cap ! Ce qui n’a pas été très simple, et il aura fallu ménager une réunion hebdomadaire pour articuler club et Gem, travailler le contre-transfert des soignants, limiter et réduire les emballements imaginaires, maintenir la circulation entre les lieux.  

Sans doute cela suppose-t-il une défitichisation permanente du « bon lieu », celui qui serait blasonné « Psychothérapie Institutionnelle » ! Ce qui me parait importer le plus c’est notre capacité à créer et à maintenir des processus instituants qui laissent du jeu, un espace de jeu aux uns et aux autres pour se poser, s’inscrire, prendre des responsabilités réelles et ne pas se payer de mots.

Ce Gem dialectise aujourd’hui de façon extrêmement vivante les clubs autant qu’il est dialectisé par eux, et l’ensemble aura permis l’émergence du collectif de patients Humapsy. Je passe sur les turbulences et les disputes très vives que cela aura suscité dans le Collectif ; mais c’est souvent comme ça à chaque enjeu important. En tout cas, il aura fallu sortir d’un respect dogmatique ou religieux des structures traditionnelles de la Psychothérapie Institutionnelle pour mieux la réinventer, tout en travaillant sans cesse à une conceptualisation de ce que nous faisions, de ce qui nous arrivait.

Autre opérateur important : l’AG du centre Artaud

Elle réunit à peu près une fois par mois tous ceux patients, soignants, animateurs du Gem qui gravitent dans le dispositif, et qui veulent échanger et construire.

Le prétexte pour relancer cette AG voici six ans ce fut le vol du cahier de dettes du club, d’où une dramatisation de l’affaire et la construction d’une scène pour discuter ensemble les règles du jeu et ainsi le relancer. Transformer en quelque sorte le passage à l’acte en acting out…  

Emergence donc d’une scène dont le Collectif se saisit, en particulier les patients, et du coup nous en profitons pour nous réunir régulièrement : faire le point sur le petit commerce et ses aléas, mais aussi discuter ensemble de tous les aspects de la vie quotidienne. Et c’est sur cette scène qu’a émergé le discours d’Antony de Nicolas Sarkozy, avec ce questionnement légitime des patients sur notre positionnement. Et là pas moyen de se défiler, même si ça reste pénible pour certains soignants, et pour certains patients qui se bouchent les oreilles ou sortent de la pièce lorsqu’il est question de parler de cette cruauté du discours social à leur encontre.

J’ai donc évoqué la création des 39 à l’initiative d’Hervé Bokobza, mon engagement dans ce collectif, et très vite un certain nombre de patients ont voulu être partie prenante des initiatives qui se tenaient. Je dois dire que je n’en menais pas large au début car j’avais peur de surcharger leur difficulté à exister, et aussi de les aliéner à mon propre engagement.

D’autant plus que l’enthousiasme des soignants était beaucoup plus mesuré, à la mesure de tous les combats perdus et de la difficulté à maintenir leur position dans cette période incertaine. Mais voilà les patients réclamaient la présence de leurs soignants aux manifestations, ne comprenant pas le repli sur la vie privée et le sacro-saint week-end : forcément eux sont à temps plein! Ils réclamaient à juste titre la fonction phorique dont ils avaient besoin pour s’avancer dans le monde, cette fois comme sujets politiques.

Les soignants ont dû suivre peu ou prou, mais à certains moments, ils ont pu dire à quel point ils se sentaient dépassés par les événements.

Cet engagement dans le mouvement des 39 n’a fait que se renforcer, avec la participation maintenant de patients aux réunions d’organisation, ces patients qui viennent de prendre leur autonomie en fondant une association indépendante du centre de jour : « l’association HUMAPSY pour une psychiatrie humaine ».

Je vais vous lire un extrait de leur texte web invitant à une fête le 15 avril à Paris, ce qui signe aussi leur engagement sur une scène nationale et non plus

seulement rémoise :

« L’idée de cette association est née dans la tête de quelques agités du bocal, plus communément appelés: tarés, fous, barges ou encore cinglés…
Mais aussi schizos, bipolaires, psychos… Mais nous sommes avant tout des hommes, des femmes.

Bref nous voilà, patients suivis en psychiatrie à Reims, dans un service plutôt ouvert vers le monde et non refermé sur lui-même. Depuis fin 2008 nous avons pris part à diverses manifestations contre les lois envisagées dans le domaine de la psychiatrie à l’époque, avec des professionnels, qui au début ne savaient pas trop de quelle manière recevoir notre présence. La loi votée le 5 juillet 2011 instaurant des soins sous contrainte même en ambulatoire nous semble liberticide (sachant que certains psychiatres ont communiqué aux commissariats des listes de malades «à risque» au mépris du secret médical). Nous avons aussi par la suite constaté que nombres de services psychiatriques usent de méthodes inhumaines que nous n’avons jamais rencontrées dans notre service, comme des entraves, des camisoles de force, électrochocs (pudiquement cachés sous le terme sismothérapie), isolement, infantilisations, des douches froides, humiliations et autres traitements dégradants…

Nous nous sommes donc donné pour but de défendre et de promouvoir une psychiatrie plus humaine où les patients sont traités dans le respect de la dignité et non comme des sous-hommes que l’on pourrait maltraiter à l’envie.

Le plus dur reste à faire, quelques idées en vrac: aller dans les différents services pour parler avec les patients de leurs conditions d’hospitalisation et leur communiquer les adresses et les horaires des lieux (Gem, clubs, associations) vers lesquels ils peuvent se tourner pour rompre l’isolement ou au moins passer du temps hors des murs. Ou encore: regrouper des témoignages d’éventuels maltraitances ou abus de pouvoir, mais aussi écouter, conseiller et rassurer. Nous voulons aussi porter la voix du plus grand nombre auprès des autorités représentatives afin de faire évoluer les mentalités et faire changer les regards sur cette branche de la médecine.

En outre, forts de nos expériences personnelles, persuadés que l’expression a des vertus thérapeutiques, nous aimerions développer un réseau pour à la fois diffuser et soutenir les talents sous toutes leurs formes qui nous seraient révélés. Par le biais d’exposition, de diffusions radiophonique ou de court-métrages, d’éditions diverses, de manifestations, de vitrine virtuelle (web)… »

Ce surgissement d’un collectif  de patients se réappropriant les enjeux de la Psychothérapie Institutionnelle sur la scène publique, montrant ses liens avec le soin mais aussi avec les enjeux du Politique, tout cela témoigne d’une réalité encore pour moi inédite, et que nous avons à inscrire dans notre mouvement de pensée. Des patients qui endossent l’insulte de leur désignation habituelle pour mieux la subvertir et qui se dégagent dès la fondation de leur collectif du positionnement antipsychiatrique, autant que de la soumission de la Fnapsy alignée avec l’Unafam et les présidents de CME à soutenir la politique actuelle.

Cet événement ne constituait évidemment pas un objectif de travail attendu ni même prévu ! Je n’y aurais même pas cru il y a quelques mois… ; mais il faut souligner que le travail de longue durée des clubs et du Collectif aura construit l’espace de possibilisation d’une telle survenue.

Espace et temps long d’une attente abductive, une attente qui ne se comblerait pas de trouver l’objet qui viendrait trop facilement la satisfaire, enjeu du « hors-d’attente » dont nous parle Héraclite depuis l’Antiquité :

« S’il n’attend pas il ne découvrira pas le hors-d’attente qui est chose introuvable et vers quoi il n’y a pas de chemin »

Je me permets donc d’insister une fois de plus sur cet enjeu : il s’agit de construire dans la durée un espace stratifié qui nous permette de déplier et d’articuler la pluralité des enjeux du transfert institutionnel, sans négliger la deuxième jambe politique de la Psychothérapie Institutionnelle.

Dire qu’elle est quelque peu souffrante ces derniers temps me parait un euphémisme, tant je trouve notre mobilisation bien maigre par rapport à la déclaration de guerre explicite dont nous sommes l’objet.

Il ne s’agit pas seulement de soutenir Pierre Delion, ça c’est la moindre des choses, mais de retrouver une posture beaucoup plus combattive.

Il est clair que nous sommes en position d’extrême fragilité : que nos points d’appui sur la psychanalyse et nos valeurs d’humanité vont à rebours de l’air du temps néolibéral.

Il est vrai aussi que nous sommes plutôt isolés et que de nombreux collègues ont baissé les bras.

Je crois que le pire serait de se résigner, ou de croire qu’il s’agirait de laisser passer la vague du tsunami. Cette logique là a été celle des groupes analytiques qui ont cru qu’en négociant avec l’Etat ils allaient sauver la psychanalyse : toujours la même illusion !

Aujourd’hui il faut remarquer la rareté des psychanalystes présents dans nos mobilisations, quand ils ne les dénoncent pas au nom de leur nécessaire neutralité. A l’exception notable de la Fédération des ateliers de psychanalyse et du Cercle Freudien qui nous ont apporté un soutien explicite.

J’ai dit ailleurs ce que je pensais du dévoiement d’une partie du mouvement lacanien dans les présentations de malades et dans un certain cynisme devant la destruction de la psychiatrie, un mépris aussi par rapport à la Psychothérapie Institutionnelle qui ne serait pas de la « vraie psychanalyse » !

Je le rappelle en conclusion parce qu’il s’agit d’une réalité que nous avons à transformer, forts de notre expérience d’une posture dans le transfert à mille lieux de la figure de l’analyste impassible et cadavérisé !

Cette psychanalyse vivante qui nous a été transmise et que nous mettons en acte dans nos établissements comme dans nos cabinets, nous avons me semble-t-il à la transmettre. Et à considérer cet enjeu dans son versant irrémédiablement politique.

Donc au-delà des trouvailles d’il y a 40 ou 50 ans, la transmission consisterait à sortir du ressassement d’un prétendu âge d’or pour réinventer sans cesse les conditions  de possibilité de la Psychothérapie Institutionnelle, mais aussi ses concepts et ses outils théorico-pratiques.

Il s’agirait d’en finir sans cesse avec l’embaumement et la fétichisation qui sont nos plus fidèles ennemis intérieurs.

 

Patrick Chemla

 

 

Share

Une réflexion sur « > Pour accompagner quelqu’un, encore faut-il marcher sur ses deux jambes ! »

Les commentaires sont fermés.