> Démocratie sanitaire en psychiatrie : soigner d'abord la démocratie ?

COMMUNIQUE DE PRESSE
concernant le
Rapport de la Mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie 1 (MISMAP)

Démocratie sanitaire en psychiatrie : soigner d’abord la démocratie ?

Le 8 janvier prochain, le rapport de la MISMAP sera présenté à Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Fruit d’une large consultation de l’ensemble des acteurs de la psychiatrie, le rapport Robiliard élabore trente propositions pour tenter de trouver un consensus au sein du champ psychiatrique, certaines avancées existent.

A la différence des rapports précédents 2 , celui de la MISMAP réaffirme la place du secteur psychiatrique comme étant l’organisation la plus pertinente sur le plan clinique et en termes de maillage du territoire et d’accès aux soins 3. Que le service public soit à la disposition de tous et que son accès soit facilité nécessite des professionnels correctement formés, des moyens humains et financiers nécessaires afin que son rôle ne se résume pas à un traitement normatif de la population centrées sur des approches réductrices des problématiques psychiques. Ce qui s’illustre, depuis dix ans, par un certains parti pris concernant la clinique et la recherche qui tend à considérer les pathologies psychiatriques comme des pathologies cérébrales plus proches des pathologies neurologiques que des problématiques psychiques 4 .

Co-organisées par le collectif des 39 et les CEMEA, les Assises pour l’Hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social se sont tenues à Villejuif les 31 mai et 1er juin dernier. Elles ont réuni un millier de personnes et plusieurs axes se sont dégagés. Tout d’abord, pour le soin et l’accompagnement, la nécessité d’une articulation entre le sanitaire, le social et le médico-social était partagée par tous. Cependant, cette articulation doit d’abord se fonder au niveau local en s’appuyant sur la clinique et non sur une nécessité gestionnaire exclusive visant à rationaliser l’offre des soins 5.

Ce qui invite à nuancer la promotion des conseils locaux de santé mentale (CLSM). Si leur usage peut permettre que les personnes et les institutions se rencontrent pour échanger et élaborer ensemble l’accueil et la prise en charge des personnes en souffrance psychique dans la cité, ils peuvent également être des outils de normalisation, tant des pratiques que des personnes. Les conseils locaux de santé mentale ne sont pas une fin en soi. Cet outil de « la démocratie sanitaire » avec sa méthode prédéfinie par avance ne peut à lui seul instaurer une dynamique de travail 6 . Sur le terrain, si la participation de l’ensemble des personnes concernées est nécessaire 7 -usagers, professionnels, familles, politiques-, il faut également permettre les initiatives d’organisation échappant au cadre fixé, et parfois lourd, du conseil local de santé mentale.

Point central lors des Assises, la question des pratiques avaient été l’occasion d’un terrible constat sur leurs évolutions sécuritaires et protocolisées qui s’effectuent au détriment de la relation humaine et souvent en dépit du bon sens. L’ensemble des participants, qu’ils fussent usagers, familles, professionnels et citoyens, témoignaient de nombreuses dérives dans les services qui n’étaient même plus perçues comme telles. Nous confirmons le recours accrus aux moyens de contraintes, avec les infractions aux libertés fondamentales exigées par une démocratie 8 . Pour autant, à l’instar des protocoles de mises en chambre d’isolement et de contentions physiques, nous ne pensons pas que la mise en place d’un registre consignant ces pratiques suffisent à les limiter voire à les abolir. Il s’agit plutôt de repenser le soin psychique, la formation, la recherche et les moyens à l’aune de ce qu’il se passe concrètement sur le terrain.

Néanmoins, les participants des Assises témoignaient des possibilités d’inventivité sur le terrain, de créativité dans l’organisation locale et dans les modèles de soins, ce qui va souvent à rebours du formatage des pratiques telles qu’envisagées par les tutelles. Constat avait été fait que les services travaillant avec les outils de la psychothérapie institutionnelle, de la psychanalyse et du désaliénisme avaient des pratiques du soin psychique se fondant sur le respect des libertés démocratiques fondamentales. En ce sens, le recours aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) est problématique et présente de nombreuses limites dans le champ psychiatrique : ce sont ces mêmes pratiques qui se trouvent désavouées dans certaines recommandations par cette instance de normalisation.

Concernant la surspécialisation du champ psychiatrique, telle qu’elle est recommandée dans le rapport 9, force est de constater qu’elle est une des causes du morcellement des prises en charge. Sous couvert d’une expertise plus grande, la parcellisation des soins est accrue. Plutôt que de soutenir la mise en place d’équipes mobiles aux objectifs toujours plus larges (précarité, géronto-psychiatrie, addictologie…), il serait plus aviser de soutenir les interventions généralistes et globales centrées sur la personnes et non sur des troubles ou sur des problématiques spécifiques.

Ce modèle, qu’encouragent les centres de références par pathologies, n’est pas fondé en psychiatrie, d’autant plus que de tels centres n’assurent jamais le suivi dans l’urgence puis au long cours, une fois leurs recommandations établies. De plus, un tel modèle d’organisation des soins se fonde sur l’assimilation de la psychiatrie à une spécialité médicale comme les autres, ce qui concoure à des erreurs quant à la spécificité de la psychiatrie, du soin psychique, de l’accompagnement dans le temps et du travail à partir du milieu de vie des personnes et de leurs proches.

S’il est opportun de lutter pour le droit au logement et la signature de convention avec les bailleurs, avoir un toit ne suffit pas à soigner et prendre soin. Le recours au « housing first » 10 est une vitrine qui ne doit pas se substituer à une approche thérapeutique préalable, dans la durée.

Par ailleurs, que le rapport se penche sur des populations souvent oubliées et toujours marginalisées comme les détenus est une bonne orientation. (propositions 21,22,23,24).

Pour les professionnels, nous tenons à saluer le rappel qui est fait concernant l’importance du rôle des psychologues cliniciens dans la pratique quotidienne 11 alors qu’ils constituent sur le terrain les premières variables d’ajustement dans le budget des hôpitaux. La réarticulation des compétences des professionnels ne doit pas rimer avec dégradation de soins de qualité et avec l’acceptation du cadre construit et accepté de la pénurie des professionnels (psychiatres comme infirmiers). Une volonté politique est ici nécessaire. Dans cette perspective, la formation initiale des différents professionnels se doit d’être ambitieuse et prenant la personne souffrante dans sa globalité, là où les modèles de formation par compétence, tels que promus actuellement, tendent à la segmenter.

Pour la formation continue, la réforme sur le développement professionnel continu (DPC) n’est pas abordée alors qu’elle nous semble l’un des enjeux centraux concernant la normalisation du champ psychiatrique. La spécificité de la psychiatrie est celle du travail collectif d’une équipe pluridisciplinaire dans la durée. C’est le partage des approches et l’inventivité des réponses qui priment dans l’adéquation des soins. La formation permanente est un lieu indispensable de la prise en considération des patients dans le respect de leur souffrance et elle a toujours été présente depuis l’origine de la psychiatrie de secteur. La seule condition de sens de cet espace, c’est qu’il demeure un lieu de recherche et d’élaboration, ce que ne garantit en aucune façon le DPC.

En conclusion, si ce rapport présente des avancées dans l’attention du politiques aux affaires psychiatriques, ce travail devrait se poursuivre pour qu’une loi de santé mentale, à défaut un volet spécifique dans une loi de santé publique, soit le reflet des exigences réelles du terrain.

Enfin, concernant la déclaration relative à l’inertie présente dans le champ de la psychiatrie, elle n’est pas l’apanage des seuls professionnels et mérite une volonté politique puissante qui ne s’appuierait pas uniquement sur la ségrégation – comme l’a fait le précédent gouvernement – ou des logiques gestionnaires exclusives telles qu’elles sont mises en place depuis la fin des années 1990. Un signe de cette volonté politique pourrait être, par exemple, la création de places dans des structures de soins et d’accompagnement en France afin de cesser la délocalisation de milliers d’usagers, enfants et adultes, en Belgique .

1- http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i1662.pdf
2- Notamment le rapport Couty et le rapport de l’OPEPS qui prévoyait l’organisation de la psychiatrie en trois niveaux et confortait l’hospitalo-centrisme
3- Propositions 1,2,3,4,6,7,8,9,13
4- Propositions 27,28
5- Proposition 7,8
6- Propositions 16,17,18
7- Proposition 19,20
8- Propositions 14,15,16
9- Proposition 12
10- Proposition 11
11- Proposition 25

www.collectifpsychiatrie.fr

Contact presse : mathieu.bell@gmail.com

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