>Maintien en hospitalisation au delà de 15 jours : contraire à la constitution

 Article paru dans Médiapart le 29 Novembre 2010 Par Roland Gori et Fabrice Leroy.

L’article L. 337 du code de la santé publique prévoit qu’au-delà des quinze premiers jours, une hospitalisation sans consentement peut être maintenue pour une durée maximale d’un mois, renouvelable, au vu d’un certificat médical circonstancié indiquant que les conditions de l’hospitalisation sont toujours réunies.

Le conseil constitutionnel vient de déclarer cet article contraire à la constitution (Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010). Le conseil constitutionnel a en effet estimé qu’il y avait là une méconnaissance de l’article 66 de la constitution, selon lequel la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible.

Tout en reconnaissant dans le communiqué de presse – et encore, du bout des lèvres – que « certes, les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui conditionnent la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux hospitalisées sans leur consentement peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai », le conseil insiste surtout sur le fait que le prolongement de l’hospitalisation sans consentement ne se conforme pas à la la règle de l’ordre judiciaire.

Sous prétexte de garantir la liberté individuelle, on ne peut qu’être frappé de ce qui relève en réalité d’une adéquation purement formelle à une règle, et que si méconnaissance il y a ici, elle concerne bien davantage la réalité de la maladie mentale et du travail des soignants qui s’en occupent.

L’un d’entre nous dénonçait récemment un projet de réforme se préoccupant plus de sécurité que de soin, tout en voyant d’un mauvais œil la perspective d’une judiciarisation du soin, ne faisant qu’assimiler un peu plus l’hospitalisation à une sanction, et le maintien en hospitalisation à un «maintien en détention ».

Ce qui se dessine, à travers cette décision du conseil constitutionnel mais aussi avec le projet de réforme de la psychiatrie, c’est véritablement l’empêchement, voire la destruction de tout projet thérapeutique, soit par le préfet pour maintenir l’hospitalisation contre l’avis des soignants, soit par le juge pour empêcher le maintien de cette même hospitalisation, toujours contre l’avis des soignants. Au nom de la sécurité dans un cas, au nom de la liberté dans l’autre, il y aurait désormais subordination du soin au pouvoir répressif d’un côté, au pouvoir judiciaire de l’autre. Tout cela conduit à dresser un peu plus les malades contre la société et réciproquement, en identifiant le soin à une sanction et l’hospitalisation à une garde à vue (la comparaison entre les deux étant d’ailleurs faite lors des débats filmés du conseil constitutionnel, sur le mode de la « garde à vue abusive »).

Nous assistons à une véritable disqualification des métiers du soin psychique, laissant les malades en proie à une guerre idéologique entre ceux qui veulent les enfermer au nom de la sécurité et ceux qui veulent les faire sortir au nom de la liberté individuelle, entre idéologie sécuritaire d’un côté et idéologie libérale-libertaire de l’autre. Or le soin psychique constitue un temps et un lieu en position tierce, permettant de penser et panser ce qui écartèle le sujet entre sa liberté et son inscription sociale et culturelle. Ce temps et ce lieu permettent donc de faire en sorte – malade, famille, et soignants réunis – que le « malaise dans la culture » ne se résorbe pas dans une pensée binaire conduisant à des affrontements idéologiques dont les malades sont les premières victimes.

Cela nécessite que les conditions dans lesquelles le soin psychique peut s’exercer soient dignes de ce nom, et permettent aux soignants de mettre en acte les valeurs pour lesquelles ils ont choisis de se soucier de l’autre, au lieu de contribuer – comme c’est le cas avec le projet de réforme et ici avec la décision du conseil constitutionnel – à dresser les uns contre les autres . Il est temps d’arrêter d’instrumentaliser le soin et les patients dans une confrontation idéologique qui masque les valeurs politiques, sociétales et anthropologiques que ces idéologies contiennent. Plus que jamais aujourd’hui la psychiatrie rebaptisée « santé mentale » révèle sa porosité avec les pouvoirs politiques qui lui confient la tâche de construite et de légitimer des normes de conduite et de définir des déviances sociales. Plus que jamais la casse des métiers du soin psychique au profit de l’objectivité d’eunuque de la biopsychiatrie sécuritaire révèle que la psychiatrie est un « fait de civilisation ».

Nonobstant la validité des savoirs et des pratiques qui se disputent le champ de la psychopathologie, il convient de s’interroger sur ce qui à un moment donné conduit le pouvoir politique et/ou l’opinion à lui préférer telle ou telle orientation en fonction de la vision qu’ils se font de l’humain. Aujourd’hui au moins, les choses sont claires le débat récurrent sur les critères qui permettent de différencier le normal du pathologique se réduisent purement et simplement aux questions politiques et juridiques de savoir comment défendre la société tout en protégeant le sujet de droit. La psychiatrie n’est plus que la copule qui conjoint les dispositifs juridiques et la petite biologie des industries de santé. Que sont les souffrances psychiques devenues?

Roland Gori et Fabrice Leroy. 

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12 réflexions sur « >Maintien en hospitalisation au delà de 15 jours : contraire à la constitution »

  1. C'est vous qui instrumentalisait, il y en a vraiment marre de ces raisonnements vicieux,
    de ce pincement dans le petit orgueil des soignants. En plus c'est clairement dit
    il n'y a que vous pour décider de ce qui le mieux pour le malade
    ça fait froid dans le dos votre discours.
    Vous êtes des hommes et comme les autres vous êtes soumis aux contraintes
    comme les autres vous n'êtes pas fiable à 100%.
    Quand il s'agit de la liberté de quelqu'un fusse-t-il un malade mentale
    je trouve rassurant que ce choix ne soit pas laissé dans les mains d'un seul.
    Quant au dernier paragraphe il ne vient qu'étayer  le choix d'un juge
    pour valider. Je vous en remercie
    Cela n'a rien exorbitant que je sache alors arrêter!

  2. J'ai écrit il y a deux jours un texte sur la solitude des schizophrènes, sur le fait qu'on en garde toujours les marques.
    J'ajouterai aujourd'hui que je ressens toujours cette solitude d'autant plus que je n'en peux plus d'entendre les discours sur notre dangerosité, sur la volonté de nous enfermer, et sur le fait qu'on veut toujours penser à notre place, savoir ce qui est bon pour nous, nous empêcher d'avoir les mêmes droits que les autres. Cette solitude, que j'ai pourtant acceptée comme une fatalité, me fait parfois si mal que j'ai la nostalgie de la folie, le désir d'arrêter de faire semblant d'être comme les autres quand finalement personne ne nous comprend, alors oui, pourquoi ne pas basculer totalement de l'autre côté, et que les choses soient  claires et radicales.
     

     
    La schizophrénie est aussi une expérience radicale de la solitude.On entend souvent les gens malades ou devant affronter un handicap soudain dire qu'ils ne s'en seraient jamais sortis sans leurs proches, que c'est l'amour qui les a poussés à se battre, que leur entourage a été leur bouée de sauvetage.
    C'est souvent ce qui manque aux schizophrènes.
    On est seuls face à cette maladie.
    Seuls parce que les autres nous ont rejetés, déroutés devant notre comportement. Seuls devant cette expérience étrange que ne connaissent pas la plupart des gens.
    Seuls parce que notre discours est inaudible ou indicible. A qui parler des pensées qui nous rongent, quand on sait qu'on niera notre parole?
    Seuls parce qu'on ne veut pas nous écouter. Ou seuls parce qu'on sait qu'il vaut mieux se taire.
    Seuls à pleurer devant un psy qui se tait et regarde ses pieds.
    Seuls devant des amis qui tape du pied de rage de ne pouvoir rien faire pour nous.
    Seuls devant le regard effrayé de ceux qui ne nous reconnaissent plus.
    Seuls, tellement seuls devant ceux qui enferment et attachent quand on se tue à hurler notre souffrance pour un espoir de main tendue.
    Seuls à pisser le sang devant des gens qui nous regardent comme si tout était normal.
    Seuls dans l'autre monde, loin, très loin de tout et de tous.
    Seuls avec la mort, quand on sait que notre vie ne fait que gâcher celle des autres, qu'il n'y a plus qu'elle comme espoir.
    Seuls à genoux.
    Seuls dans le noir, avec le corps qui part en éclats dans un monde qui tourne trop vite.
    Seuls quand on va crever de solitude et que personne ne répond à nos cris.
    Seuls au milieu de tous ces gens qui ne comprennent pas. Ces gens aux dents pleines de sang qui jugent, qui parlent, qui regardent, qui envahissent.
     Seuls sur un lit d'hôpital, avec un médicament au lieu de paroles.
     
    Radicalement seuls. Et pourtant, on arrive aussi à en revenir, parfois. On ne sait pas comment, ni avec quelle force inspoupçonnée on a pu survivre à ça. Plus de monde, plus d'esprit, plus de corps, plus personne sur qui compter. Et pourtant on est toujours en vie. Revenus dans le monde, revenus parmi les nôtres, mais avec un coin de solitude qui restera là à jamais.
     

  3. Libérée, non!! Je crois que je devrais arrêter d'écrire des textes qui me plombent à moi-même le moral! Mais je n'ai que ça, écrire pour faire entendre la voix, sinon des schizophrènes, au moins de l'une d'entre eux.

  4. Ecoutez je ne sais pas ce qui est bien ou pas pour vous
    mais il serait vraiment dommage que vous arrêtiez d'écrire,
    j'ai vu votre site et j'ai adoré votre description par les tableaux
    de vos différents état. Vraiment génial.
    Je suis aussi schizo, mais j'ai la chance d'avoir une vie à peu près normal
    Connaissez vous ce site :
    http://affinitiz.com/space/nouveauxcahierspourlafolie/discussion/?orderBy=creationDate&listFormat=default
    Bonne soirée

  5. Merci. Je n'arrêterai pas d'écrire ni de me battre comme je peux pour nos droits, je ne peux pas faire autrement.  De toute façon, la schizophrénie, on peut la cacher comme on veut, ne pas en parler, faire semblant, elle est toujours là.
    Moi aussi j'ai une vie normale, mais je crois qu'il y a des expériences dont on ne revient pas indemnes, même si ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Je crois même être une meilleure personne après avoir vécu tout ça. Mais parfois c'est dur à porter.
    Je connais ce site, d'ailleurs je me suis inscrite il y a quelques jours et j'attends la validation.
    Merci pour vos encouragements.

  6. Est tu sûr d'être skyzo ? Les étiquettes….tu n'écrirais pas comme çela…Moi aussi, à une époque on m'a classé, et pourtant…j'étais tous simplement un enfant mal traité….on peut tout simplement tomber dans la psychose en prenant des champignons hallucinogènes et on est pas skizo pour autant…réfléchie…

  7. Je ne connais pas Roland Gorri si ce n'est comme vous par ses textes que, comme vous, j'ai appréciés. C'est pour cela que je ne veux pas l'accabler bien que malgré toutes les réactions il n'y a pas une seule réaction de sa part. Cela ne me parait pas en accord avec ses écrits. Est-il vraiment au courant de ce texte? Est-il manipulé ? Sans savoir je m'abstiens.
    Pas plus je ne pense que tous les médecins sont pourris, pas plus que ce sont tous des saints, ce sont juste des hommes, capable du meilleur comme du pire. Et c'est bien pour cela, en effet, qu'un oeil de la justice sur les privations de liberté, même des fous, me parait une chose plus que souhaitable, nécessaire. Inutile d'y rajouter de l'acrimonie.
    Puis-je rajouter que j'aimerai bien voir Mr Gorri se justifier pour savoir s'il a bien vu toute la porté de ses dires. On sait les intellectuelles rapides à se fourvoyer au nom de belles idées dans affaires qui ne sont, elles, pas du tout belles. L'histoire récente nous l'a montré. Il serait plus que raisonnable de ne pas recommencer les mêmes erreurs.

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