Pour un accueil inconditionnel et de droit commun pour les migrants-réfugiés

 

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Jean-Pierre Martin,      Psychiatre du service public, membre du CEDEP et de l’USP, auteur des livres « Psychiatrie dans la ville » (2000) et « La Rue des Précaires » (2011) aux éditions ERES.           Néa Philadelphia, 12 novembre 2016

La mise en crise des services publique et de toute protection sociale solidaire, au nom de politiques d’austérité imposées par les lois du marché concurrentiel de l’Union Européenne, crée une catastrophe humanitaire en Grèce mais aussi des effets de  destruction de l’Etat social et démocratique dans les pays d’Europe. Ce cours, annoncé comme une nécessité indépassable de croissance du capitalisme mondialisé, est celui d’une transformation de toute activité humaine en marchandise et de répression étatique de tous ceux qui s’y opposent. Cette régression majeure crée les conditions  de développement de forces ultraréactionnaires dont les objectifs est l’Etat autoritaire et un populisme pénal de criminalisation des déviants, qui sont la négation de toute pratique de solidarité. Dans ce contexte, la psychiatrie est réduite à une santé mentale positive de programmes spécifiques, en rupture avec sa dimension généraliste et propice à différentes formes de contrôle social, avec ses contraintes et ses contentions, donc le retour à un nouvel enfermement médicalisé.

Nous sommes ici, 40 ans après l’action de fermeture du bagne de Leros, pour affirmer notre esprit de résistance et construire des réseaux alternatifs à partir du soutien solidaire au mouvement des dispensaires sociaux autogérés grecs, qui sont aujourd’hui l’expression la plus avancée de cette résistance. Trois points de constitution d’un réseau de soins fondés sur l’Humain d’abord sont ici à mettre en débat : l’accueil sans conditions, la continuité des soins au sein de la vie commune, les droits des patients à conquérir comme protection sociale solidaire.

En France, la politique de secteur psychiatrique qui  a été pensée comme un idéal éthique soignant et social fondateur de toute politique de santé mentale et d’émancipation, a souvent été dévoyée dans son application par les politiques de contrôle social médicalisé des populations. La défense et la reprise de ses fondamentaux est l’objectif éthique des trois points précédents à traiter, au même titre que les acquis de la psychothérapie institutionnelle comme cadre d’un soin fondateur du sujet autonome et social comme acteur de son traitement.

L’accueil dans l’accès aux soins et dans leur continuité est inconditionnel. Ouvert 24h sur 24, accessible à toutes et tous, il est un lieu d’hospitalité ou tous les soignants accueillants sont dans la responsabilité partagée de ce qui s’y passe. La parole du patient et de sa famille sont l’outil premier du travail. Son dispositif est élaboré avec les élus locaux comme besoin politique de base et discuté avec les associations issues de la population. L’hôpital n’est donc qu’un temps du soin possible en cas de nécessité thérapeutique

La continuité des soins se déroule au sein de la vie commune avec des structures ouvertes au regard de tous. Un conseil de santé mentale qui réunit tous les acteurs dont les associations de patients et des familles, traite de son activité et des besoins locaux, dans une forme extensive de l’analyse institutionnelle du soin et de l’insertion.

Le droit commun est l’accès aux droits de toutes et tous comme expression et représentation de la citoyenneté démocratique. Les patients sont donc des citoyens comme les autres dans le respect de leur intégrité de sujet.

Ces trois points se retrouvent dans l’accueil de l’afflux actuel des migrants et réfugiés, qui met en exergue la reconnaissance de ces droits communs pour tous comme liberté de circulation et d’installation pour tous ceux qui sont de passage vers un autre pays et ceux qui demande l’asile. Nous retrouvons ici l’accueil qui doit être d’hospitalité dans le temps prolongé de la demande d’asile, comme droit de protection juridique inconditionnel avec des logements de droit commun dignes au même titre que celui de la population autochtone, à l’accès à des cours de français, à un accompagnement administratif respectueux des personnes et à l’accès aux soins.

 Toute action de santé mentale s’inscrit dans ce cadre solidaire pour aborder la souffrance traumatique de ce qui a été vécu précédemment, mais aussi dans la souffrance du non-accueil (le plus souvent sous-évaluée) qui alimente les vécus d’une VIOLENCE DE PLUS et non une zone d’apaisement. Dans cette perspective, l’accueil aux soins est donc inconditionnel et indépendant, qui n’est pas celui de camps indignes de tri ou de rétention qui rejoignent le refus de soins sous contrainte et la contrainte pour le refus de soin. L’accueil est un REFUGE qui s’oppose absolument à la fermeture de murs et de frontières multiples, ainsi qu’à tout racisme.

Les migrants sont les citoyens de notre humanité commune, éthique politique qui fonde un mouvement de solidarité. Il se construit en France avec des alternatives associatives et citoyennes sur les camps AVEC les migrants, de protection contre les évacuations policières brutales, qui s’accompagne aujourd’hui d’un mouvement de Charte des communes solidaires d’accueil des migrants contre un humanitaire administré gouvernemental (qui produit 75% de renvoi) et contre les actions de la droite extrême et de son idéologie raciste.

Cette action participe de la construction d’un mouvement social solidaire généraliste pour toutes et tous, qui se manifeste également par des manifestations de soutien AVEC les migrants comme action de veille dans les camps et regard de contrôle des habitants. Elle est une permanence juridique permanente avec un numéro d’appel qui permet de contester par un juge une mesure d’OQTF décidée dans un commissariat, où toute action mettant en cause l’intégrité des personnes.

Elle soutient toutes les communes qui créent des centres d’accueil dans des logements sociaux au sein de la population (Appartements dans les HLM, maisons, initiatives d’accueil individuels) ainsi que la constitution actuelle de collectifs d’habitants et d’inter-collectifs militants.

 Cet ensemble s’oppose au sein de la population aux effets des politiques de la peur de l’étranger et transforme la compassion devant les milliers de morts sur les routes et les mers, en une solidarité humanitaire porteuse d’une possible solidarité politique. Cet accueil inconditionnel des migrants est l’objet même d’un réseau solidaire de santé mentale.

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