Anniversaire des Ceméa

80 ans des Cemea

La rencontre avec la psychiatrie, une aventure qui dure !

Comment un mouvement de recherche pédagogique d’Education Nouvelle né en 1937 et dont la tâche première a été d’inventer la formation des moniteurs de colonies de vacances, s’est retrouvé sollicité par des médecins psychiatres pour réfléchir à la formation des infirmiers d’hôpitaux psychiatriques?

50000 malades mentaux meurent de faim dans les asiles psychiatriques au sortir de la guerre. Sauf à l’hôpital de Saint-Alban en Lozère qui ouvre ses portes sur l’initiative des psychiatres F. Tosquelles et L. Bonnafé. C’est dans ce contexte que dès 1946, à peine près de dix ans après la création des Cemea, une première rencontre entre Germaine Le Guillant membre de la première équipe permanente des Cemea à Paris et Georges Daumezon, psychiatre, médecin-chef à l’hôpital de Fleury les Aubrais près d’Orléans se fait. Quelques temps après Georges Daumezon et Louis Le Guillant, psychiatre à Paris, proposent à Germaine de réfléchir à une action des Cemea pour  former les personnels: « Ce dont nous avons besoin, c’est que vous donniez aux infirmiers les outils qui leur permettront d’établir un dialogue avec le malade ».

Ainsi en 1949 est organisé le premier stage des Cemea pour les personnels psychiatriques à La Charbonnière après un séjour d’immersion de l’équipe de 5 personnes à Fleury les Aubrais ( Gisèle de Failly, Henriette Goldenbaum, Germaine Le Guillant, Honoré Vayre et Pierre Rose ). Durant les années qui vont suivre, ce sont plusieurs centaines de stages qui se dérouleront sur le territoire national mais aussi en Belgique, Suisse, Italie et Algérie avec Frantz Fanon notamment à Blida. Bonnafé, Le Guillant, Tosquelles, Oury, Gentis, Chaigneau, Lainé, Baillon, et plusieurs autres psychiatres participeront à toutes ces formations. La loi de 1971 sur le formation professionnelle permanente accélère et généralise le développement des stages et en 1975, près de cinq cent soignants, instructeurs non permanents des CEMEA, ont assuré avec les permanents de l’association, non seulement les stages, mais les nombreuses activités de formation auxquelles ont participé près de cinq mille personnes.

En 1953 après un séjour à Saint-Alban, Jean Oury créée la clinique de La Borde, lieu qui deviendra emblématique de la psychothérapie institutionnelle. Jean Oury qui a toujours défendu la fonction thérapeutique des infirmiers, n’a eu de cesse de rappeler jusqu’à sa mort en mai 2015, combien les Cemea avaient été importants dans la formation des soignants par la nécessité d’allier la pédagogie et la psychothérapie. Il a toujours pensé que les premirs stages ont été des lieux fondamentaux de l’expression de la parole infirmière qui ont contribué à la création du diplôme d’infirmier psychiatrique, depuis disparu. Des stages pour transmettre non pas un modèle, une théorie; transmettre pour élaborer toujours et encore. Penser sa pratique par la confrontation des idées et préserver la créativité indispensable des équipes.

En1954, création de la revue VST ( Vie Sociale et Traitement ), première revue de compte-rendus de pratiques infirmières. Entre les années 60 et 80, tous les établissements psychiatriques étaient abonnés à VST. L’aura de la revue se vérifie à cette période par plus de 4000 abonnements sur le territoire national et dans plusieurs pays. Beaucoup moins d’abonnés aujourd’hui c’est vrai; mais VST avec quatre numéros par an qui traitent de l’actualité des questions de psychiatrie et du travail social,  reste une revue de référence.

En 1957 et 1958, se réunit « le Groupe de Sèvres » qui au cours d’une dizaine de réunions rassemblant des psychiatres et des responsables des CEMEA réfléchissent à un modèle de réforme de la psychiatrie et à la place et au rôle des infirmiers. La psychiatrie de secteur était née et c’est de ce travail foisonnant et dans la dispute que en 1960, le 15 mars exactement, une circulaire du ministère de la santé définit les grandes lignes de la psychiatrie de secteur. Suit en 1973 la création du diplôme d’Infirmier de Secteur Psychiatrique, délivré après trois années de formation dans les écoles des établissements.

En 1973, Tony Lainé quitte l’hôpital de Poitiers dans lequel avec les Cemea, il a insufflé une autre manière de soigner ( activités, journal, fête, théâtre). Arrivé à l’hôpital d’Étampes, les années qui vont suivre verront la mise en place de structures innovantes pour la prise en charge des enfants psychotiques et autistes.  Cette même année, Tony Lainé prononce une conférence dans un regroupement des Cemea sur l’activité manuelle qui une fois rédigée deviendra le texte l’Agir, texte de référence du mouvement.

En 1982 et 1984, le secteur ESM ( Equipes de Santé Mentale) des Cemea organisent deux évènements à la fois décentralisés en province et nationaux :   « Psychiatrie en chantiers », évènements qui rassembleront près de mille personnes à Montreuil et 600 Porte de La Chapelle à Paris.

En 1990 est promulguée la circulaire du 14 mars qui réforme la conception de la santé mentale en France. C’est le début des mesures budgétaires de restriction des moyens ( réduction conséquentes des lits et des personnels au nom d’une meilleure gestion). Et en 1992 est décidé la suppression du diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique. Un seul diplôme celui d’IDE ( infirmier diplômé d’Etat) est alors reconnu et dans les cursus de formation, les heures d’enseignement consacrées à la psychiatrie deviennent portion congrue et la spécificité du métier disparaît. Dans ce nouveau contexte traversé par la rigueur budgétaire, la formation continue en psychiatrie prend de nouvelles allures et pour les CEMEA, c’est une diminution conséquente des stages qui s’opère et par la même, la diminution du nombre de militants et les relais dans les établissements des conceptions de l’accueil de la folie et du soin que nous portons.

Mais c’est aussi dans cette période, en 1999, la première édition des RVSM (Rencontres Vidéo en Santé Mentale). A l’initiative de l’hôpital de Maison Blanche, l’association l’Elan Retrouvé et les Cemea à partir des premiers stages autour de la vidéo comme outil de soin. Évènement original et unique qui sur deux jours projètent des films réalisés, interprétés et écrits par des patients et des soignants en présence de ceux-ci. Depuis 2004, cette manifestation se tient à la Cité des sciences de la Villette avec plus de 600 personnes. 2017 sera la 18ème édition : une soixantaine de films et une dizaine de débats dans une ambiance chaleureuse.

En 2008, en décembre, N. Sarkozy alors président de la république en visite à l’hôpital psychiatrique d’Antony prononce un discours, discours sécuritaire qui laisse en sidération les présents et qui amalgame folie et dangerosité. Des moyens sont alloués dans les mois qui suivent pour sécuriser les établissements ( caméras, barrières) et influer sur les pratiques soignantes ( mise en isolements  plus fréquentes, banalisation des contentions,…). Quelques jours après ce discours, en réaction est créé le « Collectif des 39 ». Le directeur national des Politiques Sociales des Cemea est sollicité pour en faire partie au nom de la place des CEMEA dans l’histoire de la psychiatrie et de la formation. Le 15 décembre, le journal Libération fait sa une sur « l’Appel des 39 », un texte qui dénonce le discours sécuritaire de Sarkozy et propose une autre façon d’accueillir la folie. Un grand meeting le 07 février 2009 est organisé à Montreuil en présence de plus de 2000 personnes et de nombreux responsables politiques. D’autres meetings ou évènements suivront régulièrement dont notamment, les 31 mai et 01 juin 2013, les « Assises citoyennes de la psychiatrie et du médico-social » organisées par les 39 et les Cemea à Villejuif devant 1000 personnes.

En 2014, les 14 et 15 novembre, les CEMEA et l’API ( association des psychiatres infanto-juvéniles) organise un colloque en référence aux travaux et engagements de Tony Lainé : « La raison du plus fou, Tony Lainé, penser la psychiatrie aujourd’hui » avec 400 personnes.

Aujourd’hui le secteur psychiatrique des Cemea est animé par une dizaine d’associations territoriales qui rassemble une centaine de militants actifs. Un catalogue national est diffusé et entre 80 et 100 actions de formation sont réalisées chaque année. Ce secteur est fragile et le contexte difficile, mais c’est toute l’originalité d’un mouvement d’Education Nouvelle que de prendre en considération la personne dans son intégrité psychique quand cette dernière est altérée car « Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît » (François Tosquelles).

Dominique Besnard

Psychologue, ancien directeur national des Cemea.

Les ceméa et la santé mentale. Le regard d’un compagnon de route : Pierre Delion

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