>Bird et la loi du 5 juillet 2011

 

Imaginez le topo. Charlie Parker, dit Bird, « réside » sur la côte ouest des états unis depuis quelques mois. Il a décidé d’y vivre, tout comme Stravinsky et Schonberg, lui le grand saxophoniste « be-bop », mais les choses ne se passent pas comme prévu.  La drogue y est quasi introuvable et chère. Il doit boire plus qu’à l’accoutumée. Il dort dans des taudis. Il est mal fagoté, inconnu à Los Angeles, mal en point, sans le sou, un pauvre bougre noir. Personne ne sait qu’il est celui qui vient d’enregistrer une version d’anthologie du thème « Cherokee », la version qui donne le vertige et révolutionne le jazz. Il était un héros à New York, enfin à Harlem et sur la 52 ° rue, le voici plus rien à Los Angeles.

Son producteur le cherche. Il reste introuvable. Les copains partent à sa rencontre. De longues rues partent de la mer pour n’arriver nul part. Les voitures jouent parfois à poursuivre les pauvres vagabonds noirs au cours de rodéos macabres. On finit par le trouver et à le trainer dans la salle d’enregistrement. 

Le voici assis sur une chaise, le sax à ses pieds, perdu et absent. Il est en crise, en manque, et s’est « soigné » avec ce qui lui est tombé sous la main : du porto et des pilules . Le trompettiste entame un thème à un tempo d’enfer, un de ces tempos dont Bird se servait pour larguer les mauvais coucheurs. Pas de réponse, pas de Bird, il était incapable de suivre la logique qu’il avait lui-même inventée. 

Son producteur et son associé sont à la technique, derrière la vitre du studio. Le jeune frère de l’associé y est également. Il est psychiatre et fournit parfois de la méthadone. Il fait avaler 6 comprimés de Phénobarbital à Bird. Celui-ci finit par prendre son sax et bredouille « Lover man », une ballade, un tempo lent, les musiciens ouvrent et il va réussir à jouer. L’enregistrement est poignant, bouleversant, des salves de désespoir. 

Puis, c’est la descente aux enfers. Bird retourne à son hôtel. Il sort à plusieurs reprises de sa chambre, nu, comme souvent, réclamant auprès du concierge de pouvoir téléphoner à sa femme. On finit par l’enfermer dans sa chambre. De la fumée passe sous la porte. Sa cigarette brûle le drap. On appelle les pompiers, la police. Les policiers assomment ce grand gaillard qui s’est sans doute défendu. On l’attache, l’embarque. Les copains mettent plus de 10 jours à le retrouver. Il est en prison, en garde à vue psychiatrique, camisolé, en cellule.

Il est passible de 6 mois de prison au regard des faits mais un psychiatre expert a évoqué une aliénation mentale et des passages à l’acte de nature psychotique. Le juge doit statuer. Son producteur (blanc), le jeune psychiatre (blanc) tentent d’expliquer au juge la dimension du prévenu. 

Au bout de quelques jours, le juge ne croit pas en l’aliénation mentale de Bird mais prononce tout de même une hospitalisation à Camarillo, un lieu psychiatrique de soins. Il échappe ainsi de peu à la prison, et grâce à ses connaissances, à l’hospitalisation dans un des 2 endroits dont on ne sortait pas : des lieux pour malades psychiatriques dangereux dans lesquels les noirs ayant présenté des troubles du comportement se retrouvaient souvent. On y mourrait beaucoup, et pas de vieillesse.

Camarillo avait un programme de soins contre les addictions à la drogue et à l’alcool. Ce n’était pas du luxe concernant Bird mais de là à ce que cela dure 6 mois…. ? 

Il en sortira parce qu’un résident « crédible » californien s’est porté garant, une vieille loi dénichée par l’avocat de Bird. Les copains avaient commencé à imaginer une évasion.

Dans des circonstances pareilles, comment et pourquoi porter un diagnostic qui se voudrait définitif ou qui pourrait avoir des conséquences définitives ?

Bird se droguait, soit, mais pas tellement plus que la moyenne des boppers et essayez donc de souffler dans un sax huit heures par jour sans quelque stimulant ! Essayez juste une demi-heure ! Essayez de voir quel effet ça fait d’avoir révolutionné le jazz, de s’être tué à la tâche, d’être un très grand musicien, d’en être au fait  et d’être condamné à jouer des thèmes de 32 mesures dans des bouges enfumés pour un public d’alcooliques ! Le soi-disant destin des musiciens noirs. Comment jouer dans des jam-session de 2h à 6h du matin, les laboratoires du jazz, une fois que vous avez fini de faire danser les blancs, comme à Kansas City, sans prendre « un petit remontant » ? Le jazz y reprenait dès 9h le matin.

Bird pensait que la 52° rue à New York (la rue du jazz à Manhattan dans les années 40) s’écroulait avec la fin de la guerre parce que la police et l’armée avaient décidé d’y fermer tous les bars. Ils avaient effectivement tenté de le faire. C’est une grande partie de son univers que Bird voyait disparaître. Où jouer sa musique ? Bird se redoutait bientôt sans « home », sans scène, enfermé à Harlem, lui qui avait conquis l’Europe.

La 52° rue avait une arrière-cour : le club de Billy Berg à Los Angeles et c’est pourquoi il part pour l’ouest. Il y est inconnu du public, « sideman » et non soliste, sans le sou, en gros …. rien. Vous connaissez désormais l’histoire ; Il s’y écroule et c’est à ce moment là que l’on porte à son encontre un diagnostic. Etait-ce vraiment nécessaire ? Une crise doit-elle concentrer de tels jugements ? Est-ce « scientifiquement » légitime ?

Il a été diagnostiqué psychotique, aliéné, schizophrène, à deux reprises, à chaque fois au détours d’une crise existentielle aigüe ( la seconde fois après la mort de sa fille). En dehors de ces crises, Bird ne présentait pas de pathologie psychiatrique si ce n’est qu’il se droguait ….. comme la plupart des musiciens de jazz de cette époque. Cela n’empêchait pas un parcours d’exception.

C’était un surdoué, un génie musical, un visionnaire. Un noir, libre et entravé comme personne, qui fit gagner au jazz de nouveaux titres de noblesse.

Et pourtant, à coup sûr, de nos jours, Bird aurait « bénéficié » de soins sans consentement, pourquoi pas, mais aussi sans doute de soins en ambulatoire obligatoires s’il avait vécu en France. A défaut d’altérer la gamme, cela aurait altéré sa créativité et sa présence au monde. Imaginez : Bird sous neuroleptique retard toute sa vie pour deux crises de quelques jours, sans son consentement, sans sa collaboration à son traitement et surtout sans horizon partagé avec son thérapeute. 

Cette marque, un traitement obligatoire à domicile sous peine d’hospitalisation dans un lieu psychiatrique pour récalcitrants avec inscription dans un fichier, aurait donc sanctionné 2 crises pour une période indéfinie.  

Le juge avait choisi Camarillo pour Bird, un lieu de soin, mais que se serait-il passé si les copains avaient été absents, si un psychiatre de sa connaissance n’était pas intervenu : la prison ou un établissement dont on ne sortait pas.

Billy Holiday, Wardell gray, Howard McGhee, Bud Powell, Lester Young, etc….. n’ont pas eu autant de chance.

Ces 2 crises sont-elles ce qui caractérise le plus la vie de Charlie Parker ? Sont-elles isolables du reste de son existence et méritent-elles une sanction en tant que tel ?

 Le traitement obligatoire en ambulatoire étale en l’occasion sa démesure. 

Charlie Parker n’était pas commode et n’en faisait qu’à sa tête, Dieu merci. Il aurait balancé tous les conseils des « blanc-bec » qui auraient soi-disant désiré son bien. Que soupçonnaient-ils des conditions de vie d’un musicien noir, qui plus est d’avant-garde ? 

Son consentement se méritait et il savait de quoi il parlait.  La ségrégation, le « séparés mais égaux », les lois de 1894 , il connaissait jusqu’à plus soif.

La ségrégation aux USA ne reposait pas sur le principe de précaution à l’égard de la dangerosité supposée comme aujourd’hui en France mais sur la couleur de peau. 

Un Noir pouvait-il faire de la musique savante et porter le jazz à la dignité de la musique de chambre ? Un Noir était-il capable d’un tel degré de « civilisation » ?  Bird, en a payé le prix, mais a répondu à ces questions.

La ségrégation est susceptible de fausser bien des jugements et peut être même de rendre sourd…… Merci Bird.

Patrice Charbit

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10 réflexions sur « >Bird et la loi du 5 juillet 2011 »

  1. Joli plaidoyer qui démontre bien le deux poids, deux mesures…
    Je ne souffre d'aucune pathologie psychiatrique (attesté par 3 psychiatres), Je ne me drogue pas, je ne bois pas, je suis bien insérée socialement,  j'ai souffert comme ça arrive parfois et j'ai subi 9 jours d'incarcération; j'en suis sortie complètement traumatisée ( attesté par 3 psychologues, certains vrais amis et mon mari qui se mord les doigts !)
    J'aurais dû ne pas arrêter le saxo !

  2. Bonjour
    Je suis très surpris de la phrase:
    Bird se droguait, soit, mais pas tellement plus que la moyenne des boppers et essayez donc de souffler dans un sax huit heures par jour sans quelque stimulant !
     
    L'article laisse entendre qu'il serait acceptable pour un grand artiste de prendre des "remontants", autrement dit de se shooter pour "tenir le coup.". On revient sur les débats du 19° siècle concernant par exemple Baudelaire ou Rimbaud et leur absinthe et drogues diverses.
    Rien ne démontre que des excitants étaient nécessaires à leur travail et à leur génie, pas plus que pour Bird. 
    Cela mériterait donc un débat plus approfondi.
    Qui va t'on "autoriser" à se droguer, pour la raison qu'ils peuvent avoir du génie? Comme dit l'intervenante précédente, deux poids deux mesures. Cela revient de fait à banaliser le problème, qui reste tellement sérieux.
    Bird  a été soigné, apparemment parfois de manière brutale, mais je ne m'exprimerai pas sur les méthodes américaines. Nous avons suffisamment à faire avec la loi sur les soins sans consentement.
    Enfin, les drogues, et je crois que cela a été démontré pour le hash, peuvent faciliter l'apparition de la shizophrénie ou d'autres troubles graves. De même l'absinthe avait à la longue des conséquences terrifiantes.
    Donc je ne vois pas la place de cet article dans l'argumentation juste des 39.
     
     
    .
     

  3. Puis-je me permettre de contredire ton argument?
    La question n'est pas de savoir si oui ou non un artiste a le droit de se droguer, il est simplement écrit que pour tenir longtemps dans le jeu, il utilisait des stupéfiants. Rien avoir avec un éventuel impact sur la créativité, on parle d'endurance donc aucun rapport avec ce débat du 19e siècle.
    D'autres part, personnellement je ne trouve pas le phrase banalisante au vu du reste de l'article qui ne présente tout de même pas les substances qu'il prenait sous leur meilleur jour.

  4. @tmasnou @Christel : l'article, à mon sens, ne laisse rien entendre, l'amalgame visant à vouloir faire dire à son auteur que "la drogue c'est bien pour les génies" est justement celui qui est utilisé par les "formalistes des maladies mentales" qui ont inventé la nouvelle loi de soins sans consentement, et disent en substance : "la drogue, la folie, c'est mal, on va les soigner contre leur gré".
    Bird prenait des drogues, oui, il était en souffrance, en difficulté, et pour autant il créait, et de façon magistrale. Si prendre des drogues est un délit, alors être fou est aussi un délit. Parce que l'usage de drogue est un acte d'auto-destruction, ou un moyen de supporter l'existence, de "tenir bon" face à une trop grande pression, ce qui était le cas de Bird. Et les politiques de la société formaliste, moraliste, conformiste, qui est la notre, n'ont qu'un seul but : qu'aucune tête ne dépasse, que la petite bourgeoisie tranquille et peureuse soit la règle. Quitte à enfermer un génie de la musique et l'empêcher de pratiquer son art, parce qu'il "prend des drogues", "ne se conforme pas au comportement normal". Un fou n'est pas qu'un fou, un fou est aussi une personne qui créé, sa folie même a un sens. Le nier pour rentrer dans l'écrasement d'une pathologie, c'est ça qui est dangereux.
    Alors, le débat n'est pas de savoir si on laisse les génies prendre des drogues, ou savoir si le hash est dangereux ou pas…
    Le débat est celui de savoir si vouloir le bien des autres à tout prix, de normaliser les hommes et les femmes, de vouloir abolir les comportements déviants de la norme au lieu d'essayer de les comprendre, de contraindre au lieu d'essayer d'aider les personnes qui "en bavent", est une bonne voie.
    Mais dernière chose : Bird a-t-il demandé de l'aide ? Parce que vouloir le bien des autres "à tout prix", sans leur consentement, c'est peut être là le problème. Et la place de cet article dans l'argumentation des 39 me paraît au contraire très pertinente.

  5. Effectivement, je partage votre avis et votre réflexion que vouloir le bien de l'autre à tout prix , c'est peut-être là le problème; je ne cesse d'ailleurs de le dire dans les commentaires que je poste. Et que bien souvent est ignoré ce qui amène une personne " a craqué" (le jeu des interactions familiales, sociales, culturelles etc etc, c'est à dire tout ce qui façonne la personne que l'on est, d'autant plus que nos comportements, notre personnalité ne sont pas figées mais évoluent en fonction de nos expériences ). Il est aussi intéressant de se demander ce qui se cache derrière "ce vouloir le bien à tout prix" car les mécanismes inconscients ne sont pas tous derrière la personne en souffrance.
    Donc pour ma part, puisque vous m'associez à tmasnou, je trouve que vos deux articles sont très pertinents.

  6. Je vous associais pour une raison simple : vous commenciez par "Joli plaidoyer qui démontre bien le deux poids, deux mesures…", et finissiez ironiquement par "J'aurais dû ne pas arrêter le saxo !".
    Vous établissiez aussi les choses suivantes : "Je ne souffre d'aucune pathologie psychiatrique (attesté par 3 psychiatres), Je ne me drogue pas, je ne bois pas, je suis bien insérée socialement,  j'ai souffert comme ça arrive parfois et j'ai subi 9 jours d'incarcération…
     
    Celui qui a une pathologie attestée par 3 psychiatres, ou bien se drogue, boit ou n'est pas bien inséré socialement, celui-ci devrait-il subir 9 jours d'incarcération, alors que vous, non ?
     
    Je ne vous dis pas cela pour vous attaquer, mais simplement pour réfléchir sur cet aspect des choses que j'envisage comme excessivement dangereux : la normalisation comportementale.
     
    Parce que la "normopathie", c'est le début du fascisme. Un normopathe (j'utilise ce terme ironiquement, vous vous doutez bien), c'est une personne convaincue qu'elle doit se conformer à ce que la société lui indique, qu'elle est bien en accord avec la norme établie, et que les autres doivent faire de même.
     
    Au point que si elle doit faire le salut nazi et attester de sa haine des juifs, elle le fait.  Et attend que les autres fassent de même. C'est la norme.
     
    Il est donc important de reconnaître qu'il n'y a pas des personnes méritant des incarcérations psychiatriques "justes" : parce qu'elles boivent, se droguent ou ont des pathologies attestées par 3 médecins (seraient-ils infaillibles, tout puissants ces médecins qui attestent ou non d'une pathologie ?) et d'autres subissant des incarcérations "injustes" par se conformant quotidiennement à la norme établie et n'étant pas attestés par ces docteurs classificateurs.
     
    Tout enfermement de l'individu est injuste. Forcément.
     
    Mais il ya des gens qui ont besoin d'être protégés d'eux-mêmes et des autres à des instants clés de leur vie, et d'être protégés, avec une aide thérapeutique. Qu'ils soient alcooliques, drogués, bien insérés ou non, ou socialement et hygiéniquement parfaits.
     
    Et s'ils ne veulent en aucune manière être aidés (et n'empêchent pas les autres de continuer à vivre comme ils l'entendent), ce qui était le cas de Bird, et bien il est inacceptable de les contraindre.
     
    Parce que le plus souvent, ce sont les personnes dans la norme, qui lorsqu'elles "sortent des clous", dérangent profondément leur environnement proche, les structures bien normalisées dans lesquelles elles sont installées depuis toujours. Et ce sont ces structures, environnements proches qui vont vouloir leur "bien à tout prix" et les enfermer pour les faire "revenir à la raison". Comme eux-mêmes l'auraient fait, d'ailleurs.
     
    Les personnes des milieux hors-normes dérangent moins autour d'elles, puisqu'elles dérangent peu ceux qui les entourent et qui n'ont pas décidé de ce qui était "bien ou mal" précisément. C'est souvent le cas des milieux de musiciens, où l'on accepte des comportements hors-normes (délire, alcool, drogues etc…).
    Tout cela pour dire : il est complexe et très subtil de déterminer comment l'aide contre son gré peut être amenée.
     
    Laisser quelqu'un se suicider qui a un coup de folie est-il acceptable ? 
    Laisser quelqu'un perturber totalement sa famille par sa folie ? La famille ne peut l'accepter, ne peut le supporter, elle va demander à hospitaliser la personne, pour son bien… pour préserver la famille
     
    Comment les proches peuvent-ils faire ? Ou s'arrête la liberté, ou commence l'abus d'autorité ?
     
    Peut-on déclarer qui a vocation à être interné et qui n'a pas vocation ?
    Mais au final, le problème n'est-il pas qu'un internement "pur", sans aide thérapeutique autre que la prise de médicaments est constitutionnellement inacceptable au pays des droits de l'homme ?

  7. Je vous entends parfaitement et je partage une nouvelle fois votre avis; mon commentaire se voulait aussi une boutade parce qu'il existe des différences notables entre les établissements. Je rebondis sur votre remarque "Laisser quelqu'un perturber totalement sa famille par sa folie ? La famille ne peut l'accepter, ne peut le supporter, elle va demander à hospitaliser la personne, pour son bien…" que pensez-vous du fait lorsque c'est la famille qui amène la personne a craqué ? qui fait subir une pression telle que la personne se retrouve vidée de toute force ? et que de fait la personne internée se trouve stigmatisée puisque la dite famille ne se remet absolument pas en question, bien au contraire le passage en HP amènera la fameuse normalisation dont vous faites état ? d'autant plus que dans mon cas, cette incarcération s'est fait dans de telles conditions d'illégalité et de déshumanisation que j'en suis sortie traumatisée…Où se trouvait l'aide ? Je puis vous assurer qu'il n' y en a eu aucune, par contre de la maltraitance oui. Aujourd'hui, je me reconstruits, j'évacue ce cauchemar; il est vrai que à présent je me positionne beaucoup plus, je ne me laisse plus faire car j'ai pu voir jusqu'où pouvait aller ces personnes qui me voulaient tant de bien car ils ne me voulaient du bien que dans la mesure où je rentre dans le cadre de leur vision normative comme vous le soulignez justement.  Tout enfermement est injuste, c'est vrai, ce qui l'est encore plus est la façon dont vous êtes traité; si j'avais été dans un établissement tel que vous (ou d'autres) le décrivez sans doute aurais-je moins souffert mais de fait dans mon cas, on s'est débarrassé d'un paquet encombrant qu'il fallait ramener dans le droit chemin de la vertu et de la morale ( la norme ). A ma sortie, les faits l'ont prouvé, ma santé, mon bien-être importaient peu même pas du tout, il aurait fallu que je fasse acte de contrition  puisque je suis" une salope démoniaque" selon ma mère. Je peux vous assurer qu'il faut du courage et du soutien (j'en ai trouvé heureusement mais dehors !).
    Je vous remercie pour ces échanges et je trouve aussi qu'un internement "pur" sans aide thérapeutique autre que la prise de médicaments est constitutionnellement inacceptable au pays des droits de l'homme ! mais que parfois pas d'internement du tout, du moins pas fait dans l'urgence serait tout aussi acceptable.
    Merci docteur Charbit.

  8. Que pensez-vous d'un psychiatre qui vous répète: "Vous êtes seule, personne de veut de vous, on vous garde parce que personne ne veut de vous !", ce n'était pas:" votre famille s'inquiète, mais personne ne veut de vous"…Il avait  raison mais c'est quand même assez violent en terme d'aide thérapeutique d'autant plus que pour sortir il fallait que donc quelqu'un veuille de moi ?  Où était donc ma liberté individuelle au pays des droits de l'Homme ?

  9. Que pensez-vous d'un psychiatre qui vous répète: "Vous êtes seule, personne de veut de vous, on vous garde parce que personne ne veut de vous !", ce n'était pas:" votre famille s'inquiète, mais personne ne veut de vous"…Il avait  raison mais c'est quand même assez violent en terme d'aide thérapeutique d'autant plus que pour sortir il fallait que donc quelqu'un veuille de moi ?  Où était donc ma liberté individuelle au pays des droits de l'Homme ?
    J'ai aussi perdu plus de 10 kg en 3 mois suite à cette contrainte et la maltraitance subie et j'ai gagné 3 mois de terreur, c'est chouette non ? parce que ma vie ne tenait qu'à ce qu'on supposait de moi et ce qu'on en voulait !

  10. il ne s'agit bien évidemment pas, de faire, à quelque titre que ce soit, l'éloge de la drogue. Celle-ci a tué nombre de jazzmen et notamment ceux du bebop. Beaucoup de jeunes musiciens se sont drogués, "comme Bird", espérant s'approprier ainsi du génie, ce qui revenait à pas mal le mépriser d'ailleurs: cela a non seulement échoué mais beaucoup en ont pâti voire en sont morts. La poudre ne rend pas génial, ça se saurait. La drogue est dangereuse et pour tout le monde.
    Nous pouvons tout de même interroger les choses et se demander pourquoi la drogue était si répandue et pourquoi elle l'est plus encore à ce jour et pas uniquement dans les milieux d'avant-garde?
    Bien sûr que les musiciens bebop sentaient le souffre,  nés dans des conditions sociales particulières, que les gosses de 13 ans livrés à eux-mêmes qu'ils avaient été parfois se réfugiaient dans ce qui se présentait le plus rapidement à eux et qu'on leur collait sous le nez. La vraie question est sans doute de se demander pourquoi on en trouve partout? Pourquoi la fuite dans la drogue est-elle si empruntée?
    On ne s'en sortira pas en répétant à souhait que c'est pas bon pour la santé… surtout si, du temps de Bird, on livrait les enfants aux dealers dans les ghettos, si la ségrégation tuait l'espoir dans l'oeuf, si les noirs étaient des égaux pendant les guerres mondiales sur le front et ne l'étaient plus dès qu'elles finissaient. 
    Bird a menacé d'étrangler de ses mains un jeune s'il le reprenait à se droguer. Il avait conscience du danger et essayait d'en préserver qui il pouvait. il n'était pas un exemple, c'est le moins que l'on puisse dire. Au médecin qui l'auscultait 15 jour avant sa mort et qui lui demandait s'il buvait, Bird répondit:" un doigt de cherry après le dîner".
    Le médecin pensait être devant un homme de 65 ans, il en avait pas 35…. Cette phrase fit le tour des boîtes de jazz dans la nuit même. Le moins que l'on puisse dire est que cela ne rigolait pas, qu'il y avait grand danger et que c'est dans ce contexte qu'il faille placer l'incidence de la drogue. Le produit ne se promène pas tout seul.
    La vie de Bird me semble paradigmatique de la démesure, parfois, d'un certain discours scientiste. Vouloir faire un diagnostic psychiatrique à tout prix, surtout en période de crise est probablement une hérésie.
    Décrire une crise, parer au plus pressé, soit. Ne pas attendre quelque temps avant d'émettre un avis définitif qui pourrait avoir des conséquences graves, surtout si les soins se raréfient et que les avis ne trouveront que peu d'occasions d'être remis en question, c'est une autre chose.
     
     
     
     

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