Lettre à Madame Ségolène Neuville

Docteur François CLAUS

À
Madame Ségolène NEUVILLE
Secrétaire d’Etat
Chargée des Personnes Handicapées
14 avenue Duquesne
75007 PARIS

Montpellier, le 23 mai 2016
Madame,
Pédopsychiatre de Service Public depuis 35 ans, je me permets de retenir votre attention quelques minutes pour vous soumettre quelques réflexions.
Le débat autour de l’autisme m’inquiète depuis très longtemps. Ces derniers temps, il m’effraie par son sectarisme, son approche univoque et son refus du débat apaisé.
L’émission à laquelle vous avez participé sur France 2 en est une illustration : un débat où l’on invite que des personnes défendant une même idéologie sans aucun contradicteur sur une chaîne de service public qui devrait avoir un souci de pluralisme.
Mais pour aborder le fond :
Les recommandations de « bonnes pratiques » de l’HAS devraient être benoitement acceptées et mises en pratique par tous, professionnels et parents, sans critique.
Or, ce rapport qui a le vernis de la science se révèle, à l’étude, plutôt contestable.
Quelques remarques :
· Un nombre non négligeable de personnes ayant participé aux travaux ont émis un avis non conforme dont des universitaires reconnus. Un rapport qui est loin d’être consensuel.
· ABA est la méthode préconisée selon ce rapport. Cependant même ces experts lui ont donné le grade b (présomption scientifique) et non a (preuve scientifique établie)
· Nombre d’études montrent que cette méthode est loin d’être la panacée. Le taux de 43 % de résultats positifs de l’étude princeps de LOVAAS s’avère entaché de nombreux biais en particulier dans la sélection des échantillons et des critères retenus (articles de Victoria SHEAH et de Régine Castaing. Les études plus récentes ne sont guère plus concluantes – voir en particulier article de Jean Claude Maleval et de Michel Grollier qui indique des résultats positifs encore plus inférieurs).
· Le renforcement aversif qui était préconisé par LOVAAS y compris choc électrique serait abandonné en France mais pas complètement.
· Votre ministère pourrait diligenter une enquête sur l’éventuelle maltraitance par ABA dans les établissements pratiquant cette méthode.
· Des vidéos de séances ABA circulant sur internet montrent des enfants confrontés à des situations de détresse anxieuse sans réaction des professionnels.
· Pour poursuivre sur ce sujet de la maltraitance, vous venez d’interdire la pratique du packing. Cette méthode a des indications très précises et très restreintes – des cas dramatiques d’enfants automutilateurs – donc finalement très, très peu de situations. Une étude devait être faite, confié au Pr Pierre DELION. Personnellement, je n’ai pas eu connaissance des résultats de cette étude et suis surpris d’une décision d’interdiction aussi rapide avant même publication de l’étude.
· ABA commence à être critiqué et remis en cause dans les pays initialement promoteurs (EU et Canada). La France suivra dans 20 ans ?
· La méthode DENVER (également critère b pour l’HAS) est un dérivé d’ABA pour petits. Elle s’adresse aux enfants de 12 mois à 3 ans. Or les recommandations de l’HAS préconisent de ne pas porter le diagnostic d’autisme avant 24 mois. L’HAS ne s’est pas ému de cette contradiction chronologique ?
· Les méthodes psychanalytiques « non consensuelles » reposent sur l’absence de preuve scientifique. En fait, l’HAS a refusé d’étudier les travaux portant sur les monographies d’enfants autistes, seule méthode d’approche possible pour étudier les effets de ces méthodes. Elle privilégie l’étude de cohortes que ces méthodes ne permettent effectivement pas.
· Des nouvelles méthodes d’apparition plus récente mériteraient d’être étudiées. En particulier, l’Affinity Thérapy qui s’appuie sur les trouvailles singulières de chaque enfant. Elle se situe à l’inverse d’une méthode unique qui serait valable pour tous, mais part des ébauches de solution qu’a déjà trouvée chaque enfant individuellement. Le livre de Myriam PERRIN « Affinity therapy » est, à ce sujet particulièrement intéressant.
· Quelques associations de parents, pas forcément représentatives ont pignon sur rue et investissent l’espace médiatique. D’autres plus discrètes comme « La Main à l’Oreille » dont l’approche est relativement différente mériteraient plus d’écoute de la part des tutelles et des médias.
Depuis le début de ma pratique je suis très sensible à la détresse des familles que j’ai accompagnées au plus près de leurs souffrances au quotidien. Je pense qu’elles méritent le plus grand respect et surement pas d’être manipulées ou instrumentalisées.
Ces injonctions dogmatiques et scientistes sont très difficiles à vivre et décourageantes pour des professionnels engagés dans le soin avec un souci permanent de formation depuis des années.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de mes respects les plus sincères.
Docteur François CLAUS

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