Lettre ouverte à Madame Marisol Touraine et Madame Ségolène Neuville

N’hésitez pas à reprendre cette lettre en partie ou en totalité pour l’adresser à: 

Madame Marisol Touraine 

Adresse twitter @MarisolTouraine

Adresse postale : Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, 14 Avenue Duquesne, 75007 Paris

Madame Ségolène Neuville

Adresse twitter @s_neuville

Sur le site : http://www.segoleneneuville.fr/

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Paris, 27 mai 2016

Lettre ouverte à
Madame Marisol Touraine,
Ministre des Affaires sociales et de la Santé
Madame Ségolène Neuville,
Secrétaire d’Etat aux Personnes Handicapées

Mesdames les Ministres,
C’est avec consternation et colère que nous avons pris connaissance de la circulaire du 22 avril 2016 « relative aux orientations de l’exercice 2016 pour la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes handicapées et des personnes âgées ». Cette circulaire, que vous avez conjointement signée, porte interdiction à tout service ou établissement accueillant des personnes handicapées de recourir à la technique dite « du packing », sauf à voir compromis son financement par l’Etat.
Nous nous élevons fermement contre cette interdiction. Une telle décision constitue une dérive grave dans la mesure où prescrire comment soigner ou traiter telle ou telle pathologie dépasse outrageusement le cadre de ce qui peut entrer dans un texte de financement. Depuis quand un législateur ou un administrateur, un gestionnaire ou un technocrate aurait-il compétence pour décider comment soigner un enfant ou un adulte ?
On ne peut que s’interroger sur les raisons de votre précipitation à profiter d’une circulaire sur le financement des services et des établissements de soin pour condamner sans appel le packing et ce, avant même que la commission pluridisciplinaire d’experts de l’INSERM chargée par vos soins d’en évaluer l’intérêt thérapeutique n’ait rendu ses conclusions. Est-ce parce que celles-ci s’annonçaient trop favorables et ne confirmeraient pas son supposé caractère maltraitant ?
En quoi le fait que des associations de familles mettent en cause le packing suffirait-il à invalider son utilisation par des professionnels compétents et bienveillants, eux-mêmes soutenus par d’autres associations de parents, le Rassemblement pour une Approche des Autismes Humaniste et Plurielle (R.A.A.H.P.) [1] par exemple ? Sur quels arguments vous fondez-vous pour disqualifier l’action d’équipes soignantes formées et expérimentées qui l’utilisent avec discernement, en accord avec les familles ? Le soulagement et l’apaisement qu’il procure à des patients gravement autistes ou psychotiques qui s’automutilent, au péril de leur vie parfois, ne suffisent-ils pas à écarter l’accusation de maltraitance dont vous l’épinglez ?
Mais il y a plus dans cette circulaire. Il y a pire même : ce que nous lisons en effet dans votre texte, au-delà de l’interdiction du packing, c’est la volonté de discréditer en raison de leur orientation théorique des équipes soignantes engagées depuis des années auprès d’enfants et d’adultes en grand désarroi et en grande souffrance psychique. Lesquelles ? Celles qui refusent de marcher au pas que cherchent à leur imposer des gestionnaires sous influence de lobbies vantant la supériorité supposée d’une éducation opérant sur le mode du conditionnement, une éducation qui rime sinistrement avec rééducation et dont les bénéfices pour les patients grands et petits, sont loin d’être aussi confirmés qu’on le prétend.
Sous prétexte de lutte contre la maltraitance, vous en venez à confisquer aux personnels des services et des établissements de soin qui œuvrent avec patience et créativité, la responsabilité et le choix de leurs outils thérapeutiques. Ne craignez-vous pas de vous faire ainsi les agents d’une autre maltraitance, celle qui se produit chaque fois qu’une directive arbitraire s’oppose à la reconnaissance de ce que la formation, l’expérience et le partage d’une équipe soignante pourraient inventer au cas par cas pour un patient qui souffre ?
Nous vivons des heures sombres dès lors que se met en place ce qui ressemble étrangement à une chasse aux sorcières : des directives sont données pour retirer les moyens de travailler à ceux qui affirment l’importance de prendre en compte la dimension inconsciente de la souffrance psychique. Les attaques venues des différentes directions à l’égard de quiconque se réfère la psychanalyse ou la psychothérapie institutionnelle pour éclairer et orienter sa pratique se multiplient. Elles ont permis aux soignants de toutes disciplines – médecins psychiatres, psychologues, infirmiers, éducateurs, orthophonistes, psychomotricien, assistants sociaux, etc. – d’accompagner des enfants et des adultes sur le chemin encombré qui mène à la liberté d’être, de créer et d’aimer. Bien entendu, cette liberté n’est pas au programme des procédures et des protocoles qui sont promus par ceux qui cherchent avant tout à « normaliser » les patients. Faut-il vraiment rêver d’une société de sujets policés, parfaitement « adaptés » au monde de la performance et de la peur entretenue ? Votre volonté affichée de réglementer dans le détail les formations, les modes diagnostiques, les techniques et les abords du soin a-t-elle pour visée l’installation d’une psychiatrie aux ordres de l’Etat ? Faut-il vous rappeler quels errements et quelles funestes tragédies ont marqué l’Histoire chaque fois qu’un Etat a voulu décréter qui et comment soigner ?
Avec cette circulaire il s’agit d’un changement qualitatif gravissime, en liant le financement d’une institution à l’interdiction d’une pratique thérapeutique. Ne serait-ce pas là une démarche qui évoque des régimes anti-démocratiques ?
En menaçant de couper les fonds à tout service ou établissement dont le personnel refuserait de renoncer à ce qui fait le cœur de son métier, soigner, pour devenir les exécutants d’une méthode unique, appliquée sans souci de la relation au patient et de sa singularité, savez-vous que vous condamnez des enfants et des adultes en souffrance à se voir abandonnés à leur malheur intime ? Savez-vous que ces enfants, ces adultes, qui vont mal, qu’ils soient autistes, psychotiques, agités, inhibés, affolés, maltraités, humiliés, etc. souhaitent avant toute chose être entendus, compris, soutenus, entourés, apaisés ? Ils demandent à rencontrer des adultes prêts à risquer une parole de vérité auprès d’eux. Ils espèrent rencontrer un lieu et des gens qui soient capable d’hospitalité envers la folie. Ne redoublez pas leur malheur en les privant de l’appui de ceux et celles qui croient encore que la parole est en partage pour tous les humains, quelles que soient leur fragilité. Ne soyez pas celles qui porteront la responsabilité d’avoir transformé des lieux de soin, vivants et accueillants pour la folie, en sinistres fabriques normalisantes.
Madame La Ministre, Madame la secrétaire d’Etat, il est encore temps d’être à la hauteur de votre devoir d’humanité. Laissez-nous œuvrer en paix pour adoucir la folie et aider ceux qui errent à trouver leur voie et leur voix. Retirez de votre circulaire ce qui la dénature. Permettez-nous de continuer à prendre soin au mieux de nos forces, de notre sensibilité, de notre créativité et de notre expérience de ceux dont la souffrance nous fait appel.

Dr Hervé Bokobza – Psychiatre

Cécile Bourdais – Enseignante-chercheure en Psychologie du Développement

Yves Gigou -Ex-Cadre sup de Santé, Infirmier de Secteur psychiatrique

Dr Paul Machto – Psychiatre

José Morel Cinq-Mars –  Psychologue clinicienne

Dr Philippe Rassat – Pédopsychiatre
Psychanalyste

Pour le Collectif des 39
https://www.collectifpsychiatrie.fr

[1] Appel des 111 Parents de personnes autistes https://blogs.mediapart.fr/le-raahp/blog/160516/appel-des-111

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