>Les z’arts et l’écoute ? Les z’arts malgré les gouttes ?

En ce samedi 9 avril, d’abord il y a le soleil !

 

Le soleil le vrai, l’éclatant, qui rend joyeux et fait chaud au cœur.

 

Pas le noir, pas le soleil noir de la mélancolie qui assombrissait nombre de rencontres de professionnels, de congrès de psychiatrie au cours de ces dernières années. 

 

Pas ce soleil noir qui amplifiait, renforçait ce discours de la plainte qui nous prenait le corps, ce discours de la nostalgie de ce qui aurait été, « avant », une époque merveilleuse pour la psychiatrie de secteur… 

 

Pas ce soleil noir qui nous envahit avec cette psychiatrie bureaucratique et maltraitante qui sévit dans les hôpitaux depuis une quinzaine d’années, et qui nous fait honte.

 

Oui voilà, le soleil de ce printemps balbutiant est là avec nous aujourd’hui. 

 

Ce soleil, il inonde cette place et cette statue de Philippe Pinel que Lucien Bonnafé en son temps, voulait déboulonner. Car si Pinel a accepté d’enlever leurs chaînes aux aliénés, il a contribué à générer une psychiatrie asilaire, pensant à l’époque que ce serait un progrès, et pour cette époque, ce fut un progrès.

 

Nous, le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire, en cette année 2011, nous avons choisi d’y faire une sorte de fête. 

 

Avec la bêtise, la déraison et la violence de ce gouvernement, nous en sommes arrivés à venir sur cette place. 

 

Mais il faut d’emblée rappeler que ce fut un homme d’abord, seul, Jean Baptiste Pussin qui s’était élevé contre les chaînes qui entravaient les aliénés, les fous. C’est d’abord lui qui le premier a écouté et parlé avec les fous. Puis Marguerite, Marguerite Pussin, sa femme qui a participé à redonner leur humanité à ceux-là. C’est ce couple qui a accueilli Philippe Pinel pour son poste de Médecin de l’Hôpital de Bicêtre. Et c’est ce couple qui lui a enseigné, appris, montré que les fous pouvaient être libérés de leurs fers. Alors, il a donné officiellement en 1793 cet ordre là, enlever leurs chaînes à ces hommes de Bicêtre. Car c’était avant tout des hommes. 

 

Cette geste, est en fait exemplaire, de ce qui est pour un grand nombre d’entre nous, de ce qui a été, tout à fait similaire : découvrir l’humanité grâce à ces personnes folles, par celles et ceux qui sont en souffrance psychique, et grâce à elles, avec l’aide et le savoir-faire des infirmières et des infirmiers, avec eux, apprendre ce métier. 

 

Alors pourquoi ce rassemblement ici, avec des artistes ? 

 

Ce meeting, je l’avais appelé en plaisantant « meeting du troisième type » pour en souligner cet espoir d’un mouvement du futur, de l’avenir pour la psychiatrie. Au collectif des 39 nous avons choisi de le nommer « Meeting Politique et Poétique ». 

 

Mais qu’est ce qu’un meeting ? C’est d’abord une « rencontre », « to meet » ça veut dire rencontrer. 

 

Alors voilà, une rencontre, car c’est de la rencontre que peut naître, surgir le désir ! la Rencontre si chère à Jean Oury, qui a dit la valeur essentielle d’un sourire, la valeur inestimable d’un sourire. « A combien vous évaluer un sourire ? » 

 

Le sourire comme résistance à l’évaluation comptable et deshumanisante des managers des hôpitaux mais aussi de toutes les administrations. Vous savez tous certainement que maintenant, pour les photos des cartes d’identité, des passeports, des cartes vitales, IL EST INTERDIT DE SOURIRE ! 

 

Mais ça ils n’y arriveront pas ! Ils ne nous empêcheront pas de sourire. 

 

Comme l’a proposé Jean Michel Ribes, signataire de notre appel aux acteurs de monde de la culture, imposons le Rire de Résistance !

 

Et voilà  l’artiste. Pourquoi les artistes ici aujourd’hui ?

 

Car le monde de l'art et de la création culturelle nous semble le mieux placé – et n'est-ce pas son rôle ? – pour résister aux volontés normatives et interroger le monde sur sa part de folie, individuelle ou collective. Et la folie en tant que part indissociable de l'humain, est fait de culture.  

 

Pour nombre d’entre nous au sein du collectif des 39, ce fut une évidence, un « ça va de soi » – Jean Oury encore.

 

Une évidence de rencontrer, de solliciter des artistes, des comédiens, des plasticiens, des musiciens. C’est aussi à partir de cette évidence qui nous a fait solliciter depuis de nombreuses années, des artistes dans nos pratiques, dans nos institutions, nous les artisans des pratiques autour de la folie. 

 

Dès le premier meeting des 39 à Montreuil le 7 février 2009, ce fut un comédien Christophe Ribet qui nous donna à entendre des textes d’Artaud, de la Folle de Chaillot, de René Char, d’Henri Michaux, d’Edmond Jabés. Cette première grande mobilisation, après le sinistre discours de Nicolas Sarkozy à Antony, dans l’hôpital Erasme, qui, depuis cette souillure, devrait être débaptisé. Le nom de l’auteur de l’Eloge de la Folie, ne doit pas être entaché par ce discours indigne d’un Président de la République. Il y promettait de mettre des bracelets électroniques aux malades, les nouvelles chaînes, ramenant ainsi les malades à leur condition d’avant la Révolution.

 

Puis pour le deuxième meeting en novembre 2009, ce fut un slameur, Tolten, venu de Montpellier qui nous a su nous enchanter. 

 

Mais aujourd’hui, nous sommes passés à un autre niveau dans cette rencontre entre les artisans de la folie et les créateurs. 

 

Déjà le festival des Evadés du bocal, que certains des 39 ont su inventer avec des artistes, s’est tenu tout ce mois de mars au Lieu-Dit , le bien nommé, dans le 20ème de Paris. Il a réuni des associations de patients, des psys, des comédiens, des plasticiens, des patients créateurs, ou des créateurs patients, je ne sais comment dire, la Radio Citron, des cinéastes, des écrivains.

 

A l’occasion de cette bataille contre ce projet de loi honteux, insensé, inapplicable, bataille que les 39 ont contribué à porter sur la place publique, à susciter le débat sur la place de la folie dans la société, à rendre actuelle la question  « quelle hospitalité pour la folie ? », quels soins, quel accueil pour les personnes en souffrance psychique, plusieurs collectifs d’artistes  nous ont rejoint, de nombreux créateurs, célèbres ou pas, comédiens, plasticiens, écrivains, musiciens, chanteurs ont signé l’appel contre la loi. 

 

Les citer ? tous ? Ce serait trop long et je risque « donner » dans la peopolisation ! dans le peopolisme ! 

 

Mais je ne peux résister de vous dire le plaisir d’avoir lu tous ces noms, inconnus, célèbres, illustres, Stéphane Hessel, Edgar Morin, Jack Ralite, s’inscrire au fil des jours et venir grossir la liste des 25.000 signataires. 

 

Alors ces collectifs, la Blanchisserie, le Githec, Pounch’d mais aussi ces artistes, 

sont là avec nous, et se sont engagés, et de quelle façon !,  dans la préparation de cet événement culturel et politique. 

 

Ils sont là aussi parce qu’ils sont attaqués, menacés eux-mêmes, fragilisés par la destruction d’une politique de la Culture que l’on veut remplacer par une consommation addictive d’une télévision qui vend du coca-cola. 

 

Il y a avec nous, Le Collectif La Blanchisserie qui réunit des compagnies en résidence à l’hôpital Charles Foix d’Ivry, menacé d’expulsion par l’administration de l’Assistance Publique du Groupe Pitié-Salpétrière.

 

Il y a le GITHEC, le Groupe d’Intervention Théâtrale et Cinématographique, de Pantin, attaqué, fragilisé par les réductions des subventions des budgets affectés à la Culture. 

 

Il faut dire, dénoncer l’indignité des budgets dans les hôpitaux attribués aux artistes, nommés administrativement « Intervenants extérieurs ». Budgets qui témoignent du mépris, de la méconnaissance des directions hospitalières pour ces activités de création qui pourtant sont un élément essentiel du dispositif de soins, un outil thérapeutique ignoré, ravalé au rang d’activité occupationnelle, de distraction tant par les gestionnaires que même il faut le dire aussi, par nombre de psychiatres et de soignants

 

Je vous épargnerai les chiffres mais je vous laisse imaginer la comparaison entre le budget affecté aux médicaments et celui attribué aux artistes et aux ateliers de création. Pourtant faire un tableau, préparer une pièce de théâtre, jouer de la musique, travailler une chorégraphie, ça tisse du lien, ça fait du bien, ça fait penser aussi, ça soulage les angoisses, et ça fait rire. Il paraît même, mais moi, je vous l’affirme, que c’est … thérapeutique par surcroît. 

 

Alors la secrétaire d’Etat à la santé peut déclarer pompeusement, dans cette langue de la culture du boniment qui nous est servi depuis trop longtemps : « avec ce projet de loi, pour la première fois, nous proposons, en ce début du 21ème siècle, une nouvelle offre de soins avec une alternative à l’hospitalisation ! ». Le détournement du sens des mots est là à l’œuvre une nouvelle fois. Depuis une vingtaine d’années, c’est devenu la langue de l’époque, le boniment, le détournement des mots, des expressions, l’attaque de la langue. 

 

Mais ignorent-ils ce que disait Albert Camus en son temps : « Mal nommer les choses, c’est amplifier, aggraver le malheur du monde » !

 

Alors pour finir, la perspective d’une note de musique, d’un écho de jazz, cette musique qui nous est venue de la misère et de la révolte contre la soumission et l’esclavage, cet été les 39 sont invités et vous invite au Festival de Jazz in Marciac, par Jean Louis Guilhaumon, Maire de cette petite ville du Gers et un des fondateurs du festival, signataire lui aussi de l’appel.

 

Et je terminerai avec Francis Scott Fitzgerald : « On devrait, on pourrait être convaincu que les choses sont sans espoir mais qu’il faut sans cesse TOUT FAIRE pour les changer ».  

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2 réflexions sur « >Les z’arts et l’écoute ? Les z’arts malgré les gouttes ? »

  1. Bravo Paul Machto pour ce texte revigorant, et comment j'aurais aimé être là , avec vous le 9 avril ! Mais voilà, le train n'étant pas gratuit et l'hôtel non plus, et ma bourse étant désespérement platte, ce sera pour une autre fois.
    Merci pour ce message d'espoir et de combat, oui, ne nous résignons pas devant l'injustice et le mépris devant lequel on traite le personnel hospitalier et les patients, devant le mépris affiché devant toute forme de culture et de tout ce qui est une forme dé résistance devant ce rouleau compresseur de la réaction. Oui, une nouvelle approche de la maladie mentale est possible, oui, l'art est indispensable au bien être moral et psychique de nos concitoyens, en particulier lorsqu'ils osnt en souffrance, oui, l'art peut être une forme de résistance à l'oppression, comme l'ont prouvé d'innombrables artistes vivants sous des régimes policiers et dictatoriaux.
    Ne nous résignons jamais et banissons le mot impossible de notre vocabulaire. L'espérance est notre bannière.

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