>État d’exception en Psychiatrie: la démocratie enchaînée

 

 

A l’appel du Collectif des 39, associé avec de nombreuses organisations1, une manifestation s’est tenue devant le Sénat le mardi 10 mai 2011 où était débattu le projet de loi relatif "à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques" .

 

Plusieurs centaines de professionnels, patients, familles, artistes, citoyens, mais aussi des représentants de partis politiques et de syndicats ont crié leur opposition déterminée à la mise en œuvre d'une loi qui porte gravement atteinte à la dignité et à la liberté des personnes et qui dénature le concept même de soin.

 

Chacun doit se sentir concerné car si cette loi est appliquée, qui sait si, demain, l'enfant dit « hyperactif », la personne déprimée, l'adolescent en souffrance ne pourront pas, eux aussi, se voir contraints à des "soins sans consentement", et cela d'autant plus facilement qu'ils auront lieu en dehors de l'hôpital, pour des raisons à la fois sécuritaires et économiques.

 

La possibilité pour chaque « soigné » de se déplacer librement se verra strictement encadrée par un "protocole de soins" – renommé « programme de soins » mais toujours décidé en Conseil d'Etat- qui fixera les lieux, le contenu et la périodicité des rendez-vous médicaux avec la menace de se voir hospitalisé si un élément du protocole n’est pas strictement appliqué.

 

Cette loi empêche donc activement l’instauration d’une relation de confiance, élément pourtant central du soin en psychiatrie et risque de pousser les patients à des actes désespérés plutôt que de les en protéger.  

 

Qui peut croire que cette loi va dans le sens des "droits et d'une meilleure protection des personnes" alors qu’elle détruit toute possibilité de soins ?

 

Qui peut croire que les familles seront entendues dans leur demande d'aide alors que les patients seront mis en danger et fragilisés par cette loi ?

 

C'est la raison pour laquelle des sénateurs de la commission des affaires sociales, tous bords politiques confondus ont demandé dans un premier temps le retrait des « soins » sans consentement en ambulatoire. Mais dans l'hémicycle, les centristes n'ont pas mis leurs actes en accord avec leurs déclarations.

 

Cette loi qui est en passe d'être votée, puisqu'elle repassera en deuxième lecture le 18 mai à l’Assemblée Nationale et le 16 juin au Sénat, est une loi contre les soins, contre les patients, contre les familles, contre les citoyens, contre les soignants.

 

C’est une loi qui détruit cette psychiatrie que nous voulons hospitalière pour la folie. 

 

C’est une loi qui va dans le sens de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et des ravages qu’elle cause (non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, désengagement de l’Etat dans le domaine de la protection sociale etc…). 

C’est une loi qui entérine la destruction du travail de secteur.

 

C’est pourtant une loi cohérente et « responsable » pour nos gouvernants, excluant les plus démunis d’entre nous, ceux qui « ne rapportent rien », ceux qui « coûtent trop chers ». 

 

Nous n’en sommes plus à une « déraison d’Etat » mais à l’application méthodique d’un plan qui économise et qui place 500000 malades mentaux en otages d’un plan de rationnement et d’une campagne électorale douteuse. Pour cela tous les moyens sont bons : énonciation  de contre-vérités, pressions exercées sur les représentants syndicaux, sur les représentants élus etc. 

 

L'application de ce projet de loi a d'ores et déjà commencé avec l'instauration de dispositifs Justice/ARS/médecins chefs de pôle/directeurs d'hôpitaux au nom du "réalisme". C'est bafouer le principe même de la loi que de l'appliquer avant même qu'elle soit votée!

 

Le collectif des 39 refuse de participer à l'installation de ces dispositifs, construits avant même que la loi ne soit votée, et vous invite à faire de même. 


Nous restons mobilisés, patients, familles, professionnels, syndicats, partis politiques, avec l'appui de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme pour exiger que ce texte ne puisse s'appliquer car il signe un recul sans précédent des libertés démocratiques et des fondements même du pacte républicain.

 

 

1 Collectifs de patients, mouvement contre la politique de la peur, syndicats, tous les partis politiques de gauche, Ligue des Droits de l’Homme, Syndicat de la Magistrature, Sud santé sociaux, syndicats de psychiatres publics, qui appelaient aussi à une grève largement suivie dans les hôpitaux psychiatriques

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7 réflexions sur « >État d’exception en Psychiatrie: la démocratie enchaînée »

  1. Je soutiens cette initiative depuis le début.
    Je suis scandalisé par l'attitude du pouvoir en direction du sénat.
    Je continuerais à me mobiliser, même si pour des raisons professionnelles , je n'ais pu être présent au sénat.
    La profession a besoin de réfléchir sur son implication dans la politique de sectorisation qui risque d'être remise en cause par notre Secrétaire d'Etat qui n'est pas à même d'évaluer les données de la politique en psychiatrie aujourd'hui. Au nom de qui et de quoi s'exprime-t-elle ? ( Cf. Débats au Sénat).
    Nous n'avons plus comme le dit explicitement Guy Baillon d'interlocuteur "chevronné" au ministère de la Santé. Je le comprends comme celà.
    Déplorable…
    Un plan santé mentale, dans les conditions actuelles ne résoudra pas le fond de l'univers de la "Folie". (Cf. dernier numéro de L'Histoire : Depuis quand a-t-on peur des fous ?)
    Ras le bol, prenons nous en charge pour faire aboutir, malgré nos divergences, un consensus autour de la prise en charge des malades mentaux qui exclut l'enfermement et la stigmatisation.
    Bref, à suivre lors de notre prochaine rencontre, j'espère bientôt.
    Yves de l'espinay
    Formateur en soins psychiatriques
    PS. Je l'ai déjà évoqué lors d'un autre billet, je souhaiterais que chacun qui s'exprime décline son identité. Marre, des pseudos qui laissent à penser…

  2. Un projet de loi qui ne convient pas, majoritairement,…et pourtant qui va, sans doute, passer d'ici le 16 juin. Une population peu avertie et que l'on laisse volontairement de côté dans un sommeil hypnotique. Des Média généraux de moins en moins enclins à faire leur travail d'information au grand public. Des professionnels trop souvent divisés… Pas drôle, pas drôle tout cela !
    Jean-Michel LOUKA
    psychanalyste, Paris.

  3. jje suis entièrement d'accord avec vous, et soutiens toute initiative de votre part, malheureusement à distance, car je ne peux me rendre à Paris. Des jours sombres nous attendent quand le dépressif, la personne en souffrance psychique en raison d'un divorce ou d'un licenciement se verront astreints à des soins sous contrainte, encore plus si jamais ce médicament à des effets secondaires désastreux, comme l'obésité ou le diabète, mais que des chimîâtres inhumains s'obstinent à le prescrire. On ne parlera jamais assez des effets secondaire des médicaments, qui personnellement m'ont fait monter jusqu'à130 kilogs. Et c'est dur de redescendre !!
    Lucile Longre

  4. La Justice devrait être à la psychiatrie ce que la chirurgie est à la médecine : avant l'heur(e) ce n'est pas l'heur(e); après l'heur(e), ce n'est plus l'heur(e) ! La thérapie sous contrainte est l'avatar du mythe scientifique et de sa pensée linéaire.

  5. Je soutiens ce mouvement depuis sa "création" et pour répondre à mathieu, mon prénom est bien Chantal, j'ai été mise sous neuroleptique caché (Agréal) durant 16 mois, j'en subis encore les effets secondaires, je n'ai pas les moyens de payer les 3 000 € demandés pour l'expertise médicale, et je dois aider mon petit frère schizophrène.
    J'espère que cela vous suffit.

  6. "La façon dont on traite les aliénés ou les prisonniers est un baromètre du degré d'aliénation de la société."Jacques Postel, psychiatre, spécialiste de l'histoire de la psychiatrie.

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