Le collectif des 39 exprime son émotion et son indignation suite à la condamnation pour homicide involontaire du Dr Canarelli.
S’il est tout à fait justifié que la famille de la victime tente de comprendre le drame que leur parent a subi, le Collectif des 39 tient à exprimer son incompréhension face à ce jugement.
Ce procès, quoiqu’en disent les magistrats de Marseille, doit être considéré comme le procès de la psychiatrie toute entière. Ce jugement est aussi le reflet d’une société à la recherche du risque zéro, bien que dans une attitude conjuratoire les magistrats tentent de s’en défendre. De même ils affirment que « l’impunité de principe ne saurait exister, l’opinion publique ne le supporte pas » comme un aveu de la recherche du coupable à tout prix, face à la déclaration d’irresponsabilité pénale du malade.
Cette condamnation vient s’ajouter à la liste déjà longue des décisions politiques et autres lois de ces dernières années, tirant la psychiatrie vers une fonction répressive, et normative, plutôt que facilitant sa mission de prévention et de soin envers les plus démunis. Dans le même temps, en contradiction avec cette orientation répressive, la dénonciation des pratiques d’enfermement, d’isolement et de contention, qui se sont développées au cours des dernières années, se fait de plus en plus entendre à juste titre.
Car un tel jugement, désignant comme coupable d’homicide involontaire un médecin, ne peut qu’amener les professionnels de la psychiatrie à travailler désormais dans la peur, dans la crainte d’être poursuivi et ainsi amplifier les pratiques répressives pour se protéger.
Ce jugement s’est essentiellement appuyé sur l’avis d’un expert psychiatre faisant du diagnostic l’alpha et l’oméga d’une prise en charge thérapeutique et mystifiant les magistrats en laissant croire qu’à ce diagnostic correspond UN traitement unique et efficace, qui aurait empêché le passage à l’acte tragique du patient. Tout psychiatre, tout soignant doit bien évidemment répondre de sa démarche thérapeutique. Cependant on ne peut entretenir l’illusion que la psychiatrie soit une science exacte.
Il est trompeur de laisser entendre qu’un certain type de traitement médicamenteux, d’action retard, allié à des modes de soin parmi les plus carcéraux, permettrait de limiter les passages à l’acte criminels.
L’attendu de ce jugement vient conforter tous les préjugés actuels, assimilant honteusement folie et dangerosité, enfermant ainsi les soignants en psychiatrie dans une fonction uniquement répressive.
La loi du 5 juillet 2011 instaurant des soins obligatoires à domicile, va exactement dans le même sens et c’est pour cela que le collectif des 39 maintient son opposition à cette loi et a lancé un appel pour son abrogation.
La décision du tribunal de Marseille doit être considérée comme le reflet d’une société entraînée dans une dérive sécuritaire, normative et de moins en moins accueillante envers les malades les plus en souffrance.
Le dr Canarellii a décidé de faire appel ; Le collectif des 39 sera à ses côtés
En pratique, et par contraste ou par contraire, cette condamnation veut aussi dire que les personnels psychiatriques qui alignent habituellement sans sourciller les abus de pouvoir sur les patient(e)s, les sur-dosages de neuroleptiques et les ré-internements facilités, souvent pas même justifiés, pourront, à l'avenir, se considérer comme garantis, puisque eux, enfin, auront mis en oeuvre le risque 0. Eux enfin, auront garanti la société et l'ordre public, contre des malades forcément potentiellement dangereux …
Quoiqu'il en soit, le jugement correctionnel pris le 18 décembre dernier par le TGI de Marseille, dans l'affaire de la dr Canarelli, ne peut que faire date, et être considéré comme une authentique jurisprudence donnant un feu vert à certains personnels pour abuser des malades (supposés) dangereux..
Cette décision de justice est grave et elle ne peut que susciter beaucoup de réactions chez les divers professionnels du soin. Tous respectent le droit de la victime d’avoir recours à la justice et d’essayer de comprendre et d’obtenir réparation : c’est le droit le plus absolu de tout citoyen. Par contre les raisons qui ont pu pousser à ce jugement et les conséquences qu’il risque d’entrainer au quotidien aussi bien pour les soignants que pour les soignés et leur entourage sont beaucoup plus problématiques et inquiétantes.
L’on peut y voir, bien sûr, la continuité d’une politique initiée par le précédent Président de la République lors de son discours de décembre 2008 à l’hôpital d’Antony. En même temps, cette décision ouvre sur une autre dimension tout aussi inquiétante voire même porteuse de conséquences sociales encore plus graves. A l’idée du schizophrène délinquant en puissance et meurtrier potentiel s’ajoute, ou se substitue, celle du psychiatre aujourd’hui, mais de tout autre soignant, éducateur ou travailleur social demain, complice d’homicide. Dans l’histoire de Marseille, en effet, le malade coupable du meurtre s’est retrouvé à l’hôpital psychiatrique dans une logique que l’on pourrait dire « classique » d’irresponsabilité pénale : par contre, c’est le psychiatre qui se retrouve condamné à la prison. Le psofessionnel se trouve ainsi désormais menacé de sanction de justice grave au cœur même de l’exercice de sa profession. C’est l’aube d’un véritable exercice professionnel sous contrainte qui atteint le psychiatre aujourd’hui, mais tout professionnel de la santé, de l’éducation et de la relation humaine demain.
Par effet ricochet cette décision va, in fine, encourager toutes les procédures de précaution et de prévention de risques qui accablent déjà nos pratiques et donner raison à tous ceux qui usent et abusent des camisoles chimiques ou physiques. Aux USA, la tuerie de l’école de Newtown loin de remettre en question la législation sur la libre vente des armes a, au contraire, servi d’alibi à ses défenseurs non seulement pour en prouver la justesse du fondement mais pour en demander une extension d’usage accrue. Nous ne sommes malheureusement jamais à l’abri de tels retours pervers qui loin de « soigner » aggravent au contraire ce que l’autorité publique entend prévenir.
Joseph MORNET, psychologue
Oui ce qui me parait horrifiant est que le malade est considéré comme une dépendance du medecin, même pas un être autonome doté d'un nom propre, agissant par lui comme un avatar étrangeoîde.
C'est le genre de décision qui pourrit mes relations avec mon médecin traitant, navigant entre la suspicion, le soin, la peur et une responsabilité de moi morale pourrie par la responsabilité légale. C'est aussi insupportable pour lui que pour moi.
Cela parait en effet dénué de reflexion sur la philosophie qui autoriserait de condamner un adulte pour un autre adulte. Lorsqu'on est considéré comme irresponsable de ses actes, depuis quand va t'on chercher le(s) vrai(s) responsables? S'il y en a peut être sont-ils nombreux, et sur plusieurs générations, parmi les parents les medecins les voisins les amis des voisins?
Merde à la société procédurière qui tétanise les échanges humains. La faute à qui?