>Commentaire sur une visite d’accréditation d’un HDJ

Notre HdJ de pédopsychiatrie est une petite institution associative du secteur sanitaire, qui accueille 28 enfants de 3 à 16 ans, autistes, déficients sensoriels (surdité ou cécité), avec handicaps associés. Comme tous les hôpitaux, quelque soit leur taille, après l’accréditation, nous nous sommes attelés à la certification, la V2007. Nous avons dû, durant toute une année, déprogrammer nombre de synthèses cliniques et temps d’élaboration d’équipe, pour satisfaire à la démarche « qualité » ! Le témoignage ci-dessous est un commentaire « à chaud » de la visite en elle-même des agents de la HAS dans notre établissement. Durant les 4 jours de « l’enquête » des 2 experts visiteurs, nous avons ressenti une disqualification quasi constante de notre travail. C’était particulièrement déstabilisant. Comme si rien de ce qu’on avait pu mettre en place ne correspondait. J’avais l’impression étrange de ne pas parler la même langue, de me trouver dans un autre monde, « le meilleur des mondes »…

Je comprends mieux les équipes des grands hôpitaux psy qui expliquent que les infirmiers passent leur temps à renseigner leur activité sur ordinateur pendant que les patients ont un « repas thérapeutique » avec les ASH car bien sûr, le personnel soignant n’a plus le temps de s’occuper des patients, ils s’occupent du programme qualité…

Les 2 « expertes visiteuses » de la Haute Autorité de Santé n’avaient jusqu’à présent jamais visité de petits établissements. L’une était directrice d’une clinique privée de médecine, chirurgie, obstétrique et l’autre, cadre de santé dans un grand hôpital psychiatrique (+ de 300 lits) et on aurait cru les deux premiers jours qu’elles étaient arrivées chez les martiens…pour un contrôle d’identité ! Ce qui nous donnait également un sentiment d’inquiétante étrangeté… De plus, l’une d’entre elles (l’infirmière chef) a eu dès la présentation de leur démarche des jugements de valeur très déplacés, au sujet de la composition de notre équipe : « Comment pouvez-vous prétendre avoir un projet thérapeutique avec une équipe composée essentiellement d’éducateurs ? ou concernant notre projet d’établissement : « Complètement obsolète, c’est de la littérature, vous feriez tout aussi bien de le publier en roman »… ça ne commençait pas bien du tout… Le deuxième jour, elles étaient tellement disqualifiantes que j’en étais écoeurée ! Tout ce travail merdique, bureaucratique, enfermée à double tour dans mon bureau 10 heures par jour (sans voir ni les enfants ni l’équipe. C’est ça la qualité !) pour s’entendre dire que les précédents experts visiteurs nous avaient fait un rapport bien trop gentil, qu’elles ne comprenaient pas car ça n’allait pas du tout :
Une politique qualité embryonnaire (je n’ai toujours pas compris ce que c’était moi, leur « politique qualité » à la con !)
Pas de politique formalisée, de programme d’actions annualisé, d’objectifs hiérarchisés, de critères d’évaluation traçables et quantifiables… Que des actions au coup par coup disaient-elles
Elles expliquaient aux éducateurs que chaque fois qu’un enfant fait « une crise », ils doivent l’inscrire dans le dossier du patient et s’ils n’ont pas assez de temps… qu’ils se plaignent à la directrice…
Les rééducateurs doivent noter dans le dossier à chaque fois qu’ils prennent en charge un enfant (alors que c’est un emploi du temps annuel, donc pareil chaque semaine, les enfants restant 6 ans en moyenne…)
Notre « C8 » doit non pas être lavé quand il est sale mais « à périodicité définie » avec planning de nettoyage et de plus décontaminé régulièrement. Vous êtes un hôpital oui ou non, disaient-elles ?
Elles se fichaient pas mal de l’ensemble des réunions que nous avons avec les parents de nos jeunes patients, la vraie qualité c’est d’envoyer annuellement un questionnaire de satisfaction du client…
Elles me posaient des questions du genre : « montrez moi votre bilan annuel du schéma directeur de l’information ? »
Où sont les preuves écrites, montrez nous les preuves, etc. L’équipe était atterrée, et moi aussi… Ce n’était vraiment pas la peine d’y passer tant d’énergie pour en arriver là ! C’est vraiment la bureaucratie folle, la technocratie totalitaire. Quand elles croisaient un enfant, elles détournaient la tête. L’infirmière chef en psychiatrie, (la plus rigide des deux, bizarrement) expliquait à nouveau à une éducatrice qu’il fallait noter tous les événements qui posent problème dans le dossier du patient. Non, disait-elle, pas si ils se mordent entre eux (ce n’est pas ça le problème !) mais par exemple : « si un enfant arrive pendant 3 jours avec des chaussures abîmées, il faut le noter dans son dossier »…On ne sait jamais, il faut toujours se protéger de la moindre plainte possible des parents…

Au fou !

Cependant, au fil des 4 jours, on voyait quand même qu’elles prenaient la mesure du côté surréaliste des exigences de traçabilité tous azimuts. Elles nous disaient par exemple qu’il nous faudrait un qualiticien à temps plein ! C’est vraiment une bonne idée lorsqu’on est 30 salariés et qu’on n’est déjà pas assez pour prendre en charge les enfants. Je pense que la DDASS appréciera…Déjà que ni les consultants, ni le coût de la certification (3500 euros pour nous) n’est financé…Bonjour le double lien de « la démarche volontaire obligatoire » (c’est comme ça qu’il la nomme à la HAS). Elles ont malgré tout fait un effort d’adaptation mais étaient bien embarrassées pour réussir à faire rentrer la dentelle d’un travail institutionnel au cas par cas, réactif et adapté au plus prés des besoins des patients, dans les rouages de la grosse machine à certifier ! On va certainement avoir un rapport « avec suivi » à 3 ou 6 mois. Ils n’en ont pas encore terminé avec nous et nous non plus malheureusement. Heureusement, d’aller au meeting de la nuit sécuritaire, samedi, m’a un peu remonté le moral. Avez-vous déjà été à la HAS ? Les locaux débordent de luxe et de haute technologie ! La représentante des parents de la « CRUCQ » nous disait après son « interview » qu’elle était écoeurée en pensant à toute cette débauche de moyen dépensé pour cette démarche et combien de places pour les patients on pourrait créer avec ça… Qu’on en finisse avec ce broyage de cerveaux et cet empêchement de travailler ! Ça suffit la maltraitance…Comment peut-on imaginer une seconde que le patient soit au centre de cette démarche ?

Isabelle Huttmann Directrice

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Une réflexion sur « >Commentaire sur une visite d’accréditation d’un HDJ »

  1. Commentaire sur une visite d’accréditation d’un HDJ
    La société devient folle nous a expliqué tranquillement le Juge Portelli à la tribune du meeting. Les visites de certification en sont une des expressions la plus terrifiante. Je viens de lire le manuel V3 : là, cela devient impossible
    par Hervé BOKOBZA | 22 février 2009, 08:17

    Commentaire sur une visite d’accréditation d’un HDJ
    Oui, vous venez de découvrir ce que des millions de travailleurs, tout secteur confondu, ont déjà découvert et ce dont la France au travail souffre massivement et qui s’appelle le management proédural. Ne vous y trompez pas, c’est aussi insupportable pour les autres que pour les acteurs du travail social et sanitaire. C’est la raison pour laquelle le système est constamment bidouillé par les professionnels, parce qu’il dévore environ 20% du temps de travail… C’est le reproche que j’ai fait et fais à la révolte atuelle. Elle est venue quand les actuers de ce champ a été touché, et totalement ignoré quand pourtant « souffrance en France » dénonçait les conditions de travail abominables réservées à l’essentiel de nos concitoyens, « Car tous n’en mourraient pas, mais tous étaient frappés »(Marie Pezé) ! Allons, camarades, encore un petit effort, soyons plus collectifs encore…
    par Anne-Lise DIET | 24 février 2009, 14:00

    Commentaire sur une visite d’accréditation d’un HDJ
    Bonjour, votre texte m’a beaucoup touché car j’y ai retrouvé la souffrance,le mot n’est pas trop fort, que nous a coûtée la V2007.Nous sommes un HdJ pour adolescents psychotiques, de 55 places.Les experts visiteurs étaient un directeur d’hôpital ( qui n’avait jamais mis les pieds en psychiatrie) et un infirmier psy.La première rencontre a été terrible,et j’ai failli m ’énerver sérieusement quand l’infirmier m’a fait remarquer que mes ordonnances n’étaient pas horodatées »vous comprenez, si votre patient se suicide 4 heures après votre prescription vous êtes couverts…. ! »

    Et puis le miracle.Ils ont demandé à rencontrer « les usagers ».Nous avons donc organisé une rencontre entre les délégués des patients ( nous fonctionnons un peu comme un soin/étude)et les experts, sans notre présence.Un heure plus tard,les experts sont ressortis de la salle, avec pour l’un d’entre eux , les larmes aux yeux !Que leur ont dit nos patients ? Mystère, si ce n’est qu’ils leurs ont demandé pourquoi ils faisaient ce travail !Nos ados qui nous épuisent,nous poussent parfois à bout,nous désespèrent mais nous surprennent toujours,cette fois ci, nous ont sauvé !

    A partir de ce moment tout a été facile, tout le monde a laissé tomber la « qualité » pour parler enfin de notre travail,mais aussi du leur.Ce fut une rencontre entre professionnels de la santé,ils avaient beaucoup de questions sur la psychanalyse,le transfert etc et le dernier jour,après un hommage appuyé, l’un d’eux a demandé s’il pourrait postuler un jour dans notre établissement…si,si..

    Donc, ne perdons pas espoir,un peu d’humanité sommeille au fond de chaque expert visiteur, et c’est la rencontre avec la folie qui l’a révélé.

    Bon courage à tous.Dr Raoul Le Moigne,pédopsychiatre.
    par raoul le moigne | 7 mars 2009, 19:28

    Commentaire sur une visite d’accréditation d’un HDJ
    je me demande ou etaient les syndicats pour accepter ce massacre touchant notre outil de travail
    par dino syco | 30 mars 2009, 22:38

    Commentaire sur une visite d’accréditation d’un HDJ
    je suis infirmière en psychiatrie travaillant dans un hopital de jour pour personnes agées, j’ai été très touchée par votre témoignage. le lieu où je travaille fermera ses portes le 1er juillet 2009, jugé par les hautes autorités de la ddass comme un établissement social , et non médical, les TA ne sont pas notées sur les dossiers de soins…. ! les divers supports de liens proposés sont catalogués d’ateliers occupationnels ss aucun respect du travail établi, concours de circonstances l’hopital dont dépend le centre de jour est en déficit alors on ferme la structure. les 50 patients la fréquentant n’ont aucune alternative, peu importe, les décideurs de ce genre de décision ss appel n’ont pas froid aux yeux. nous vivons des heures difficiles, plus de sens dans notre travail, assumant l’angoisse croissante des patients et assumant également la notre devant une telle situation quasi irréelle tellement elle est grotesque. continuer à se battre, c’est bien. comment continuer à travailler quand on a vécu une telle situation.
    1er mai 2009, 21:38

    Commentaire sur une visite d’accréditation d’un HDJ
    ce n’est pas une réponse, mais je suis en train de lire le N° 37 de la revue Cités, le thème est « L’idéologie de l’évaluation – La grande imposture » , c’est pour moi une aide pour retrouver, redonner du sens au travail soignant. Cette lecture peut aussi servir d’argument à la création d’une résistance… voir le site de cette excellente revue sur le lien.
    par Cortopsy | 3 mai 2009, 10:30

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