l’AFPEP-SNPP à la journée STOP-DSM

Lors des journées de Lyon de l’AFPEP-SNPP, dont le thème était « Résistances », Patrick Landman nous a présenté son idée d’un colloque « Stop-DSM » (voir numéro 161 de la revue Psychiatries que tous les adhérents viennent de recevoir par la poste). La tentative « d’OPA » lancée par « l’entreprise DSM » sur le diagnostic en psychiatrie nous apparaît tant partie prenante de la main mise qui s’organise sur nos pratiques, que avons soutenu l’initiative de Patrick sur le champ. C’est à nos yeux un enjeu majeur.
Ne nous y trompons pas, l’objectif du DSM est la soumission des acteurs de la santé et de ses « consommateurs ». Une multitude diagnostique, telle que nous la présente le DSM, est sensée saturer les cas de figures en psychiatrie et rendre inutile toute réflexion singulière. C’est là le seul moyen de contrôler de bout en bout le marché des psychotropes. Il s ‘agit de cocher des cases pré-établies qui permettront à l’ordinateur de dicter l’ordonnance. Tout colloque particulier devient une entrave à cette démarche.
Les diagnostics DSM sont jetables selon les aléas du marketing. Inutile de se battre au sujet de leur essence, ils seront abandonnés d’un revers de main et remplacés par d’autres selon les péripéties du marché. Le combat ne se situe pas là. Le DSM a été récupéré par la finance qui a besoin de la prévisibilité des cours boursiers pour exercer son emprise. La soumission réclamée au psychiatre, la même que celle demandée au patient, rassure les investisseurs qui pourront ainsi asseoir leurs investissements sur des opportunités stables, statistiques à l’appui. Si nous feignons d’ignorer la stratégie politico-économique mise en avant avec le DSM, nous n’avons que peu de chance de tirer notre épingle du jeu, faut-il rappeler qu’il s’agit de celle de nos patients ! La lutte à laquelle on nous oblige se situe au niveau politique.
Mais revenons au plus près du diagnostic.
Classifier est un pouvoir social majeur et l’histoire de la psychiatrie en France est à cet égard bien éclairante. L’évolution de la psychiatrie française depuis deux siècles nous oblige à répondre à certaines questions et notamment: Comment se fait-il que le seul bouleversement politique d’envergure qui n’ait pas donné lieu à l’émergence d’un nouveau cadre diagnostic en psychiatrie soit le mouvement d’émancipation des années 60 ? Pourquoi la mise en place du secteur psychiatrique, de la psychiatrie de proximité, de la disparition de l’asile, n’a pas eu besoin d’un nouveau diagnostic mais bien plutôt d’un objectif éthique que nous pourrions appeler « le fou à délier » ? Vous en conviendrez, il ne s’agit pas là d’un diagnostic courant mais plutôt d’une perspective.
La révolution française a permis l’émergence de la monomanie, le retour de la monarchie après Bonaparte celle de la dégénérescence, la troisième république celle de l’hystérie et des psychoses chroniques, le nazisme celle du parasite, le néo-libéralisme actuelle celle de l’handicapé. L’émancipation des années 60 n’a non seulement pas été un événement historique radicalement violent mais a porté une évolution éthique de la société qui n’a pas eu besoin de stigmatiser ses concitoyens. Bien au contraire. Tous les changements politiques radicaux ont porté au pinacle un nouveau diagnostic psychiatrique. L’entreprise DSM conforte cette observation et  sa multitude peut se résumer à une seule question, celle du handicap. La révolution néo-libérale est un bouleversement politique de grande envergure qui possède un besoin massif de classification.
L’histoire nous enseigne également, et c’est là un fait et non une option partisane, que les courants humanistes ont porté, plutôt plus que moins, une psychopathologie tandis que les courants réactionnaires ont toujours préféré des théories dégénératives ou génétiques. Cela en dit long sur la révolution néo-libérale.
Comme vous le voyez, pas moyen de faire de psychiatrie sans en mesurer la dimension politique. Il y en a d’autres, bien évidemment, mais la volonté contemporaine d’enfermer la psychiatrie uniquement dans la science n’est-il pas un moyen de la dénier.
Faire un diagnostic, pour un soignant, est une nécessité. Mais il s’agit d’un cadre dans lequel les soins vont se développer et non d’une étiquette définitive sensée clore un processus. Une psychose décompensée, une névrose invalidante, un état limite ou une perversion, engageront la partie selon des modalités différentes. Les soins, dans le sens de prendre soin, ouvrent des perspectives à l’inverse d’un catalogage de l’autre qui ne serait plus qu’à éduquer. Le diagnostic en psychiatrie fait déjà partie des soins et n’en est pas le préalable.
En France tous les leviers passent progressivement du côté de la finance. Le diagnostic, les cabinets groupés, les plateaux techniques, les médicaments, la recherche, les lieux d’hospitalisation, les entreprises de formation ou de psycho-éducation, les remboursements des soins surtout avec l’émergence du tiers payant généralisé et la part grandissante des assurances privées et des paniers de soins, tous ces flux de capitaux gérés jusque-là par l’assurance maladie et l’état passent sous l’emprise du « marché ».
Présent à tous les niveaux du processus, la finance pourra ainsi fixer son prix, assurer les rendements, exercer sa prééminence.
Le diagnostic est un enjeu politique majeur. Celui qui en dicte les contours est certainement celui qui en tire les ficelles.
Nous avons à tenter de préserver des zones à l’abri des spéculations stérilisantes. Nous avons besoin d’une recherche réellement indépendante, de lieux de soins convenables, de protéger les populations fragiles, de mettre en place des traitements adaptés aux patients et non à l‘industrie, de proposer un épanouissement plutôt qu’un abrutissement.
Nous ne pouvons compter sur un sursaut humaniste du « marché ». Il nous faudra bien compter sur autre chose. Cette journée « stop-dsm », la nouvelle classification française en cours d’élaboration, les mouvements de résistance qui émergent ici ou là, la partie des professionnels qui gardent le cap, tout cela va dans le bon sens.
L’AFPEP-SNPP, fidèle à ses fondamentaux, soutiendra ces initiatives et présentera les siennes.
Je vous remercie

Dr Patrice Charbit  Président de l’AFPEP-SNPP

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