> lettre aux célébrités mobilisées A l’occasion de la Journée Mondiale de Sensibilisation à l’Autisme

A l’occasion de la Journée Mondiale de Sensibilisation à l’Autisme du 2 avril 2015, un grand nombre d’associations lance des campagnes appelant à promouvoir l’inclusion des personnes avec autisme dans tous les domaines.
L’association « SOS Autisme » pour lutter contre la discrimination faite aux autistes mobilisent des célébrités qui militent contre les préjugés et les clichés faites à ces personnes.
Or cette campagne a soulevé un certain nombre de questions et d’idées dont il conviendrait de débattre.
C’est donc dans cette optique que j’adresse une lettre aux célébrités mobilisées avec lesquelles il serait, il me semble, intéressant d’ouvrir une discussion.

Matthieu Chedid, Marc Lavoine, Calogero, Marie-Claude Pietragalla, Henri Leconte, Emmanuel Petit, Frédéric Michalak, Gérard Klein, Philippe Geluck, Eric Dupont-Moretti, Axel Kahn, Cyril Hanouna, Michel Cymes, Laurent Savard, Brunon Wolowitch, Davis Douillet, Guillaume Canet, Charles Berling, Philippe Candelero, Sophie Davant, Laurent Ruquier, Zoe Félix, Patrick Montel, Victor Lazlo, Philippe Bas, Ary Abittan, Jean Felix Lalane, Wiliam Leymergie, Lea Seydoux et Patrice Leconte.

Je vous adresse un appel à la prudence.

Ce message est une mise en garde contre un excès de simplification qui ne rend pas peut-être pas autant service que vous le croyez aux autistes, notamment quand vous dites que sans l’accès à l’éducation, au sport et à la culture les jeunes autistes sont condamnés aux hôpitaux de jour et restent sans perspectives.

Mesdames et messieurs les célébrités, vous vous êtes exprimés dernièrement au sein d’un clip de Patrice Leconte « un artiste un autiste », pour soutenir la cause des personnes autistes que vous prenez très à cœur.

Je voudrais à mon tour m’exprimer car en vous entendant, je suis inquiète et je me demande si on vous a bien renseigné sur la cause que vous défendez et sur la réalité du terrain, qui vous en conviendrez, ne doit pas être pris à la légère.

Vous parlez d’une privation du droit à l’éducation, à la culture, au sport.

Quand d’autres se lamentent d’un accès au soin toujours plus long et difficile à mettre en place avec des temps d’attente dans certaines régions pouvant aller de quelques mois à quelques années.

Vous parlez d’une privation au droit à l’éducation, à la culture et au sport…

Chaque équipe de soin doit  lutter et se battre et le fait sans doute davantage que ce que vous supposez, pour que chaque individu qui peut y prétendre puisse s’ouvrir au monde et à la culture ou au sport.

Mais malheureusement tous les enfants autistes ne peuvent pas y accéder et votre clip n’envisage pas les cas où cela ne serait pas possible. Vous n’ignorez pas qu’il y a autant d’autisme que de personnes autistes et vouloir uniformiser le propos n’est pas sans risque.

Croyez-vous que les salles de sport, les conservatoires et les écoles savent vraiment faire avec les automutilations, les morsures et les excréments de certains qui cherchent désespérément les limites de leur corps ou a en boucher les orifices?

C’est un long travail courageux et de tous les instants que de pouvoir les y amener et les parents sont les premiers à en connaître la mesure.

Il n’est pas question d’enfermer les enfants  autistes dans une image de petits sauvages repoussants et étranges qu’on ne peut pas approcher.

Il s’agit plutôt de ne pas méconnaître qu’ils ont parfois des besoins spécifiques et ne pas passer sous silence que ce qu’ils sont amenés à vivre demande à être entendu avec une certaine lecture par exemple du vécu corporel et dans une certaine temporalité qui peut être longue.

Vous a-t-on bien expliqué ce qu’est un hôpital de jour, qui y travaille, comment on y travaille et quel public y est accueilli ?

La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ne vous semble pas suffisamment respectée dans le cadre scolaire et elle ne me semble en effet pas très réaliste à appliquer au regard de l’école telle qu’elle est organisée aujourd’hui.

Et pourtant de nombreux enseignants font des efforts considérables pour accueillir dans leur classe des petits enfants de maternelle ou de primaire qui n’ont pas toujours les repères et les ressources nécessaires pour s’organiser dans un milieu scolaire ordinaire.

Vous a-t-on rendu sensible à la place que pouvaient occuper dans les classes des enfants angoissés par trop de stimulation et qui peuvent du coup se replier sur eux quand l’environnement devient incontrôlable? Comment peuvent faire des enseignants peu spécialisés dans cette problématique et dans des classes surchargées?

Vous a-t-on rendu compte de ce qu’il coûte à ces mêmes enfants de devoir s’adapter à un cadre scolaire qui ne peut pas  toujours s’ajuster à leurs besoins spécifiques? Des besoins d’expériences et de réassurance que le dispositif d’une classe ne permet pas?

Et que vous a-t-on dit des enfants qui passent de longs moments à tenter de se rassurer sur leur intégrité corporelle parfois à coup d’automutilation et sur leur continuité sensorielle? N’accumulent-ils pas parfois un certain retard dans leurs acquisitions? Êtes-vous bien sûrs que ces enfants qui ne se construisent pas tout à fait comme les autres, ne demandent pas une attention et une écoute toute particulière relevant d’un autre registre que de celui de l’enseignement?

Pour finir, je voudrais vous mettre en garde, vos propos risquent de vous emmener vers une voie qui n’est peut-être pas celle à laquelle vous pensiez en vous inscrivant dans ce projet.

Auriez-vous imaginez que votre projet puisse être vécu comme une dépréciation du travail des équipes soignantes des hôpitaux de jours qui chaque jour relèvent le défi de la rencontre et de l’altérité avec des personnes autistes ? Auriez-vous envisagé que votre clip viendrait annuler le travail de ces soignants qui accueillent les patients et leurs familles parfois jusque dans leur chair et leur psychisme pour tenter de les comprendre et de s’ajuster à leurs angoisses?  Pensez-vous vraiment que des soignants puissent ne pas s’inscrire dans des perspectives d’avenir avec des patients? Et si certaines familles ont ce sentiment, ne serait-il pas plus judicieux d’aller comprendre ce qui se passe.

Vous qui savez créer, savez-vous comment crée-t-on et invente-t-on avec des enfants et des adolescents qui ont parfois plus besoin d’immuabilité que de transformation de leur monde environnant ?

Créer à petits pas et parfois renoncer aux velléités trop créatives car trop intrusives tout en maintenant ses capacités de penser voilà à quoi doivent se confronter quotidiennement les équipes souvent volontaires.

Vous a-t-on parlé de tous ces enfants et familles qui accordent leur confiance aux institutions de soin ou de ces familles qui attendent dans l’anxiété et la détresse des places en hôpital de jour?

Ces familles partagent pourtant les mêmes soucis et les mêmes espoirs que les vôtres et que bon nombre d’équipes soignantes.

En tant que psychologue clinicienne forte d’une expérience de nombreuses années dans différentes structures de soin et dans l’accompagnement de jeunes enfants, il me paraissait nécessaire de vous interpeler sur l’intégralité des enjeux de cette problématique.

Pour vous en rendre compte par vous-même peut-être accepterez-vous mon invitation, celle d’oser jouer le jeu de la rencontre avec des soignants et d’écouter leur préoccupation qui sont proches de celle des familles.

La tentative de simplification dans laquelle vous vous êtes inscrits dans ce clip me parait préjudiciable pour la cause que vous défendez.

En rencontrant ces soignants que vous dépréciez en rejetant les hôpitaux de jour et qui, de fait, n’apparaissent pas à vos côtés dans le clip, vous pourriez sortir d’un discours trop tranché à l’égard du soin.

Accompagner les familles et leurs enfants dans des perspectives d’avenir toujours ouvertes est fondamentale, sensibiliser l’opinion publique aux besoins des personnes autistes, alerter sur les manques de moyens existants pour les accompagner est une démarche primordiale à soutenir, mais laisser penser que les personnes autistes n’ont pas de besoins spécifiques me parait déraisonnable. La loi 2005 dans le cadre scolaire et culturelle sans aménagement et sans moyen n’est pas applicable. Or certains parents ne comprennent pas cet écart entre la loi et la réalité des structures publiques et votre clip ne devrait pas les aider à y voir plus clair.

Nous partageons les mêmes préoccupations et pourtant j’ai le sentiment que nous ne parlons pas tout à fait des mêmes problématiques. Militer pour l’autisme c’est à mon sens, avant tout accepter la rencontre dans ce qu’elle peut avoir de plus complexe et d’énigmatique, c’est aussi respecter les particularités, les rythmes et les paradoxes de chacun et ne pas faire comme si la différence n’existait pas.

Séverine OUAKI

 

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