Table 2: Non au retour des « gardiens de fous » Pour une refondation d’une psychiatrie humaniste et éthique !

Serge Klopp   Cadre Infirmier  Neuilly sur Marne

De retour en hospitalisation adulte depuis 2 ans, après une interruption de 15 ans, j’ai l’impression que nous ne faisons plus le même métier.

Durant ces 2 ans j’ai enfermé en chambre d’isolement et attaché bien plus de patients qu’en 17 ans de carrière infirmière en hospitalisation.

Pourquoi une telle dérive ?

Il y a bien évidemment plusieurs facteurs, qui ont trait à l’évolution des mentalités et à la formation.

Dans ce qui va suivre, n’ayant que 5 minutes pour exposer ce qui nécessiterait au moins un gros volume, je vais forcément être caricatural.

Ce que je constate, c’est que là où hier on apprenait aux futurs infirmiers de secteur psychiatrique à apaiser le patient, en prenant le temps qu’il faut, aujourd’hui lorsque l’on est confronté à un patient qui commence à aller mal et qui s’agite, on n’est plus préoccupé par ce que cela révèle de la souffrance ou de l’angoisse du patient, mais on le traite du côté de la perturbation et de la violence.

Ce qui me permet à me situer dans le soin relationnel et à prendre conscience de ma capacité soignante psychothérapique, a fait place aux protocoles et à la gestion de la violence.

Mais, si il y a violence, je suis en danger. Et donc je vais me sentir en insécurité et je dois chercher à me défendre.

Insidieusement,  la nature du lien que j’ai avec le patient est passé de soignant au rapport de force.

Il y a aussi le rapport au temps. Il faut que ça aille vite.

On ne prend plus le temps de chercher à comprendre ce qui se passe. On est dans l’immédiateté.

Si dans les quelques minutes qui suivent l’intervention des soignants, le patient n’est pas rentré dans les rangs, on « déclenche » le PTI (dispositif de protection du travailleur isolé).

Rappelons que le PTI ne se déclenche en principe qu’en cas de menace vitale.

Tous les PTI portés par tous les infirmiers de l’hôpital sonnent en donnant le nom de l’unité où il y a un incident. Et donc chacun est censé se rendre à cet endroit pour venir en renfort aux collègues et maitriser le patient dangereux.

A partir de ce moment là, lorsque tout le monde se retrouve sur place, même si le patient s’est calmé, la mise en chambre d’isolement est quasiment automatique.

Elle est évidente et validée puisque s’il a fallu faire intervenir le renfort, c’est bien que le patient est dangereux et donc la mise en chambre d’isolement ne se discute plus.

Et si le patient n’accepte pas passivement de rentrer en chambre d’isolement et de prendre éventuellement le traitement prescrit « en cas de besoin », il va en plus se retrouver contentionné.

Cela dans un contexte où la conception même de la finalité du travail infirmier s’est modifiée.

Nous sommes passés d’une conception où il s’agissait de resituer, ce que nous donnait à voir le patient, au travers de ses symptômes, dans son histoire singulière, personnelle. C’était une clinique de recherche du sens, centrée sur la personne et l’apaisement de sa souffrance. Aujourd’hui c’est le symptôme qui devient l’objet du traitement qui vise à l’éradiquer. La question du sens est évacuée.

Nous sommes passés d’une clinique du Sujet à la volonté de normalisation des comportements.

Si dans ce processus, le patient est réduit à son symptôme ce qui aboutit à le réifier, les soignants aussi sont pris dans un processus de réification, puisqu’ils y perdent toute capacité à peser par eux même sur le cours des choses.

Si les passages à l’acte des patients ne sont plus resitués dans leur signification particulière et deviennent insensés, ils deviennent d’autant plus inquiétants pour les soignants qui se sentent menacés, sans comprendre ce qui se joue.

Ce qui va encore renforcer leur sentiment qu’il est indispensable d’avoir recours à tous ces mécanismes sécuritaires. Qu’on ne peut pas et surtout ne doit pas faire autrement !

Ainsi vont être considérés comme mettant l’équipe en danger, tout soignant qui va refuser de porter le PTI ou celui qui ne va pas reprendre le patient vociférant, mais prendre quelques instants pour tenter de l’apaiser.

Par ailleurs le seuil de tolérance des soignants aux écarts à la norme s’est fortement abaissé.

Cela se traduit par des propos du genre « On n’est pas là pour se faire insulter ! », ou « On n’est pas là pour se faire emmerder » « ils font ce qu’ils veulent » propos qui attendent en retour que l’encadrement et les médecins prennent des mesures pour que ça cesse, sans tenir compte que cela s’inscrit bien souvent dans un vécu délirant du patient.

Au fil des jours, cette intolérance des soignants va se traduire par une exaspération.

Si bien évidemment il n’y a pas de mesure qui puissent éradiquer ces écarts à la norme, dans la pratique, on va souvent se trouver confronté à des mises en actes, plus ou moins inconscientes, des soignants qui vont induire chez le patient un passage à l’acte pouvant « légitimer » une mise en chambre d’isolement.

Qui en tout cas va s’imposer au médecin qui n’a pas d’autre choix que de suivre l’injonction de l’équipe, s’il ne veut pas se retrouver en opposition avec son équipe.

Dans ce contexte l’article 13 quater va légitimer et banaliser ces dérives sécuritaires anti-thérapeutiques. Même si je comprends la démarche de mon ami Denis Robillard, qui est parmi nous, qui a introduit cet amendement à l’Assemblée Nationale. Son souci est d’alerter sur la généralisation de ces pratiques et les limiter.

Sous couvert de technicité et au nom de la démarche-qualité, on assiste au retour des « Gardiens de fous » et à une psychiatrie de caserne.

D’où il devient urgent de refonder une psychiatrie humaniste et éthique.

Refondation qui pose la question de la formation.

Il faut non pas une spécialisation après le DEI (Diplôme d’Etat Infirmier) fondée sur la culture du modèle bio médical « Signe-Traitement- Guérison » où il faut agir le plus vite possible, ce qui en rajouterait du côté de la technicité réifiante.

Il est indispensable de remettre en place une formation initiale spécifique pour tous les soignants, qui inculque aux futurs soignants les bases d’une culture centrée sur le patient et la recherche du sens de ses symptômes.

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