> Quelle hospitalité pour les autistes ?

Quelle hospitalité pour les autistes ?

Ce texte polémique, et initialement présenté lors du meeting du 1° Juin 2013 concluant les Assises citoyennes pour l’hospitalité dans la psychiatrie et le médicosocial, s’inscrit dans une interlocution avec les intervenants qui avaient précédé : Laure Murat, Pierre Dardot et Jean Oury.
Ceux-ci ayant très largement « déblayé le terrain » et éclairci la situation, je renvoie chacun à leurs propos déjà publiés pour deux d’entre eux : Laure Murat et Pierre Dardot.
Ce qui nous a choqués et déterminés en toute hâte à modifier l’organisation de ces Assises pour provoquer ce meeting unitaire, se trouve déployé et précisé dans leur analyse critique de la rhétorique et des enjeux politiques du plan Autisme 2013, dans son écart et son articulation étrange avec les propos publics de Marie Arlette Carlotti insultant, en tant que ministre, les pratiques s’appuyant sur la psychanalyse.

Oui il s’agit d’une entreprise délibérée et explicite d’exclure la psychanalyse et la Psychothérapie Institutionnelle, autrement dit tout un champ du savoir humain qui a construit notre modernité, pour laisser place à un mode de pensée et d’action réducteur et exclusif, un véritable rouleau-compresseur qu’il s’agit de stopper.
Oui les recommandations de la HAS contre laquelle nous nous insurgions lors de notre précédent meeting le 17 Mars 2012 à Montreuil, constituent le pivot de ce plan qui prend prétexte de la détresse des familles pour imposer un dispositif extrêmement construit à tous les niveaux. Un monstre bureaucratique qui s’impose, remarquons le par la menace, mais aussi et surtout par les processus de formatage des « soignants », qui deviendraient, s’ils obéissent à de telles procédures, de simples « exécutants aux ordres ». Et qui seraient à chaque étape évalués, contrôlés par toute une série de supervisions et de certifications dont on voit aujourd’hui ouvertement l’aspect intrusif dans les pratiques de chacun. Nous avons critiqué depuis nos débuts ces processus de certification s’avançant au nom du bien et prétendant garantir les prétendues « bonnes pratiques » en s’en tenant prétendument à la forme. Nombre d’entre nous s’épuisent chaque jour à tenter de traduire leur travail dans cette novlangue appauvrissante, puisque nous sommes contraints à passer sous les fourches caudines des certifications si nous voulons continuer à faire notre travail soignant en institution.

Aujourd’hui un masque tombe bruyamment : ces certifications vont intervenir explicitement sur le fond, c’est-à-dire sur la relation soignante, sur la prise en charge avec ce qu’elle suppose à chaque fois de prise en compte de la singularité, avec aussi la part d’invention et de création qui fait la difficulté mais aussi la richesse passionnante de nos métiers. Nous travaillons avec des personnes prises dans une histoire sur plusieurs générations, un réseau de relations humaines et sociales, et aucune approche de cette complexité ne peut prétendre être univoque et s’imposer à tous et en toutes circonstances.

Ainsi un certain nombre d’entre nous, et j’en suis, construisent leur pratique en s’appuyant sur la psychanalyse et la Psychothérapie Institutionnelle, mais il ne nous viendrait pas à l’idée d’en faire une approche exclusive !

Et nous nous insurgerions de la même manière contre une telle prétention totalitaire !
De plus face à la grande détresse de ceux que nous accueillons, qui oserait prétendre que des abords multidimensionnels ne sont pas indispensables ?
Chaque jour il m’arrive de prescrire des psychotropes, même si j’essaie d’en faire un usage bien tempéré, pour pouvoir apaiser la trop grande souffrance, chercher le contact, le garder et nouer des relations de confiance préalables à toute possibilité de soin relationnel.
C’est cette posture se réclamant des lois de l’hospitalité qui nous parait le soubassement, le socle d’une psychiatrie à reconstruire sans négliger aucun des apports de la biologie, des sciences sociales, de la philosophie etc…
Cette liste n’est pas limitative par principe, et c’est cet hétérogène-Jean Oury le définit comme un hétéroclite travaillé- qu’il est toujours indispensable de maintenir comme un ouvert riche de potentialités.

On m’a appris à la Faculté de médecine, il y a déjà longtemps à prescrire, mais ce que j’ai appris de réellement opératoire s’est effectué sur le terrain, au contact des équipes avec lesquelles j’ai travaillé, avec les patients qui ont été mes vrais maitres en psychiatrie dans les espaces de vie quotidienne et de club thérapeutique. C’est toute la dimension d’un Collectif de travail qui inclut tous ceux qui concourent aux soins, mais aussi les patients qui peuvent, si on leur en donne la possibilité, participer de la construction de l’espace thérapeutique.
Ce propos pourrait paraitre utopique si je ne vivais pas quotidiennement cette pratique, comme tous ceux qui s’engagent à leur manière à chaque fois particulière dans cet enjeu d’un soin relationnel qui constitue le lieu de la « fabrique du soin », celui où nous pouvons rencontrer l’autre. Et cela vaut pour le collectif comme pour les rencontres apparemment les plus individuelles.
Or ce plan autisme 2013, et ces recommandations de la Has sont exactement antagoniques à tous ces préalables nécessaires pour construire un tel espace thérapeutique. D’autres que moi, je pense bien sûr en premier lieu à Pierre Delion, ont pu montrer le caractère opératoire d’une « psychiatrie intégrative » avec les personnes souffrant d’autisme ; et pour lesquelles les soignants usent de toutes les possibilités en leurs moyens pour entrer en contact, réduire la souffrance et les automutilations, aider la personne à l’accès au langage et aux acquisitions.
Il est complétement absurde d’opposer psychanalyse et éducation : Anna Freud, Françoise Dolto pour parler des plus célèbres ont consacré leur vie à tenter d’articuler ces approches hétérogènes et complémentaires.

Et quand nous travaillons avec des patients désinsérés par leur maladie, pour retrouver un logement qu’ils puissent habiter, au sens fort de ce terme, quand nous les aidons à gérer leur budget et à s’inscrire dans des échanges sociaux, quand nous partageons avec eux des moments de vie quotidienne, des repas ou des fêtes, nous travaillons dans une complexité de registres qui interdit toute prétention à une vérité exclusive. Aujourd’hui on nous présente une Vérité d’Etat garantie par la HAS qui prétend s’appuyer sur des avancées scientifiques et même sur une recherche dont on connaitrait par avance les résultats ! On n’avait jamais rien lu d’aussi grandiose depuis l’époque du génial camarade Staline !
Or cette Vérité Ultime et exclusive se trouve dans le plan « fédérée » explicitement par la fondation Fondamental, que le film de Philippe Borrel (« Un monde sans fous ») nous avait montrée dans sa fondation entre des politiciens de droite, des bio-psychiatres quelque peu fanatiques, et quelques savants qui paraissaient bien illuminés…
Il semble bien hélas que cette Fondation ait donc pris le pouvoir sur toute une partie de l’appareil d’Etat au point de lui dicter un plan totalement calqué sur ses positions et son appareil de formatage.

Il semble aussi que la gauche de gouvernement se soit laissée convaincre par ce discours pseudoscientifique que les meilleurs chercheurs en neuroscience ont pourtant déjà démonté : qu’on se rappelle entre autres les contributions de François Gonon et de André Coret lors du meeting de Montreuil ainsi que pendant ces Assises, leurs publications lisibles par toute personne souhaitant s’informer de l’état de la science! Et de l’imposture de la psychiatrie qualifiée de « bulle spéculative » par François Gonon dans la revue Esprit de novembre 2011.
Il faut aussi insister sur un point crucial : il ne s’agit en aucune manière pour nous de proposer un retournement en mettant une autre orientation, telle la psychanalyse actuellement désignée comme un épouvantail, en position de vérité ultime. Un tel retournement laisserait intacte cette idée totalitaire d’une Vérité d’Etat, alors qu’il faudrait préconiser la plus large ouverture à la recherche et à l’inventivité dans le soin et la formation.

Et nous serions enchantés d’ailleurs que des avancées pratiques se produisent dans le domaine biologique : mais pour le moment cela reste de l’ordre de l’imposture, comme nous avions pu le lire et le dénoncer dans le préambule de la loi du 5 Juillet, avec ces médicaments antipsychotiques qui prétendent de façon mensongère en finir avec le « déni des troubles », voire en finir avec la folie !
Pour autant certains patients, certaines familles ne veulent en aucune manière d’une thérapie s’appuyant sur la parole, et il s’agit absolument de respecter cette possibilité : car la thérapie forcée, la parole imposée c’est aussi totalitaire voire plus que les médicaments sous contrainte en ambulatoire !
Ce qu’il s’agit de soutenir : c’est la possibilité la plus grande de choix pour les patients, les familles et les professionnels. Un choix éclairé par un autre discours que celui de la propagande des laboratoires pharmaceutiques qui trame et finance cette HAS dont les décisions sont contestées dans bien d’autres domaines : maladie d’Alzheimer, taux de cholestérol etc… en vue de prescrire des médicaments aussi couteux qu’inefficaces ou dangereux.

Des collègues médecins ont contesté ces recommandations et ont eu à plusieurs reprises gain de cause : ainsi l’association des psychiatres d’intersecteurs (l’API) a refusé récemment de produire une recommandation sur « le syndrome d’hyperactivité chez l’enfant » en arguant de l’inexistence d’une telle entité inventée essentiellement pour prescrire de la ritaline à un enfant sur 10 aux USA.
Il nous est donc possible de contester et même de récuser des recommandations purement idéologiques de cette HAS, dans la mesure où elles sont absolument non scientifiques contrairement à ce qu’elles prétendent, et qu’elles vont à l’opposé de tout ce qui fait la richesse et la diversité de notre clinique et de la réalité psychique de chaque personne.
Autrement dit il ne faut pas laisser passer les déclarations démagogiques d’une ministre sous prétexte qu’elles recevraient l’assentiment d’une partie des familles. D’autres groupes de familles, comme l’association « la main à l’oreille » mènent le combat à nos côtés, et à leur manière, pour des soins ouverts et de qualité : au nom de quoi ces familles ne mériteraient-elles pas d’être reconnues et prises en considération ?

La démocratie ne consiste certainement pas à écraser les minoritaires sous le poids du plus grand nombre, et « d’homogénéiser » les pratiques pour que tout soit conforme à une norme d’Etat.
Nous savons depuis le 9 Mars 2012 la volonté, déclarée dans le journal l’Express, du président de la HAS de généraliser ses « recommandations » à tout le champ psychopathologique : aujourd’hui l’autisme, demain les bipolaires et les schizophrènes …

Il suffira à chaque fois de prétendre à une pseudo-découverte scientifique pour vouloir imposer un traitement formaté des patients considérés comme un tas de molécules et de neurones !
Répétons-le une fois de plus : quand bien même des troubles génétiques, biologiques seraient avérés dans une pathologie mentale, cela ne signifierait en aucune manière que la personne en souffrance serait dépourvue de vie psychique et d’inconscient. Ou alors nous nous dirigerions tout droit vers ce que Tony Lainé appelait en son temps une psychiatrie animalière, une zoo-psychiatrie.
Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres, il est important de nous mobiliser ensemble contre ce plan qui est lourd de menaces cette fois tout à fait explicites. C’est toute la possibilité des soins psychiques qui se trouve mise en danger par un tel dispositif qui marque le début d’une destruction organisée d’une psychiatrie fondée sur des valeurs humaines de solidarité et d’hospitalité.
Il est essentiel enfin que soient promus des lieux d’accueil pour les personnes autistes, ce qui implique en premier lieu des moyens, mais surtout la nécessité d’une politique de soins tenant compte de l’infinie diversité des situations et de l’articulation indispensable des différentes approches thérapeutiques et éducatives existantes et à venir.

Pour le Collectif des 39
Dr Patrick Chemla
Psychiatre et psychanalyste, chef de service,
Centre Antonin Artaud Reims
Juin 2013

Share