Table 3: ALERTE AUX CLUBS

Jean-Michel de CHAISEMARTIN   Psychiatre

En psychiatrie, les associations réservant une place aux « usagers » présentent une très grande diversité. En parler comme de possibles auxiliaires du soin va à contre-courant du discours pharmacologique, cognitif et systémique qui scelle les relations actuelles de la psychiatrie avec un scientisme séducteur pour certains, mais surtout réducteur pour tous. 

Les démarches nécessaires au rétablissement de l’article du C.S.P. qui leur autorise un statut particulier, article supprimé dans la première version du projet de loi, ont imposé de débattre à nouveau sur leur rôle. Les principes qui régissent leur existence et leurs pratiques ont été interrogés dans une réflexion utile à qui veut s’aventurer, avec les précautions nécessaires, dans ce monde de la singularité et de la différence.

En dehors des associations gérantes d’établissements ou de structures, dont les organes de fonctionnement sont pour la plupart tenus par des professionnels, on peut repérer trois domaines principaux d’intervention de structures associatives référées à une participation des usagers :

– la défense des droits des personnes malades et des usagers du système de santé, leurs représentation, leurs formations et informations, sont confiées aux associations régies par l’article L1114-1 du Code de la Santé Publique, (issu des ordonnances de 1996 et de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, complétée en février 2007 et juillet 2009).

Le projet de loi y fait explicitement référence, art. L. 1434-12, §3, et art L.3221-2 II§1, renforçant le rôle de représentation d’organes souvent trop éloignés du terrain. 

– le soutien par les pairs : les Groupes d’Entraide Mutuels permettent à leurs adhérents de se rencontrer, de partager des activités, de s’entraider. Ils ont été créés à la suite de la loi du 11 février 2005 (relative à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, par une circulaire du 29 août 2005 et une seconde du 30 mars 2007. Ils ont été confortés par un arrêté du 13 juillet 2011). Leur cahier des charges stipule qu’il ne s’agit pas de structures de soins, l’activité du GEM reposant avant tout sur l’existence d’une « association d’usagers » ; « les professionnels du soin ou de la santé au sens large n’ont nullement vocation à participer aux instances de l’association ».

Leur cadre règlementaire ne relève clairement pas du projet de loi, qui ne les évoque pas.

– enfin, affirment une participation aux soins des associations dites de soins, de prévention, de réhabilitation et/ou de réinsertion, parfois aussi intitulées « de secteur ».

Elles ont longtemps été régies par une circulaire du 14 février 1958(« instruction générale sur les conditions d’organisation du travail des malades »)  

A partir de ce texte, des associations régies par la loi de 1901 se sont multipliées, assez souvent à l’initiative de l’administration ou de l’encadrement des services de psychiatrie. Elles ont permis de gérer des structures médico-sociales, contournant l’interdiction dont les établissements publics étaient frappés.

Dans les années 80 leur développement a palié à la modestie des engagements des pouvoirs publics : elles ont porté la création de C.A.T., d’ateliers protégés, de M.A.S., d’appartements relais ou associatifs, les activités de sociothérapie, le travail de réseau des équipes, etc …

Un grand nombre d’associations se sont tenues à cette facette utilitaire, gestionnaire, cette fonction de suppléance qui les a rendues peu à peu indispensables face au désengagement croissant des pouvoirs publics.

Ce faisant, elles ont permis d’extraire les malades du rôle statufié que l’asile leur assignait, de créer un champ d’interactivité et de parole entre eux, le personnel soignant et le monde des gens dits normaux ou supposés tels, reposant sur le principe fondateur de la loi de 1901, l’absence de partage par les membres de l’association d’un profit généré par ses activités.

En sus d’être ce moyen pratique et économique de substitution aux soins hospitaliers, la sollicitation de la participation des malades a révélé un lieu d’expression utile pour soutenir la capacité à se prendre en charge, à participer à la vie sociale, à un débat démocratique, à « l’exercice de la citoyenneté » c’est à dire à la place dans l’espace politique.

Constatant que, pour la personne en souffrance, dans le passage d’usager à membre actif, le cadre associatif pouvait être un authentique médiateur thérapeutique, d’une place réifiée vers le lieu de son propre discours, F.Tosquelles, J.Oury, P.Rappart et d’autres, ont proposé d’y abriter ce qu’ils ont nommé « clubs thérapeutiques », sous-groupe singularisé par l’adjectif de leur intitulé, et accessoirement par la modestie de leurs moyens.

La circulaire de 1958 inspirée par leurs travaux expliquait que :

« La thérapeutique par le travail a toujours été en honneur dans les hôpitaux psychiatriques pour occuper le temps et éviter l’oisiveté… (Mais) des expériences (..) faisant intervenir une association déclarée au titre de la loi du 1er juillet 1901 à des stades divers de l’organisation thérapeutique ont donné des résultats parfois très satisfaisants.

Des conclusions communes peuvent dès à présent en être retirées :

Le travail a une valeur thérapeutique considérable

2° L’organisation du travail n’est qu’un des aspects de l’organisation de la vie sociale,  élément essentiel de la thérapeutique

La participation du malade à cette vie sociale sous toutes ses formes, doit être active et non passive

La manipulation de l’argent a, en soi, dans la plupart des cas, une valeur thérapeutique, et constitue un test de sociabilité de premier ordre. »

Pour contrer l’isolement social et l’exclusion induits par la maladie mentale, les soins cherchent à restaurer des échanges dynamiques, en favorisant notamment une participation active des personnes malades à des initiatives, des responsabilités, des échanges concrets inscrits dans un champ collectif, ouvrant l’accès à un monde partagé avec les autres humains.

Les clubs suscitent, soutiennent et accompagnent cette participation.

Potentialisant l’effet des thérapeutiques, ils sont des outils de soins complémentaires des prises en charge individualisées, dynamisant la démarche de soins et s’opposant aux principaux effets, sur le plan social, de la maladie : retrait, passivité, irresponsabilité.

Structure à pleine responsabilité juridique, l’association permet aussi d’accéder à une identité (une « personne morale ») déstigmatisante, à une responsabilité, à une voix reconnue.

L’apport de ce type d’association sur l’ambiance, l’atmosphère qui baigne les trajectoires de chacun, est déterminant : là où elles sont fonctionnelles, les conduites d’agitation et de violence sont notoirement réduites. On y constate un moindre recours à des mesures de contrainte, d’isolement ou de contention, une minoration du risque de passages à l’acte automutilateurs ou hétéro agressifs.

L’éclairage de nos prédécesseurs aide à en expliquer les principes de fonctionnement, « la valeur ajoutée spécifique apportée à l’action administrative … » décrite par la Cour des Comptes en 2000.

F.Tosquelles affirme  que : « L’homme va sans cesse d’un espace à l’autre. Il ne peut rester tout le temps dans le même espace. C’est-à-dire (qu’il) est toujours quelqu’un qui va ailleurs.

Le Club est un lieu dans lequel les gens peuvent se retrouver et établir des relations avec l’inconnu, l’inhabituel, le surprenant parfois. (Il) promeut un certain nombre d’activités et de modes de rencontres très différents, pas toujours sur place.

Et c’est dans les passages de l’une à l’autre de ces formes de rencontres, répétés avec une certaine régularité, définie et reconnaissable par le sujet lui-même, du fait des systèmes d’échanges où il a lui-même pris part, qu’il en vient à se ré-élaborer, dans le « transfert » et les «références saisissables du collectif ». L’important, c’est le trajet. »

A le lire on comprend donc bien que, pour que ça puisse fonctionner, il faut qu’il y ait une circulation possible, que l’on puisse aller librement d’un endroit à l’autre.

J.Oury lui, nous interroge : « Le but ultime de toute thérapie n’est-il pas le déblayage des espaces, celui qui permet l’émergence du « singulier » ? » et il précise que « Le club, agent de différenciation des moments et des lieux, entretient de la diversité, il sert à maintenir de l’hétérogène. Il est tout le contraire de la logique bureaucratique faite de cloisonnement, d’homogénéisation, d’indifférenciation ».

Espace décloisonné, terreau des parcours de soins personnels, « le club bouleverse  l’ordre établi, il vient s’interposer entre l’administration, les infirmiers et le pouvoir médical ». Il permet ainsi un fructueux questionnement, sur les rapports hiérarchiques et comment chacun évolue entre rôle, statut et fonction.

Liberté de circulation et hétérogénéité, sont donc au fondement de la fonction thérapeutique d’un club où se développent des relations complémentaires, c’est-à-dire des situations où quelqu’un rentre en relation avec un autre, via un objet ou une fonction.

On peut dire qu’au club, on se sert des objets pour faire du lien.

Par exemple, un psychotique parle à son voisin de chambre après lui avoir servi un café à la cafétéria gérée par le club. Un autre descend à la poterie, non pour y travailler la terre, mais pour y retrouver le chat, près du radiateur : il ne modèle rien mais il est dans l’ambiance de l’atelier, inclus dans le groupe, dans un paysage habité.

 La responsabilité réelle des patients sur la gestion, sur la dimension économique très concrète des activités, est fondamentale pour que le club soit pris au sérieux, que le patient puisse s’inscrire dans un courant d’échanges structurant. Les échanges d’argent étant un facteur puissant d’échanges de langage c’est là aussi, sûrement, un des ressorts essentiels du club. Cet espace de créativité et de responsabilité, partagé avec d’autres permet de passer d’une situation de malade à une position de travailleur, au sein d’une sorte de groupement coopératif : la propriété y est collective, l’objet appartient à l’ensemble, chaque personne en devient responsable à travers le groupe.

Toutes ces inscriptions possibles dans une vie de collectivité riche en évènements permettent aux patients d’être co-acteurs de leurs soins, de l’ambiance dans laquelle ils baignent, de leur vie quotidienne. A la création du club de Saint Alban, la banderole d’accueil proclamait : « La thérapeutique psychiatrique c’est principalement une question d’ambiance »

Alertés par la menace, certains patients ont tenu à faire entendre dans ce débat leurs témoignages. Les contraintes de format de cette intervention ont imposé de ne retenir que ceux-ci :

1) « Le club permet de ne pas être seul dans la maladie, c’est avant tout un moyen de se soigner en complément des médicaments : les médicaments ce sont des béquilles et le club c’est un lieu d’existence ».

2) « Moi, par exemple, je viens deux jours par semaine au C. M. P. Ces deux jours-là permettent à mon « cerveau » de se remettre en marche pour la durée de la journée. Cette journée terminée, la maladie reprend le dessus. Exemple : ne pas pouvoir sortir de son lit, ne pas pouvoir s’alimenter correctement : c’est-à-dire un seul repas le soir. Mais surtout, comment faire cette vaisselle ? Cela demandait un tel effort que je pleurais ; l’idéal était de rester au lit, « d’essayer de calmer mon cerveau ».  Le matin, je me réveillais avec différentes douleurs au niveau de la tête soit au niveau du front, soit sur le dessus de la tête, soit à l’arrière de la tête et d’autres douleurs au dos dues à des contractures. Impossible de se lever ; l’hiver était froid et pas d’énergie pour faire du feu. L’atelier cuisine du club m’a permis de préparer de la nourriture et de bien manger. Pour cela, il   me fallait prendre la route pour aller à Crozon et ça, c’était possible. L’atelier cuisine m’a fait croiser d’autres personnes. J’ai fait des ballades à pied les mardis après-   midi et puis j’ai participé aux comptes … »

3) « Quand je ne sais pas faire, d’autres m’aident. J’ai été aidé   financièrement, aussi : quand je n’avais  pas beaucoup d’argent, le club m’en a prêté et après je me suis engagé à faire des choses (cafét,   réunions…) et j’ai rendu les sous après. Maintenant, je peux rester en place quand je vais à l’atelier  cuisine. Avant, je ne pouvais pas, j’étais assez violent. »

4) « J’ai passé deux semaines en HP à G.R. : il y avait rien, mais alors rien (repas, dodo, des gros bras  bodybuildés pour nous garder). J’espère qu’ici ça deviendra pas une copie. »

5) « Après une tentative de suicide, je me suis retrouvée à l’hôpital. Je sais que ma bipolarité sera toujours un handicap pour moi. Mais, j’ai réussi à vivre avec, à la surmonter grâce à mon traitement médicamenteux, mais surtout  grâce à ce « coussin » que représente pour moi l’association. L’équipe de soignants m’a beaucoup entourée, aidée, mais je n’aurais pas réussi à rebondir s’il n’y avait pas eu aussi tous ces soignés comme moi qui m’ont permis de relativiser ma détresse. Avec eux tous, soignants, soignés, j’ai pu me projeter vers d’autres occupations, d’autres sorties, des projets que je ne savais plus faire. Concrètement, j’organisais une autre vie rythmée par ces réunions où nous décidions de projets communs, de jeux et de loisirs partagés.  Quand je suis arrivée au club, j’étais terrifiée, pleine d’appréhension. Puis, j’ai compris qu’on ne me jugeait pas. Je vivais seule chez moi, j’étais dans une bulle, sortir était devenu un calvaire. Grâce au club, je me suis fait des amis et, avec eux, je peux faire des activités qui me permettent de sortir de chez moi et de ma solitude. Je n’ai plus peur, j’ai repris confiance en moi. Bref, je recommence à vivre. »

6) « A ma sortie d’hôpital, j’ignorais l’existence du club, je ne souhaitais pas intégrer à nouveau un groupe de « bras cassés ». Il a fallu toute la finesse d’un soignant pour que j’apprivoise mes réticences, mes à priori, que j’accepte de faire un pas vers les autres. Concrètement, cela s’est traduit par mon implication dans le projet de la voiture solidaire en qualité de chauffeur. Etre chauffeur, c’est une prise de risques : le risque de retrouver la confiance, la confiance en soi, la confiance des autres, le risque de s’engager. C’est quitter la « voie de garage », passer à la remise en circulation. Le club, sa voiture solidaire, la confiance des uns et des autres m’ont permis de reprendre ma place ou, à tout le moins, une place ; de me resocialiser, de prendre conscience de mon potentiel, de mes potentialités, des possibles auxquels j’avais renoncés. »

7) « A l’hôpital, il me tardait d’en sortir. Au club, il me tarde d’y venir. Parce que le café n’y est pas mauvais, et que les anciens internés de l’hôpital ont le même plaisir à partager les activités en toute liberté.

S’il n’est pas question de faire d’une telle organisation une obligation générale, on voit bien qu’il faut laisser aux équipes qui s’en servent la possibilité de continuer à faire fonctionner au cœur même de leur plateau technique, ce travail original, peu coûteux et très productif. 

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