Table 1: Neurosciences et psychiatrie

François Gonon     francois.gonon@u-bordeaux.fr

Mesdames, Messieurs,

Je suis directeur de recherche émérite au CNRS à Bordeaux. J’ai étudié pendant 35 ans la neurotransmission mettant en jeu la dopamine. J’ai aussi écrit plusieurs articles, y compris dans des revues internationales, concernant le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et plus généralement la psychiatrie. Les organisateurs de cette rencontre m’ont demandé de présenter en 10 minutes mon point de vue sur les apports des neurosciences à la psychiatrie.

Je commencerai par un constat indiscutable : aucun service de santé de par le monde n’a validé de test biologique pouvant aider au diagnostic des troubles mentaux. Même pour l’autisme ou la schizophrénie, les tests génétiques ou l’imagerie cérébrale ne sont d’aucune utilité  diagnostique. D’autre part, les médicaments disponibles en psychiatrie sont soit des molécules découvertes par le hasard d’observations cliniques dans les années 50 et 60, soit des produits dérivés de ces premières molécules. Aucune nouvelle cible thérapeutique n’a été découverte en psychiatrie depuis 40 ans. L’industrie pharmaceutique en a tiré ses conclusions : depuis 2010 les plus grands laboratoires ont fermé leurs centres de recherche concernant de nouveaux médicaments psychotropes1. Les neurosciences n’ont donc pas, jusqu’à présent, contribué à améliorer les pratiques en psychiatrie2,3. Selon les experts les plus reconnus cette absence de résultat est due à l’incommensurable complexité du cerveau et il est donc peu probable que ce constat s’améliore dans les prochaines années.

Vous me direz que ce sombre constat est à l’opposé de ce qu’on peut lire dans les média, même les plus respectés. Ma recherche actuelle porte effectivement sur cet écart et en a identifié la source principale : la dévaluation des études initiales. En effet, dans tous les domaines de la recherche biomédicale la première publication sur un nouveau sujet rapporte presque toujours un effet plus grand que les suivantes. Ainsi avance la recherche : un premier résultat, spectaculaire mais incertain, est suivi par des travaux qui convergent vers un consensus fiable, mais bien souvent de moindre portée pratique. Ce biais de publication n’est pas choquant en soi, mais il altère la médiatisation des recherches. En effet, nous avons montré avec le cas du TDAH que les média se font préférentiellement l’écho des études initiales et n’informent quasiment jamais le public lorsque elles sont réfutées, ce qui est pourtant le cas le plus fréquent4.

Est-ce à dire que la recherche ne nous a rien appris ? Pour ma part je suis convaincu, au contraire, que les recherches en neuro-génétique et en épidémiologie sont en train de révolutionner notre conception des troubles mentaux. En effet, la psychiatrie du XIX et du XX siècle était fondée sur une observation évidente: certains troubles mentaux sont plus fréquents dans certaines familles. L’idée s’est donc installée que la cause principale des troubles mentaux était génétique. Avec la multiplication d’études génétiques de plus en plus précises une évidence s’impose : la contribution des facteurs génétiques aux troubles mentaux est au plus modeste5. Par exemple, pour l’hyperactivité (TDAH) l’effet le plus robuste, et de loin, est dû à une variante, dite à 7 répétions, du gène codant pour le récepteur D4 de la dopamine. Cette variante est observée chez 23% des enfants diagnostiqués hyperactifs et chez seulement 17% des enfants témoins. A l’inverse, les études épidémiologiques récentes mettent en évidence la place prépondérante de l’environnement. Même pour l’autisme, selon une très large étude génétique publiée en 20116, la contribution des facteurs environnementaux est plus importante que celle des facteurs génétiques. Ces facteurs environnementaux peuvent êtres très divers, y compris biologiques. Par exemple un fort déficit en vitamine D chez la mère pendant la grossesse représente un très substantiel facteur de risque vis-à-vis de l’autisme chez ses enfants.

Le fait, pour moi maintenant largement démontré, que les facteurs contribuant à la survenue des troubles mentaux sont principalement environnementaux et non pas génétiques, est porteur d’espoir. En effet, la société peut agir sur ces risques environnementaux et je suis convaincu que les progrès les plus importants dans le domaine de la psychiatrie viendront des mesures de prévention suggérées par les études épidémiologiques.

Pour finir je voudrais revenir sur le cas du TDAH. En l’absence d’évidence biologique, le diagnostic ne peut que reposer sur l’appréciation, forcément subjective, du comportement de l’enfant. Aux USA la prévalence du diagnostic de TDAH en 2007 chez les écoliers variait entre 5,6 % (Nevada) et 15,6 % (Caroline du Nord). En Italie du nord la Lombardie a mis en place un réseau de 18 centres experts pour le diagnostic du TDAH et sa prévalence y est stable depuis 2012 à 0,5% des écoliers7. De plus, contrairement à la pratique américaine où pratiquement tous les enfants diagnostiqués se voient prescrire un psychostimulant, en Lombardie seulement 16% d’entre eux reçoivent de la ritaline. Il n’y a aucun argument biologique pour justifier une pratique plutôt qu’une autre. Seules les études de larges populations sur le long terme peuvent éclairer les pratiques. A cet égard l’expérience canadienne est frappante. Au Québec, pendant les années 2000, 7 à 9% des écoliers étaient traités par la ritaline pour seulement 3% dans le reste du Canada. Selon une étude de 2014, la prescription massive n’a pas profité aux enfants hyperactifs du Québec8. Leurs performances scolaires n’ont pas été améliorées et les effets secondaires, comme la dépression chez les filles, ont été plus fréquents. Ceci est cohérent avec les études américaines de long terme qui montrent que la prescription de ritaline ne protège ni de l’échec scolaire ni du risque de toxicomanie9.

Au total il me semble que le TDAH est un cas typique de nos sociétés où des problèmes d’origine principalement sociale sont pris en charge par la médecine. Je n’aurais rien contre si cette solution médicale était efficace, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Après bien d’autres comme Edouard Zarifian, le pionnier en France de la psychiatrie biologique, je plaide donc pour une psychiatrie pragmatique guidée par l’expérience au contact du patient plutôt que pour une psychiatrie technicienne aux bases scientifiques pour l’instant trop incertaines10. Surtout, je plaide pour des mesures de prévention éclairées par les études épidémiologiques.

Références

1. Smith, K. Trillion-dollar brain drain. Nature 478, 15 (2011).

2. Hyman, S.E. The diagnosis of mental disorders: the problem of reification. Annu Rev Clin Psychol 6, 155-79 (2010).

3. Frances, A.J. & Widiger, T. Psychiatric diagnosis: lessons from the DSM-IV past and cautions for the DSM-5 future. Annu Rev Clin Psychol 8, 109-30 (2012).

4. Gonon, F., Konsman, J.P., Cohen, D. & Boraud, T. Why most biomedical findings echoed by newspapers turn out to be false: the case of Attention Deficit Hyperactivity Disorder. PLoS ONE 7, e44275 (2012).

5. Sonuga-Barke, E.J. Editorial: ‘It’s the environment stupid!’ On epigenetics, programming and plasticity in child mental health. J Child Psychol Psychiatry 51, 113-5 (2010).

6. Hallmayer, J. et al. Genetic heritability and shared environmental factors among twin pairs with autism. in Arch Gen Psychiatry, Vol. 68 1095-102 (United States, 2011).

7. Bonati, M. & Reale, L. Reducing overdiagnosis and disease mongering in ADHD in Lombardy. BMJ 347, f7474 (2013).

8. Currie, J., Stabile, M. & Jones, L. Do stimulant medications improve educational and behavioral outcomes for children with ADHD? J Health Econ 37, 58-69 (2014).

9. Sharpe, K. Medication: the smart-pill oversell. Nature 506, 146-8 (2014).

10. Gonon, F. La psychiatrie biologique: une bulle spéculative ? Esprit Novembre, 54-73 (2011).

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