Psychiatrie: l’état d’urgence – PARTIE 3

analyse du livre par Frank Drogoul

25 propositions

De 1 à 6 : Dé-stigmatiser et favoriser le dépistage précoce

De 7 à 14 : Assurer des soins de qualité centrés sur les besoins des patients

15 à 16 : Promouvoir le rétablissement en pensant le parcours de vie

17 à 22 : Accompagner les transformations à l’œuvre grâce à la formation

23 à 25 : Soutenir les espoirs de la recherche

Les équipes mobiles

Un nouveau grade, les case managers

La recherche

L’épilogue de ce livre : « Pas encore guéri, mais rétabli et maître de mon destin »

Un livre rencontre actuellement un succès médiatique : Psychiatrie: l’état d’urgence de Marion Leboyer et Pierre-Michel Llorca.

Dressant le bilan dramatique de la psychiatrie française contemporaine, les auteurs prétendent soutenir les luttes en cours en avançant leurs arguments pour une psychiatrie du XXIème siècle.

Mais c’est d’une place bien singulière dont il s’agit. On pourrait dire que ce livre se présente comme la revanche des CHU face à la psychiatrie publique issue de l’aliénisme, c’est-à-dire de la constitution du savoir psychiatrique depuis la naissance de notre spécialité autour de la Révolution Française. Depuis la séparation entre la psychiatrie et la neurologie en 1969, un clivage s’est opéré entre les services hospitalo-universitaires de neuropsychiatrie, qui ont choisi d’évoluer vers la psychiatrie et l’immense majorité des lits et structures soignantes, issues de l’ouverture aux soins des asiles psychiatriques régies par la circulaire instituant le secteur Psychiatrique que nous expliquerons plus loin. 

A l’image des autres spécialités de la médecine universitaire, ces services de CHU se sont spécialisés dans la recherche pharmacologique, et ce, dans le cadre de séjours psychiatriques de courte durée, passant la main pour la post-cure aux psychiatres libéraux ou aux équipes de secteur psychiatrique dans les cas où le patient nécessitait une prise en charge plus soutenue et englobante ou lorsque la maladie devenait trop grave dans sa durée ou son intensité.

Au vingtième siècle, ces services de CHU sont restés éclectiques, y compris avec des psychanalystes dans leur équipe et se référaient à un siècle de tradition aliéniste franco-allemande dans leur recherche diagnostic. Mais depuis le début du XXIème siècle, c’est le positivisme qui inonde les CHU, avec la réduction du diagnostic aux QCM du DSM, avec des thérapies cognitivo-comportementales, une hyper spécialisation des soins excluant la dimension collective dans lequel tout humain est appelé à s’inscrire. 

Qu’en est-il exactement ? C’est ce que nous allons analyser dans ce texte. Par souci d’honnêteté, je n’aborderai pas ici les critiques de la pédopsychiatrie, préférant laisser ce sujet brulant aux professionnels de la petite enfance.

Ce texte critique étant assez long, il a était choisi de le mettre sur le site du collectif des 39 en trois parties.

Cette troisième partie reprend les vingt-cinq propositions de ce livre, en n’insistant que sur celles qui vont changer la pratique de la psychiatrie publique et hospitalière.

Les propositions laissées sans commentaire n’en ont guère besoin car ces auteurs ne demandent pas les formations et des embauches massives indispensables, mais juste de déshabiller Paul pour habiller Jacques, en l’occurrence un Jacques non soignant comme les centres experts de diagnostic, les case manager, etc.. Et lorsqu’il est soignants, c’est pour le former à des thérapies ayant comme point commun d’être les plus courtes possibles.

D’autres propositions comme la dé-stigmatisation, se passent de commentaires tant cette question revient dans tous les rapports sur la psychiatrie depuis trente ans (Rapport Massé, Piel-Rolandt, etc.) afin d’imposer une désinstitutionalisation avec fermeture des lits hospitaliers et leur rapprochement des autres spécialités médicales et destruction du Secteur Psychiatrique, ceci n’ayant eu comme conséquence que d’aggraver la stigmatisation de la folie. 

25 propositions

À la fin de cet ouvrage, nous arrivons ainsi aux 25 propositions ! Elles sont vides de sens et ne concernent pas, hélas, la psychiatrie telle
que nous la vivons et pratiquons. Mais les budgets iront vers leurs nouveaux gadgets et asphyxieront encore un peu plus ce qui reste de la psychiatrie de secteur. Il est dans ce sens proposé de fermer des structures extra-hospitalières pour les regrouper dans des CMP qui pourront alors proposer une diversité de thérapies courtes et protocolées.

Ces 25 propositions peuvent être regroupées en cinq rubriques

De 1 à 6 : Dé-stigmatiser et favoriser le dépistage précoce. 

Mais avec quels soignants ? 

« À la lumière de ces analyses, il n’est pas inutile de se souvenir que, selon une étude internationale menée en 2009, la France fait partie des pays qui stigmatisent le plus les patients atteints de schizophrénie. », nous apprennent les auteurs dans ce chapitre plein de vœux pieux. Mais 2009 se situe un an après le discours d’Antony de Nicolas Sarkozy qui a volontairement monté en épingle la stigmatisation des patients psychotiques meurtriers, ce qui a conduit à la loi d’obligation de soin en ambulatoire. Les auteurs sont-ils au courant de ce fait divers d’envergure ? À lire ce livre, nous pouvons en douter, car à aucun moment ils ne différencient cette loi liberticide des placements hospitaliers sous contrainte. Probablement pensent-ils que c’est une loi qui manquait à la psychiatrie, alors que c’est une loi symptôme de la destruction du suivi post-hospitalier. C’est ce discours de Sarkozy qui, en réaction, a donné naissance au Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, collectif qui a tenté d’alerter l’opinion sur la banalisation des contentions à l’hôpital.   

De 7 à 14 : Assurer des soins de qualité centrés sur les besoins des patients,

 Cela en identifiant

« Plusieurs niveaux de propositions permettraient d’améliorer le parcours de soins des patients atteints d’un trouble psychiatrique : 

* en repensant l’organisation des soins, en assurant une merveilleuse articulation entre médecine générale et psychiatrie, soins somatiques et soins psychiatriques, et en intégrant un niveau de recours spécialisé, multidisciplinaire et coordonné ; 

* en prenant davantage en compte les besoins et l’avis du patient et en visant la meilleure intégration de ses proches au sein du parcours de soin ; 

* en s’appuyant sur de nouveaux modes de tarification afin de sortir la psychiatrie de l’état de paupérisation qu’elle connaît, et d’inciter à la coopération entre les différents acteurs de la prise en charge des patients ; 

* en s’appuyant sur l’e-santé afin de promouvoir l’innovation et l’accès à des stratégies thérapeutiques peu disponibles en soins courants. »

15 à 16 : Promouvoir le rétablissement en pensant le parcours de vie

17 à 22 : Accompagner les transformations à l’œuvre grâce à la formation

23 à 25 : Soutenir les espoirs de la recherche

Nous n’allons pas ici reprendre les propositions une à une, car la plupart resteront des propositions sur le papier, les financements n’allant pas suivre. D’autres ne sont pas faites pour être appliquées, car elles figurent sur la liste des efforts à faire depuis plus de cinquante ans, comme les vœux pieux de la déstigmatisation au nom de laquelle le rapport Massé, en 1995, nous invitait à rapatrier les services hospitaliers psychiatriques dans les hôpitaux généraux, sous peine de mauvaises notations. Plus le délitement du corps social s’accentuera avec la crise, et plus les boucs émissaires seront stigmatisés, dont les personnes fragiles psychiatriquement, surtout si elles se retrouvent sans soins, ce qui est économiquement programmé.

Mais retenons certains points qui seront à coup sûr appliqués et même imposés en détruisant ce qui existe déjà.

Les équipes mobiles

Les équipes mobiles sont, paraît-il, plébiscitées par les familles qu’on laisse seules face aux difficultés de leur proche malade. La France serait en retard (94 équipes mobiles pour lutter contre la précarité contre 560 en Allemagne) 

« Une expérience suisse d’équipes mobiles : les données et résultats d’une expérimentation développée en Suisse ont démontré une amélioration de l’acceptation des soins et de l’observance, ainsi que du pronostic des patients. Leur ambition est de prendre en charge, par une équipe mobile spécialisée, 100 % des patients de 18 à 35 ans atteints de psychose débutante. Leurs objectifs : réduire le risque de désocialisation, très important au début de la maladie et réduire le risque d’arrêt du traitement durant la période critique des trois premières années de psychose. Le recrutement estimé est de 40 à 50 nouveaux patients par an dans un secteur de 250000 habitants (incidence 2 cas pour 10000 habitants). L’équipe ambulatoire est composée d’un médecin responsable du programme (0,10 ETP), d’un chef de clinique (0,15 EPT) qui supervise les situations et gère les admissions dans le programme, de deux médecins-assistants (0,6 EPT) qui ont en charge le traitement médical des patients et de cinq case managers (3,5 EPT). L’évaluation de ce programme, au terme de 5 ans d’existence et de 235 patients suivis, a conduit le département de la Santé publique en Suisse à développer d’autres équipes mobiles premier épisode dans d’autres secteurs. »

Comme si les visites à domicile n’avaient pas été et ne sont toujours pas le quotidien des infirmiers psychiatriques ! Mais à la différence des équipes mobiles qui se partagent généralement en deux spécificités séparées, celles de première intervention qui finissent par passer la main à celles de la prise en charge au long cours, les visites à domicile se faisaient et se font encore par des soignants qui connaissent les patients et qui peuvent les aider à s’inscrire dans le maillage des lieux d’accueil du secteur et du club, pour ceux qui sont très isolés, quelle que soit leur pathologie.

La mise en place de ces équipes mobiles va donc transformer les visites à domicile déjà existantes, dans un sens bureaucratique, avec une équipe détachée des autres, dépendant d’un nouveau chef, et partant, voir des patients qu’elles ne connaissent pas et qui végèteront le reste de la semaine dans l’inactivité à domicile ou à charge de leur famille. Quelle prophylaxie de la désocialisation !

La continuité du lien transférentiel comme soubassement théorique du secteur psychiatrique est désormais volontairement méconnue, ce qui entraîne la redécouverte du B.A.B.A du travail psychiatrique par des universitaires (ce sont bien entendu des chefs de clinique universitaires qui supervisent les équipes mobiles suisses, érigées en nouveau model) ! Mais ils arrivent avec leurs chiffres ! Alors que les équipes de secteur arrivent avec des tranches de vie, grâce à l’accompagnement psychiatrique à modulation variable. Qu’ils nous envoient plutôt des statisticiens pour analyser les résultats des équipes de secteur institutionnels ,qui travaillent depuis quarante ans, comme à Landerneau, à Reims, à Abbeville, etc… 

Nous n’avons pas peur de leurs chiffres ! Il nous manque juste le temps et les moyens de synthétiser tout un travail de secteur en chiffres psycho-sociaux, et nos universitaires ne veulent surtout pas nous aider dans cette tâche, eux qui ne parlent pourtant que de petites expériences singulières qui ne pourront être généralisées, sans écraser ce qui existe déjà et fonctionne… 

Un nouveau grade, les case managers

Les case managers « à l’instar de dispositifs qui ont fait leur preuve » auront à charge de coordonner les différents intervenants et s’appuieront sur la « télémédecine et le suivi d’indicateurs quantitatifs et écologiques ayant pour but le repérage rapide de rechutes. (…)

L’accompagnement par un case manager doit s’envisager de façon intensive sur une durée suffisamment courte (entre trois mois et un an en fonction des besoins du patient). Il a en charge d’assurer l’articulation de tous les acteurs sanitaires (CMP, équipes mobiles, psychologues, médecin généraliste, médecins spécialistes) et médico-sociaux (retour à l’emploi, solutions d’hébergement adapté). » 

« Une durée suffisamment courte » ! Mais tout soignant en psychiatrie sait que le travail proprement dit n’est jamais dans la courte durée.

Tout cela en vue de plusieurs objectifs :

« Amélioration des parcours de soins, quelques indicateurs de réussite :

Diminution du nombre et de la durée des hospitalisations complètes.

Diminution du nombre de recours aux urgences psychiatriques.

Baisse du nombre de suicides et de tentatives de suicide.

Augmentation de l’espérance de vie des patients souffrant de troubles psychiatriques.

 Amélioration du niveau de qualité des soins perçu par les patients »

Blablablas ! blablablas 

Et pour finir, après les propositions de formation de chacun des protagonistes (17 à 22), tout ce nouveau dispositif pourra permettre enfin l’accompagnement des personnes en souffrance psychique : 

« Accompagnement grâce à la formation : quelques propositions d’indicateurs à suivre : 

Augmentation de l’offre des thérapies psychosociales sur le territoire. 

Augmentation du nombre d’infirmiers de pratiques avancées. 

Augmentation du nombre de travailleurs sociaux bénéficiant d’une spécialité « psychiatrie ». 

Intégration des pairs-aidants au sein des équipes soignantes ou du secteur social et médico-social. 

Augmentation du nombre de formations au case management »

C’est à peine croyable ! Car attention, après toute cette description catastrophique de la psychiatrie française, à aucun moment la formation massive de nouveaux psychiatres, infirmiers spécialisés en psychiatrie, éducateurs, etc., n’est demandée ni évoquée ! Il suffira de reformater les existants et allonger la formation des rares nouveaux formés, autour d’un gradé de plus dans l’organisation des suivis psychiatriques protocolés, les case managers qui ne seront plus dans la clinique auprès des patients ! Et la durée de l’intervention devra être limitée à un an. Et après, que deviendront les patients en danger ?

Eh bien, les familles et les pairs aidants seront appelés pour  pallier au manque de personnel, ce qui est présenté comme une avancée dans la déstigmatisation de la maladie mentale ! Alors que 70 ans d’histoire montrent à ceux qui veulent s’y intéresser que le club thérapeutique est un outil inestimable pour soigner les équipes psychiatriques elles-mêmes. Mais c’est probablement trop subversif pour nos nouveaux fossoyeurs qui n’imaginent pas une science humaine remettant en question la hiérarchie hospitalière ou institutionnelle.

La recherche

La France étant considérée très en retard sur le plan de la recherche, les trois dernières propositions lui sont consacrées :

« Proposition 23 : Développer une politique de recherche orientée par programmes et favorisant les partenariats entre recherche publique et privée

Proposition 24 : Faciliter l’accès à des services et infrastructures d’excellence : cohortes, base de données, biobanques, plateformes technologiques 

Proposition 25 : Créer les conditions et incitations pour attirer des partenaires industriels »

La messe est dite !

Il fallait favoriser les recherches en sciences sociales, nous disait-on, mais tout cela vise surtout à extirper des universités tout ce qui n’est pas orienté vers le cognitivisme, dans toutes les spécialités de sciences humaines. 

Pour le reste, les recherches, seront réduites aux domaines où un gros gain financier peut être attendu, en retour de l’aide que les Professeurs de psychiatrie apporteront par leurs études faites avec l’argent public ! 

L’épilogue de ce livre : « Pas encore guéri, mais rétabli et maître de mon destin »

« La relation soignant-soigné doit également être réévaluée : si les pratiques médicales du début des années 2000 s’articulaient « autour du patient », servant ainsi une conception toujours un peu paternaliste du médecin-sachant, c’est dorénavant l’alliance thérapeutique entre le soignant et le soigné qui doit être visée. (…) 

Concrètement, les professionnels de santé sont enfin appelés à adopter des outils et des techniques d’accompagnement spécifiques conceptualisés à travers les soins de réhabilitation. (…)

Les soins de réhabilitation peuvent se décliner à travers des actions de psychoéducation, l’intervention d’équipes mobiles, la proposition de thérapies cognitives et comportementales ou encore le recours à des pairs-aidants. »

Toute l’histoire de la psychothérapie institutionnelle est ici totalement niée, même pas critiquée, juste jugée responsable de ce que « la psychiatrie publique (soit) devenue un enfer »

Ce livre qui, somme-toute, ne se fonde que sur des expériences récentes et ponctuelles, qui ont cependant mis en avant des études statistiques toujours plus ou moins douteuses, veut nous imposer comme nouveau paradigme une psychiatrie universitaire qui ne suit aucunement les patients au long cours et tire un trait sur tout ce qui fait pour nous l’essence de la psychiatrie : offrir des ilots de quiétude aux patients, momentanément ou durablement atteints dans leur relation aux autres.

Nous continuerons, même dans leur adversité.

Cette nouvelle psychiatrie ouvrira encore plus grandes les portes du glissement de la psychiatrie vers le médico-social, pour les patients qui résistent aux prises en charges telles qu’elles nous sont vantées. Ceux-ci, socialement improductifs, vont voir le signifiant handicap remplacer celui de patient psychiatrique. 

L’enfermement sera leur récompense, et cela, avec le discours que l’asile a enfin été banni de la médecine « scientifique ». l’enfermement jusqu’à ce que mort s’ensuive se fera dans un médico-social asphyxié financièrement et sous doté en soignants, quand ce n’est pas la  prison ou la clochardisation…

L’escroquerie intellectuelle côtoie ici l’escroquerie politique d’un nouveau Grand renfermement qui a déjà commencé.

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