Archives de catégorie : Rencontres

>Les Journées d’été de l’Université Critique de Psychiatrie à Miélan (Gers – le 3, 4, 5 août 2011)

Les Journées d’été de l’Université Critique de Psychiatrie à Miélan (Gersmercredi 3 août jeudi 4 août vendredi 5 août 2011 Salle Polyvalente de Miélan Place du 8 mai – 32710 Miélan


En parallèle de la présence des 39 (collectif Contre la Nuit Sécuritaire) au festival « Jazz In Marciac », à proximité de l’hôpital psychiatrique d’Auch, l’Université Critique de Psychiatrie a accueilli la proposition de cette commune de tenir ces trois jours de formation.


Télécharger la plaquette : UCP-2011

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>Intervention du Sénateur Jack Ralite le Mardi 10 mai 2011

Projet de loi « DROITS ET PROTECTION DES PERSONNES FAISANT L’OBJET DE SOINS PSYCHIATRIQUES ». Sénat. Mr Jack Ralite.

Jusqu’ici, considérant les humains, nos voisins proches ou très lointains, avec un humanisme bien ancré, on les désignait avec des mots simples : « jeunes », « vieux », « adultes », « ouvriers », « cadres », « chefs d’entreprise »,

« fonctionnaires », « chirurgiens », « aviateurs », « soldats », « docteurs », « bonnes sœurs », « artistes »… Chacun s’y reconnaissait sans réfléchir ni hausser la voix, ou très rarement.

 

Depuis un certain temps, après le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, après des morts violentes survenues en France, morts n’ayant plus rien à voir avec la rationalité qui laisse place au délire, un vocabulaire nouveau est apparu caractérisant ces hommes et ces femmes ayant connu un déchirement de la conduite. C’est quelque chose de tragique à rapprocher de la folie amoureuse, des crimes passionnels à l’égard desquels les jurés se montrent très indulgents.

 

On constate que la folie est fragilité et composante incontournable de l’humain. L’inacceptable est inexplicable et la dogmatique du contrôle social n’y peut rien.

 

La peur s’est installée, ou plutôt la peur a été installée et, comme disait Franklin Roosevelt en 1933 (retenez la date) : « La seule chose dont nous devons avoir peur, c’est de la peur elle-même. » Et plus avant, Dostoïevski : « Ce n’est pas en enfermant son voisin qu’on se convainc de son propre bon sens. » On est passé du droit à la sûreté au droit à la sécurité qui « repose sur l’illusion d’une vie sans dangers et légitime l’intrusion dans les vies individuelles », dit la grande et singulière juriste Mireille Delmas-Marty. C’est l’avènement d’un mythe de la sécurité totale. Les sociétés de la peur en arrivent à appeler le voisin pas-comme-eux un barbare, à crier au forcené, au déséquilibré, à l’arriéré, à l’aliéné, au fou comme autrefois on criait au loup.

 

Qui est le barbare ? L’être étrange, l’être humain qui a quitté la ligne, l’attitude commune, l’homme dont le discours hoquette et s’égare, dont la conscience traverse des gouffres ? L’homme qu’on ne regarde pas, à qui l’on ne sourit pas, qu’on laisse à l’écart, de l’autre côté, vers les rives de l’indéfinissable, dans un périmètre restreint ? Ainsi se déconstruisent les liens sociaux. La guerre civile habite l’âme. C’est dénégateur d’humanité. Le bacille de la barbarie s’empare de trop d’entre nous.

 

J’ai été confronté déjà à ce problème d’hommes et de femmes fracturés, fissurés, éclatés, parfois bousillés. C’était en 1981. J’étais ministre de la Santé et j’avais constitué la Commission Demay, du nom de son animateur, pour élaborer Une voie française pour une psychiatrie différente. Le résultat est un texte d’élan qui faisait l’Histoire, dans un moment où la société n’avait pas peur et rêvait d’avenir, alors qu’aujourd’hui le texte gouvernemental est un texte de banqueroute qui cisaille l’Histoire. Le rapport Demay traite humainement des actes inhumains, le texte gouvernemental traite inhumainement la part de folie dans l’homme. Je ne veux que lire la réponse des psychiatres.

 

« Tout trouble mental est évolutif ; l’expérience prouve que la chronicité n’est pas irréversible..

 

La fonction des professionnels du champ de la psychiatrie est celle d’accompagnement de leurs patients et celle, éventuellement, de défense vis-à-vis du corps social et vis-à- vis des puissances de tutelle…

 

Il est indispensable que les soignants puissent s’abstraire aux valeurs morales, sociales, politiques dominantes. Celles-ci ne peuvent en aucun cas constituer le facteur déterminant de leur conduite professionnelle. Le concept de prévention, s’il se réfère à une notion de normalité, le concept de guérison, s’il se réfère à une normalisation vont à l’encontre de toute démarche thérapeutique dans le champ de la psychiatrie. »

 

Le Rapport Demay fait œuvre de culture, de liberté, de construction d’ « en commun », d’anti-barbarie enfin, et juge sans détours la pensée du président de la République incapable de recul, d’interrogations, de doutes devant toute chose de la vie.

 

A tous ces êtres que nous considérons et respectons, l’Etat ne sait que proposer la norme alors que la normalité, c’est la victoire de l’état sur le devenir, de l’identité sur la différence. Il ne faut plus d’hommes, de femmes entrés dans des histoires closes et privés du « risque de vivre », seul moyen pourtant d’avoir le « risque de guérir », tout cela étant caché par l’abominable mensonge du risque zéro.

 

C’est un malheur pour un pays que de vouloir des lois particulières.

 

C’est un bonheur de connaître le poème du Grec Constantin Cavafis, En attendant les barbares :

« – Pourquoi nous être ainsi rassemblés sur la place ? Il paraît que les barbares doivent arriver aujourd’hui.

 

– Et pourquoi le Sénat ne fait-il donc rien ? Qu’attendent les sénateurs pour édicter des lois ?

 

C’est que les barbares doivent arriver aujourd’hui.

Quelles lois pourraient bien faire les Sénateurs ? Les barbares, quand ils seront là, dicteront les lois.

 

– Pourquoi notre empereur s’est-il si tôt levé, et s’est-il installé, aux portes de la ville, sur son trône, en grande pompe, et ceint de sa couronne ?

 

C’est que les barbares doivent arriver aujourd’hui. Et l’empereur attend leur chef pour le recevoir. Il a même préparé un parchemin à lui remettre, où il le gratifie

de maints titres et appellations.

 

– Pourquoi nos deux consuls et les préteurs arborent-ils aujourd’hui les chamarrures de leurs toges pourpres ; pourquoi ont-ils mis des bracelets tout incrustés d’améthystes et des bagues aux superbes émeraudes taillées ;

pourquoi prendre aujourd’hui leurs cannes de cérémonie aux magnifiques ciselures d’or et d’argent ? C’est que les barbares doivent arriver aujourd’hui ; et de pareilles choses éblouissent les barbares.

 

-Et pourquoi nos dignes rhéteurs ne viennent-ils pas, comme d’habitude, faire des commentaires, donner leur point de vue ? C’est que les barbares doivent arriver aujourd’hui ; et ils n’ont aucun goût pour les belles phrases et les discours.

 

– D’où vient, tout à coup cette inquiétude et cette confusion (les visages, comme ils sont devenus graves !) Pourquoi les rues, les places, se vident-elles si vite, et tous rentrent-ils chez eux, l’air soucieux ? C’est que la nuit tombe et que les barbares ne sont pas arrivés. Certains même, de retour des frontières, assurent qu’il n’y a plus de barbares.

 

Et maintenant qu’allons-nous devenir, sans barbares ? Ces gens-là, en un sens apportaient une solution. »



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>Saint Martin de Vignogoul : « Le pouvoir soignant dans tous ses états » (le 20 et 21 mai 2011)

 

Le patient  souffre toujours d’une difficulté de la relation : à l’autre, au monde, à soi. C’est pour cette raison que la mise en place d’un dispositif soignant nécessite que la dimension relationnelle prenne  la place de pivot central.

 

Cette relation soignant-soigné procède d’une asymétrie fondamentale, quelque soit le modèle relationnel, le contexte, le statut des soignants.

 

Mais n’est ce pas au sein de cette asymétrie nommer un certain pouvoir ? Et de quel pouvoir s’agit-il ? Celui de refuser ou d’accepter, d’accueillir ou de rejeter, de dire non, de dire oui, de permettre ou d’interdire ? Dans tous les actes de la vie quotidienne vient se nicher cette abyssale question : le pouvoir de l’un et l’apparente absence de pouvoir de l’autre.

 

Reconnaître que dans tout acte de soins vient se poser cette question ouvre la voie à une réflexion indispensable : comment identifions nous ce pouvoir, qu’elle est sa fonction, comment intervient il dans l’échange avec le patient, avec les collègues, avec la hiérarchie, avec les structures administratives ?

 

Et puis il y a le pouvoir qui nous est attribué, dénié, confié, confisqué. Avec ce risque de l’assimilation réductionniste qui, avec les diplômes, les connaissances, la science nous assureraient d’un savoir-pouvoir qui injecterait dans la sphère sociale une bien dangereuse confusion entre savoir et vérité.

 

Mais, pour interroger les effets de ce pouvoir, nous avons besoin d’indépendance professionnelle, de sécurité psychique, de temps, de confiance. Les conditions actuelles d’exercice de la psychiatrie le permettent-elles ? Quels sont les effets sur le soin des processus de certification, de protocolarisation, de standardisation 

 

Ne sommes nous pas tentés, avec ces rituels de soumission sociale, de vouloir assurer et délimiter « notre pouvoir », ne serait il qu’illusoire ou pris dans un infini petit territoire ? Le délitement du travail en équipe, l’abrasion de la notion même de « collectif », «  l’oubli » de la dimension relationnelle de tout acte de soins ne sont ils pas le reflet d’une tentative de prise de pouvoir autoritariste et écrasante, où s’infiltrent alors mépris et rejet pour les patients ?

 

Or ceux ci ont sans doute besoin, à travers cette asymétrie de la relation, que le pouvoir exercé par le soignant  lui permette aussi  d’interroger le sien.

L’autorité soignante, nécessitant l’existence d’un tiers structurant, se différencie fondamentalement de l’autoritarisme : l’une peut permettre l’ouverture d’un espace de création, l’autre l’interdit. Alors dans quel état se trouve le pouvoir soignant ? Dépressif, mélancolique, délirant, maniaque, narcissique, désemparé, fier de lui ? 

 

Hervé Bokobza

 

ISADORA

Association  de recherche et de formation sur la psychose


10ème journées de Printemps


Vendredi 20 et Samedi 21 mai 2011

 

 

« Le pouvoir soignant dans tous ses états »

 

 

Pour tous renseignements : s’adresser à Adéhila RAVESE, secrétaire d’ISADORA ou Michèle BLANC, secrétaire du Colloque

Centre psychothérapique St Martin de Vignogoul 34570 PIGNAN

Tel : 04 67 07 86 86 Fax : 04 67 07 86 99

assistante.sociale.vignogoul@wanadoo.fr ou secretariat.vignogoul@wanadoo.fr / asso.isadora@gmail.com

 

En partenariat avec: 

 

Vendredi 20 mai : 


Le fil rouge des deux journées sera assuré par Mickaël GUYADER

Psychiatre, Psychanalyste, Etampes


14h30 : Ouverture par Corinne GAL, Présidente d’Isadora, Psychologue


Président de séance : Hervé BOKOBZA, Psychiatre, St Martin de Vignogoul, Pignan

– Roland GORI : Psychanalyste à Marseille et Professeur de psychologie et depsychopathologie clinique à l'Université d'Aix-Marseille1

 " De quoi la psychanalyse est-elle le nom? Démocratie et subjectivité"


Débat 

Pause


Président de séance : Patrick BOULICAUD, Psychologue St Martin de

 Vignogoul, Pignan 

– Philippe ANDRE : Psychiatre, Psychanalyste, St Martin de Vignogoul, Pignan

« Droit à l’image » 


– Roger FERRERI : Psychiatre, Psychanalyste, chef d'un service de psychiatrie infanto-juvénile, Essonne

« Politiques du symptôme »


– Adéhila RAVESE : Assistante Sociale, St Martin de Vignogoul, Pignan 

« Appliquer sans comprendre ?»


Un débat est prévu après chaque intervention


19h30 : Soirée festive 


Samedi 21 mai :


8h30 : Accueil-café


Président de séance : Guy DANA, Psychiatre, Psychanalyste Centre Hospitalier général, Longjumeau

– Jean Pierre WINTER : Psychanalyste, Paris 

« Ironie de la Schizophrénie ? »


Débat


Pause


Table ronde N°1 : Président de séance : Philippe ANDRE, Psychiatre, St Martin de Vignogoul, Pignan


Jean François PASCUAL, Psychiatre Hôpital de La Colombière, Montpellier 

« L’hôpital, ce jour »

Marie CATHELINEAU, Psychologue, Antony

« 1, 2,3, soignez ! » 

Nadine RICHARD et Catherine HUERTAS : Infirmières et représentantes de tous les personnels, St Martin de Vignogoul, Pignan 

« Le retour de Martin grève »

Elie WINTER, Psychiatre à l'hôpital Paul-Guiraud, Villejuif 

« Entre autorité et autoritarisme »

Claude CAROUBI, Educateur Association Trait d’Union, Montpellier

« La pêche »


Débat


12h30 : Repas pris sur place


14h30 :


Présidente de séance : Camille CASTANY, Psychiatre, Centre de Jour Gérard BLES, Pignan

– Yves CLOT : Psychologue du travail, titulaire de la chaire de Psychologie du travail du CNAM, Le Mans 

 " Hygiénisme dans l'entreprise : vers une police sanitaire ?"


Débat


Pause


Table ronde N°2 : Président de Séance : Jean François BOUIX, Psychologue, St Martin de Vignogoul, Pignan


Patrice CHARBIT, Psychiatre, St Martin de Vignogoul, Pignan « Affectations »

Laure THIERON, Psychologue, Hôpital de Jour Antonin Artaud, Reims

 « La soupe aux fous » 

Pauline VARGOZ, Infirmière, St Martin de Vignogoul, Pignan 

« Super pouvoirs »


Débat

 

Conclusion : Hervé BOKOBZA, Psychiatre, Médecin Directeur de St Martin de Vignogoul, Pignan


 

Inscription FORMATION PERMANENTE aux 10e Journées de Printemps :

En partenariat par convention avec les  CEMEA

n° d’agrément 11 75 28953 75

 

 

NOM : …………………………… PRENOM : ……………………….

 

PROFESSION ou FONCTION : ……………………………………..

 

ADRESSE PROFESSIONNELLE : …………………………………. 

 

……………………………………………………………………………

 

VILLE : ……………………………. Code postal: ………………….

 

ADRESSE PERSONNELLE : ……………………………………….. 

 

……………………………………………………………………………

 

VILLE : ……………………………. Code postal: ………………….

 

 

Téléphone : …………… Mail :……………….@………………………..

 

 

Montant : 200 € (L’inscription comprend la participation aux Journées, le repas du samedi midi et les boissons).

Le montant devra être versé après la réception de la facture qui sera adressée après les Journées.



Inscription à la soirée du vendredi soir (50 €) : OUI – NON

 

(entourez votre réponse et faîtes un chèque à l’ordre d’ISADORA)

 

Renvoyer la fiche à : Secrétariat des Journées, Centre psychothérapique Saint Martin de Vignogoul, 34570 PIGNAN

 

 

 

Inscription individuelle aux 10e Journées de Printemps :

 

L’inscription comprend la participation aux Journées, le repas du samedi midi et les boissons.

 

–  psychiatre, psychologue, psychanalyste :              80 €                

–  infirmier, travailleur social, autre paramédical :     40 €        

–  étudiant :                                                                     20 €  

 

NOM : …………………………… PRENOM : ………………………..

 

PROFESSION ou FONCTION : ……………………………………..

 

ADRESSE : ………………………………………………………………….

……………………………………………………………………………

 

VILLE : ……………………………. Code postal: ………………….

 

Téléphone : ……………… Mail :……………….@…………………….

 

Participera à la soirée de vendredi soir (50 euros) : OUI – NON

 

(entourez votre réponse et faîtes un chèque à l’ordre d’ISADORA)
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>Quatre bombes à fragmentations mises dans la loi pour détruire la psychiatrie

 

Ce sont les quatre idéologies cachées dans cette loi :

1- le refus de prise en considération des problèmes sociaux des patient.

2- l’urgence désignée comme seul symptôme.

3- l’obligation de soins comme seule réponse efficace.

4- le médicament comme seul soin fiable.


La loi une fois appliquée (ce qui semble impossible) va montrer peu à peu qu’elle est habitée par quatre idéologies dont l’effet va être progressif comme de vraies bombes à fragmentation détruisant d’abord les institutions puis s’acharnant sur chaque patient. Tableau apocalyptique ! Dites-vous ? Nous allons voir.


En ce beau samedi d’avril il ne fallait pas manquer la provocation des 39 à venir échanger sur la folie et la loi, près de la statue de Pinel devant l’hôpital de La Salpêtrière. C’est là que, non pas lui d’abord, mais un gardien du cul-de-basse-fosse de cet hôpital où les fous étaient enchainés et traités comme des bêtes sauvages, Pussin et sa compagne allaient, en enlevant leurs chaines, créer la première psychiatrie humaine. Ils allaient montrer de 1975 à 1980, Pinel les ayant rejoint, que « la folie totale n’existe pas, et que chez chaque personne troublée persiste une part de raison gardée ». La psychiatrie humaine, hors obligation, était née, et le soin par la parole reconnu comme premier soin, hors toute contention. C’est cette psychiatrie que les élus de la Nation veulent détruire aujourd’hui. Nous sommes donc en pleine absurdité.

Hervé Bokobza brillant animateur des débats des 39 me voyant arriver me demande de dire quelques mots sur l’actualité de la loi. J’avais encore à l’esprit les échanges du matin sur les articles de Médiapart, et les réactions des lecteurs étaient si pertinentes, si percutantes que j’ai eu aussitôt envie de les transmettre là. Il s’agissait de ces quatre « bombes », je les en remercie, car ceux qui entouraient Pinel ont apprécié leur pertinence. Voici ces quatre idéologies, bombes cachées dans la loi, démasquées ce matin.

La première est le refus de prendre en considération comme question de départ essentielle les besoins sociaux des personnes présentant des troubles psychiques graves. Pourtant ces besoins sont des besoins vitaux, ils sont donc primordiaux. Nous avons la chance en France que d’autres élus sous l’impulsion des familles et des usagers aient eu l’intelligence de promulguer la loi de 2005 sur l’accès aux soins et à l’égalité des chances pour les personnes en situation de handicap. Cette loi a ouvert le chemin pour proposer des compensations aux difficultés sociales en complément des soins, il faut maintenant l’appliquer. Par contre la loi actuelle sur la psychiatrie ne s’en préoccupe pas et croit pouvoir se limiter à un seul aspect celui appelé abusivement urgence.

Rappelons que Franco Basaglia (ce psychiatre italien novateur, si mal connu des français), lorsqu’il recevait un patient ne se mettait pas d’abord à la recherche de ses symptômes, avant il posait les questions suivantes : « Monsieur, avez-vous un logement ? Vos ressources sont-elles suffisantes ? Vos liens sociaux sont-ils solides ? ». Ensuite seulement il s’occupait de sa vie psychique. Il savait que s’il ne s’occupait pas des besoins sociaux d’abord, non seulement il bâtirait les soins sur du sable, mais de tels soins sans appui aggraveraient les troubles !

L’idéologie cachée dans la loi veille à écarter ces besoins sociaux, sachant qu’elle fait coup double dans l’unique intérêt de l’Etat actuel : elle fait de fortes économies en écartant tout recours à la solidarité nationale, et de plus elle fragilise encore les patients ayant des troubles psychiques graves en leur apportant les seules réponses psychiques, car elle en fait une « clientèle captive » des institutions de soin.

La seconde idéologie cachée est celle d’affirmer que « tout en psychiatrie serait urgence». Affirmation fausse qui permet de déplacer et concentrer toutes les réponses de soin en quelques lieux concentrés, et de donner des troubles « une représentation théâtrale dramatique ». Le tigre de papier des urgences met en scène pour les médias la prétendue dangerosité, mais évite de souligner que les troubles aigus qui apparaissent le plus souvent progressivement peuvent tout à fait être reconnus et soignés à temps avant d’exploser.

L’idéologie de la dramatisation de la folie permet au nom d’un danger fantasmatique d’opposer à la folie des armes lourdes aux conséquences inattendues. Non seulement celles-ci sont tout à fait disproportionnées à l’objectif, mais en dramatisant les rencontres elles les déforment, les aggravent, provoquent des interférences qui font perdre les raisons simples et relationnelles des souffrances psychiques et des troubles. La volonté de « tout monter en épingle comme urgence » provoque une escalade. Les acteurs se croient obligés (ils vont l’être dans la loi) de faire d’emblée un diagnostic, au lieu de chercher à établir la confiance, et d’imaginer sans délai un traitement, au lieu de permettre à la personne de commencer à s’intéresser à son psychisme, sous prétexte qu’il faut aller vite.

Une telle démarche est fausse : l’outil essentiel des premières rencontres avec une telle personne c’est de prendre le temps suffisant pour que le calme et la confiance s’installent. Ceci est simple et facile à partir du moment où, avant l’arrivée de l’urgence, la disponibilité de l’équipe de secteur présente en ville hors hôpital 24/24h offre un recours à toute inquiétude, hors climat dramatique ; là, l’entourage de la personne participe à la création de ce climat, alors que dans toutes les urgences le premier réflexe est d’écarter familles et amis traités comme gêneurs alors qu’ils sont des appuis indispensables. Aux urgences on sort les armes lourdes diagnostic, traitement immédiats, orientation ailleurs le plus vite possible (alors que l’essentiel est de créer un « lien durable » s’appuyant sur la confiance, seul vecteur du soin psychique), et l’orientation la plus garante de tout risque sera la plus lourde et la plus fréquente : l’hospitalisation ; chaque acteur a « bravement et faussement », logique de la couverture tirée à soi).

L’idéologie de l’urgence, avec sa variante prônée par certains, l’intervention à domicile systématique (alors qu’il faut la débattre chaque fois), massacre la psychiatrie, en obligeant de choisir de préférence, par crainte du risque, les solutions les plus lourdes qui vont en réalité constituer des filières ségrégatives, comme le dénonce Roger Misés pour les enfants et adolescents, filières dont le patient isolé aura de plus en plus de mal à se dégager. Cette idéologie s’appuie sur la peur de la folie et la cultive. L’escalade que provoque l’urgence est la grande mystification imposée à la psychiatrie par cette idéologie.

Nous devons donc lui opposer cette pratique concrète simple, qui a donné ses preuves, et qui n’est pas une idéologie : la pratique de l’écoute de la personne, son accueil et celui de son environnement relationnel qui vont construire un espace où la personne retrouve sa liberté face aux pressions internes et externes qui l’assaillent. Ceci se déroule dans les espaces simples de l’équipe de secteur, sans armes lourdes, en dehors de tout hôpital. Cette disponibilité est l’un des fondamentaux de la politique de secteur.

La troisième idéologie cachée est constituée par les conséquences voulues mais masquées de « l’obligation de soins ». Les promoteurs de la loi n’ont pas expliqué clairement qu’ils nient par ce terme l’existence de la maladie mentale, ils la traitent comme une maladie physique (que chacun voit), ou comme un comportement délinquant (qu’il suffit de remettre en place). Les auteurs de cette loi en effet pensent qu’il suffit de désigner la maladie à la personne rétive pour qu’elle la reconnaisse, et qu’il suffit de la convaincre du bien fondé d’un traitement pour tout résoudre selon leur idéologie.

C’est très grave : cela veut dire qu’ils refusent le constat fait depuis Pinel que toute maladie psychique grave est centrée par un délire qui occupe une part de sa vie psychique, et que, fait central, la personne n’en a pas connaissance. Ce n’est pas un refus, ni un refoulement, c’est le point le plus complexe de la psychiatrie, c’est un déni : elle vit cette réalité délirante, mais ne sait pas que cette réalité est différente du monde que nous partageons avec l’autre partie d’elle même. L’idéologie masquée appelle ce fait de noms divers accumulés par des descriptions superficielles : agitation, excitation, angoisse, dépression grave, démence, violence, agressivité, etc., et à chaque fois elle fait le même constat : la personne pourtant allant très mal aux yeux de tout le monde « ne demande pas de soin, et à toute proposition pour la soigner répond qu’elle n’a pas besoin de soin », elle répond de la même façon malgré ce que l’on croit être une diversité de maladies et de troubles.

C’est toujours en fait un seul trouble, le déni qui la fait réagir ainsi. Il y a une vraie unité et une constate dans cette attitude, les familles la connaissent bien. Le point central de la psychiatrie se trouve là. Et nous savons tous, soignants, familles, acteurs civils que la personne alors est insensible à toute explication, à tout raisonnement, et que même si une injection médicamenteuse arrête une agitation anxieuse (agitation interprétée sauvagement comme une violence, voire une agressivité lucide), le déni persiste.

Ainsi « l’obligation de soin est un contre-sens clinique central » puisqu’elle heurte de plein fouet, elle refuse, elle écrase cette méconnaissance qui fait partie intégrante de la personnalité de ce malade. Elle va donc provoquer une escalade de défenses que cette idéologie appelle abusivement violences alors que la personne tente de « survivre », alors que la personne a besoin de confiance, de calme, de liberté. Il est tellement plus simple pour les idéologues du tout sécuritaire et du risque zéro de ne s’embarrasser d’aucune hésitation, d’aucune perte de temps, d’aucune dépense et de décider qu’il suffit de constater que les malades mentaux refusent de se soigner, et qu’on va donc les « obliger » à se soigner, c’est à dire à prendre des médicaments, dernière idéologie démasquée dans la loi.

La quatrième idéologie a été dévoilée par la maladresse de deux professeurs de psychiatrie (Le Monde.fr du 8 avril 2011) qui on déclaré naïvement qu’ils la trouvaient très bien cette loi, et qu’il ne fallait pas l’attaquer. En effet si nous nous penchons sur l’activité des professeurs qui se sont organisés pour travailler en dehors du service public de psychiatrie 60 (dont on peut écarter 20 pour les enfants et ado) pour 65 millions d’habitants et 1127 équipes de secteur et 4000 postes de praticien, on observe qu’ils veulent exercer « tranquillement » loin de l’agitation, donc très contents qu’une loi les débarrasse des cas « lourds » qui font du bruit dans leur service. Mais nous découvrons l’idéologie masquée : « les professeurs sont la cheville ouvrière des médicaments ». Ils sont la plate forme essentielle des « essais cliniques » dont ont besoin les laboratoires pharmaceutiques, d’autre part puisqu’ils ne sont pas sectorisés ils n’enseignent ni psychothérapie institutionnelle, ni psychothérapie, et se limitent aux seuls médicaments. Nous comprenons (autre réalité cachée de la loi) que le seul traitement qui pourra être utilisé dans les trois formes d’obligation de soins sera les médicaments : les seuls traitements que l’on peut désigner par leur assignement à tel ou tel symptôme, avec des doses qui sont précises, ce que vont s’efforcer d’avaliser les professeurs.

L’obligation de soin va entrainer les laboratoires pharmaceutiques à régner en maitres absolus sur la psychiatrie, sans concurrence. Pourtant ce monopole va avoir un certain nombre de conséquences cachées : d’une part la plupart ont, à côté d’un effet connu, des « effets secondaires », plusieurs étant nocifs, et dont l’un des aspects les plus inquiétants est de ne se déclarer qu’après plusieurs années de prescription (obésité, diabète, hypertension, puis atteintes du cœur, de la rétine, etc.,), d’autre part ils pervertissent la pratique psychiatrique car ils s’attaquent aux seuls symptômes et considèrent l’humain comme un être végétatif que l’on traite comme tel (l’état végétatif est souvent le résultat obtenu), sans aboutir à aucun changement psychique profond, ne modifiant jamais un délire.

En même temps cette idéologie va aboutir à son autodestruction, car s’il est possible de préciser le nombre de molécules données, il n’existe aujourd’hui aucune certitude sur leur efficacité précise. Si bien que lorsque l’obligation de soins, et donc de prise ou d’injection de médicaments aura été prescrite, il n’existe aucune certitude ni clinique ni biologique de son degré d’efficacité ; de ce fait la logique de précaution devant le risque et le besoin de sécurité ne pourra empêcher l’escalade et les accidents qui ne tarderont pas à se multiplier. Comme cette logique de sécurité sera à la portée de tout un chacun (voisin, généraliste, famille, ou autre) pour signaler une éventuelle survenue ou aggravation de troubles, le recours à l’obligation de soins vérifiée et supplémentaire sous forme de médicament sera « obligée ». L’injection de neuroleptique, grâce, au besoin, à des « officiers de santé » musclés, saura mettre fin à toute résistance !


Les fameuses injections « retard » donneront tout confort aux … prescripteurs
Devant autant d’immédiateté, de célérité de réponse à tout symptôme tous les autres traitements seront invalidés : la psychothérapie trop lente et trop propre à chaque soignant.

Mais étonnant retournement des choses, devant les excès des médicaments, devant leur inefficacité sur la maladie mentale au long cours, devant leurs complications croissantes, les médicaments seront bientôt reconnus dans la population comme étant, à l’instar de ce qui se passe avec la psychiatrie dans tout pays totalitaire, une arme purement politique de mise à l’écart des opposants trop bruyants au régime. Et ceci sera dramatique aussi, la population n’aura plus confiance en eux, alors qu’ils sont indispensables : en effet les médicaments encadrés par un soin psychothérapique, prescrits avec un vrai sens clinique, associés à des soins institutionnels et physiologiques, sont dans un très grand nombre de cas un appoint essentiel permettant l’accès à la parole, aux échanges, sauvant régulièrement des vies.

Ce n’est pourtant pas sur ces bases que beaucoup de laboratoires pharmaceutiques ont lancé leurs recherches, ce n’est pas dans le but de jouer les entremetteurs avec des entreprises industrielles pharmaceutiques que les professeurs de psychiatrie ont choisi leur carrière, cependant nous connaissons le poids des « mises en place » et des « logiques majoritaire ou exclusive », elles « aliènent les hommes les plus normaux » qui ne peuvent plus se libérer de ces emprises tentaculaires. Nous connaissons de plus en plus l’infiltration par les logiques envahissantes comme celles de la sécurité, du risque zéro, de précaution, comme nous l’a montré le Contrôleur des espaces de restriction de liberté, JM Delarue.

Et pourtant dans le champ de la psychiatrie nous avons au moins quatre outils de base que chacun peut examiner, discuter, aménager, et qui ne sont donc pas des idéologies dogmatiques :

1-l’essentiel qu’est « pour chacun de ceux qui rencontrent ces personnes la recherche en premier d’une attitude humaine », même dans les moments les plus difficiles

2-l’intérêt porté aux difficultés sociales et les réponses à chercher

3-la mise en place d’une disponibilité 24/24 h de soignants dans toute équipe de secteur, donc en proximité, elle permet avant tout soin, d’instaurer confiance et dialogue sans préalable

4-le soin de base qu’est « la psychothérapie », tout patient est en danger si elle n’est pas en première ligne du début à la fin des soins.

Dans l’immédiat nous avons deux objectifs à réaliser :
–en attendant l’abrogation de cette loi en 2012 nous avons toute une année pour expliquer aux élus sereinement, et sans passion la réalité de la folie et de la psychiatrie (nous avons constaté au fil de cette semaine au Café Picouly comme ce samedi à l’ombre de la statue de Pinel avec les 39, que les élus à droite comme à gauche restent sur des idées sur lesquelles ils se sont bloqués idéologiquement, sans admettre un instant de les discuter, le rapporteur de la loi ne parlant que de danger, un éminent représentant de la gauche défendant devant les 39 un grand laboratoire ne connaissant que médicaments et gênes, fondamental – ment. Les élus non seulement sont ignorants, mais sont pré-armés contre tout débat, comme l’opinion ?

–un grand travail pédagogique à l’échelle de la France (c’est possible si nous le commençons simultanément à l’échelle humaine de chaque secteur) sur la réalité des connaissances de la psychiatrie et de l’action sociale, et surtout sur la vraie réalité de la folie et sa reconnaissance comme une richesse de l’homme, nous amenant à parler de solidarités.

Ce fut un très rare samedi de printemps à Paris à l’ombre de Pussin (dont la statue manque encore) et des 39 qui nous ont permis d’aborder des questions aussi graves tout en étant dans la fête tout au long de la journée. Nous avons été émus de voir des usagers, des familles, des amis non vus depuis 10 ou 30 ans nous saluer, nous remercier, et tous se mettre à espérer.

Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

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>Séminaire : Les matinées de La Villa

 

Peut-on penser certains troubles psychiques comme troubles du lien ?

 

Freud l’évoquait déjà dans son article sur l’inconscient où il prend l’exemple des personnes dites schizophrènes : l’enfant s’est pour une raison inexpliquée, mais de façon très précoce, retiré de l’objet. Plus d’autre solution alors que le retrait narcissique, et cette manière bien repérable de mettre les mots à la place des choses. Plus d’autre solution parfois que le transfert interne.

 

L’aliénation psychique serait alors la conséquence d’une perte du lien originaire.

 

Mais est-ce l’enfant, ou bien l’autre, qui s’est retiré ? Qui, du sujet ou de l’autre, peut renouer le lien, qui est en capacité de le faire ?

 

A Corbeil-Essonnes, ont été mis en place depuis plus de vingt ans des associations et une institution « La Villa », pour travailler les questions de ces liens collectifs et sociaux autour de l’habitat, de l’art, de l’accueil, du corps, de la convivialité. Beaucoup de pratiques et de savoir-faire en ont découlé, et nous essaierons d’établir des ponts entre ces pratiques du collectif et les cures individuelles, à travers tous les abords qui se présenteront : clinique, artistique, politique…


La Villa est un centre d’accueil thérapeutique à temps partiel, dépendant du service de psychiatrie de Corbeil-Essonnes, qui accueille des patients pour des activités variées : de la simple rencontre autour d’un café à des activités corporelles ou artistiques. Elle est le lieu de deux associations :

-Diagonales pour l’habitat, réseau d’appartements dans la ville.

-Arimage pour les ateliers de pratiques artistiques et l’accueil d’artistes en résidence.


 

Le séminaire aura lieu le mardi matin à  La Villa, 10 rue du Bas-Coudray, 91100 Corbeil-Essonnes, 01 60 90 77 76, aux dates indiquées ci-dessous, de 10H30 précises à 12H. Accueil à partir de 10 heures pour un café.


Il est ouvert à toutes les personnes intéressées par les thèmes  qui sont traités dans chacune de ces matinées.


Pour tout renseignement, vous pouvez vous adresser à l’un des deux répondants :

 

– Jean-Pierre Bouleau : 06 31 21 06 67 jeanpierre.bouleau@wanadoo.fr

 

– Bernadette Chevillion : cattp.lavilla@ch-sud-francilien.fr 


 

Programme de l’année 2011 :


 

08 mars : Jean-Pierre Bouleau. psychiatre à la Villa, psychanalyste. Quand l’enfant s’est retiré du lien.


10 mai : Paul Bretécher. Psychiatre, psychanalyste, président de l’association Agapes : Retour sur « le potentiel soignant… »


07 juin : Pascale Pasello, artiste plasticienne (à l’occasion de son exposition à la Villa) : Habillé, habité.


13 septembre : Bernadette Chevillion, psychologue clinicienne, présidente de l’association arimage : Aloïse et Jean Dubuffet. Introduction à l’art brut.


11 octobre : Béatrice Chemama-Steiner, psychiatre, psychanalyste, membre d’honneur de la société française de psychopathologie de l’expression : Etude d’un carnet d’Aloïse.


13 décembre : Benoit Cambois, psychiatre, psychanalyste : Giacometti et la mort enchevêtrée.


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>Festival "Les évadés du bocal"

 

Les évadés du bocal

Du 7 Mars au 3 avril 2011 au bar-restaurant le Lieu-Dit, 6 rue Sorbier, Paris XXe

 

C’est avant une histoire de rencontres. De rencontres et d’ouverture à autre.

Tout part d’une conversation, suivie de la proposition d’Hossein Sadeghi, le propriétaire du Lieu-dit, à une personne qu’il rencontrait pour la première fois, de mettre à disposition son lieu pour un événement politique sur l’art et la folie. Cette proposition engendra d’autres rencontres : entre des soignants en formation (Utopsy), des soignants révoltés (le collectif des 39), des artistes (collectif Pounchd), un collectif philosophique et radiophonique (Zones d’attraction), de Nouveaux cahiers pour la folie, un Théâtre du reflet… Ainsi est né le collectif des évadés du bocal.

Nous rêvons d’un festival qui parle d’art et de folie. Pourquoi associer ces deux champs ? Parce que nous constatons que nous sommes traversés par des discours et des pratiques que nous prenons pour des évidences et que l’art et la folie défont les évidences.

Le langage, qui s’agence en différents discours (sur ce qu’est une vie réussie, sur la normalité, l’art, la psychiatrie…), trame la réalité avec une efficacité sans pareil. Pourtant les mots ne disent pas tout : qui n’a pas vécu la difficulté d’essayer de dire ce qu’il ressent ou de raconter un rêve, par exemple. Les discours constitués n’offrent jamais qu’une version codée et normée du réel (…Lire la suite sur le blog)

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>Journée d'étude, travail d’équipe en santé mentale le 09 février : Mythe ou réalité ?

Pour les professionnels de la santé mentale, qu’ils interviennent dans le champ du sanitaire, du médicosocial ou de l’action sociale, le « travailler ensemble » s’impose dans de nombreuses configurations des pratiques quotidiennes.

 

Mais actuellement, alors que la division des taches et l’hyperspécialisation des intervenants s’accentuent, dans des structures de plus en plus spécialisées et plus ou moins articulées, les collectifs s’interrogent. A quels besoins répond l’organisation pluridisciplinaire des institutions ?

 

A ceux des personnes accompagnées ou à ceux des équipes ? Comment se posent les questions de hiérarchie, rôle, statut et fonction ? Quelle place est donnée aux réunions d’équipe ? Pour quels échanges ? Quels sont les moyens qui permettent de mettre en jeu au mieux les compétences des uns et des autres en dépassant le socle des savoirs et connaissances ? 

 

Travail en équipe : Collectif de partage ou partage du collectif ?

 

 

Le Mercredi 9 février 2011, à partir de 13h30

Hôpital Henri EY 15 avenue de la Porte de Choisy 75013 Paris (Métro Porte de Choisy – Ligne 7)

Participation aux frais : 10 euros par personne. A régler sur place

 

Le programme complet de la demi-journée : journee d'etude du 9 fevrier 2011

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>Gardons notre « âme », résistons au contrôle

 


Faisons comme Martin Amis dans «  la flèche du temps », racontons notre histoire à reculons :


«….On nous attacha sur des tables pour nous faire subir la Grande Opération. Le lendemain, je me rendis chez le Bienfaiteur et lui racontai tout ce que je savais sur les ennemis du Bonheur. Je ne comprends pas pourquoi cela m’avait paru si difficile auparavant. Ce ne peut être qu’à cause de ma maladie, à cause de mon âme.» 


Ainsi parle D-503, le personnage d’Eugene ZAMIATINE dans « Nous autres » un homme « des siècles futurs », qui vit dans une société qui impose fermement l’Harmonie sous la direction du Guide !


Rompons l’harmonie pour retrouver notre âme :


Nous sommes une équipe pluridisciplinaire , qui travaille dans un CAMSP ( Centre d’Action Médico – Sociale Précoce ) qui accueille des jeunes enfants de 0 à 6 ans en situation de handicap ou à risque de handicap et leurs parents. L’employeur, une association privée loi 1901 a installé un système de vidéosurveillance dans la salle d’attente et les couloirs donnant  sur les bureaux de soins contre l’avis de toute  l’équipe soignante et ce, malgré la gêne et les interrogations  exprimées par certaines familles. 


La démarche des familles qui s'adressent au CAMSP est difficile, délicate. Elle ne peut se faire que si le respect, la confidentialité des échanges sont assurés. Nous refusons au nom de nos valeurs éthiques que les patients soient soumis à cette surveillance qui ne se justifie ni sur un plan pratique ni sur un plan sécuritaire.

Par contre, nous ne voyons aucun inconvénient à ce que ces caméras soient en service lorsque l'établissement est fermé au public.


Au delà des arguments pragmatiques évoqués par l'employeur, nous tenons à défendre un cadre de travail qui garantit l'intégrité de l'écoute des parents et des enfants, conditions indispensables à l'acte thérapeutique. 


En outre, du fait du handicap ou des difficultés de leur enfant, ces familles peuvent souffrir du regard des autres. Certaines ont par ailleurs témoigné, y compris par écrit, de leur désapprobation et pose la question de l’atteinte à leur vie privée.


C'est pourquoi il nous semble tout à fait inacceptable, de filmer ou d'enregistrer des couloirs ou une salle d'attente qui sont des lieux d’interactions, de passage et de transition éminemment sensibles et qui font partie intégralement de la prise en charge. 


Nous revendiquons la confidentialité du colloque clinique, le respect des libertés démocratiques fondamentales, et le droit à une expression libre.

L’argument sécuritaire s’est peu à peu imposé dans le discours de l’association gestionnaire alors que nous tentions d’avancer notre point de vue de soignants.


Les caméras devenaient des outils efficaces pour combattre et prémunir l’établissement contre les vols, intrusions et dégradations des locaux. Bien évidemment, cet argument sécuritaire reflète une méconnaissance profonde de la population accueillie et du contenu du travail que nous proposons, fondé sur une relation de confiance et une alliance thérapeutique indispensable à nos missions.


Ce genre de dispositif qui participe de l’illusion d’un contrôle omnipotent, d’un œil qui ne se ferme jamais met à mal notre travail de soins et d’accueil.

Ces dispositifs déjà mis en place dans d’autres domaines se banalisent et s’introduisent maintenant dans le milieu de la petite enfance.


Le dialogue est quasi absent et nos demandes n’ont pas pu être entendues. Notre avis émane pourtant de professionnels qui ont une qualification et une expérience de terrain avérées.


La gestion associative, prenant modèle sur des méthodes de management issues de l’entreprise empiète et contrarie le projet de soins porté par l’équipe soignante.


Ces pratiques, au nom de la « modernité », vont à l’encontre de nos principes éducatifs et thérapeutiques.

Une telle logique de surveillance induit une désaffection du relationnel et une délégation des compétences parentales, tout en engendrant le danger d’une stigmatisation des conduites.




L’Équipe 

du Centre d’Action Médico Sociale Précoce

D ‘Épernay.

 

 

POUR SIGNER LA PETITION : http://www.mesopinions.com/Ensemble-contre-la-vid%C3%A9o-surveillance-au-Centre-d%E2%80%99Action-M%C3%A9dico-Sociale-Pr%C3%A9coce-d%E2%80%99Epernay-petition-petitions-3c6626a98d40916419821c640785fc16.html

 

 

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>Non à la politique de la peur ! (réunion le 01er février à Lille)

 

 

Non à la politique de la peur!

Le sécuritaire contre

les droits sociaux et citoyens 

Réunion Publique

1er février 2011 de 17 h 15 à 22 heures

Maison de l’Éducation Permanente (MEP)

1 place Georges Lyon à Lille

 

 

 

Un projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge » a été déposé à l’Assemblée Nationale le 5 mai dernier. Il  s’inscrit dans la logique des politiques de la peur et porte sur le domaine de la loi qui régit les soins obligés et les placements involontaires en psychiatrie.

 

Ce projet instaure, en particulier, une garde à vue psychiatrique de 72h et des soins sans consentement extensifs de l’hôpital au domicile sous gestion et contrôle du Préfet. Il crée une logique de gestion des risques basée sur la dangerosité du «malade mental », objet de soins à perpétuité. Il crée aussi un fichier national des malades mentaux qui s’ajouterait au trop nombreux déjà existant.

 

En conséquence, l’appel contre les soins sécuritaires Mais c’est un Homme se veut une plateforme de rassemblement pour défendre une certaine représentation de la folie et de la psychiatrie, opposée radicalement à ce qui est affirmé aujourd’hui.

 

Cette réforme s’inscrit dans une politique du tout sécuritaire et d’une succession ininterrompue de textes répressifs dont la loi LOOPSI2, le rapport BOCKEL, la proposition de la loi pénitentiaire, le fichage généralisé de la population, la vidéosurveillance, l’appel à la délation,  ne sont que les derniers avatars.

 

Face à un projet de société qui catégorise, trie, désigne, élimine, détruit, expulse et réprime nous opposons outre le dispositif d’accès aux soins, le refus de la délation et de l’exclusion, la promotion d’un socle de droits sociaux et citoyens dans le respect des droits de l’homme.

 

 

Organisations Signataires de l’appel « mais c’est un homme »: Collectif Non à la Politique de la Peur, Advocacy France, Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS), ATTAC France, Collectif d’associations d’usagers en psychiatrie (CAUPsy), Fédération pour une Alternative Sociale et Écologique, Fondation Copernic, Groupe Information Asiles (GIA), Ligue des droits de l’Homme, Nouveau Parti Anticapitaliste, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Parti Socialiste, Les Sentinelles Egalité, SERPsy, SUD Santé Sociaux, Syndicat de la magistrature, Syndicat de la Médecine Générale, SNPES-PJJ-FSU, Union Syndicale de la Psychiatrie, Union Syndicale SOLIDAIRES,  les Verts.

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>Comment accueillir la folie? Un débat organisé lundi 24 janvier par Mediapart.

La loi sur l'hospitalisation sous contrainte sera réformée dans les prochains mois. Face à un texte à intention clairement sécuritaire, alimenté par un discours qui stigmatise les malades mentaux comme potentiellement dangereux, il est urgent de s'interroger sur l'accueil que la société réserve aux personnes souffrant de troubles psychiques. Tant à l'hôpital, qu'à l'école, dans les entreprises et plus généralement dans la cité.

Ce débat est né d'une proposition de Paul Machto, psychanalyste et psychiatre à Montfermeil et Yves Gigou, infirmier, tous deux abonnés à Mediapart et rédacteurs de l'édition Contes de la folie ordinaire.

Il réunira:
– Hervé Bokobza, psychiatre et psychanalyste, directeur de la clinique de psychothérapie institutionnelle de Saint-Martin de Vignogoul dans l'Hérault, ancien président de la Fédération Française de Psychiatrie et membre du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire;
– Bénédicte Maurin, éducatrice auprès d'enfants près de Blois; 
 Sylvie Zucca, psychanalyste (a beaucoup travaillé autour des questions de la psychiatrie en grande précarité, notamment au Samusocial), et auteur de Je vous salis ma rue – clinique de la désocialisation (ed. Stock, 2007);

Sera aussi présent dans la salle, Guy Dana auteur de Quelle politique pour la folie?: le suspense de Freud (ed. Stock, 2010).


Ce débat, animé par Sophie Dufau, journaliste à Mediapart et auteur de Le Naufrage de la psychiatre (ed. Albin Michel, 2006), s'inscrit dans le cadre des «lundis de Mediapart» qui, une fois par mois, propose une réunion publique la Maison des Metallos, à Paris.

L'entrée est libre et gratuite.  

RSVP: debats@mediapart.fr

Infos pratiques :
Maison des métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris M° Couronnes
Lundi 24 janvier, de 19h00 à 21h00.

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>UTOPSY invite Pierre Dardot

Pour la prochaine rencontre, nous aurons le plaisir d’inviter le lundi 17 janvier, au 27 rue des Bluets, (métro Ménilmontant ou Père Lachaise), à 20h30

 

Pierre DARDOT,

 

Philosophe et auteur avec Christian Laval de

« La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale »,

publié à la Découverte en 2009.

 

Présentation

 

Dans leur ouvrage, Dardot et Laval analysent les modifications du capitalisme et voient dans le passage du libéralisme au néo-libéralisme, l’avènement d’une nouvelle rationalité où la question centrale n’est plus de « laisser-faire » (Adam Smith) mais bien de « conduire les conduites » des hommes, en créant un cadre normatif propice au développement de la concurrence.

 

Après une analyse politique, historique et philosophique s’appuyant notamment sur les outils foucaldiens comme « la gouvernementalité », les auteurs définissent un nouveau processus de subjectivation où les individus intègrent eux-mêmes la normativité concurrentielle, chacun devenant « auto-entrepreneur » de lui-même, ce qu’ils définissent comme étant la fabrique du « sujet néo-libéral ».

 

S’appuyant sur cette analyse politique, les auteurs développent une pensée critique pour sortir des alternatives proposées par l’antilibéralisme classique, où nombres de partitions sont devenues inopérantes pour analyser les enjeux du monde contemporain (notamment la partition entre l’Etat et le Marché, entre le public et le privé). Pour ce faire, Dardot et Laval étudient les questions amenées par Marx, s’extirpant par là des définitions imposées par le marxisme orthodoxe, véritables « obstacles à la pensée » qui plutôt que de s’affronter à un « champ de questions » élaborent des « réponses définitives sur le sens des mots » (Cités 2010/3, n° 43).  

 

Présentées comme « naturelles » ou « allant de soi », Dardot et Laval montrent que ces normes peuvent être considérées comme des constructions politiques, d’autant plus efficaces qu’elles ne peuvent être remises en cause qu’après une analyse minutieuse. Dès lors, comment mettre en perspective le « pouvoir de la norme » ?

 

C’est du côté des « communs », en tant que ces derniers sortent du cadre de pensé imposé par le néolibéralisme, qu’une politique d’émancipation pourrait se recréer. L’enjeu est bien d’avancer dans un constructivisme à même de fonder une politique des communs : « La théorie des communs permet de souligner le caractère construit des communs. Rien ne peut laisser penser qu’un commun pourrait fonctionner sans règles instituées, qu’il pourrait être considéré comme un objet naturel.»

 

Inventer des outils pour penser le monde contemporain, sortir des positions orthodoxes pour affronter les nouveaux agencements problématiques, mettre en acte une praxis émancipatrice : cette analyse des nouvelles figures de l’aliénation sociale n’a-t-elle pas de grandes résonances avec ce qui se joue pour nous dans la clinique quotidienne avec la folie ?

 

Ainsi, comment questionner les orthodoxies de tous poils qui prétendent diriger nos actes explicitement ou implicitement ? Aux politiques d’émancipation pourrait-il correspondre des cliniques émancipatrices ?

 

Rappel des épisodes précédents

 

L’an passé, Yves Clot et Samuel Lézé, nous ont tous deux commentés le rapport du Centre d’Analyse Stratégique remis à N. Kosciusko-Morizet« La santé mentale, l’affaire de tous ». Ce rapport, en pointe dans la redéfinition du champ psy et dans l’avènement du « santé-mentalisme », nous obligent à questionner le cadre normatif qui tente de s’imposer par des entités « naturelles » comme « le bien-être », « la qualité de la vie », « la souffrance au travail », « la santé mentale positive » etc.

 

Ces nouvelles normes nous ont été décrites par Y. Clot comme un « hygiénisme rénové » tandis que S. Lézé y voyait une entreprise de dépossession de la problématique même de la « santé mentale » qui en devenant « l’affaire de tous » n’est paradoxalement plus celle des psys, concourant ainsi à délégitimer toute une série de pratiques inventives.

 

Par ailleurs, les mots employés sont révélateurs : si le terme de « santé mentale » fut à une époque porteur d’une ouverture dans le champ psychiatrique, il est désormais un mot récupéré et « occupé » par la rationalité dominante, tout comme les mots d’usagers, de déstigmatisation etc.

 

Perspectives et lignes de fuite

 

Dès lors, comment penser une clinique fondée sur un autre type de processus de subjectivation qui porterait en son sein la question du désir inconscient articulé à un « agir en commun » émancipateur ? Comment se nourrir des réflexions sur le commun pour articuler une praxis clinique qui serait émancipatrice et s’articulerait autour d’un agir commun. « Une politique des communs [nécessite] d’inventer des normes de l’action qui permettent de faire fonctionner un commun » précisent les auteurs.

 

De fait, les conditions du renouvellement de la pensée critique se précisent, à mesure que se créent des outils,  des concepts et des pratiques pour penser le monde et agir sur lui. Du côté de la clinique, cela nous a été amené par nos premiers invités de l’année : Christophe Chaperot, Guy Dana et Paul Brétécher.

 

Comment repenser les apports fondamentaux développés par la psychanalyse à partir du transfert et par le mouvement de psychothérapie institutionnelle en termes de collectif et de pratiques instituantes ?

 

Si la psychothérapie institutionnelle travaille l’articulation entre aliénation  sociale et aliénation psychopathologique, entre marxisme et psychanalyse, penser la contemporanéité en mettant à jour les questions posées par Marx tout en se détachant de son orthodoxie, nous semble fondamental.

 

« Seul l’acte d’instituer les communs fait exister les communs » précisent Dardot et Laval. N’est-ce pas là poser la question du processus d’institutionnalisation et de l’analyse institutionnelle (Oury), là où l’ouvert de l’instituant est en proie aux tentatives de fermetures de l’institué ?

 

Mathieu Bellahsen et Loriane Brunessaux pour UTOPSY

utopsys@yahoo.fr

http://utopsy.over-blog.fr/

 

 

Bibliographie

 

Ouvrages

>  Pierre Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde, Essai sur la société néolibérale, collection La Découverte poche, La Découverte, 2010.

 Pierre Dardot, Christian Laval et El Mouhoub Mouhoud, Sauver Marx ? Empire, multitude, travail immatériel, La Découverte, 2007.

 

Articles : disponibles sur CAIRN : www.cairn.info

 

 Mouvements 2007/2 (n° 50), Pierre Dardot et Christian Laval, La nature du néolibéralisme : un enjeu théorique et politique pour la gauche

 

 Cités 2010/3 (n° 43), Christian Laval et Pierre Dardot, Entre communauté et association

 

 Revue du MAUSS 2010/1 (n° 35), Pierre Dardot et Christian Laval, Du public au commun

 

 Cités 2010/1 (n° 41), Pierre Dardot et Christian Laval, Néolibéralisme et subjectivation capitaliste

 

 Mouvements 2005/2 (no 38), Pierre Dardot, À propos de la multitude

 

 

Séminaire collectif : « Du public au commun »

http://www.dupublicaucommun.com/

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>Malentendu sur le séminaire de Jean Oury qui ne sera pas payant

SUITE AUX DÉMARCHES DE FRANCOISE GOROG ET À DE NOMBREUX COURRIERS DE PROTESTATION VOICI LE COURRIER DE JACQUES PONTIS DIRECTEUR ADJOINT DE L'HÔPITAL SAINTE-ANNE ADRESSÉ À JEAN OURY:

 
 
Objet : Accueil des séminaires mensuels du Dr Jean Oury

 

À l’intention du Dr Jean OURY

 

Docteur,

 

Comme vous l'a dit Mme le Dr GOROG, je tiens à vous confirmer que Sainte-Anne continuera à accueillir votre séminaire mensuel comme il le fait depuis 30 ans, et ce bien-sûr gratuitement.
C'est un regrettable malentendu qui est à l'origine de votre inquiétude.
 
L'amphithéâtre de la CMME qui vous accueille habituellement, sera en effet en travaux durant plusieurs mois à compter du mois d'avril et le Service de Communication, qui a en charge la gestion des salles, avait besoin d'informations sur votre séminaire mensuel pour trouver une solution appropriée. Cette démarche n’avait en aucun cas pour objectif de remettre en cause les conditions d’accueil de votre séminaire.
 
C'est chose faite, nous vous réserverons un autre amphithéâtre de 120 places durant cette période, et, ensuite, vous pourrez retrouver l’amphithéâtre de la CMME.

 

Nous avons seulement besoin de connaître les dates de vos séminaires, dès qu'elles sont fixées, pour procéder à la réservation, à la préparation de la salle et à sa fermeture par notre service de Sécurité.

 

Nous vous prions de nous excuser pour ce malentendu : Sainte-Anne continuera à jouer son rôle d'accueil et de diffusion du savoir, dans toutes ses composantes..

 

Veuillez agréer, Docteur, l’expression de ma considération distinguée.

 

 

Jacques PONTIS
Adjoint au Directeur
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>Faire payer le séminaire de Jean Oury à Saint Anne…

 
 
lettre au directeur de st Anne (conférence Séminaire de Jean Oury)
 

Jean-Michel Abt

Psychiatre

23 rue Jean Jaurès

25300 Pontarlier

 

 

à Mr Jean-Luc Chassaniol

 Directeur du Centre Hospitalier Sainte Anne

Copie à Mr Serge Blisko

Président du Centre Hospitalier, député de Paris

Le 18  décembre 2010

 

 

Monsieur le Directeur,

 

 

Je me rends dans votre établissement depuis des années, même des dizaines d’années, mensuellement pour participer au séminaire du Docteur Jean Oury et j’organise, dans ma région, des rencontres avec de nombreux soignants pour répercuter l’enseignement de Mr Oury, sa connaissance de la clinique des psychoses, et l’approche thérapeutique qu’avec d’autres il a initiée, connue dans de nombreux pays du monde. Tout soignant un tant soit peu au fait de l’histoire de la psychiatrie connaît la place éminente qu’il y occupe, et le Centre Hospitalier Sainte Anne s’honore de l’accueillir pour les séances de séminaire qu’il y dispense généreusement. Aussi je suis stupéfait d’apprendre que le Centre Hospitalier Sainte Anne remet en cause la poursuite de cet enseignement, qui n’a pas de prix, en voulant faire payer l’accueil de ce séminaire où de nombreuses personnes impliquées dans le soin à tous les niveaux (et, pour nombre d’entre elles , pas forcément les mieux payées), viennent à leur frais, sans hésiter à traverser la France pour cela. La question de la gratuité et de la solidarité étant au cœur du processus psychotique (le délire étant justement une parole qui ne peut être partagée), comment une institution psychiatrique pour qui cette question serait forclose pourrait approcher sans imposture le soin aux personnes prises dans ce processus ? 

 

Je suppose qu’il s’agit là d’une initiative qui aura échappé aux personnes qui ont à cœur de préserver la tradition de ce grand établissement. La psychiatrie se perdrait en perdant la mémoire et les murs de Sainte Anne bruissent encore des grandes voix qui ont fait, et continuent de lui donner ses lettres de noblesse. Je ne doute pas, Monsieur le Directeur, que vous puissiez porter attention à la nécessité de préserver la poursuite de ce séminaire dans l’esprit qui est le sien.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes respectueuses salutations,

 

Docteur Jean-Michel Abt

 

 

"Je propose que chacune et chacun , qu'il vienne régulièrement, peu, ou pas du tout, mais qui se sent concerné, d'écrire aussi, et de diffuser partout cette proposition d'écrire, de multiples lettres de partout me semblant devoir avoir encore plus d'effet qu'une pétition."

 

J.M Abt

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>Home, où l’homme trouve-t-il sa maison ?

 

Intervention à Grenoble au MC2 le 20 Novembre 2010

 

"La psychiatrie est dans l’errance."

 

 

Presque 10 ans se sont écoulés depuis la parution du fameux  Rapport Piel et Roelandt de juillet 2001 qui  suscita de larges débats au sein de la profession, promettant la mort de l’Asile et permettant aux pouvoirs publics de se réapproprier l’idée du « progrès psychiatrique. »

 

Reprenant à son compte le slogan qui fit les beaux jours de l’antipsychiatrie, l’Etat se fit alors le promoteur d’une nouvelle utopie thérapeutique. (Fermeture des lits et redéploiement, euphémismes)

 

Dans un contexte social et politique en mutation, face à une exigence croissante tant des «  usagers », de l’ensemble des acteurs de la «  santé mentale » que des pouvoirs publics, des enjeux théoriques, politiques, économiques et sociaux furent à l’œuvre pour surdéterminer les propositions concrètes. Fermer l’Asile.

 

Une question sociale est restée en suspens : sommes nous en train d’assister à la fin de la psychiatrie ou à la naissance d’un nouvel ordre psychiatrique ?

 

Le psychiatre serait cantonné dans le champ hyperspécialisé du fonctionnement de l’activité cérébrale et des comportements, prise en charge dans les unités des CHU,  alors que la folie ordinaire serait laissée aux travailleurs sociaux (qui ne savent pas quoi en faire…)

 

An nom de principes généreux de ne pas identifier la personne malade à ses troubles mentaux (un « psychotique » comme un «  diabétique »…) est proposé une division entre : 

 

— La personne sans trouble psychotique (pour le travailleur social) et

— Les troubles psychotiques pour le psychiatre.

 

Cette idéologie sous-entend qu’on peut se débarrasser des troubles mentaux, aboutir à un être sans trouble mental qui s’épanouit dans un «  état complet de bien être physique, psychique et social » !

Or les troubles mentaux existent, de tout temps, demeurent encore et nous nous retrouvons aujourd’hui avec des personnes qui ne sont pas entendues du côté du trouble mental.

 

Les psychiatres ne sont pas pour rien dans cette dérive et commencent, à réaliser que cette dérive n’a peut-être pas que des finalités économiques.

 

La psychiatrie, dans l’errance, a donc a nouveau besoin de l’Asile ! Mais pas de n’importe quel asile. Certainement pas celui qui enferme, isole , abrutit et oublie , mais un lieu d’accueil, d’écoute et de partage organisé par un discours de soins.

 

Un Asile en forme de Home.

 

« Home is where we are going from » nous dit le poète Yeats.

Et ce double mouvement, trouver son Home pour pouvoir ensuite le quitter est tout l’enjeu d’un véritable  travail clinique et thérapeutique.

 

A l’encontre de la psychiatrie actuelle dominante (sans subjectivité, qui impose aux infirmiers d’appliquer  des protocoles, aux patients d’avaler des médicaments pour réduire les symptômes) à l’hôpital de jour de la MGEN, que j’ai l’honneur de diriger sur le plan médical, nous nous sommes positionnés depuis toujours en appui sur la théorie de la Psychothérapie institutionnelle, c'est-à-dire que nous pratiquons une psychiatrie du Sujet, de la responsabilité et de la créativité.

 

Nous affirmons que le symptôme, loin d’être un corps étranger à éliminer par la force, est un savoir, intime, singulier et qui demande à être accueilli pour être lu et déchiffré.

 

Nous accueillons donc les Sujets avec leurs symptômes et nous leur proposons un lieu de rencontres, médiatisé par la parole (de chacun, celle qui engage), la vie collective ( à reprendre avec ses responsabilités, progressivement) et les moyens d’expressions les plus divers ( artistiques, artisanaux, corporels,etc)

 

Parfois nous proposons seulement un lieu pour se poser, à l’abri.

 

Il s’agit  de redonner un lieu d’adresse à celui qui l’a perdu (ou parfois même jamais trouvé).

Ce qui donne à ce lieu ses vertus thérapeutiques repose sur quatre notions importantes :

 

– Ce sont les liens que nous tissons entre nous qui font le lieu. (Et non pas les murs…même si ceux-ci gagnent à être architecturés dans l’idée du soin, de la circulation et de l’accueil)

 

-C’est le discours qui circule dans l’institution, discours de Savoir trou é, non totalitaire, qui permet à chacun d’y trouver sa place, ses liens avec les autres.

 

-L’intérieur et l’extérieur de ce lieu doivent rester nouer, en continuité, et ne pas isoler l’intérieur de l’extérieur. (Ce n’est pas tout cocoon dedans tout hostile dehors) et nous structurons nos activités thérapeutiques avec ces principes.

 

-la créativité, l’inventivité de chacun sont sollicités, favorisés, attendus, cela vaut pour les soignants comme pour les soignés. L’imprévu, l’inattendu, le désir peuvent trouver alors une place, et la jubilation qui les  accompagnent.

 

  1. Demeurent malgré cela bien des difficultés :

 

La clinique des psychoses, dans le transfert, dans la relation médiatisée, peut néanmoins nous placer en face de résistances à toute épreuve, opposant à notre désir ses forces de replis et d’isolement.

 

Un temps long est alors nécessaire pour constituer la confiance et l’abri,  et puis ensuite encore un temps long pour accompagner  vers une possibilité de sortie qui ne soit pas abandon  et de nouage de liens à l’extérieur de l’hôpital.

 

La psychose sociale d’aujourd’hui (individualisme, petite paranoïa quotidienne, performances requises…) ne nous facilite pas la tâche…

 

Je conclurai donc en vous disant ceci : A l’accueil de notre propre folie, de notre propre étrangeté, nous sommes tous invités !

 

Le travail alors, en appui sur un désir profond et fécond nous réservera bien des surprises et peut-être même un Home !


MP Deloche.

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>Interne de Garde Et Contrainte

 

 

 

Trois portes verrouillées me séparent de la chambre d’isolement, de la chambre d’exclusion. Au sein même de ce lieu, lieu d’accueil de la folie, une frontière sépare les « fous ordinaires » des autres, les fous dits dangereux, ou potentiellement dangereux, ceux qui suscitent la peur parmi les soignants.

 

Dans cette zone de non droit, il suffit parfois de peu pour basculer de l’autre coté de la frontière.

L’organisation des soins prend une allure autoritaire. Un simple refus de traitement peut conduire à l’isolement, voire à la contention si la révolte est trop vive. 

En psychiatrie, la dangerosité supposée se mesure au nombre de portes qui sépare un patient du reste de l’institution. C’est notre échelle de la douleur à nous.

Des bruits de clefs, des portes qui s’ouvrent et se referment aussitôt. Toujours fermer les portes. Moi aussi j’ai des clefs, je suis l’interne de garde, une sorte de gardien de prison…

Dans la chambre d’isolement, dans la chambre d’exclusion, le patient est contenu, le patient est attaché. De la camisole de force à la « contention thérapeutique », seuls les mots ont changé, la violence, elle, reste la même. Une violence qui ne dit plus son nom. Les mots nous mentent. Ils nous donnent l’illusion que nos pratiques ont évolué, que le temps de l’asile est révolu. Des mots pour faire passer la pilule. «Soyez raisonnable » disent les soignants convaincus de la légitimité de leurs pratiques, « lorsque vous serez plus calme nous lèverons la contention. » Il faut entendre : Lorsque les médecins feront leur travail et que vous serez tassé par les neuroleptiques. Lorsque votre corps ne sera plus une menace pour nous, que nous n’aurons plus peur, nous vous détacherons.

Pour l’heure, dans la chambre d’exclusion, les soignants sont inquiets. Le montant du lit brisé sous l’assaut de la rage et du désespoir, menace, par son tranchant, l’intégrité corporelle du patient. Les soignants veulent le déplacer pour le protéger, car en ces lieux, on se soucie de prévenir les blessures corporelles, celles qui laissent des traces visibles. Le corps du patient attaché, ce corps qu’on veut préserver, est aussi ce corps menaçant, qui fait peur. Il ne sera déplacé qu’à condition que je le rendre inerte, inoffensif. C’est le rôle qui m’est assigné.

Le patient sait ce qui l’attend. Comme un condamné avant son exécution il formule un vœu, un dernier vœu, recouvrer sa dignité …enfin, un peu. Il macère dans ses urines depuis des heures, il voudrait juste prendre une douche, se changer.

« Pas question » rétorque l’infirmière armée de sa seringue, « nous verrons ça plus tard ». Elle aurait pu ajouter « si vous êtes sage ». C’est sans appel.

« Il l’a fait exprès pour qu’on le détache » me dira-t-elle plus tard.

Quel cynisme ! 

A-t-on seulement conscience que ce patient, ce malade, ce fou, est un homme ? Qui se soucie en cet instant de ce qu’il peut éprouver, de ces blessures invisibles que nous lui infligeons ?

Je suis au chevet de cet homme, trop près diront certains, je lui parle, j’essaye de le rassurer. Comment pourrais-je l’apaiser alors que je suis moi-même horrifiée par cette scène ! Ma bienveillance à son égard est dérisoire…j’en suis douloureusement consciente.

En cet instant, je me sens écrasée par ce monstre sans âme qu’est devenue la machine institutionnelle.

Désemparée, je cherche du regard de l’aide parmi les soignants, mais en vain. Leurs visages sont fermés, ma détresse, pas plus que celle du patient, n’est entendue. J’éprouve la violence de son isolement. 

Nous sommes encerclés par les renforts. Cette milice toute puissante semble jouir de sa force. Place à l’intimidation…ils sont là pour mater la rébellion.

Le patient est sommé de se soumettre, d’accepter sans résister l’injection qui le rendra, pour un temps inoffensif.

Ses plaintes se muent en sanglots, puis en rage lorsqu’un infirmier qu’il ne connaît pas s’adresse à lui d’un ton condescendant en lui tapotant sur la tête.

Sa révolte est perçue comme une preuve ultime de sa violence, justifiant ainsi le traitement qui lui est réservé.

L’homme finit par se soumettre. Comment aurait-il pu en être autrement. La camisole chimique prendra momentanément le relais de la camisole de force afin que son corps inanimé soit déplacé sans peur. La peur, ce fléau de l’institution.

Combien de jours, combien de semaines cet homme restera-t-il attaché, je l’ignore. Mais pour avoir vécu ça en d’autres lieux, pour avoir vu la nécrose s’emparer de ces corps mortifiés, je sais à quel point l’aveuglement des hommes peut les rendre cruels.

Je suis furieuse qu’on maltraite un homme avec tant d’indifférence. Furieuse d’être le témoin impuissant, mais non moins complice de cette barbarie.

Les infirmiers, surpris par mon indignation et par les larmes que je peine à contenir, m’écoutent avec complaisance, mais ne m’entendent pas. Ils n’entendent pas sa souffrance à travers moi. 

Les murailles défensives qu’ils ont élevées pour se préserver les coupent de leur humanité, sans cela, comment supporteraient-ils d’infliger à un homme un tel traitement ?

« Contention thérapeutique ». Attacher pour soigner, quel paradoxe !! Qui a dit qu’attacher un homme comme un chien enragé pouvait le soulager de sa souffrance ? 

Le plus terrifiant pour moi, c’est que, durant ma courte mais édifiante expérience d’interne en psychiatrie, je n’ai jamais entendu quiconque remettre en question la légitimité de cette pratique. Pourtant, les dérives sont quotidiennes : de la contention préventive à la contention comme châtiment, en passant par la contention comme moyen de maîtriser les patients « turbulents »  dont on n’a pas le temps de s’occuper, qui font désordre dans l’institution.

Nos patients ne sont-ils pas suffisamment malmenés par cette société ?

N’est-on pas censé accueillir leur souffrance quelle que soit la forme qu’elle revêt ? Ne doit-on pas les restaurer dans leur dignité, plutôt que relayer un discours politique et médiatique scandaleux, qui les désigne comme des criminels dangereux ? 

Je refuse d’être un agent au service de la prévention de la dangerosité. Je refuse de voir en chacun de mes patients un criminel potentiel. Et pourtant j’étais là, entourée d’une garde renforcée déployée autour de moi parce qu’on prêtait à cet homme des intentions violentes.

Q’en est-il de la violence que nous lui faisons subir à lui, et à tant d’autres, au nom du principe de précaution ! Aurions nous le monopole de la violence ?

Les passages à l’acte de certains patients ne sont-ils pas le reflet de notre toute puissance, induits par le climat de suspicion et  d’insécurité qui s’est insinué dans nos institutions ?  

La contention préventive est régie par les mêmes principes que la rétention de sûreté. Et en laissant ces principes infiltrer nos pratiques, dans cet espace d’accueil de la différence, nous trahissons l’essence même de nos fonctions.

La transformation de l’institution psychiatrique en univers carcéral, bien qu’elle ait été officialisée il y’a quelques mois, se prépare depuis bien longtemps.

C’est l’aboutissement d’une volonté politique, enfin affichée, qui tend, depuis des années, à instrumentaliser les soins psychiques à des fins normatives et répressives. A faire de nous, soignants, des outils du contrôle social, mis en demeure, par les plus hautes autorités, de réduire la folie au silence.

La protocolisation des soins en psychiatrie, qui tend à se généraliser, est l’une des armes redoutables visant à nous soumettre.

Le protocole tue la pensée. Il nous enferme dans une technicité déshumanisante qui exclut toute dimension subjectale. Plus de place pour la rencontre essentielle  de l’autre, pour l’imprévu, pour la création dans toute sa dimension soignante.

Pas de discussion possible. Un protocole, ça ne se discute pas, ça s’applique ! Le protocole est la matérialisation de la pensée unique, il tue l’esprit libre.

L’institution psychiatrique est en souffrance. Les soignants sont usés par les maltraitances administratives. Ils sont acculés par des tâches bureaucratiques ingrates censées rendre compte de la qualité des soins au détriment même des soins. La réduction des effectifs infirmiers rend impossible l’accomplissement des soins dans toute la dimension transférentielle que cela requière. 

Les temps d’échanges et d’élaboration se réduisent comme peau de chagrin laissant les soignants désemparés dans une institution que la pensée a désertée. Leur isolement et leur détresse croissante renforcent leur sentiment d’insécurité, et par là même, le cercle vicieux des violences institutionnelles. Les valeurs si riches du travail collectif sont abandonnées au profit d’un cloisonnement des tâches et des fonctions, aboutissant aux clivages que l’on connaît dans les équipes.

Le travail à la chaîne remplace la création, dans une institution psychiatrique transformée en usine de traitement des déchets.

A l’aire de la « santé mentale », le sujet est réduit à des dysfonctionnements neurobiologiques, nié dans sa singularité, dans sa complexité. Il est sommé de taire sa souffrance, au risque d’être relégué au rang des incurables, des handicapés comme on les appelle maintenant. Encore une manière sournoise d’inscrire la souffrance dans le corps, sous l’angle de la défaillance.

Quand aux jeunes internes, victimes, pour la plupart, d’une rupture de transmission, soumis au discours dominant réducteur, ils n’ont désormais pour références que le DSM IV et le vidal. Dressés à chasser les symptômes, ils revendiquent fièrement leur statut de « médecins comme les autres », et se retranchent derrière leurs blouses blanches et leurs bureaux en n’ayant pas conscience qu’ils sont eux même un symptôme. Symptôme d’une société déshumanisée qui chasse les spectres en tous genres, et refuse d’admettre qu’elle produit le mal qui la ronge.

N’a-t-on pas entendu des internes en psychiatrie suggérer que des cours de self-défense soient intégrés à notre formation ? « Pour maîtriser nos patients sans leur faire de mal » disaient-ils ! 

On pourrait se munir de bombes lacrymogènes tant qu’on y est, ou de pistolets à décharges électriques…ça ne ferait jamais qu’une décharge de plus !

La réalité dépasse parfois la fiction ! Des murs surmontés de barbelés, des chambres d’isolement «dernier cri », des caméras de surveillance, des bracelets électroniques en guise de lien thérapeutique, c’est ce que l’avenir nous réserve si nous ne réagissons pas. Ne manqueront plus que les sentinelles…mais qui sait…la paranoïa est de rigueur.

Le projet de soins ambulatoires sous contrainte nous réserve également un avenir bien sombre ! Nos patients seront fichés et traqués sans merci, ils devront pointer aux CMP comme des criminels en sursis au risque de se voir dénoncés puis enfermés. La collaboration médico-policière a de beaux jours devant elle ! 

Prêts pour le grand nettoyage ?

Les hommes n’ont-ils toujours rien retenu de l’histoire ? Ont-ils oublié où la soumission et la collaboration pouvaient mener !

Combien de temps encore fermerons nous les yeux sur ces dérives ?

Nous devons mettre un terme à cette escalade, refuser de nous laisser instrumentaliser, refuser la mise à mort des soins psychiques.

Notre richesse réside dans la singularité de nos pratiques, puisons notre force dans la mise en commun de nos expériences. Nous devons recréer du collectif, de l’hétérogène, des espaces d’élaboration pour résister aux consensus qui écrasent la pensée.

Nous avons les moyens et le devoir d’empêcher le pire. La psychiatrie a toujours été, et sera toujours menacée de dérives idéologiques. C’est en questionnant perpétuellement nos pratiques, en redevenant subversifs que nous échapperons à l’enfermement.

Je voulais témoigner de mon expérience au singulier parce que c’est la singularité même qui est menacée par le rouleau compresseur de cette politique normative.

Parce que cette machine infernale menace de broyer sur son passage tous ceux qui s’écarteront de cette norme absurde.

Parce que nos patients, symboles malgré eux de l’insoumission et du hors norme, sont en première ligne face à cette entreprise d’épuration.

Je voudrais témoigner de mon espoir au pluriel, parce que c’est d’une révolte collective que cet espoir est né.

Parce que des voix se sont élevées parmi les soignants pour dénoncer la violence institutionnelle érigée en modèle.

Parce que je suis sortie de cet isolement mortifère, déterminée à me battre aux  cotés de ces hommes et ces femmes pour réinstaurer la parole comme acte fondateur du soin, et de la relation soignant

 

Mounia Terki

Interne en Psychiatrie

 

Texte présenté aussi au Forum de la Nuit Sécuritaire au Colloque Europsy d’octobre 2009.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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>Conversation sous la tente

 

L’autre jour, je suis allée à la tente. Trois-quatre collègues. Jean-Luc qui rangeait, nettoyait les frigos et mettait des étiquettes sur les portes pour indiquer ce qu’ils contenaient. Vincent, virevoltant deci-delà. Paul, attablé, son bonnet sur la tête. J’ai commencé à parler avec Paul. « Ici, c’est un lieu dont tout le monde a besoin. La tente joue comme un révélateur : il nous faut une maison du personnel. Dans cet hôpital, chacun est complètement éclaté. Entre les pavillons, l’extra, l’intra, personne ne se rencontre plus. La tente nous permet de nous retrouver. Et puis, ici, on fait des premiers accueils. Il y a des familles qui viennent nous demander des conseils sur la psychiatrie. Il faut vraiment se poser la question de la continuité de la tente, après. C’est aussi notre position à l’entrée de l’hôpital qui permet tout ce travail.»


Un journaliste arrive. La Dépêche. Il veut faire le portrait d’une infirmière. Pas de chance, il y a surtout des infirmiers et des aides-soignants. Va pour l’infirmier. Il commence à discuter avec Paul, qui remonte aux temps anciens, à ce qu’il appelle « la psychiatrie institutionnelle » et que j’appellerais plus volontiers la psychiatrie asilaire. Les malades qui travaillent, les grands pavillons, les dortoirs, les grandes équipes, les trois-huit sans aucun moment de rencontre inter-équipes (ce que nous appelons « les transmissions »), le pécule indexé sur le timbre-poste et payé par le vaguemestre, l’ordre asilaire de cette époque. Et puis, l’évolution, — la révolution, il faudrait dire — et l’énorme changement que les infirmiers ont accompli dans leur travail avec les malades. Paul ajoutait que pour lui, c’était grâce à un médecin-chef qui impulsait un mouvement d’ouverture qu’il avait travaillé autrement. Et l’on pouvait se former. Et cette formation avait des effets en retour sur l’équipe et les collègues. 


Parce qu’au fond, c’est aussi cela qu’on ressent sous la tente. Cette culture commune de soignants en psychiatrie qui nous infiltre. Ce métier, qu’on a construit avec les patients, grâce à eux autant qu’avec eux. Cette passion du lien, de tout ce qui relie.


Le journaliste de la Dépêche avait oublié son appareil photo. Embêtant pour un portrait. Ah ! mais celui de l’Humanité arrive. Il nous fait poser dehors, devant le feu. Il enverra une photo à son collègue. Très bien. 


Pendant ce temps, Jean-Luc a fait griller la viande sur les braises du feu de palettes et arrive avec un plat rempli. L’interview continue tout en mangeant. Le gars de La Dépêche commence par décliner l’invitation qu’on lui a lancée, « seulement un verre de vin, ça m’ira très bien », puis le temps passant, accepte un morceau de viande et un bout de pain. Le portrait de Paul s’élargit des commentaires des uns et des autres. Vincent aime beaucoup utiliser l’appareil photo de son téléphone portable et a pris Paul sous tous les angles, avec et sans bonnet. On parle aussi du rendez-vous pour manifester le lendemain à l’ARS. André souligne en apparté, que les patients, il faut savoir les laisser tranquilles, qu’aujourd’hui, l’ambiance est plutôt à l’activisme et à la réponse immédiate, médicamenteuse ou autre, alors qu’il faut savoir prendre le temps de les laisser venir, suivre leur rythme, et que c’est une condition absolument nécessaire au travail et à la construction d’une relation authentique, que sinon il y a trop le risque de faire écran. 


Vers une heure, d’autres collègues arrivent. Des jeunes. Du coup, on se met à parler de la formation, de la transmission. « Nous avons appris notre travail au contact des anciens, mais aujourd’hui, il n’y en a pratiquement plus dans les pavillons. J’en veux beaucoup aux collègues qui ont de l’expérience d’être tous partis travailler en dehors de l’hôpital. » Occasion de rappeler au journaliste que l’activité de l’hôpital a lieu pour une bonne part (la moitié ?) à l’extérieur. Et de rappeler à Paul qu’il fut un temps où personne ne voulait aller travailler «en extra », comme on dit. On parle aussi du tutorat mis en place pour pallier à l’insuffisance de la formation psychiatrique actuelle dans les écoles d’infirmières.


 Le journaliste est sur le départ. Passe un psy (psychanalyste, je veux dire). Qui glisse discrètement une liasse de billets en soutien. On lui offre à manger. À l’autre bout de la table, on parle ciment, prise rapide et fers à béton. Il s’en mêle, apporte quelques précisions sur les matériaux. Une collègue félicite ceux qui ont parlé à la radio. C’était vraiment très bien. « Pas de tout repos, il faut être très concentrés » précisent ceux qui y sont allés. On raconte la panne pendant l’émission du groupe électrogène qui fournit l’électricité, vite, aller rajouter de l’essence. « On n’a raté que deux minutes. » Un syndicaliste arrive. Jean-Luc lui parle du compteur de chantier qui doit être installé dans l’après-midi. « J’ai pensé qu’il ne fallait pas que les fils traînent par terre. » « Ah, si tu as besoin, j’ai le camion avec la nacelle et quelques minutes, si je peux faire quelque chose, c’est maintenant.»

 

Quelqu’un d’autre arrive en parlant des tentes que ceux du tramway ont montées à leur terminus. Équipés d’emblée. Et de leur matériel pour tenir. De gros réchauds, etc. « Ce n’est pas une prime en plus qu’ils demandent. Ils luttent pour qu’on ne leur enlève pas une prime à laquelle ils ont droit. » Une collègue revient sur son repos, en profite pour s’arrêter. Je parle avec elle d’une patiente qu’on suit en commun. Elle raconte la vie au pavillon, le manque d’effectifs, les jeunes qui viennent d’arriver, qu’il faut « tutorer » justement et c’est pour ça qu’elle revient, elle me donne aussi des nouvelles d’une collègue commune.  


Je pourrais aussi parler de ce patient qui s’est mis à me raconter des pans entiers de l’histoire de Marchant ; de Véra, qui passe parler d’un projet qui lui tient à cœur et cela ouvre une discussion passionnante et pointue sur le travail ; ou de ces parents, se plaignant d’être mis à l’écart par le médecin qui soigne leur enfant mais ajoutent « l’équipe infirmière du pavillon est formidable ». Avec eux, c’est un vrai entretien de régulation qui a lieu et pourtant, impossible de penser le faire ailleurs que là, dans la nuit et le froid, à côté des palettes qui brûlent. 


C’est tout cela que permet aussi la tente.

 

Difficile de rendre cette vie, la simplicité, l’ordinaire et la chaleur de ces moments, les discussions qui passent du coq à l’âne, où tout est mêlé, de l’histoire de la psychiatrie au bricolage (mais notre métier est presque totalement constitué de cela : de bricolage), les rencontres qui se font, viande, pain et verres qui circulent autour de la table et le sentiment que quelque chose existe là, de précieux, qu’on ne peut pas enlever aux gens. Quelque chose  d’extrêmement important, de vital, d’indispensable. Quelque chose qui concerne la psychiatrie sûrement, mais au-delà d’elle, touche notre manière d’être ensemble dans la société d’aujourd’hui et la possibilité de travailler dans un collectif vivant. Parce que la vie, elle est là, pas dans les protocoles et autres évaluations, encore moins dans le CAC 40 et toutes les économies qu’on veut nous imposer. Non, la vie est là, et les patients en ont besoin, ils ont besoin de la sentir en nous. C’est avec cette vie qu’ils peuvent se reconstruire pour aller mieux. 


Ah ! j’oubliais le principal. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est un système de remplacement généralisé organisé sur tout l’hôpital, intra et extra, pour pallier l’absence chronique des deux tiers du personnel infirmier d’un pavillon. Ce système de remplacement généralisé avait entre autres pour effet de désorganiser le travail et la prise en charge des patients dans tous les services. 


Une autre des revendications emblématiques du mouvement a été un temps le manque de petites cuillères en métal ! et le fait qu’elles étaient systématiquement remplacées par des petites cuillères en plastique. (Mais cette pénurie touche aussi les bols, etc.) De ce côté-là, au moins, la direction a compris et les petites cuillères en métal sont réapparues dans les pavillons. 


Évidemment, la tente, c’est une protestation contre les économies actuelles, la pénurie constante de personnel due à une quarantaine de postes vacants non pourvus sur l’hôpital.  Mais c’est aussi une lutte pour défendre une certaine manière de soigner faite de respect du patient, contre la tendance actuelle d’une psychiatrie exclusivement sécuritaire et contre le retour à l’ordre asilaire, même modernisé par les caméras, les alarmes, les molécules soit-disant d’avenir et le fric pompé par les laboratoires. 


Pas étonnant que ce mouvement soit mené prioritairement par les infirmiers et les aides-soignants. Eux plus que les autres savent jusqu’à quel point le respect et la valeur de leur travail vont de pair avec le respect du patient. Les patients ne s’y trompent pas d’ailleurs : la tente leur a plu d’emblée, elle met un peu d’animation dans leur vie à l’hôpital, mais ils s’arrêtent aussi là pour prendre un café ou parler de la psychiatrie et il est arrivé que certains d’entre eux nous en racontent des bouts d’histoire. 

 

Ce jour-là, on a même parlé de monter des murs de briques sous la tente. Des murs qui resteraient une fois que la tente aurait disparu. Une bonne farce à faire à notre direction. Et tout un symbole. 


Blandine Ponet, Toulouse, décembre 2010.

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>La psychiatrie sous surveillance : Débats autour de la Réforme de la loi de 1990

 

 

Paris, le 17 décembre 2010 de 9h à 17h EPS Ste Anne – Amphi CMME – 100 rue de la santé 75014 PARIS


Programme

8H 30 – 9H 00…… Accueil

9 H 00 – 9 H 30 …… Allocutions d’ouverture Monsieur Jean-Luc CHASSANIOL, directeur de l’EPS Ste Anne. Monsieur Serge BLISKO, Député, Président du conseil de surveillance de l’EPS Ste Anne. Dr. François CAROLI, Président d’honneur d’Ancre Psy.

9 H 30 – 10 H 30

Monsieur Robert BADINTER, Ancien ministre de la justice Sénateur des Hauts-de-Seine.

10 H 30 – 10 H 45 … Pause

10H 45 – 12H 30… La judiciarisation de l’hospitalisation sous contrainte Quelles en sont les implications ?

Monsieur Serge PORTELLI, magistrat. Madame Hélène FRANCO, magistrat. Dr. François CAROLI. Mr Joseph Halos, directeur de l’EPSM Lille-Métropole, président de l’ADESM.

12H 30 – 14H 00 .. Déjeuner

14 H 00 – 15 H 30

Dr. Richard RECHTMAN, Directeur de Recherche à l’ E.H.E.S.S., « Réguler le social par la psychiatrie ».

Dr. Michel TRIANTAFYLLOU, Chef du Secteur de Psychiatrie de Nanterre, « Du sanitaire au sécuritaire : les glissements du projet de

réforme de la Loi de 1990 ».

15 H 30 – 17 H 30 Table ronde Mr Patrick COUPECHOUX, Journaliste. Dr. Jean-Luc ROELANDT, Chef de Secteur de Psychiatrie, Directeur du Centre Collaborateur de l’OMS Un élu, un usager.

17H30…………… Conclusion Dr. Marie-Christine CABIÉ, Présidente d’Ancre-psy


Le projet de réforme de la loi de 1990 soulève de nombreuses interrogations dans la population, dans le monde judiciaire et dans le monde psychiatrique. Une évolution sécuritaire se dessine déjà depuis plusieurs années dans les modalités d’application de la loi et sont encore plus prégnants dans le projet de réforme. Cette évolution ne touche pas que les personnes souffrant de troubles psychiques. Elle peut être constatée dans d’autres champs de la société où les libertés individuelles sont mises à mal alors que s’estompe un réel débat démocratique.

Comment protéger les personnes tout en leur offrant les soins dont ils ont besoin ? Comment protéger la société tout en garantissant les libertés individuelles ? Telles sont les difficiles questions auxquelles doit répondre cette réforme.

Les notions de soin (médecins), de privation de libertés (justice) et de contrôle social (administration) restent actuellement mal définies, ce qui est source de confusion entre les rôles, les fonctions et les champs de compétence.

L’objectif de cette journée est de clarifier ces notions à partir des points de vue des professionnels de la justice, de la santé, mais aussi des politiques et des usagers.


Frais d’inscription 90 euros :  Inscriptions auprès du secrétariat du Docteur M. TRIANTAFYLLOU : Mme Chrystelle ALASO chrystelle.alaso@ch-nanterre.fr


Tel : 01 47 69 68 41 – Fax : 01.47.69.72.03 Hôpital Max Fourestier – Service de Psychiatrie 403 Avenue De La République – 92000 Nanterre

Numéro de Formation Continue : 11752696275

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>Continuité des soins ou continuité sous contraintes ?

 

A propos du Projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques

et à leurs modalités de prise en charge

 

(Assemblée nationale lundi 4 octobre 2010)

Présentation de la rencontre – débat 

sur l'invitation de Serge BLISKO,  Député de Paris, 

 à l’initiative de Noël MAMÈRE, Député de Gironde, 

et avec Martine BILLARD, Députée de Paris. 

 

Organisée par Le Collectif des 39 Contre la Nuit Sécuritaire

 
– Ouverture et premières interventions –
 

P. Machto : La loi qui est en discussion pose le problème suivant : est-ce que la contrainte peut être confondue avec le soin ? Est-ce qu’il faut revenir à l’avant 1793, c’est-à-dire avant que Pinel et Pussin décident d’enlever les chaînes aux aliénés.

S. Blisko : Cette loi prône l’hospitalisation et les soins sans consentement. Et c’est maintenant qu’il faut agir. Ces questions doivent être popularisées d’autant plus qu’elles font moins l’objet de débats publics que d’autres questions. Et pourtant tout comme la loi sur l’immigration, cette loi remet en causes des libertés fondamentales. S. Blisko se refuse à toute discrimination faite aux Hommes (les personnes souffrant de troubles psychiques, comme les tziganes, etc.). Il appelle à une psychiatrie humaniste.

M. Guyader : Cette loi parle de protocolarisation des pratiques, de dangerosité des patients, d’exclure les personnes qui ont des troubles, et qu’on préfèrerait cacher. Il n’y a donc aucune place à « l’hospitalité pour la folie », à la créativité qui permet à certains de réussir à sortir du tréfonds. C’est une insulte à la culture.

Exclure les professionnels, chercher à se substituer aux praticiens, détruire la continuité des soins en détruisant ce qui la constitue (c’est-à-dire les rapports que les praticiens cherchent à tisser avec leur patients). La formation des psychothérapeutes réduite à 3 ans. Il est nécessaire de rétablir un internat de spécialisation, la psychiatrie de secteur (car sa disparition engendre des disparités régionales), de faire que les études d’infirmiers en psychiatrie soit une spécialité.

Un autre constat : avec cette loi, l’entrée en hôpital est facilitée, mais pas la sortie, ce qui va l’encontre de l’hospitalité. Il y a lieu de revendiquer l’état de droit pour tous (pour les patients) et une éthique du soin.

M. Billard : Il y a nécessité d’une mobilisation en amont. Hélas, elle n’est pas toujours possible car les parlementaires courent après les lois. Leur travail est difficile : d’un jour à l’autre ils ne savent pas sur quelle loi ils vont statuer (= entrave parlementaire). C’est très grave étant donné que le gouvernement souhaite de plus en plus faire passer des lois sécuritaires. M. Billard parle de textes de lois d’émotions, basés sur des fais divers (des lois de la peur). Il est arrivé que le président de l’Assemblée Nationale change l’ordre du jour, le jour même. Le texte de loi qui nous réuni aujourd’hui n’est pas encore inscrit en commission, mais il peut très bien l’être en novembre.

Ce projet de loi est une extension d’autres lois, par exemple la vidéosurveillance. Ce pouvoir rêve d’enfermer des populations gênantes. Il y a un recul du pouvoir de la justice au profit du pouvoir politique. Ce qui sous-entend la possibilité de rétention sans intervention de la justice et donc sans recours pour le malade et/ou sa famille. Quand on relie cela au manque d’effectif dans les hôpitaux, et la pénurie des soins ambulatoires.

Il est nécessaire qu’un débat public soit organisé pour sensibiliser la population, et trouver des solutions ensemble.

L. Brunessaux reprend le constat de M. Billard, le gouvernement essaie de diviser la population. Dans ce projet de loi sont créées deux catégories de patients : les patients les plus difficiles (ceux qui ont purgé une peine et qui ont passé un séjour dans un UMD), qui seraient traités différemment avec cette loi que les autres patients…

P. Machto : La question de la judiciarisation doit être approfondie. Il est nécessaire d’être vigilant, et de bien l’analyser, car elle peut être détournée. M. Guyader : ajoute qu’il ne faut pas de loi.

 

– La Parole est donnée au public –

G. Dana : Le collectif des 39, selon lui, est un observatoire des pratiques. La pratique des soins suppose d’avoir du temps et de pacifier les rapports entre patients et praticiens. Il y a certes des dispositifs à envisager, mais on ne peut pas se précipiter dans le vote d’une telle loi. Un constat : les synthèses, qui sont des réunions permettant de traiter chaque patient au cas par cas, ne sont pas comptabilisées ; et pourtant elles font partie du soin.

S. Klopp : La psychiatrie manque peut-être un peu de volonté politique. 

Le parti communiste demande que soit : 

– redéfini les pratiques de soin ; 

– remis en place, une formation spécialisée ;

– donné des moyens. 

 

Avec cette loi, le fichier ferait son retour, avec l’utilisation du dossier médical informatisé (DMP), où seront consignés les antécédents de passage en UMD, par exemple. Et ceci non plus seulement pour 5 ans, mais à vie. 

Réponse de M. Billard : Le DMP doit rester confidentiel. Nous nous étions fermement battus pour que les médecins du travail n’aient pas accès au DMP.

P. Chemla : Il y a déjà trop de transparence. Nous avions alerté le conseil de l’ordre sur le fait que maintenant avec les dossiers informatisés tout le monde peut avoir accès comme il veut. P. Chemla dit qu’il ne veut pas qu’un juge ou un préfet interviennent dans son travail.

Mr Dubuisson, du GIA (Groupe Information Asiles) : il faut tout de même un contrôle des pratiques de soin. Car si le patient est contraint, ce n’est pas le cas des soignants. Et peut-être que parfois leurs pratiques peuvent être remises en question. C’est pourquoi ce dernier est tout de même pour la mise en place du Juge des Libertés et de la Détention (soit un magistrat indépendant).

 

– Reprise des interventions –

N. Mamère 

 annonce la création à Bègles du Campus Solidaire et le collectif des 39 y est invité le 4 novembre à participer à une soirée – débat autour du film « Un Monde sans fous ? ». Il évoque la tyrannie de l’émotion. Il fait référence à P. Virilio, à la notion de vitesse, à cette « civilisation de l’accélération » : l’émotion d’un côté, l’urgence de l’autre entraîne une dangerosité pour nos libertés.

Le gouvernement est constitué de « braconniers » (qui cherchent à séduire les électeurs du Front National), qui souhaitent une société d’exception. Et en même temps ce projet de loi pose de vraies questions…

F. Chaumon : cette réunion concrétise la volonté d’échanger sur ces questions de manières ouvertes vers l’extérieur. Il y a quelque chose de très grave dans cette affaire : on veut nous faire croire qu’il est nécessaire d’enfermer. Et il y a aussi des praticiens qui adhèrent à cela (un auditeur ajoute même que ceux qui pense autrement sont une minorité). F. Chaumon constate que les services qui comptabilisent de nombreux comportements violents ont eux-mêmes des pratiques violentes. Les services qui enferment beaucoup, sont des services qui sont eux-mêmes fermés… 

Un danger aussi grand que le sécuritaire : la police sanitaire. Idée selon laquelle on peut déterminer ce qui est bien pour autrui. Mais, à partir du moment où l’on veut l’appliquer à un individu en particulier, c’est un problème. Effectivement, comme le disait le président du GIA, on peut remettre en question les choix de traitement de son médecin.

Il revient sur la notion de liberté : il ne faut pas faire de son patient un objet de pouvoir (c’est ce que prônait le courant désaliéniste). La supposé « non-demande » du patient ne dépend-elle pas des soins, de l’offre de soins proposée ? F. Chaumon ajoute que la folie ne se caractérise pas chez le fou par le non-savoir de son mal. Ce n’est pas si simple. Et donc la banalisation et les pensées simplistes (les raccourcis du style : fous = dangereux) sont à bannir. Il y a besoin d’un renouveau dans la culture, d’une promotion de la singularité des pratiques.

Quand un élu se retrouve face à un trouble de l’ordre public, qu’est-ce qu’il fait ? 

Réponse de N. Mamère : effectivement la réponse est au cas par cas, on essaie d’abord de comprendre ce qu’il s’est passé.

 

– Retour au débat avec la salle –

Le projet de loi ne s’intéresse pas aux soins mais seulement à l’enfermement. Il y a une autre question à traiter : quel est l’accès au soin ? Quelquefois le soin sous contrainte est parfois le seul moyen d’avoir accès au soin.

Dans quelle mesure notre exercice de pouvoir garde une éthique ? Et ne tombe pas dans « l’abus de pouvoir » ?

B. Durand : Ce que le gouvernement cherche à obtenir c’est la réduction des troubles au moindre coût possible. Les débats que nous avons ici aujourd’hui, les réflexions lors de nos meetings, doivent être entendus des politiques. Lors d’une précédente réunion dans cette même salle, organisée par le Parti Socialiste, il n’y avait pour parler de la santé mentale, que l’association FondaMental, … et Jean Luc Roelandt ! Jean Luc a fait de très bonnes choses dans son secteur, cependant là il prône les « pairs-aidants » déjà existant au Canada ! Un scandale quant il s’agit de faire d’anciens patients des sortes de super-patients avec une formation, délivrée par qui ? On voit ce qui est proposé avec le décret sur le titre de psychothérapeutes… C’est tout autre chose, l’entraide entre les patients, leur responsabilisation dans une dynamique institutionnelle !

Plusieurs questions à propos de la gauche, du parti socialiste, et de son possible retour au pouvoir.

N. Mamère précise qu’il représente le parti « Les Verts  – Europe écologie », et non le PS. Aussi, il ne peut parler en leur nom. Et, il ajoute que la démocratie directe est bonne, mais la démocratie représentative est importante aussi, surtout sur cette question complexe. D’autre part, il faut informer et éduquer la population sur ces questions. Notre société est malade de la simplification (« travailler pour gagner    plus », etc.)

Il évoque aussi le milieu carcéral, et le fait que bien entendu il y a de nombreuses personnes qui sont incarcérées et dont la place n’est pas dans les prisons…

P. Chemla : Si la gauche revient au pouvoir, est-ce que les logiques normatives (nommées certification, aujourd’hui) vont être abandonnées ? Nous ne sommes plus dans une logique d’objectifs, mais de normes. Les gens se protègent derrière les normes. 

N. Mamère adhère à cette dernière intervention, et ajoute que c’est le cas également dans l’écologie et dans d’autres secteurs. M. Bellahsen prend la question sous l’angle de la formation. On nous pousse à une déresponsabilisation. La formation actuelle va dans le sens de la délégation des tâches, un cloisonnement des professionnels. Il y a un développement de la peur des patients, ce qui entraîne des réactions inadaptées. On se réfugie derrière les sciences, et c’est la médicalisation de la psychiatrie. La question du savoir expertale  (d’experts) : dans notre formation on ne nous explique pas que notre pratique nécessite du temps et de la créativité. On nous propose des cours de sciences humaines, mais ils sont basés uniquement sur la gestion des personnes. Le     «Santémentalisme», prôné par l’association FondaMental, organisme évoqué dans le film « Un monde sans fous ?», se base sur la normalisation dans le but que la santé mentale soit un instrument pour que nous soyons plus compétitif face au reste du monde (objectif européen), ce qui induit un Etat gestionnaire. Pourquoi ne pas mettre en place des collèges locaux de psychiatrie, organisés de manière pluridisciplinaire (réunir des personnes de tous les secteurs : psychiatres, infirmiers, éducateurs,…)

R. Ferreri : D’un côté il y a un sujet universel et de l’autre des personnes qui vont pouvoir jouir bourgeoisement de leurs biens. On ne peut écarter des gens sans que cela nous questionne (est-ce que l’on aurait pu l’éviter ?) « L’espoir des réponses ne doit pas tuer l’espérance». Nous sommes passés dans un monde de la gestion des Hommes, et ce qui échappe aux politiques doit être anéanti.

C’est quoi le lien social ? C’est ce que nous partageons vraiment, le fait qu’il n’y a pas de vérité dernière. Nous ne pouvons pas clore un débat dans le but de l’efficacité. Selon R. Ferreri, la question des sujets est à reprendre, tout comme la valeur d’échange. Dans le combat que nous menons, il est nécessaire de discuter avec tous.

Il faut lutter contre l’évaluation. Lénine disait « Quand à l’intérieur on ne peut rien faire, il faut aller vers l’extérieur ».

 

– Débat avec la salle –

Intervention d’un artiste-citoyen qui se demande si justement le collectif va assez vers la population, et est prêt à s’engager dans des initiatives.

Réponse de L. Brunessaux : en Février un rassemblement va être organisé autour débats, projections de films, expositions, concerts… et sera ouvert à tous. Il est nécessaire de développer des échanges avec les artistes et les citoyens… 

S. Klopp ajoute que des assises régionales (organisées par le Front de Gauche) vont avoir lieu, et il serait intéressant que le collectif des 39 s’en saisisse.

Françoise Attiba : « Quand on voit comment les représentants politiques sont en difficultés eux-mêmes à l’assemblée, on peut se demander si il faut en attendre un vrai soutien ».

P. Machto : on ne peut pas dire que nous ne pouvons pas compter sur eux, on ne peut pas dire ça, le débat d’aujourd’hui ici en témoigne mais il faut absolument approfondir le travail avec eux, transmettre nos analyses et nos propositions. Ne pas laisser la place aux fondaMentalistes de la santé mentale ! 

Il conclue cette rencontre par la lecture de l’Appel du Collectif des 39 aux Préfets et aux grands corps de l’État.

 

 

Notes prises par Adèle AUDUREAU 

Secrétaire des départements Social et Culturel des Ceméa

Relecture et compléments : Paul MACHTO, Psychiatre

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>Quelle hospitalité pour la folie ?

 

 

Intervention pour le colloque de Poitiers du 19 Novembre 2010 

 

Je vous remercie pour votre invitation qui est l’occasion d’une rencontre  sur des questions qui sont aussi les miennes. Je précise que membre du « groupe des 39 » dès sa fondation au lendemain du discours tenu par Sarkozy à Antony, je parlerai ici en mon nom et depuis ma pratique de psychiatre et de psychanalyste. Une pratique orientée depuis plus de 30 ans par la Psychothérapie Institutionnelle dans un service que j’anime depuis le Centre Antonin Artaud, mais aussi dans le service hospitalier qui lui est étroitement articulé.

 

C’est pour soutenir cette pratique et sa transmission, mais aussi pour lutter contre la haine froide d’une psychiatrie déshumanisante et protocolisée que je milite dans le groupe des 39 qui tente de mobiliser tous ceux qui se sentent concernés par cette dérive barbare de la psychiatrie ; et il est important de souligner la présence importante des patients qui prennent la parole dans nos rassemblements et en particulier notre meeting du 25 Septembre. 

 

Une question préside à l’argument du colloque qui nous réunit: que s’est-t-il passé depuis 1976 pour que le film « Vol au dessus d’un nid de coucous » nous paraisse toujours aussi actuel ? Cette question est troublante, et reflète bien les inquiétudes d’une génération qui a cru pouvoir en finir avec la violence asilaire en développant des pratiques alternatives. Or ce même discours alternatif a été détourné de façon perverse par l’Etat néolibéral pour détruire la psychiatrie en rejetant les patients à la rue ou en prison. Le film de P.Borel « un monde sans fous » est à ce sujet terrifiant, commençant par le recueillement d’une famille sur la tombe de l’un des siens schizo mort dans la rue.

 

Nous avons ainsi assisté à ce retournement de tous les mots et les mots d’ordre que nous avancions, et depuis 25 ans tous les gouvernements de droite comme de gauche sont allés dans la même direction avec entre autres la fermeture de 40000 lits en psychiatrie, la fin de l’internat en psychiatrie, la fin d’une formation spécifique pour les infirmiers psy et maintenant l’expulsion progressive de l’enseignement de la psychanalyse dans les facultés de psychologie.

 

Il est même question dans le rapport Millon d’une fin de la séparation entre la psychiatrie et la neurologie, en raison des progrès des neurosciences. Cela alors que tous les chercheurs les plus sérieux avouent leur déception devant leurs hypothèses biologiques : ni l’IRM, ni les recherches sur les neurotransmetteurs ne sont venus rendre compte de l’étiologie de la schizophrénie. Ce dont on pouvait se douter mais ce discours aura eu une fonction essentielle dans le dispositif du biopouvoir.

 

D’ailleurs certains praticiens et politiques font mine de croire toujours à ces hypothèses causalistes et simplificatrices. La croyance dans la toute puissance des psychotropes, et des cruellement nommés antipsychotiques, continue à faire des ravages dans les services où l’on pense soigner en abrasant les délires et en remettant les malades dehors le plus vite possible. Cette croyance, appuyée bien sur par le lobbying de Fondamental que l’on voit s’exhiber sans vergogne dans le film de Borel est sans doute à la source du projet de loi qui prévoit l’obligation des traitements en ambulatoire. Projet délirant d’une « gestion de la folie » comme l’affirmait tranquillement le rapport Couty qui n’ira pas sans reste puisqu’il est déjà prévu que les psychiatres auraient une obligation de délation au directeur qui referait interner le patient.

 

Nous avons quelquefois l’impression, sans doute discutable, d’assister à un retour du même dans un mouvement de répétition qui fait fi de toute l’histoire de la psychiatrie, alors que nous devrions savoir que la répétition n’est pas un simple retour à l’identique et qu’elle peut permettre à certaines conditions de faire advenir le nouveau. 

 

Beaucoup parmi nous ont ainsi avancé cette hypothèse d’un retour en arrière, d’un  nouveau « grand renfermement », d’un « retour à l’Asile » après la fermeture d’une parenthèse historique où nous aurions pu espérer une psychiatrie plus humaine et moins enfermante.

 

Du coup cela provoque un mouvement de déploration et de nostalgie d’un âge d’or qui laisse croire qu’il fut un temps où tout était possible, et cette nostalgie risque fort de plomber toute transmission vis-à-vis des jeunes générations qui arrivent dans nos métiers soignants.

 

Disons le tout de go : je ne partage pas cette manière d’envisager la réalité politique de la psychiatrie.  Il n’y eut jamais d’âge d’or, hormis dans les espoirs utopiques que nous avons porté et dans l’énergie que nous avons déployée pour transformer nos pratiques.

 

Ce qui s’est effondré et fait l’objet d’un deuil difficile pour certains, c’est justement la croyance en une utopie où nous pourrions en finir avec l’Asile, cela à partir de l’idéalisation d’expériences étrangères comme l’aventure basaglienne ou celle de Cooper, ou d’autres. Effectivement il fut une époque où nous avons cru qu’il serait possible de faire du passé table-rase et que (comme dans la chanson) la révolution serait victorieuse demain ».

 

L’effondrement d’une illusion-car c’en était une- nous fait traverser une sorte d’espace vide qu’il ne s’agirait pas de combler par une nouvelle utopie qui ne pourrait à son tour que nous décevoir !

 

Je crois plutôt que ce moment de désarroi que nous traversons au travers de cette perte bien réelle peut être une chance si nous arrivons à renoncer à cet espoir d’une réconciliation du sujet avec lui-même, un espoir d’en finir en quelque sorte avec la division subjective dont le siècle qui vient de se passer nous a montré l’échec tragique.

 

Nous nous trouvons en quelque sorte « privés et délivrés » de tout recours à une idéologie messianique – je reprends là une formulation dont use G.Bataille dans l’Erotisme à propos des « anciens mythes ». Nous avons appris que la liberté n’était pas forcément thérapeutique et que le « sans-limite », fascinant, constituait une drogue dure et dangereuse : plus possible de croire qu’on en finira un jour avec l’enfermement ou avec l’hôpital psychiatrique, la clinique est là chaque jour pour nous le rappeler. Pour autant, nous avons maintenant une praxis qui nous donne une expérience de 30 ans dans l’accueil de la folie : un accueil humain fondé en raison sur la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle et dont nous pouvons vérifier chaque jour la pertinence inestimable.

 

Nous savons aussi maintenant que Freud avait raison quand il critiquait ceux qu’il appelait « les bolchévistes » (dans « le Malaise dans la Culture »), pour leur prétention à réaliser l’Utopie comme fin des conflits, le paradis sur terre à l’instar des chrétiens qui le promettent dans les cieux.

 

Nous le savons maintenant, parce que l’Histoire s’est chargée de nous l’apprendre, en nous cognant très fortement et en nous mettant le nez sur les massacres commis au nom du Bien : je me suis ainsi approprié  l’hypothèse d’un effondrement traumatique des utopies révolutionnaires, que Jacques Hassoun, dans son dernier livre (Actualité d’un malaise), pense comme l’un des ressorts de l’actualité du malaise.

 

Après la Shoah et la catastrophe qu’elle ne cesse de produire dans la Culture,  comme l’a fort bien développé Giorgio Agamben dans « Homo sacer » et dans « Ce qui reste d’Auschwitz », il s’est produit une série de catastrophes d’autant plus traumatiques qu’elles ont atteint l’espoir d’un autre monde possible. Il nous est devenu impossible de croire, comme nous l’avons fait pendant longtemps que l’humanité avait à choisir entre « Socialisme ou Barbarie ». Je reprends là intentionnellement le nom du mouvement créé après-guerre par C.Lefort et C.Castoriadis qui espéraient un socialisme dégagé du stalinisme . Il faudrait d'ailleurs faire une place particulière à Castoriadis, qui n’aura eu de cesse jusqu’au terme de sa vie que de penser les processus de subjectivation en les mettant en rapport avec les « constructions imaginaires de la société », pour constater in fine « la montée de l’insignifiance », qui a fait le  lit du populisme et de tous les micro-fascismes actuels.   

 

Notre époque, caractérisée par le cynisme et la mélancolisation du lien social,  le fétichisme de la marchandise et la volonté explicite d’en finir avec Mai 68, aura vu nombre d’ex-gauchistes tourner leur veste. Je pense à tous ceux qui, « revenus de toute illusion », affirmant qu’on  ne les y reprendra plus ont appuyé la remise en ordre sarkozyste. 

 

Mais ce sur quoi je voudrais insister, c'est ce qui se présente de façon nouvelle sur ce fond de répétition, à savoir l’émergence de formes nouvelles de révoltes et de subversions dont nous n’attendons plus qu’elles tiennent « une ligne juste » ou qu’elles annoncent une révolution toujours « victorieuse demain ». De la désobéissance civile, du refus, nécessairement minoritaires d’ailleurs, provoquent des rassemblements inédits. Des retraités y côtoient des jeunes gens et, dans ce processus qui sait utiliser au mieux la modernité virtuelle d’internet, se créent des liens forts et réels, des lieux nomades qui ne cessent de s’enchevêtrer et de résister à toute tentative d’appropriation, ou à la stabilisation trop rapide d'une « bonne forme ». Des collectifs comme « le groupe des 39 » se constituent à la base et sans sommet, ce qui déçoit avec bonheur les demandes d’autorisation qui inévitablement resurgissent.  Moment instable qui ne durera peut-être pas et qu’il ne s’agit pas d’idéaliser, où il semble possible d’accueillir  du conflit dans le rassemblement. Il est intéressant aussi de remarquer que ces mouvements de révolte se trouvent dans la nécessité de se passer de modèle et que la transmission qui s’y effectue consiste aussi à faire la critique des fictions anciennes, qui se sont avérées des impostures. 

 

En tout cas, et je vais m’y arrêter un peu, tout ceci provoque une nouvelle donne du transfert dans l’institution que j’anime à Reims, le Centre Antonin Artaud, qui soutient un accueil et une praxis se passant de toute « terre promise ». La Psychothérapie Institutionnelle s’y présente comme méthode pour penser l’hétérogène de la clinique. A distance du dispositif divan/fauteuil, et au travers des médiations les plus diverses, il s’agit de construire et reconstruire sans cesse le praticable pour donner lieu et figuration au réel  de la psychose.

 

Travail passionnant et harassant qui ne pourrait s’imaginer sans le support du transfert, mais qui nous met en prise avec des éléments hétérogènes, en rapport avec l’Histoire et le Politique.

Pour la première fois depuis 30 ans, je me suis ainsi retrouvé à manifester le 19 Mars 2009 avec mes patients sous la banderole confectionnée avec eux : « Nous sommes tous des schizophrènes dangereux », et cela dans une ambiance tout à fait jubilatoire qui crée le réel de l’illusion d’une communauté partagée. J’insiste sur l’intégralité de cette formulation, car il peut paraitre insensé d’évoquer une communauté partagée avec des psychotiques qui, selon la doxa, ne sauraient produire du lien social. Et pourtant cela se produit, dans un transfert qu’il ne s’agit surtout pas d’interpréter, mais qui permet de construire de nouveaux praticables et fait surgir des avancées cliniques déroutantes.  

 

Au lendemain de la manif du 19 Mars 2009, j’ai ainsi découvert avec une certaine sidération qu’un patient avait fabriqué une vidéo prise à notre insu avec son téléphone  portable, qu’il avait construite, montée et mise en ligne sur You Tube, rajoutant des commentaires et mettant d’ailleurs en avant le lieu qu’il s’approprie ( en l’occurrence le Groupe d’entraide mutuelle La Locomotive). 

 

Un tel acte est saisissant sur le plan politique : un patient s’inscrit ainsi comme sujet d’une histoire en train de se faire, se dégageant ainsi radicalement d’une posture d’objet de soins et « d’handicapé psychique » . Le même aura pu, à ma grande surprise aussi, témoigner en mon absence dans l’émission « les pieds sur terre » à France Culture, pour raconter de façon très voilée et discrète ses épisodes d’internement, son appui prolongé sur le Centre Artaud, et le temps qu’il prend maintenant pour s’occuper de sa famille. Il anime aussi de chez lui sous un pseudonyme un blog et un site internet, et arrive à réinventer du réel sur ce fond de réalité certes virtuelle, mais portée également par le transfert. Il intervient dans les forums du net, se désolant de l’ignorance des jeunes psy qui arrivent dans la profession et se plaignent à juste titre qu’on ne leur ait pas enseigné Freud et la Psychothérapie Institutionnelle…  

 

Je respecterai sa discrétion et le voile qu’il tisse tout en se mettant en avant avec courage et ténacité, et je ne dévoilerai donc pas son histoire clinique pourtant passionnante. Je relèverai seulement dans le fil de mon propos cette capacité trouvée, et non pas retrouvée, à coanimer avec les soignants des espaces thérapeutiques et, aussi pendant les années précédentes, à se positionner très clairement comme cothérapeute, venant en séance me parler de son travail auprès des autres patients comme lors d’un contrôle analytique. 

Comme vous pouvez l’entendre, je tiens le pari d’une praxis où la psychanalyse n’interdit en aucune façon, bien au contraire , de s’impliquer dans le mouvement politique …A rebours de cette impasse insistante et nihiliste d’un prétendu déclin inéluctable du symbolique, ne trouvant de ressource que dans l’espoir d’un retour à l’ordre ancien ! Comme si les processus de symbolisation ne pouvaient surgir que dans un mouvement littéralement réactionnaire, alors que nous devrions être bien placés pour soutenir qu’il n’y a d’analyse que dans la subversion de l’institué et dans la traversée des évidences qui ont toujours fait le lot de la bêtise.

 

Je ne suis pas loin de penser, à l’instar de J.Clavreul dans son dernier livre (« l’homme qui marchait sous la pluie »), que la jouissance de la servitude volontaire et de l’assujettissement constituent une sorte d’impensé de nombre d’analystes bien souvent réfugiés dans l’idolâtrie du texte lacanien, ceux qu’il appelle les « lacanistes ». Or, si nous voulons accueillir le vif de l’inconscient à venir, il est essentiel de pouvoir se soutenir d’une transmission qui se dégagerait autant que faire se peut de la religiosité. Ce que J. Hassoun indique dans une formulation qui me convient à merveille du « psychanalyste infidèle », reprenant ainsi en la détournant la posture freudienne du « juif infidèle ». Nous savons que pour Freud, cette posture impliquait un double mouvement de rupture radicale avec la religion, sans que cela implique pour autant de renier en sa judéité. Serons nous à même de soutenir une transmission freudienne, sans pour autant fétichiser la doxa, autrement dit de pouvoir accueillir le nouveau et l’inouï en nous passant d’une grille de décodage trop assurée, mais sans faire table rase non plus du savoir et de l’expérience accumulés ? C’est sans doute une posture exigeante, et qui suppose de réinventer sans cesse la psychanalyse, ainsi qu’une psychiatrie soucieuse du sujet de l’inconscient, à partir d’une refondation permanente. 

 

C’est ainsi que je m’inscris, par rapport à cette transmission dans le groupe des 39, ainsi qu’à  La Criée fondée à Reims voici 24 ans quand nous avons pressenti le risque de formatage et de mesure de l’efficacité thérapeutique. Nous n’avons eu de cesse, dans la mesure de nos moyens, de penser ce qui nous arrivait pour trouver le moyen de tenir bon et de résister à cette construction d’un nouveau dispositif au sens que lui donne Michel Foucault. Je vais en reprendre la définition précisée par Agamben dans un petit livre récent « Qu’est-ce qu’un dispositif ? » : «  Foucault a ainsi montré comment, dans une société disciplinaire, les dispositifs visent, à travers une série de pratiques et de discours, de savoirs et d’exercices, à la création de corps dociles mais libres qui assument leur identité et leur liberté de sujet dans le processus même de leur assujettissement. Le dispositif est donc, avant tout, une machine qui produit des subjectivations et c’est par quoi il est aussi une machine de gouvernement »  Je poursuis ma citation beaucoup plus loin dans le même ouvrage « ce qui définit les dispositifs auxquels nous avons à faire dans la phase actuelle du capitalisme est qu’ils n’agissent plus sur la production d’un sujet, mais bien par des processus que nous pouvons appeler des processus de désubjectivation ». 

Je trouve cette remarque d’Agamben fondamentale, et allant d’ailleurs bien au-delà de Foucault, dans une direction qui parait rejoindre nos préoccupations les plus cliniques. Il existe en effet une contradiction fondamentale entre la conception foucaldienne de la subjectivation, toujours conçue comme un assujettissement dans le dispositif de consentement à la norme, et la conception psychanalytique qui dégage les effets de subjectivation comme un progrès dans la cure, ou dans l’analyse institutionnelle. Je veux parler d’une institution dans le sens qui nous importe, un Collectif  qui viserait toujours plus aux effets de surgissement et d’émergence du sujet de l’inconscient, ce que l’on peut repérer dans ses effets : surgissement de formations de l’inconscient telles que rêves, lapsus, actes manqués, mais aussi relance de la capacité d’invention et de confrontation à l’inconnu. Nous ne cessons de buter sur cette contradiction qu’il n’est pas question de suturer, mais de mettre au travail, puisque nous la vivons que nous voulions le savoir ou pas ! La perception par Agamben que le formatage actuel produit une désubjectivation, et la recherche qu’il fait pour une possible révolte, m’intéressent au plus haut point dans la mesure où elles produisent une ouverture pour la pensée, là où nous avions l’impression d’une opposition irréductible.

Je rappelle que ce qui est important chez Agamben, c’est le mouvement subjectivation/désubjectivation, ce dont il avait parlé dans un livre précédent à propos de la honte ; la honte qui dans le livre de Robert Antelme « L’espèce humaine », saisit le jeune homme choisi dans la foule par les nazis pour être exécuté et qui se met à rougir. A l’époque Agamben parlait de subjectivation à propos de cette honte, ce qui avait choqué  nombre d’analystes. Question de registres de langages différents qu’il s’agit pour nous de préciser pour éviter de comprendre trop vite et de rester prisonniers d’un monolinguisme

C’est d’ailleurs cette difficulté qui surgit d’entrée de jeu avec cette nécessité de penser l’hospitalité pour la folie: il nous faut pourtant bien assumer cette polyphonie sans espérer une traduction intégrale d’une langue à l’autre, mais en procédant plutôt par superposition et en travaillant sur le palimpseste ainsi produit… 

Il me parait important de travailler ainsi en relevant le défi d’une double aliénation du sujet divisé par son désir inconscient mais également aliéné aux processus sociopolitiques.  

Freud, nous le savons, s’est toujours tenu à distance clinique des schizophrènes, doutant même de la possibilité d’un transfert avec ces patients tout en gardant le contact avec les quelques analystes comme Ferenczi qui s’y risquaient. Il nous a laissé cependant dans son commentaire des mémoires du président Schreiber une hypothèse qui reste encore audacieuse : ce qu’on prend pour la maladie, le délire est en fait une tentative de guérison et de reconstruction du monde, un mode de lutte du sujet contre l’effondrement. Une hypothèse que nous vérifions dès lors que nous acceptons de faire émerger le transfert psychotique et de favoriser son accueil. Une hypothèse qui devrait interdire pour meurtre d’âme, toutes les volontés d’abrasion du délire qui visent à faire taire le délirant par tous les moyens que la psychiatrie actuelle ne cesse d’inventer. 

On sait que Lacan est parti de son transfert à Aimée, et qu’il ainsi construit sa méthode à partir de la paranoïa. Il me parait important de souligner  aussi comme le fait F.Davoine qu’il ne fut pas le thérapon de sa patiente mais son témoin et son scribe ; et qu’il consacra toute une partie de son enseignement aux présentations de malades, qui m’ont toujours paru une façon de se protéger du transfert pour mieux observer le patient d’une façon qui reste objectivante.

Par contre il a dans le même temps encouragé les meilleurs de ses élèves à se risquer avec des psychotiques, et Jean Oury, G.Michaud et quelques autres sur lesquels nous ne cessons de nous appuyer ne cessent d’en témoigner.

Je vais, pour les besoins de l’exposé relever quelques aspects de sa position quant à une hospitalité pour la folie.

J’ai donc relu pour la circonstance le texte  « l’agressivité en psychanalyse » que l’on trouve dans les Ecrits: Lacan conclut son propos sur une « fraternité discrète (avec l’analysant)  à la mesure de laquelle nous sommes toujours trop inégaux », mais il évoque auparavant tout au long de ce texte, la recherche de l’apathie pour le psychanalyste qui à trop désirer pour son patient ne ferait que renforcer son agressivité. 

Je cite Lacan : à propos de l’attitude de l’analyste : « offrir au dialogue un personnage aussi dénué que possible de caractéristiques individuelles ; nous nous effaçons, nous sortons du champ où pourraient être perçues cet intérêt, cette sympathie, cette réaction que cherche celui qui parle sur le visage de l’interlocuteur, nous évitons toute manifestation de nos gouts personnels, nous cachons ce qui peut les trahir, nous nous dépersonnalisons, et tendons à ce but de représenter pour  l’autre  un idéal d’impassibilité. » 

On voit donc dans ce texte par ailleurs remarquable deux postures : l’une qui court pendant tout le texte et une autre apportée par une conclusion apportant une sorte de modération. Sans ouvrir la discussion trop tôt, que vaudrait cette recherche de l’apathie dans un transfert psychotique, et même dans d’autres situations cliniques, où il s’agit que l’analyste, le « psychiste » manifeste son activité psychique et son désir d’analyse que je ne peux imaginer autrement que tourné vers la vie ?   

Par ailleurs il faudrait aussi évoquer la critique lacanienne de l’intersubjectivité  en psychanalyse dans le séminaire sur le Transfert. Lacan insiste sur la disparité subjective dans le transfert analytique et sur la signification de l’amour en tant que substitution de l’amant à l’aimé, sur une manière d’apprendre à aimer. Je le cite : « est-ce à dire que je doive lui apprendre à aimer ? Assurément, il parait difficile d’en élider la nécessité… ». Encore faut-il que l’analyste puisse perlaborer cet amour avec discernement dans le cadre du transfert et du progrès de la cure… 

Lacan évoque dans ce même séminaire la dimension de l’atopia que Lacan prête à Socrate, le côté insituable, traduit de façon magnifique par le nulle part de son être qui donne voie à la recherche d’une position subjective.

Je vais maintenant citer Pascale Hassoun qui nous a fait à Reims un très bel exposé sur cet enjeu de l’hospitalité : « d’où vais-je entendre la personne qui vient me voir ? En quoi ma propre atopia est-elle ou non mise en jeu ? N’est-ce pas l’autre/l’hôte qui va me permettre de passer de l’atopia au topos car son altérité va me permettre de me positionner ».

En d’autres termes comment  supposer un passage entre l’autre du transfert et l’hôte de l’hospitalité, un passage aussi entre le travail de la métaphore dans le transfert et le jeu de substitution de l’hospitalité ? 

Ce sont ces passages qu’il va nous falloir explorer jusque dans leurs aspects les plus paradoxaux, et je vais essayer d’en déployer maintenant quelques uns.

Pour Freud et la psychanalyse, il semble que ce soit toujours le crime qui soit premier et fonde une origine à la Culture fut-ce de façon mythique. Et l’on peut constater que si le meurtre de Moïse est effacé du texte et reconstruit par Freud, le premier fratricide lui peut se lire en toutes lettres ainsi que le progrès qu’il permet d’effectuer dans la Culture.

Cette question de ce qui est premier : le don ou le crime peut paraître abstraite, voire métaphysique ; mais elle est absolument essentielle et très concrète pour notre praxis. 

Donnons tout de suite un exemple : si nous devons accueillir un patient psychotique très perturbé, qui témoigne peut-être par sa folie et son hostilité paranoïde d’un crime dans sa filiation et son histoire, il est de la plus haute importance de décider d’un mode d’accueil. Et si ce patient rencontre une institution hostile ou indifférente à sa détresse, ou un analyste neutre et apathique, alors sa situation risque de s’aggraver sérieusement. 

D’où le pari de l’hospitalité que je mettrai en rapport avec une bejahung, une affirmation primordiale à soutenir avec force et détermination, éventuellement malgré un contre-transfert négatif ou une inquiétude à se risquer. Cette inquiétude à risquer le « nulle part de son être » pour accueillir l’autre alors que je pressens la difficulté de le rencontrer, d’apprivoiser nos inquiétudes respectives pour qu’il m’ouvre la porte, et me laisse rentrer dans son paysage tourmenté ; la difficulté aussi que j’ouvre ma porte et que je puisse l’accueillir…

Ma résistance, celle de l’analyste ou celle d’un collectif, est-elle le témoignage d’une hostilité foncière à l’autre ? Ou plutôt du travail qu’il va falloir effectuer et dont je peux pressentir qu’il ne sera pas une partie de plaisir. J’ai longtemps pensé que la négativité était première : ça collait bien avec ma formation marxiste comme avec la tradition freudienne. Freud nous a effectivement transmis un savoir fort utile sur la verneinung (la dénégation), la verleugnung (déni/désaveu), la verwerfung sur laquelle Lacan a insisté en la traduisant par forclusion, abolition primordiale, et en faisant de la forclusion des noms du père la clé de voute d’une élucidation de la structure psychotique. Il a aussi insisté et Oury mieux encore, et bien d’autres depuis, pour évoquer une atteinte du refoulement primaire ou primordial dans la psychose (et les états limites psychotiques).

Et nous aurions tendance à penser qu’il n’y a pas de possibilité de sujet pour la psychanalyse s’il n’y avait pas ce refoulement primaire, cette séparation de das Ding, cette perte primordiale…

Je pourrais ainsi égrener tranquillement mon chapelet psychanalytique ce qui serait assez ennuyeux ! Mais je préfère remarquer que l’on ne peut imaginer une abolition aussi radicale que la forclusion qu’à la seule condition d’imaginer un temps logique antérieur de bejahung.

D’ailleurs si l’abolition était totale, le sujet ne pourrait sans doute même pas exister ; et cela sans même parler de forclusion partielle ou d’enclaves psychotiques, vacuoles de désymbolisation qui sont tout de même fréquentes dans la clinique des états-limites, des troubles psychosomatiques et autres…

Au commencement il y aurait donc la bejahung que nous ne pouvons que supposer, et que je mettrai bien rapport avec la préoccupation maternelle primaire dont parle Winnicott. Ou pour le dire autrement il faut bien que le sein ait été donné pour que l’enfant puisse s’en sevrer !

Voilà ce qui à mon avis dessine la nécessité d’un accueil fondé sur une hospitalité première de l’Autre, et c’est là que l’élaboration de Levinas que nous avions lu (Totalité et Infini) à Reims voici 10 ans pour préparer le colloque Asile peut nous être d’une aide précieuse. Je m’explique : je ne propose pas une adhésion au système de valeurs profondément religieuses de Levinas, ni même au mouvement de pensée de Derrida qui dans son livre Adieu s’emploie à transmettre sa lecture d’un ami disparu.

Notons d’ailleurs que Derrida n’use pas cette fois de sa méthode de déconstruction mais tente plutôt un recueil et même un recueillement.

Derrida vise à faire valoir la valeur philosophique de l’œuvre de l’ami disparu, montre sa signification d’immense traité de « l’hospitalité inconditionnelle », et n’hésite pas à expliciter, questionner les concepts. Par exemple à propos de la question de la primauté du don ou de l’hostilité, il montre à un lecteur profane en philosophie combien la thèse de Levinas s’oppose radicalement à celle de Kant. Kant suppose, ce que nous avons tous tendance à supposer au nom d’un certain sens des réalités, un fond d’hostilité permanente entre les hommes, qu’il s’agit d’apprivoiser, de réguler par des traités pour aboutir à une paix perpétuelle qui n’aurait rien de naturel. On voit la proximité avec Freud et son inquiétude légitime devant « l’humaine pulsion de destruction » qui conclut le Malaise dans la Culture. Inquiétude que je suis bien obligé de partager devant l’exacerbation de la destructivité contemporaine, et après les catastrophes que nous avons connues au 20° siècle marqué par la Shoah, le stalinisme, les génocides et les guerres qui n’ont jamais cessé.

Pourtant la pensée de Levinas s’est élaborée pendant la montée du nazisme dans l’enseignement de Husserl et d’Heidegger qu’il a participé à transmettre, alors pourtant qu’il publie le petit livre « Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme »  qui amorce dès 1934 une critique voilée de la proximité des thèses d’Heidegger avec le mythe nazi. (En particulier tout ce qui tourne autour d’une mystique du sol et de l’enracinement). 

Mais c’est comme s’il ne lui était pas possible de penser le crime autrement que comme une tentative de destruction du visage, ce visage qui définit la relation métaphysique avec autrui. L’hospitalité se définit alors comme accueil du visage : « l’hospitalité devient le nom même de ce qui s’ouvre au visage, de ce qui plus précisément l’accueille. Le visage toujours se donne à un accueil et l’accueil accueille seulement un visage ».

Le meurtrier, et là il reprend l’exemple de Caïn, est celui qui croit que la mort est passage au néant. Mais même ce néant se présente alors comme une sorte d’impossibilité ou plus précisément une interdiction. « Le visage d’autrui m’interdit de tuer, il me dit tu ne tueras point même si cette possibilité reste supposée par l’interdit qui la rend impossible ». [Pour Levinas la mort c’est la non-réponse dans le visage d’autrui].

Vous entendez encore une fois le chiasme : avec cette possibilité qui reste supposée par l’interdit qui la rend impossible, et le fait que Caïn dévoré par l’envie, comme nous l’avons vu, tue effectivement Abel, ce qui n’empêche pas qu’il soit à l’origine d’un progrès de la Culture, avec l’invention de la métallurgie, des instruments de musiqueetc…  

Je pense qu’il doit y avoir mille commentaires talmudiques pour justifier cette réussite du crime, mais pour moi, pour tous ceux qui essaient de penser ce paradoxe avec la psychanalyse, il parait important de donner raison à ce montage textuel. Comme tous les textes fondateurs la Genèse construit un montage, un dispositif qui donne sa place au désir, à l’envie et à la pulsion de destruction.

Encore une fois il faut insister sur la distinction qu’ont fait Lacan, J.Oury, J.Hassoun, N.Zaltzmann et d’autres entre pulsion de mort et pulsion de destruction. Ces deux pulsions sont d’abord confondues par Freud dans « l’au-delà du principe de plaisir »(1920), et distinguées dans d’autres textes ultérieurs même s’il ne tranche jamais très clairement. C’est dans « Problèmes économiques du masochisme »(1924) qu’il va parler de la pulsion de destruction comme colonisation par Eros de la pulsion de mort, que l’on peut plutôt définir comme silenciation, énigme et ressort du symbolique.

Définir la mort comme « non-réponse » et soutenir comme le fait Derrida « qu’il faut commencer par répondre, qu’il n’y aurait donc pas au commencement de premier mot » puisque « le premier mot, le premier oui est déjà une réponse à l’Autre » peut peut-être être mis en perspective avec l’hypothèse première de Lacan définissant le sujet comme pris dans le discours de l’Autre. Mais Lacan écrit cette formule in fine S barré poinçon petit a pour écrire cette entame au lieu de l’Autre et cette chute de l’objet cause de désir.

Cette entame nécessaire, je dirai que c’est ce que nous avons à garder à l’esprit si nous voulons rester le plus lucide possible en face de cette difficulté : il nous faut donc supposer en permanence cette entame du oui, de la bejahung, pour le dire dans la langue freudienne. Ce serait une manière de soutenir ce nouage qui nous empêche de penser séparément pulsion de mort et pulsion de vie : il s’agit d’une intrication intime et instable. Toute désintrication ayant des effets cliniques immédiats, des effets de désymbolisation et de dévitalisation.

Lacan en avançant cette figure de l’analyste apathique, faisant le mort, voulait bien sur démolir la posture de l’analyste oblatif, voulant tout le bien de son patient, et entrant avec lui dans un échange faisant fi de la disparité subjective du transfert. Il avait sans doute en partie raison en son temps, mais aujourd’hui que cette figure a fait des ravages, et pas seulement chez les psychotiques, il me parait essentiel d’essayer de penser ce qui nous est nécessaire pour nous engager et nous tenir dans le transfert. Pour permettre aussi ces « greffes silencieuses de transfert » dont parlent Pankow et Oury qui ne peuvent se produire à mon avis que sur ce fond d’une hospitalité vivante sur laquelle Oury insiste sans cesse, d’ailleurs en la référant d’ailleurs à Levinas. Comment imaginer des greffes de désir, de vie, avec un analyste cadavérisé ??

A l’inverse il faut aussi souligner qu’un analyste qui s’avancerait sans prudence et sans tact sur son désir, et en oubliant la disparité subjective prendrait le risque d’érotiser le transfert. Ce qui est une faute dans la névrose, et conduit aux passages à l’acte qui alimentent la chronique, devient tragique dans la psychose, car l’excitation provoquée peut faire des ravages en raison de la désintrication pulsionnelle toujours menaçante et de la très grande proximité du patient avec sa destrudo. Winnicott a beaucoup insisté sur cette proximité et Oury, quand l’érotisation se produit nous conseille de pratiquer l’art de la conversation…

Tout un programme qui suppose de pouvoir travailler à partir d’éléments apparemment triviaux, superficiels, qui sont autant de médiations nécessaires pour aborder de façon précautionneuse les enjeux du désir inconscient chez le psychotique. Se rappeler sans cesse que cela nous conduit toujours dans des zones extrêmement archaïques où la nécessité  de localiser un site de la mort peut éviter un engouffrement du sujet dans la tourmente. Autrement dit il va falloir réduire autant que faire se peut la part de narcissisme secondaire, de jouissance des enjeux imaginaires de prestance, pour permettre d’aborder cette hospitalité là. Comme le disait un patient qui fut un de mes maitres : « il faut que les soignants s’abaissent pour que les patients puissent s’élever ». Son intervention magnifique fit alors une très belle coupure interprétative dans l’érotisation d’un groupe percussion où les animatrices avaient quelque peu tendance à s’intéresser plus à l’animateur qu’aux patients. Pour autant il faut qu’il y ait cette première strate où un imaginaire du groupe se construit, et produise une certaine jouissance de la vie, pour qu’une telle coupure puisse s’effectuer. 

A ce point quelques mots sur la perversion possible d’une telle hospitalité, ou plutôt ce que Derrida appelle « une possible hospitalité au pire pour que la bonne hospitalité ait sa chance ».

Cette possibilité serait à mettre en rapport avec « l’impossibilité de contrôler, de situer pour s’y tenir par des critères, des normes, des règles, le seuil qui sépare la pervertibilité de la perversion. 

Cette impossibilité, il la faut. »

Cette assertion, je la reprendrai bien à mon compte pour souligner ce paradoxe à maintenir comme paradoxe de l’hospitalité dans le transfert : pas de règles ni de normes qui viendraient nous rassurer, mais à chaque fois et sans cesse une prise de risque absolument nécessaire. D’où la nécessité d’une analyse infinie pour l’analyste, et d’une analyse institutionnelle permanente dans toute institution digne de ce nom. 

Précisons : ce qu’on peut attendre d’un analyste, c’est qu’il ait pu se familiariser suffisamment avec la chose inconsciente et avec son symptôme pour accueillir le patient sans trop l’en encombrer. Ou même puisqu’il offre l’hospitalité de son espace psychique, qu’il puisse travailler à partir des points de trauma de son histoire qu’il aura traversé dans sa cure, et aussi dans les rencontres qui vont relancer sans cesse son analyse. Qu’on pense à F. Davoine nous disant à quel point l’orthodoxie lacanienne l’avait rendu muette, et la nécessité pour elle de s’étranger aux USA, d’y rencontrer des analystes étrangers à tous points de vue et des chamans des indiens des plaines  pour prendre la parole et créer son style et son dispositif analytique inimitable. Chacun ayant me semble-t-il à s’étranger pour pouvoir accueillir l’altérité sans la banaliser ou la réduire à du déjà connu.

En institution, la surprise vient de l’inattendu des rencontres qui se produisent pour des patients très perturbés : certains comme on sait auront tendance à se précipiter vers des « oreilles fraiches » : des personnes jeunes, inexpérimentées et donc ressenties moins dangereuses pour les défenses paranoïdes. Le risque est donc démultiplié d’analyse sauvage et de délire à deux ou à plusieurs, même si le collectif se donne des lieux d’élaboration des transferts engagés. 

On peut récuser ce risque en récusant la possibilité de l’engagement dans le transfert, ce qui constitue l’actuelle banalité des institutions qui s’en trouvent dévitalisées, avec une très forte tendance au désinvestissement voire à la perte du désir soignant.

On peut aussi et c’est le pari de la PI, construire à plusieurs le dispositif nécessaire : avec une pluralité de lieux d’élaboration, des séminaires et groupes de travail, une théorisation permanente de la praxis. C’est dans cette perspective d’une hospitalité construite à plusieurs que nous allons nous frotter en permanence aux paradoxes que j’essaye de dégager. Les résistances du Collectif ne seront pas envisagées comme des obstacles à abattre-faut-il le préciser, mais comme l’espace même de la construction. Chacun s’y engagera peu ou prou, avec la pulsatilité du désir inconscient, et l’unicité de son être au monde. Que cette unicité ait à voir avec son symptôme n’est pas une mince affaire, car il s’agit de réduire les effets d’analyse sauvage, de tamponner leur cruauté par l’humour et une certaine légèreté de l’ambiance, de la stimmung.

C’est dans cette « conjugaison des points aveugles de chacun » (JP Lehmann) que nous pouvons quelquefois espérer voir un peu mieux à condition bien entendu que cette conjugaison n’aboutisse pas à un aveuglement collectif…

C’est ainsi que se dessine une hospitalité orientée par le transfert où les passages de l’un à l’autre, les constellations transférentielles seront sans cesse travaillées par l’enjeu d’une responsabilité éthique que Oury a toujours référée à Levinas : « être responsable de la responsabilité d’autrui ».

Patrick Chemla  

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>« Accueille un visiteur qui t'étrangera mieux… »

 

Par, Pascale Hassoun


 Accueille un visiteur qui t'étrangera mieux

 Et par un front rebelle activera ton jeu.
        Montre toi connaisseur des façons de l'abord

 Et dès la porte ouverte afin qu'on ne s'éloigne

 Hôte à tort ne te montre oublieux de promettre

 Une lueur d'abord entre tes quatre murs 

                                                                                                   

 Francis Ponge  L'antichambre 1925                                                                                                                                                                

 

Parler, ouvrir l'année sur les « politiques de l'hospitalité » dans un lieu qui est l'hospitalité même est une gageure. Cette hospitalité, j'ai pu en prendre plusieurs fois la mesure à la lecture de l'intervention de Patrick Chemla [1] aux journées de l'association « Europsy » [2] et au cours des différents colloques organisés par la CRIEE, dont le dernier en juin 2010, en particulier au cours de l'atelier « Bricolages et constructions dans la clinique [3] ».

 

La difficulté se renforce du fait, paradoxalement, que je suis psychanalyste. La psychanalyse par apport au déploiement de l'approche de la psychothérapie institutionnelle me paraît couver le danger d'être enfermée dans sa forme et de se retrouver parfois inhospitalière. Pourtant elle était subversive et hospitalière de la folie lorsqu'elle s'est imposée à  Freud. A l'heure actuelle qu'est-elle devenue au regard de l'hospitalité ? Quand est-elle hospitalière et quand ne l'est-elle pas ? Bien plus, a-t-elle à être hospitalière ? Il semble sur ce point qu'en ce qui concerne J. Lacan, sa pratique et son discours, à ses débuts, l'aient été. Mais ensuite ? A force de tendre au trait du trait, de vouloir tout définir à partir du semblant et de l'imaginaire, de vouloir ramener le réel à un discours : les dits dépressifs (ce qui est intéressant et pas forcément faux), les psychanalystes ne s'isolent-ils pas insensiblement mais surement de la réalité sociale ? En quoi la double aliénation telle que Patrick Chemla la relève, le sujet divisé par son désir inconscient et travaillé par une aliénation sociale, entre-t-elle dans la réflexion et la pratique du psychanalyste ? Comment tenir les deux à la fois ?

 

Bref je me sens peu légitime pour vous parler ce soir. Et pourtant il y a de l'hospitalité dans le transfert au sens où pas n'importe quel accueil permet d'entendre la question du mal en tant que pulsion de destruction [4].

 

 Le psychanalyste reste encore celui à qui l'on s'adresse lorsque la pulsion de destruction, d'auto-destruction, autrement dit la jouissance qui mène au mortifère, prend le pas sur le désir. La personne qui vient voir le psychanalyste vient le voir dans l'espoir de renverser la balance, dans l'espoir que le désir puisse retrouver sa place et devenir plus fort que la pulsion de destruction [5].

 

La question qui surgit immédiatement est celle de la mise du soignant. Quelle va être sa mise pour que le « retournement », le renversement puisse avoir lieu ?

 

Qu'en est-il de l'hospitalité ?

 

Hôte est un mot qui dérive d' Hostis  qui contient deux valeurs de l'étranger : l'étranger favorable (l'invité-ami) et l'étranger hostile ( l'ennemi). D'où le jeu de mot de Derrida incluant l'hostile à l'hospitalité lorsqu'il intitule son séminaire de 1995 « L'hostipitalité ». De quel hostile s'agit-il ? Derrida ajoute :« Qu'elle est « terrifiante », la loi des lois qui veut que l'hôte (host), l'invitant, donne ce qu'il a de plus précieux à l'hôte (guest), à l'invité, et devienne alors en vérité, comme l'autre, l'hôte de son hôte, pour ne pas dire son otage. » 

 

A cette bivalence du terme d'hospitalité s'ajoute en français une autre ambiguïté car hôte en français est à la fois hôte l'accueillant et hôte l'accueilli. 

 

L'hospitalité ne serait-elle pas l'action de recevoir chez soi l'étranger qui se présente [6] ?

 

L'hospitalité implique la notion de limite, de lieu, de dedans (domi) et de dehors (foris) et donc de porte, symbole de la communication ou séparation. Selon Benveniste le terme opposé à « domi » est tiré de « ager », champ, sous la forme de l'adverbe « peregri » d'où le dérivé « peregrinus » « étranger ». En effet le champ inculte, l'espace désert est opposé à l'endroit habité. Hors de cette communauté matérielle commence l'étranger qui est fortement hostile. Il y a l'idée d'un avant (la nature) et d'un après (la culture) et d'une intégration, le passage du nomade au sédentaire. L'hospitalité est donc l'articulation entre deux mondes, entre le connu et l'inconnu, le local et l'errant, l'ami et l'ennemi.

 

L'hospitalité peut être conçue comme la connaissance de la pratique que l'homme entretient avec l'Autre (l'altérité) à travers lui même. Celui qui accueille, qui est en situation de sédentaire est en fait un migrant, un étranger en attente, tandis que celui qui est reçu, en position de nomade, est en fait un sédentaire en attente. L'un et l'autre sont engagés dans un vaste système d'échanges.

 

En effet que ferions nous sans hospitalité, sans cette possibilité offerte par l'hospitalité  de  permettre à l'ailleurs d'arriver jusqu'à nous ? N'est-ce-pas ce que l'on demande à son hôte : raconte moi d'où tu viens, comment est-ce là-bas ? Il y a toujours une curiosité de l'autre. Rappelons  la fascination pour les récits des grands voyageurs. L'hôte, le voyageur, rassure et alerte.

 

L'hospitalité n'est-elle pas ce qui permet la circulation? S'il n'y avait d'emblée que hostilité, peur, on ne pourrait pas circuler. L'hospitalité est ce lieu d'accueil qui suspend pour un temps l'hostilité. Il était courant que l'étranger paye une taxe moyennant quoi il était sous la protection du souverain, règle qui au fond tenait compte de ce que sa présence  pouvait susciter comme angoisse, envie hostile et rejet. L'hospitalité est cette loi, ce rite, qui autorise l'interrogation, voire le franchissement, des limites mais sans violence. 

 

L 'Iliade nous offre un magnifique geste d'hospitalité. Après la chute de Troie et la mort d' Hector le fils du roi de Troie Priam [7], celui-ci va chez Achille, l'ennemi, chercher le cadavre de son fils, afin de pouvoir le ramener à Troie et l'enterrer avec les honneurs. Le vieux roi Priam prend donc le risque d'aller chez l'ennemi. Achille prend aussi le risque de recevoir le père du meurtrier de son meilleur ami. Voici comment le texte parle de l'énormité du geste d'hospitalité qui est en train de s'accomplir : « Lorsqu'un mortel, en proie à une Faute, après avoir dans son pays commis un meurtre, arrive brusquement, à l'étranger, dans la maison d'un homme riche, une stupeur saisit tous ceux qui l'aperçoivent… »

 

Priam est dépeint dans l´Iliade comme faisant preuve d'une immense bonté et d'une justice exemplaire. Contrairement à ses conseillers, il refuse de porter le blâme sur Hélène pour la guerre . Il voit mourir nombre de ses fils au cours de la guerre  et en particulier Hector tué par Achille. Celui-ci refusant de rendre le corps d’Hector à sa famille pour les funérailles. Priam se rend au milieu du camp des grecs pour y supplier Achille qui par respect lui rendra le corps de son fils. La rencontre d’Achille et de Priam est l’un des passages les plus émouvants de l’Iliade. Leur rencontre commence par le temps pour pleurer, pour dire l'entame, la perte.

 

Ou encore tel dissident accueilli qui amène son hôte à se mobiliser contre son ancien allié. Ainsi dans la tragédie grecque d' Eschyle « les Suppliantes [8] »

..

L'hospitalité  est source de lien social à tous les niveaux. C'est grâce à l'hospitalité que se construisent les alliances  et que se renversent ces mêmes alliances.  Les différents croisements de valeur et d'identités rendus possibles par l'hospitalité font de celle-ci un profond facteur d'enrichissement.

 

L'hospitalité classique consistait à satisfaire les besoins de base et de sécurité, voire dans certains cas de confort et d'affection, de personnes en déplacement à travers une relation gratuite, c'est à dire non économique. Il ne faut pas oublier ceux qui étaient jetés sur les routes par manque de travail et pour lesquels l'hospitalité classique était un moyen d'attendre des jours meilleurs. D'une certaine manière l'hospitalité remplissait alors une fonction régulatrice et permettait aux plus défavorisés de conserver un minimum d'autonomie dans un milieu difficile. En effet grâce à la règle de l'hospitalité, ils pouvaient continuer à entretenir des relations aléatoires avec l'environnement et par conséquent ne pas cesser d'être mobiles en attendant de pouvoir se sédentariser. L'hospitalité n'a pas qu'une fonction régulatrice, elle est liée à la vie nomade en ce que celle-ci est la vie opposé à ce que la sédentarisation peut avoir d'immobilisation. Dans le premier conflit des frères, Dieu reçoit les offrandes non pas de l'agriculteur Caïn mais du nomade Abel. L'errance a toujours été l'autre face de l'humain. C'est une mythologie de croire que l'homme est stable. Les hommes,  les peuples, ont toujours été en mouvement, ne serait-ce que pour les guerres. 

 

« Mais si originellement, écrit Claude Raffestin [9], l'hospitalité a pu être cela, la « mise en monnaie » de la ville a progressivement fait reculer cette hospitalité, sinon sous la forme de la charité ou de la philanthropie. Si l'hospitalité a drastiquement reculé c'est que l'errance des pauvres pèlerins, qui était une valeur dans les traditions judéo-chrétienne- musulmane, n'a plus aucune signification positive aujourd'hui. La monétarisation complète a fait prévaloir des relations d'échanges de type purement économique. Dés lors l'hospitalité comme don offert est considérée comme dilapidation des richesses. La ville contemporaine livrée à l'ultra libéralisme économique ne possède pas de structures spécifiques pour faire face à l'exclusion que représente l'errance moderne, qui est non pas passagère et conjoncturelle comme on a pu le penser, mais structurelle…. La réinvention de ces formes d'hospitalité qui s'enracinent tout autant dans des initiatives privées que publiques et qui sont l'expression d'une sorte de morale naturelle, n'en finit pas de souligner la contradiction de notre société, dans laquelle le système économique procède selon une espèce de « sélection sociale » qui renvoie les problèmes de l'exclusion qu'elle crée à l'émergence d'une entraide indispensable si l'on veut éviter les explosions de violence. » 

 

 Outre la barrière économique, l'étranger qui demande hospitalité peut franchir la limite matérielle mais il se retrouve confronté à une autre limite, beaucoup moins visible et plus subtile, celle des codes, de la sémiosphère (sphère des signes), du lieu d'accueil. Bien que n'étant pas à franchir c'est cependant elle qui lui donnera sens ou le lui refusera. La sémiosphère est aussi un lieu d'apprentissage et d'ouverture. J'apprends les signes de l'autre. Je regarde autrement ma société d'origine. Cependant un phénomène de traduction de la différence est nécessaire pour permettre une convivialité, sinon le déni de cette différence peut déclencher le conflit. L'hôte refusé dans la sémiosphère intérieure mais néanmoins présent dans l'intériorité de la ville, du pays, devient alors un otage. Ainsi en est-il des étrangers utiles mais non intégrés. Il faut une véritable hospitalité de l'hôte pour ne pas retomber dans l'hospitalité du même qui  alors a tendance à se reconstituer en ghetto. 

 

Reste le don dans lequel la relation ne s'épuise pas. En effet, comme l'indique Benveniste, le don est de nature relationnelle. Il n'est pas le propre du donateur. Il est dans la relation entre le donateur et le donataire. La racine indo-européenne « do »signifie « donner et prendre ». 

 

Et pour nous qui sommes des soignants ne faut-il pas interroger d'abord notre position d'hospitalier ? Qu'est ce qui a fait pour que nous nous  soyons dirigés vers un rapport de soin à l'autre ? Où en nous et comment se pose la question de l'hospitalité ? Je voudrais surtout retenir la notion d'entrée, de franchissement d'une porte, de passage. D'où le passeur tire-t-il sa force ? N 'est-il pas amené parfois à forcer le passage, à créer lui même le seuil, à proposer quelque chose qui transforme une barrière en seuil ? L'hospitalité n'est -elle pas essentiellement cet entre deux qui se produit dans la rencontre ? N'est-elle pas un espace pour cet entre deux qui fait que ce qui pouvait être ressenti comme hostile, parce que trop prés de l'intime ou trop chargé de mortifère, acquiert un lieu, une demeure ? Comme le dit Paul Ricoeur, l'hospitalité n'est pas une technique, elle est une attitude. L'hospitalité n'est-elle pas toujours de l'ordre de l'évènement ? De la première fois ? De l'acte ? Étrangement l'acte d'hospitalité ne produit-il pas cette sorte de paradoxe de pouvoir se sentir et chez soi et l'hôte; plus même, de pouvoir se sentir d'autant plus chez soi que l'hôte a accepté notre invitation, qu'il a senti un seuil possiblement franchissable ? Alors, c'est comme si notre maison devenait plus grande…moins étrangère… « Elle est le partage du chez soi », dit Ricoeur [10].

 

Allons aussi loin que lui : Ce partage est une entame. Elle n'est interface avec l'autre/l'hôte que parce qu'elle est entame de moi même. Cette entame me permet d'aller vers l'étranger en moi, elle me construit, elle m'enrichit de mon hôte.

 

Compte tenu de la superposition des dimensions d'amitié et d'hostilité que l'on trouve dans la notion d'hospitalité, nous ne serons pas étonnés de trouver un très beau passage de J. Lacan sur l'hospitalité, justement dans l'article sur…  L'agressivité en psychanalyse . C'est un article très intéressant dans lequel Lacan développe le fait que l'étranger dont nous souffrons c'est nous même qui le créons. Pourquoi, comment ? Du fait même que nous n'avons accès à l'objet de notre désir qu'en le dégageant de l'image de cet objet et de nous même (notre moi)  que nous avons projetée dans l'autre. Nous essayons en vain de récupérer cet objet mais il nous revient aliéné à l'autre, ce qui engendre notre agressivité. 

 

Lacan, après avoir développé le fait que l'agressivité soit une des coordonnées intentionnelles du moi humain, une tension subjective, et cela spécialement en rapport avec la catégorie de l'espace, rappelle que cette catégorie de l'espace se croise avec la dimension temporelle relevée par Freud dans l'angoisse. Ces deux dimensions, qui sont des tensions dit-il, ne sont pas autre chose que l'assomption par l'homme de son déchirement originel, « par quoi, ajoute Lacan, à chaque instant l'homme constitue son monde par son suicide, ce que Freud développe avec la notion de pulsion de mort. »… Lacan de conclure « C'est cette victime émouvante, évadée d'ailleurs irresponsable en rupture de ban qui voie l'homme moderne à la plus formidable galère sociale, que nous recueillons quand elle vient à nous, c'est à cet être de néant que notre tâche quotidienne est d'ouvrir à nouveau la voie du sens dans une fraternité discrète à la mesure de laquelle nous somme toujours inégaux. [11] »

 

Cette intervention de Lacan eut lieu en 1948

 

Tout dans ce passage ne parle-t-il pas d'hospitalité ? La victime émouvante, évadée; l'homme en rupture de ban; la galère sociale; que nous recueillons…quand elle vient à nous, précise Lacan;  cet être de néant; auquel notre tâche quotidienne est d'ouvrir la voie du sens; ouvrir la porte ce n'est pas n'importe quoi précise Lacan, c'est ouvrir la voie du sens…; dans une fraternité discrète..; à la mesure de laquelle nous sommes toujours inégaux….Cette fraternité n'a pas de limite, l'hospitalité est par définition illimitée et cependant nous sommes dépassés par elle. Nous ne pouvons pas nous égaler à la mesure de ce que cette fraternité pourrait exiger de nous. L'hospitalité semble ici se creuser dans un retournement des positions où celui qui croit donner reçoit et celui qui croit recevoir donne.

 

Pas d'hospitalité sans doute sans ce retournement. C'est ainsi que j'ai entendu la remarque de l'une de mes patientes. Que m'avait-elle dit ?

 

Elle me dit : « C'est une violence que je peux approcher ». Lorsqu'elle me dit cela, j'entends qu'elle est en train de me dire qu'elle vient de franchir un seuil. Elle le dit à propos du livre de Faulkner « Sanctuaire » dont elle dit que l'écriture est superbe, poétique, comme un film, mais que le contenu est d'une violence inouïe, viol du regard, du corps. C'est alors qu'elle énonce : « C'est une violence que je peux approcher ». « Il y a des années, ajoute-t-elle, je n'aurai pas pu ouvrir deux pages. » Le seuil qu'elle est en train de franchir est un monde qui, quoique toujours chargé de violence, peut cependant devenir apaisable. Ainsi, quelques minutes plus tôt, elle a pu dire : « je gère mieux l'inconnu ». Celle qui dit pouvoir approcher cette violence a fait un long chemin avec moi durant lequel elle était en prise avec une souffrance intense sans parvenir à la mettre à distance. Sa capacité de violence était telle que j'étais sur le qui-vive, un rien imprévisible pouvant rallumer l'incendie. Sa souffrance m'atteignait au point que je m'étais un peu figée, comme en résistance à son contact assez dense par lequel elle se défendait elle même de son manque d'enveloppe. Constatant, et ce faisant elle m'en faisait le cadeau, qu'elle pouvait s'approcher de la violence sans en être pulvérisée, elle s'est demandé pourquoi sa souffrance avait cédé. La réponse qu'elle donna est la suivante :  « Vous m'avez fait savoir que vous aviez des pensées et que ces pensées c'est moi qui vous les inspirais et que c'était possible…ça…. » Elle poursuit : « Là, , quelque chose s'est déchiré…crevé » ( une obscurité, un voile, un écran, une barrière…). Vlan ! De mon coté il m'avait fallu faire un travail énorme sur mon agressivité envers elle et me déloger de mes critères, de ce qui pour moi pouvait ou non être aimable, pour la reconnaître dans ce qu'elle était et non dans ce que j'aurais voulu qu'elle soit.

 

Si je vous amène ce fragment c'est parce qu'il illustre que le visiteur, cet homme ou cette femme en rupture de ban, ne demande pas simplement à être reçu, mais il demande, il attend, de servir à quelque chose, de servir à son hôte. Il attend de produire quelque chose chez l'autre, son hôte. Il n'y a pas moyen, me semble-t-il, « d'ouvrir la voie du sens » si l'accueilli ne produit pas du sens chez le supposé accueillant.

 

Comment nommer ce que je viens de décrire ? Articuler le transfert avec l'hospitalité m'amène à reprendre un débat soulevé par Lacan autour de l'intersubjectivité. Comment nommer ce phénomène où la subjectivité de l'un agit sur l'autre ? Est ce là le transfert ?

 

Dans de très belles pages de son séminaire  le transfert, pages que j'ai redécouvertes et relues grâce à vous, Lacan tombe à bras raccourci sur l'intersubjectivité. « L'intersubjectivité, dit-il, n'est-elle pas ce qui est le plus étranger à la rencontre psychanalytique? [12]»

 

 Vous comprendrez qu'après ce que je viens de déplier cette assertion puisse m'interroger. Lacan est même encore plus radical puisqu'il ajoute : « Y pointerait-elle que nous nous y dérobons, sûrs qu'il faut l'éviter. L'expérience freudienne se fige dès qu'elle apparaît. Elle (l'expérience freudienne) ne fleurit que de son absence. » C'est plus que radical. Comment nous situer ?

 

Suivons la démarche de Lacan : Il dénonce l'intersubjectivité, comme une position où l'ego de l'un se refléterait dans l'ego de l'autre et comme  une tentation de vouloir le bien du patient. Le patient, dit-il, « ne veut pas qu'on veuille son bien, il veut être surpris ». Il veut être entamé lui aussi. 

 

Lacan   propose de prendre la question dans un autre sens et de partir de l'extrême de ce que suppose une relation où l'on s'isole avec quelqu'un pour lui apprendre quoi?   ce qui lui manque… ». Il ajoute « ce qui lui manque, il va l'apprendre ….en aimant. » « Je ne suis pas là, en fin de compte, pour son bien mais pour qu'il aime… ». Il enfonce le clou : « Est ce à dire que je doive lui apprendre à aimer ? Assurément, il paraît difficile d'en élider la nécessité…[13] »

 

C'est quoi aimer. Ne serait-ce pas, comme la patiente me l'a appris, à sortir de mon moi? Je vous renvoie au séminaire Le transfert. Ce que j'en retiens pour nous aujourd'hui ce sont trois choses qui viennent très vite dans les chapitres suivants, qui permettent de comprendre pourquoi Lacan ne veut pas parler d'intersubjectivité mais de transfert.

 

1°- Il y a trois places : a) la place de l'amant qui  est celui qui manque et va chercher quelque chose chez l'aimé. b) la place de l'aimé qui lui posséderait l'objet qui attire l'amant. c) la place de l'objet lui même.

 

Lacan fait une remarque intéressante : Il remarque que c'est celui qui manque qui est actif. Ce n'est pas forcément le plus fort qui est actif.

 

D'où vient la signification de l'amour se demande Lacan et nous avec lui ?

 

La signification de l'amour vient de la substitution de l'amant à l'aimé. C'est cette métaphore (la substitution est le mécanisme de la métaphore) qui engendre la signification de l'amour. Cela n'est pas sans m'évoquer cette substitution de place que l'on suppose à l'hospitalité. Cette substitution potentielle où celui qui offre devient celui qui manque et celui qui manque devient celui qui offre.

 

2°- Cette potentielle substitution permet non pas que l'on fasse quelque chose à la place de l'autre mais que chacun soutienne ce dont il a à répondre. Une des figures de l'hospitalité est la dette[14].

 

Autre loi de l'hospitalité interne au transfert ? Celle de soutenir la dette à laquelle l'hôte a à faire face.

 

3°- Lacan note ce jeu croisé de l'objet qui suscite l'amour dans  le Banquet  de Platon. Dans la série des prises de paroles on peut voir que « je » parle à l'un de ce qu'il suscite en  l'autre pour qu'un troisième le comprenne. Lacan note que c'est de son atopia,

 

 le coté insituable, le nulle part de son être, que Socrate a certainement provoqué toute une ligne de recherche.

 

Pour nous ce soir, je retiens cette atopia, ce nulle part de son être, qui donne voix à la recherche, à la position subjective. On sait en effet que cette atopia  n'est pas sans relation avec la position de Socrate face à sa propre mort. Étonnante dimension de l'hospitalité qui est de donner lieu en soutenant et en risquant sa propre atopia[15].

 

D'où en effet vais-je entendre, vais-je pousser à la recherche, la personne qui vient me voir ? En quoi ma propre atopia est-elle ou non mise en jeu ? Quel est ce nulle part d'où je puis entendre ce nulle part de l'autre ? N'est-ce- pas l'autre/l'hôte qui va me permettre de passer de l'atopia au topos (lieu) car sa venue, dans son altérité, va me permettre de me positionner ?

 

Je vous propose de nous arrêter sur un autre fragment de cure. En effet cette dimension du lieu me fait penser à une patiente extrêmement réservée, bloquée, que je reçois en face à face car elle a vraiment besoin de mon visage. Cette patiente est venue me voir après avoir lu un livre sur « Les violences de l'autre. Faire parler les silences de son histoire[16]».

 

A la suite de la lecture de ce livre elle avait contacté l'auteure. Celle-ci vivant au Canada n'avait pas pu la recevoir et lui avait donné mon nom. Devant autant d'inhibition, j'ai été tentée de l'encourager plutôt à s'inscrire à un groupe de marcheurs ou reprendre la chorale etc, pensant que cela lui serait plus utile que nos maigres échanges. Mais elle a eu la bonne idée de refuser et de me dire qu'elle préférait continuer avec moi. C'est alors que ce « forçage », son insistance, m'ont comme invitée à aller vers elle et à reprendre ce pour quoi elle était venue : habiter son lieu psychique. Quelque chose s'est débloqué en moi. J'ai cru en elle, en nous. Mon regard a changé. Ce n'est qu'à ce moment là que je lui ai vraiment ouvert ma porte. Au fond, ce qu'elle me laissait entendre, ce qu'elle attendait de moi, l'hospitalité que je pouvais lui offrir, la raison qui la faisait venir vers moi, était que je reste au plus près de son espace psychique de sorte que celui-ci puisse faire lieu, qu'il puisse devenir un lieu pour elle. En effet un espace psychique traversé de peurs, d'appréhensions, de destruction, de solitude, ne peut devenir un lieu habitable que par l'intermédiaire de l'espace psychique d'un autre.

 

Après avoir lu comment Socrate ouvrait les lignes de recherche sur l'amour à partir de son atopia, laquelle n'est pas sans relation avec sa propre manière d'envisager la mort, je me dis que devant autant de crainte de la vie j'ai du hésiter à mettre en jeu cette part de nulle part de moi même. En effet cette part j'y tiens et je ne suis pas prête à la risquer avec n'importe qui. 

 

Ce qui m'amène à revenir sur la notion d'intersubjectivité. Cette fois-ci je la reprendrai à mon compte mais en la développant non pas comme l'entendaient les théoriciens de l'ego-psychologie avec lesquels Lacan était rentré en guerre  mais comme l'entendent les théoriciens du courant phénoménologique. Je veux dire une subjectivité qui se crée en présence d'autrui. Une présence à l'autre, de l'autre, qui produit du sujet parce que de l'autre.

 

C'est à cette présence que j'ai été appelée par ma patiente. L'hospitalité comme appel. L'appel entendu pour aller vers elle, vers ce elle caché  derrière ses timidités auto protectrices, un elle qui avait sans doute peu connu le plaisir de susciter du plaisir en l'autre. L'appel entendu aussi ( et surtout ?) pour aller plus loin en moi. Nous étions au départ loin de l'amour et son potentiel de substitutions et pourtant je savais qu'il n'était pas sans pouvoir se déployer. 

 

En cheminant à travers les méandres du transfert ne serions nous pas passés de l'intersubjectivité à l'interrelation…? et même de l'interrelation à l'interpellation ! D'une conception de l'intersubjectivité à l'autre, la différence vient du fait que c'est la relation qui produit le sujet. Finalement cela me plaît, c'est plus actif, il y a plus de corps. Pour pouvoir passer de l'un à l'autre l'amour de transfert a été le pont. Pas n'importe quel pont. C'est cette dimension du pont sur laquelle je voudrais insister. La légende de Saint Julien l'Hospitalier telle que Flaubert la rapporte servira d'appui à ma réflexion.

 

Dans la nouvelle de Flaubert  la légende de Saint Julien l'Hospitalier  c'est en fin de parcours que Julien le meurtrier et le parricide devient Julien l'hospitalier. Bien que ses parents avertis de son destin aient voulu l'élever à l'abri de tout, Julien ne peut contrôler son appétit de prédateur jusqu'au jour où le cerf qu'il est en train de tuer lui lance la malédiction qu'il assassinera son père et sa mère. Pour fuir la malédiction il s'éloigne et défie sans cesse la mort dans des combats extrêmes. Mais n'échappant pas à son destin il  tue sans le savoir ses parents qui avaient pris sa place dans son lit. Finalement après moultes épisodes qui le font fuir toujours plus loin, il se transforme en moine accueillant les pèlerins et mendiants et lui même se fait le passeur. Il n'est pas seulement dans l'errance mais dans un exil volontaire. 

 

Que lire dans cette légende sinon  que l'hospitalité n'est pas là d'emblée mais qu'elle est le fruit d'un long périple dans lequel la présence et l'affrontement au mal n'est pas absent, loin de là. Ne pourrions nous pas faire l'hypothèse que Julien n'a pu se faire passeur (le plus grand parce qu'il porte le Christ) que parce qu'il a été destructeur ? Le passeur ne serait-il pas une des formes de sublimation de l'agressivité ? Est-ce un hasard si ce si le bel énoncé  de Lacan que je vous citais au début se trouve dans un texte sur l'agressivité ? 

 

Étrange passeur…passeur qui étrange.

 

Oui le verbe étranger existe dans la langue française même s'il n'est plus employé comme le déplore le dictionnaire le Littré. S'étranger veut dire s'éloigner, s'exiler d'un pays, faire éloigner d'un lieu, désaccoutumer d'y venir. Ainsi la couturière de Madame de Gasparin a pu lui dire «  Madame votre robe vous étrange.. – dès qu'un vêtement m'étrange il n'est pas fait pour moi, lui répond celle-ci.» L'estrangeur est celui qui travestit…Ou encore Malherbe : « une petite somme étrange celui qui l'emprunte; une grande le rend ennemi.. »

 

Alors « accueille un visiteur qui t'étrangera mieux » cela ne résonnerait-il pas comme : accueille ce visiteur qui t'éloignera le plus de toi-même au point presque que tu ne te reconnaisses plus ? Accepte que celui qui vient puisse t'exiler de ton pays. Accueille celui qui n'est pas fait pour toi. Cet étrange en toi, si tu vas vers lui, te permettra peut être de ne pas être ton propre ennemi.

 

Mais tout cela est sans doute plus facile à dire qu'à faire. Ouvrir sa porte  va si peu de soi que Francis Ponge nomme Antichambre l'un des plus beau poèmes sur l'hospitalité.

 

Donnons donc la parole à Francis Ponge avec le « proême »[17] l'Antichambre (1925) d'où j'ai tiré le titre de mon intervention de ce soir:

 

Accueille un visiteur qui t'étrangera mieux

Et par un front rebelle activera ton jeu.
         Montre toi connaisseur des façons de l'abord

Et dès la porte ouverte afin qu'on ne s'éloigne

Hôte à tort ne te montre oublieux de promettre

Une lueur d'abord entre tes quatre murs 

 

 « Accueilles un visiteur qui t'étrangera mieux ». Nous retrouvons la substitution repérée par Lacan de l'aimé à l'amant. Celui qui possède quelque chose et qui est aimé pour cela devient celui qui manque et  appelle le visiteur. Ce n'est pas tant le visiteur qui a besoin d'un lieu que le visité qui a besoin d'un visiteur pour pouvoir aller vers l'étranger en lui-même et pouvoir créer. Le visiteur est facteur d'activation de la créativité. 

 

Et pas n'importe quel visiteur : un visiteur au front rebelle. C'est ce front rebelle qui activera  le jeu de l'hôte.

 

« Hôte à tort » écrit F. Ponge. En effet ne faut-il pas se faire violence pour offrir l'hospitalité ? Au fond de moi n'ai-je pas le secret espoir que le patient ne se soit trompé d'hôte?  Ne suis je pas hôte à tort, contre moi même ? Pourquoi me désigne t-il comme hôte ? D'ailleurs, qu'il reste dans l'antichambre…[18]

 

Cette résistance me plaît beaucoup. Juste avant d'écrire « Antichambre » Ponge écrivait

 « O visiteurs s’il en est ! Ne vous rebutez pas aux difficultés de la porte

(…). Heureux si tu me cherches où tu peux me trouver, entre ! 

Le plus difficile est alors obtenu »

 

Voici pour conclure un moment où la résistance rencontrée et surmontée à ouvrir ma porte a donné au transfert tout son poids.

   

Celle qui vient me voir me dit d'emblée qu'elle est partagée, qu'elle ne voulait pas venir demander une fois de plus quelque chose à un psychanalyste, et pourtant elle est venue sur l'invitation du médecin de l'homme avec lequel elle vit. Elle dit dans la foulée qu'elle a déjà quitté brusquement deux psychanalystes. Et elle se tait. En moi une foule de questions sur le pourquoi, le comment de ces ruptures, questions que je ne lui pose pas car je veux rester au plus proche de la tonalité émotionnelle de ce premier contact. Je veux rester au plus proche car tout en moi voudrait s'échapper, revenir à du banal, à de l'information (qui êtes vous, que faites vous etc ). Je fais taire en moi ces questions. Je me dis aussi que je suis fatiguée de ces demandes qui n'en sont pas. Alors qu'elle dit ne pas être sûre du tout de vouloir rester, suis-je moi même sûre de vouloir la garder, suis-je moi même sûre de vouloir engager quelque chose de moi dans cette rencontre ? Je suis fatiguée à l'avance de tous les efforts que je pressens avoir à déployer.

 

Elle dit une chose encore. Elle dit que de jeunes psychotiques dont elle s'occupe sont dans l'absence totale de désir, que ce n'est même pas que leur désir soit bloqué, enfoui, non dit-elle, ils sont dans la jouissance pure et n'ont pas de désir. Pour quelqu'un qui n'avait rien à dire, ne voulait pas venir, elle en dit déjà beaucoup sur la jouissance qui vient entraver le désir. Et cela la concerne. Touchée, prudente, intriguée, perplexe, je mets fin à l'entretien en l'invitant à nous revoir et en lui disant : « nous avons le temps. Nous allons prendre le temps qu'il faut ». Je le dis pour elle. Je le dis pour moi. Le temps de ressentir son mal-être, d'en être habitée.

 

Elle revient la semaine suivante. Même tonalité. Elle parle de ce qui lui fait mal : sa mère, incestueuse, dit-elle. Je n'en saurai pas plus. Je n'interroge pas même si dans mon for intérieur j'aimerai avoir des détails. Nous nous quittons en disant :  « à la semaine prochaine ». Je ne sais toujours pas grand chose d'elle mais elle laisse derrière elle une impression de douleur. Elle camoufle cette douleur en se présentant comme une hystérique qui met le supposé savoir de l'analyste en échec. Ce qu'elle a fait avec ses deux précédents psychanalystes. Lorsqu'elle me le dit, il y a une sorte de défi dans sa voix. Je sens que c'est une posture.

 

Lorsque pour la troisième fois je la revois, elle dit  qu'elle aime mes meubles. Qu'elle se sent bien chez moi. Alors que je ne connais encore pratiquement rien de son histoire, lorsqu'elle me reparle de sa souffrance car sa mère, qu'elle a pourtant quittée à 16 ans, continue à envahir son espace psychique, je lui dis quelque chose qui, moi, m'a aidée et  dont je fais l'hypothèse que cela peut l'aider, ne serait-ce que parce que je m'avance. Je lui dis : « Pour pouvoir se quitter il faut avoir créé une relation, il faut qu'il y ait eu du lien. Si vous voulez quitter votre mère, dénouer le lien de souffrance que vous avez avec elle, il faudra que vous acceptiez de la revoir et de lui parler. On ne peut se séparer que s'il y a eu lien ». « Ah, c'est impossible, dit-elle, dans un cri ». Tout en recevant ce cri en plein cœur, je pense quand même que ce que je lui ai dit est juste, qu'elle aura un acte à poser qui sera de cet ordre, sans savoir encore exactement ce qu'il sera. Je continue à ne pas questionner, ou très peu.

 

Cette intervention qui l'invite à reprendre contact avec sa mère alors que celle-ci est incestueuse peut paraître étonnante. Je voudrais dire d'abord que chaque situation est unique, que ce qui est justifié dans un cas ne l'est pas forcément dans un autre cas. J'ai entendu certes qu'elle avait une mère incestueuse avec laquelle elle avait coupé tout lien mais j'ai aussi entendu que cette mère envahissait son espace psychique. J'ai entendu que la question qui se posait pour elle en priorité était celle de limiter cet envahissement et de trouver la bonne distance pour la place à donner en elle à sa mère. Pourquoi sa mère envahissait-elle son espace psychique ? C'est parce que tout en elle aurait voulu une autre mère. Tout en elle depuis qu'elle était enfant était en manque de mère. C'est cela que j'ai voulu privilégier. Malgré l'incohérence de sa mère (son manque de limites qui respectent le corps de sa fille) j'ai privilégié la reconnaissance d'un lien. Sans doute le fait  d'avoir entendu qu'elle avait quitté brusquement ses deux psychanalystes précédents  avait fait son chemin en moi, comme pour m'indiquer qu'elle ne s'était jamais remise d'avoir brusquement quitté sa mère. Cela restait en elle comme quelque chose d'insupportable, qu'elle n'assumait pas, et qu'en toute probabilité elle reproduisait avec ses analystes, et qu'elle avait bien l'intention de refaire avec moi si je me comportais comme eux. J'en étais avertie. J'ai donc mis en perspective sa capacité à poser un acte, à dégager ce premier acte posé à 16 ans de sa dimension d'acting dans lequel elle était tentée de le réduire en l'hystérisant.

 

Je sens que peu à peu se met en place un espace transférentiel entre nous. Peu à peu se crée de  l'entre. Cet entre qui est présence à l'autre, et du coup présence à soi et au monde. Je sens que nous sommes en train de prendre le temps de cet entre qui est présence et possibilité de partager avec un autre son intimité sans que cela ne soit vécu comme un viol. Et cela justement pour elle dont l'intimité a été violée par sa mère.

 

Le quatrième rendez vous est celui où elle peut me donner des détails sur cette violation. Je comprends avec elle non seulement l'intrusion maternelle mais la souffrance maternelle d'une femme qui a du se construire sans support et qui régule sa déréliction en banalisant tous ses comportements comme si tout était équivalent, utilisant ses enfants sur un mode dérisoire pour ses fantaisies érotiques. Elle me dit avoir rêvé de sa mère juste avant de venir à sa séance. Dans son rêve elle trouvait la porte de chez sa mère ouverte. Elle lit ce rêve comme une possibilité de réintroduire un contact avec sa mère. 

 

Elle me dit aussi qu'il faudra que nous parlions du paiement et de la suite. Jusqu'ici je n'en avais pas parlé, attendant le moment. J'entendais sa demande comme un accord à poursuivre régulièrement, une sorte d'engagement qui faisait sens pour elle. Possibilité de formuler un projet thérapeutique.

 

La cinquième séance  faillit être la dernière. Pourquoi ? A cause d'une grossière erreur de ma part. Nous convenons d'un prix et d'un rythme. Elle me demande si elle doit payer les premières séances. Alors que j'avais pensé, senti, qu'elle n'avait pas à payer ces séances, parce que pour que ce paiement ait un sens, soit ressenti comme juste, elle avait d'abord besoin d'être reçue. Elle avait besoin d'une forme d'hospitalité. Cependant je m'entends lui dire qu'elle aura à payer un prix global qui représentait trois séances. Sur le coup elle ne dit rien, accepte. Mais la fois suivante elle me dit sa déception. Elle me dit que ce n'est pas encore cette fois-ci qu'elle sera reçue. « Vous êtes, me dit-elle, comme les autres ». Je mesure immédiatement mon erreur et je lui donne raison. Je le lui dis, mais d'une certaine manière le mal est fait… 

 

Que s'est-il passé, me suis je demandé. Pourquoi lui ai-je demandé de payer ses premières rencontres ? Il y a beaucoup de justifications possibles. Mais je pense que ce qui a été à l'origine de ma demande a été le désir de banalisation. Comme si je ne m'autorisais pas complètement à l'émergence du transfert que j'avais cependant rendu possible. Comme un désir inconscient de quitter le lieu d'où je l'avais écoutée. Je banalisais la singularité de notre rencontre en la régularisant. Je ne soutenais pas mon audace ni l'espace psychique qu'elle avait ouvert en moi.

 

Si j'ai choisi ce cas, c'est  parce que la patiente tenait à sa souffrance. C'est ce qu'elle m'a signifié dés le départ en me disant qu'elle venait contre son gré et en me disant qu'il fallait que je m'attende à se qu'elle s'en aille comme elle avait quitté ses deux premiers analystes auxquels elle avait préféré sa souffrance.  Sa souffrance la faisait tenir. Nous en parlons : Je lui dis « en quittant vos analystes vous n'avez pas voulu leur permettre de s'introduire dans votre douleur ». J'ajoute « vous n'êtes pas prête à introduire un autre dans votre douleur ». Elle répond « j'ai peur qu'en perdant ma douleur je ne trouve en moi que du vide ». Se séparer de sa douleur c'était prendre le risque d'affronter son vide. Il fallait pour cela qu'elle puisse faire l'expérience d'une relation à l'autre qui puisse autant la faire tenir que sa souffrance ne la faisait tenir. 

 

La cure  est maintenant pour elle un lieu où il y a un autre. Elle sent que sa souffrance a trouvé une adresse. Elle n'est plus un sujet en souffrance même si elle reste un sujet qui souffre. 

 

Si nous, elle et moi, avons pu « produire » cet espace pour le sujet [19] c'est sans doute parce que nous en avions toutes deux le désir mais aussi parce que la permanence du cadre l'a permis. Dimension importante pour l'hospitalité.

 

 

1. Patrick Chemla « L'acte d'hospitalité »

 

2. Colloque d'Europsy octobre 2010 Paris. «  Un acte peut-il encore faire sens ? »

 

3. J'ai été émerveillée d'entendre ce que j'entendais d'autant plus que cela venait de ceux et celles qui, au quotidien, sont avec les patients. Je n'ai rien à leur apprendre sur l'hospitalité. Ils ont tout dit en articulant avec tellement de tact  la place en eux qu'ils acceptaient d'entamer ou de faire résonner pour que le patient se re-trouve.

 

4. Telle que Patrick Chemla en parle dans son exposé et telle que Nathalie Zaltzmann  en parle dans ses derniers livres.

 

5. Celui qui fait la démarche vers un psychanalyste demande à être « débarrassé » de son symptôme. C'est une surprise, un étonnement (un faux étonnement, il le sait sinon il ne serait pas venu voir un psychanalyste) quand je lui dis que l'acte du psychanalyste est l'inverse de l'acte chirurgical : Nous ne sommes pas là pour « couper » la partie mauvaise mais au contraire pour l'accueillir.

 

6. In Trésor de la langue française informatisée

 

7. Le texte poursuit : « même stupeur saisit Achille à voir Priam, semblable aux Immortels; même stupeur aussi prend les autres, et tous se regardent entre eux » Iliad Chant XXIV.

 

8. Un chœur de femmes, fuyant des noces auxquelles on veut les contraindre, vient demander asile et protection en terre d'Argos; le roi du pays, après avoir hésité entre deux droits et deux intérêts- ceux de son peuple, ceux des suppliantes-, décide de leur accorder son soutien et se prépare à une guerre inévitable. La situation suffit à évoquer des questions aussi essentielles que la violence faite aux femmes, l'exil et le malheur des réfugiés, l'accueil de l'étranger et l'hospitalité comme devoir.

 

9. Claude Raffestin  Réinventer l'hospitalité  in Persée, revue scientifique. Université de Genève.

 

10. Paul Ricoeur Étrangers, moi même  in Semaines sociales 1998. Immigration, défis et richesses.

 

11. J. Lacan  Écrits. « L'agressivité en psychanalyse » éd. Seuil 1966, p.122

 

12. J. Lacan. Le séminaire, livre VIII, le transfert, seuil 1991, p. 20

 

13. op. citée, p.25

 

 14.Ainsi, pour reprendre l'exemple sur lequel s'appuie Lacan,  Achille qui est l'aimé de Patrocle devient l'amant. Qu'est ce que cela veut dire? Alors que Patrocle est mort au combat, Achille retourne lui même au combat. Est-ce que cela veut dire que Achille se met à la place de Patrocle? Non c'est tout le contraire. «  par son acte, qui est en somme d'accepter son destin tel qu'il est écrit, il se met non pas à la place de Patrocle,mais à la suite de Patrocle, il fait du destin de Patrocle la dette à laquelle il a, lui, à répondre, à laquelle il a à faire face. »

 

15. Alcibiade dans le Banquet la définit comme une espèce de singularité insaisissable. C'est un mot qui provient du préfixe de privation a et du topos. A la différence de l'ou-topia, qui signifie un lieu qui n'existe pas, imaginaire ou futur, l'atopia renvoie à une attitude qui, privant les lieux de leur qualité de « topos », de leurs limites, bouscule la géométrie, voire l'organisation de la cité. L'attitude atopique échappe à l'identification, au repérage préalable.

 

16. Louise Grenier. Les violences de l'autre. Faire parler les silences de son histoire. éd. Quebecor 2008

 

17. Proême : poème en prose, prosaïque. Ponge déclare qu'il ne se veut pas poète mais qu'il utilise le magma poétique pour s'en débarrasser… Il est en révolte contre le parler ordinaire tout en ayant le désir irrépressible de s'exprimer et d'aboutir à des formules claires et impersonnelles. Il se passionne pour l'arbitraire de la langue et l'irrationnel. L'absurde naît d'une confrontation entre l'être humain et le silence déraisonné du monde.

    1923 décès de son père.

 

18. Ponge maniant l'ironie laisse entendre qu'il s'agit en somme de laisser le visiteur faire antichambre..

 

19. Le « sujet »  que la cure psychanalytique vise à faire advenir est le sujet qui peut reconnaître sa division du fait du langage et de la sexualité.

 

 

 

 « Politiques de l'hospitalité »

 La CRIEE année 2010-2011  Conférences-Débats

              

Pascale Hassoun, Reims, le 21 octobre 2010

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>Forum Vol au dessus d'un nid de coucou, Actualité du soin psychique

FORUM « Vol au dessus d’un nid de coucou, Actualité du soin psychique » : Salle de conférence Centre Hospitalier Laborit 370 avenue Jacques Cœur Poitiers

La rediffusion récente de « Vol au dessus d’un nid de coucou «  a été l’occasion de souligner l’inquiétante similitude entre une psychiatrie américaine inhumaine évoquée dans cette œuvre de Milos Forman et celle qui en 2010 se répand sur le territoire français.

Les méthodes thérapeutiques évoquées dans ce film, froides, punitives, culpabilisantes, mécaniques, nous apparaissent être en train de recouvrir celles qui font appel à la sollicitude, l’empathie, l’écoute, en un mot à la prise en compte de la singularité humaine.
A la sortie de ce film en 1976 nous pensions qu’il pouvait en être autrement en France.

Qu’en est-il alors en 2010 dans les établissements médicaux et médicaux-sociaux ?

– Le malade, malgré les aléas de ses symptômes,
est-il toujours une personne inscrite dans la société ?

– L’être humain de par sa maladie, ou son handicap est-il placé hors la loi commune ?

– Le soignant peut-il préserver sa capacité à soigner, à accompagner, à l’heure où sa fonction est dénaturée, et son identité professionnelle désavouée par ce que l’on attend et exige de lui ?

Quelles réflexions mettre en œuvre dans nos pratiques pour garantir des soins humains et aidants ?

Le Collège Régional Poitou-Charentes des Psychologues de la Fonction Publique Hospitalière est une association Loi 1901. Il se veut un lieu de débats ouvert aux psychologues ; un lieu d’échanges et de recherche ouvert à tous les domaines utiles à notre réflexion (scientifique, philosophique, sociologique, juridique, éthique, culturel …..).
Il organise régulièrement des conférences, des forums, des colloques.

Vendredi 19 novembre 2010

9h Accueil

9h45 Ouverture de la journée 
Josette Marteau Château

10h00 Quelle hospitalité pour la folie ?
Patrick Chemla

11h00 Pause

11h15 Parents de personnes hospitalisées, quels vécus ?
Catherine Le Grand-Sébille

12h00 Pause repas

14h00 Créer et maintenir des lieux de narration, une résistance nécessaire à la post- modernité.
Simone Molina

15h00 Pause

15h15 Garantir des soins humains et « hospitaliers »: Table ronde.
Patrick Chemla, Simone Molina, Catherine Le Grand- Sébille,
Muriel Ferrier

16h30 Clôture de la journée
Josette Marteau-Château

Patrick Chemla, psychiatre et psychanalyste il anime l’association « La Criée » à Reims, il est membre du collectif des 39. Il est co-auteur de l’ouvrage collectif Asile publié sous sa direction (Erès), auteur de Expériences de la Folie (Erès).

Catherine Le Grand-Sébille, socio-antropologue, elle est co-auteur de l’étude Parents de grands adolescents et jeunes adultes hospitalisés en psychiatrie. Quels vécus? Quels besoins? Quelles violences? Quels soutiens ?

Simone Molina, psychologue clinicienne et psychanalyste à l’hôpital de Montfavet.

Muriel Ferrier psychologue clinicienne au centre hospitalier de Niort.

Josette Marteau-Château psychologue clinicienne au centre hospitalier Henri Laborit, présidente du Collège Régional.

Références filmiques et documentaires:
Vol au dessus d’un nid de coucou de Milos Forman. Sortie en France 1976
Un monde sans fous ? de Philippe Borrel diffusé sur France 5, le 13 avril 2010.
Le livre d’entretiens complément du film Un monde sans fous ? Publié aux éditions du champ social.

Vous pouvez copier-coller le bon ci-dessous et le renvoyer à :

Maryline Auvinet-Gessé
2 Chemin de Regombert
86340 Nouaillé-Maupertuis

Renseignements :
Josette Marteau-Château
CMPEA, 7 Allée Martin Luther King
86000 Poitiers
Tel. : 05 49 01 40 21

Nom :………………………………………
Prénom :……………………………………
Adresse :……………………………………………………………………………..……
……………………………………………..
Code Postal :………………………….……
Ville :………………………………………
Tél. : …………………..……………………
Courriel:……………………..…………..…
Profession :…………………………………

TARIFS

Adhérent du Collège Régional.. 15 €
Non adhérent :………………. . 40 €
Demandeur d’emploi (attestation
ASSEDIC du mois en cours)…..……. 10€
Étudiant < 26 ans……………… 10€ Ci-joint un chèque de… …… ………..€ à l’ordre du Collège Régional Poitou-Charentes des Psychologues de la FPH. Date : Signature :

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>Nouvelle édition du Campus Solidaire sur le thème « Un monde sans fous »

Prochaine rencontre, le jeudi 4 novembre 2010 à 19h30

Nouvelle édition du Campus Solidaire sur le thème « Un monde sans fous », documentaire de Philippe Borel, avec la participation de Paul Machto, psychiatre et d’autres membres du « collectif des 39, la nuit sécuritaire », collectif en psychiatrie.

Rens. : 05 56 49 95 95 ou http://campussolidaire.blogspot.com

L’objectif du Campus solidaire et de permettre à tous d’accéder à la connaissance. Il propose d’associer le public à des travaux préparatoires (documents, petits films, enquêtes…). Les thématiques sont variées : citoyennté urbaine, psychanalyse et société, globalisation et développement durable, technologies, sciences et envrironnement… Le Campus solidaire est gratuit, ouvert à tous et sans inscription préalable.

► Campus solidaire – Bâtiment 25 rue des Terres Neuves à Bègles – Tramway ligne C arrêt Terres Neuves – Bus 11/24 arrêt Auriac.

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>Université Critique de Psychiatrie : Contrainte, droit, psychiatrie, résister à la dérive sécuritaire le 23 novembre 2010

Nous créons l’Université Critique de Psychiatrie !

Devant les dérives des systèmes de formation des professionnels du soin psychique, il nous semble important de proposer des « moments de formation » qui s’inscrivent dans une continuité historique, celle de la psychothérapie institutionnelle et du désaliénisme. Ces journées s’organiseront sur un thème à partir duquel les participants pourront présenter les questions que posent les pratiques quotidiennes. En deux espaces de travail, des intervenants en lien avec les animateurs/formateurs partagerons leur regard sur la question au travail. Nous sommes dans un souci de transmission et d’éclairages des concepts cliniques pour aider à la pratique au jour le jour au sein d’un collectif soignant.

Le programme complet sur le site

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>Non à la garde à vue psychiatrique

A l’issue du colloque tenu lundi 4 octobre 2010 à l’Assemblée nationale, sur le thème « Continuité des soins ou continuité de la contrainte ? », le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire lance un appel solennel aux préfets.

Sur Médiapart (contes de la folie ordinaire), la reprise d’une intervention importante de Noël Mamère, député et maire de Bègles : Psychiatrie: «un projet de loi inique et injuste»

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>Un projet de loi unanimement rejeté

Le 3ème Meeting national du Collectif des 39 a été un nouveau succès. Près de 1000 personnes ont participé à cette rencontre centrée sur le projet de révision de la loi de 90, « projet relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge ».

La mise en forme de ce Meeting a fait une large place aux débats, qui ont laissé apparaître dès le matin, l’inanité d’un tel projet de loi liberticide dont le seul but est de renvoyer « les schizophrènes en Schizophrénie ».

À noter les nombreuses prises de position de patients témoignant de leur refus de cette loi et du climat qui déferait les liens d’amitié et de confiance.

Des jeunes infirmiers ont aussi témoigné des lacunes de leur formation en psychiatrie et exprimé que parfois même des collègues vivaient, du fait de cette formation insuffisante « dans la terreur » des patients! Il y a là un effort très important à faire comme nous n’avons de cesse de le revendiquer.

Devant la nécessité de constituer un large front de refus de cette loi, dont il est totalement inconsidéré d’envisager quelques amendements que ce soit, nous avons invité les représentants des partis politiques et des syndicats à s’exprimer. Celles et ceux qui ont accepté notre invitation à prendre publiquement position vis-à-vis de cette loi, au nom de leurs organisations, ont été à la hauteur de nos espérances en refusant toute compromission.

Les partis politiques représentés, partis de gauche, PS, PCF, Europe Écologie -LesVerts, Parti de Gauche, NPA, ont affirmé leur rejet total de ce projet de loi, en se déclarant favorables à son retrait. La CGT au nom de la Fédération de la Santé et de l’Action Sociale ainsi que le syndicat Sud Santé sociaux se sont aussi prononcés pour le retrait du projet de loi.

Nous sommes très préoccupés de la position ambiguë de certains syndicats de psychiatres. Nous notons que le Syndicat National des Psychiatres Privés (SNPP) a partagé les critiques du Collectif des 39 sur le projet de réforme de la loi, ainsi que l’Union Syndicale de la Psychiatrie (USP) qui s’est aussi exprimée contre la loi en centrant sa position sur la proposition de la judiciarisation.

Le Collectif des 39 considère que la judiciarisation demande réflexion et nécessite des débats afin que les questions qu’elle soulève puissent être discutées. Cette discussion ne saurait représenter une divergence, et n’entame en rien notre détermination à faire front contre cette loi.

La position du SPH continue de nous étonner, critiquant comme nous l’essentiel de la loi et sa dérive sécuritaire, mais en acceptant les soins ambulatoires sous contrainte que nous considérons comme une régression des pratiques de soin, qui prétendrait répondre au déni psychotique par une contrainte prolongée au-delà de la crise. Lors des débats, nous avons rappelé que pour nous, le soin sous contrainte ne peut s’envisager que pour les périodes de crise, et que rien ne justifie d’étendre la privation de liberté au-delà de ce temps. L’exception que constitue les sorties d’essai n’a pas à devenir la règle.

Finalement, lors du débat, le président du CASP s’est exprimé d’une façon claire, pour le rejet de cette loi, ouvrant le chemin a une position plus radicalement affirmée des autres syndicats. La lutte doit continuer pour emporter toutes les conviction.

Au delà de la psychiatrie c’est la conception même du lien social qui est en jeu : la folie en tant que part indissociable de l’humain est un fait de culture. Ainsi, le collectif des 39 a-t-il lancé un « appel à la culture » qui s’adresse au monde de l’art et de la culture, le combat d’une hospitalité pour la folie n’étant pas qu’une affaire de spécialistes.

Selon l’écrivain Leslie Kaplan : « Ces mesures proposées par le gouvernement actuel révèlent une tendance profonde qui s’aggrave tous les jours : promouvoir avant tout et toujours la simplification, instaurer une civilisation simplifiée, dans laquelle je refuse de me reconnaître et que j’appelle ‘ une civilisation du cliché’ ».

Le passage à l’acte de la circulaire officielle du mois d’Août, désignant nommément un groupe de population à exclure marque un point de bascule de cet « Etat limite », décrit par Serge Portelli, magistrat, vers un Etat policier où la Norme devient loi.

Après les Roms, serait-ce au tour des fous ?

L’exécution en Virginie de Teresa Lewis ne peut que renforcer notre inquiétude sur la dérive de nos démocraties quand la norme fait Loi et que le sécuritaire allié au gestionnaire exclut de plus en plus de citoyens, poussant chaque sujet vers l’incarnation d’un « contrôleur de la norme ». Il est possible de dire « Non ! », et nous devons l’affirmer avec force devant toutes ces dérives.

Le débat ouvert par ce projet de réforme va au-delà de la seule question de la contrainte : Quelle est la nature de la norme incluse dans la notion de « santé mentale » ? Cette notion floue englobe des impératifs économiques de rentabilité du sujet. Madame Montchamp, présidente de la fondation FondaMental, député UMP, le dit de façon explicite dans le documentaire de Philippe Borrel, « Un monde sans fous » : « la maladie chronique, ou la santé mentale, changent la manière d’être compétent dans une entreprise, aller dans ce sens-là, c’est se donner les chances de plus d’efficacité, de plus de performance ».

Dans le climat ambiant, toute pensée est attaquée par un volontarisme simplificateur. Comme l’a remarqué Pierre Dardot, philosophe, nous vivons sous un régime de la norme. Les lois produites par le gouvernement ont une fonction : faire prévaloir des normes.

Ce 25 septembre 2010, nous avons encore une fois montré notre détermination. Il nous faut continuer à porter le refus de certaines pratiques, continuer à lutter sur ce terrain. Nos métiers sont touchés au quotidien par l’intégration de normes. Contre cela, il nous faut toujours plus travailler à la mise en commun, de nos savoir-faire et d’une conception humaniste de la psychiatrie et du bien commun.

La force et la dynamique du collectif des 39 a emporté durant cette journée l’adhésion de syndicats et des partis politiques. Notre refus du projet de loi sur les soins en ambulatoire sans consentement est désormais suivi par beaucoup qui appelaient initialement à « raison garder ». Ce n’est pas suffisant mais c’est un début.

Dès lors, les psychiatres, les professionnels qui acceptent ce projet de loi, font rentrer la haine et la défiance envers les patients dans des pratiques qui vont se centrer sur le contrôle.

Le collectif des 39 est né en réaction au discours de Nicolas Sarkozy le 2 décembre 2008 à Antony. Nous avions alors dis « Non » à la stigmatisation, à la banalisation de la violence institutionnelle sur les patients et les professionnels niés dans leur savoir faire. Il s’agit aujourd’hui encore de dire « Non » à cette loi liberticide et sans aucune dimension sanitaire. Cette journée de débat et de rencontre s’est clôturé par « l’appel des 1000 ».

Cette revendication sera répétée et confirmée lors de la journée de grève du mardi 28 septembre 2010 à l’appel des syndicats de psychiatres. Puis lors du colloque à l’Assemblée Nationale organisé par le collectif des 39 le lundi 4 octobre 2010.

Il ne peut y avoir de proposition d’amendement ou de volonté d’adapter ce texte. Tous ensemble, nous demandons le retrait pur et simple de ce projet de réforme.

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>Comment ne pas être dans le miroir ? (intervention au Forum à Montreuil, du Collectif des 39 du 9-3)

Actuellement il est intéressant de constater que c’est à partir de faits divers meurtriers, les assassinats à l’hôpital de Pau, le passage à l’acte meurtrier d’un patient dit schizophrène à Grenoble l’an dernier, de leurs commentaires par la presse d’une part et des réponses ministérielles et présidentielles d’autre part, que se produit un mouvement de rassemblement de la psychiatrie française.

Sans ces faits hors limites en serions là aujourd’hui ?

Sans la diffusion médiatique d’informations autour de ces faits en serions-nous là aujourd’hui ?

Sans les réactions et réponses face à ces évènements, largement commentés par la presse, de Monsieur Nicolas Sarkozy, ministre ou président en serions-nous là aujourd’hui ?

Sans la portée au devant de la scène des réactions du président par les média en serions-nous là ?

Autrement dit « la psychiatrie française » ne peut-elle se mobiliser nationalement que dans les situations limites, ne peut-elle s’organiser que contre l’outrance ? Une outrance médiatisée donnant à voir et à entendre.
Avons-nous besoin d’être sous la contrainte du dicta médiatique et de l’esbroufe d’un seul, représentant d’un pouvoir régalien pour nous rebeller un peu plus haut et un peu plus fort ?
Pourquoi faut-il l’outrance pour que l’action commence ? Faut-il être au bord ou au-delà des catastrophes pour que nous puissions nous réveiller ?

Nombre de psychiatres du service public ces derniers mois ont rappelé combien ils n’ont cessé de travailler et de militer pour une psychiatrie humanisée. Comment se fait-il que leur travail n’ait pu être relayé par l’ensemble des secteurs et intersecteurs de France et des dom-tom,  avant la mise en route de cet appel des 39 ?
Sous quel joug sommes-nous ? Dans quoi sommes nous tous empêtrés au point ne pouvoir réagir, se retrouver, débattre que contre un pouvoir politique qui affiche clairement son incapacité à comprendre l’humain autrement que derrière l’œil de la caméra ?

En 1977, Michel Foucault écrivait dans Archives de l’infamie, petit texte qu’il destinait à la préface d’un livre à venir : «  Comme le pouvoir serait léger et facile, sans doute à démanteler s’il ne faisait que surveiller, épier, surprendre, interdire et punir ; mais il incite, suscite, produit ; il n’est pas simplement œil et oreille ; il fait agir et parler ».1

Qu’est-ce qui a empêché une mobilisation nationale soutenue dans le temps ? Aurions-nous oublié que lorsque l’on défend la psychiatrie, lorsqu’on défend ses malades dits fous, nous défendons notre propre liberté ? Le « fou » n’est-il pas le paradigme de notre part obscure ? Est-ce à nouveau à ne plus vouloir accepter cet « Umheimliche » que le combat avait à nouveau cessé pour la psychiatrie ? Ne pouvons-nous lier cet aveuglement, cette mise sous le boisseau de la part étrangère de nous-mêmes, à une nouvelle vague de résistance à la psychanalyse et à l’éviction de celle-ci dans les lieux de soin ? Éviction qui serait un effet de discours de plus en plus nombreux à nier la faillibilité de l’être, des discours de la performance toujours perfectible. La mise à l’écart de la psychanalyse n’est-elle pas liée, au discours de la science, sous l’espèce notamment de la pharmacologie qui exclue le rapport de la pensée d’un sujet à sa « maladie mentale » ?

De quels discours sommes nous les contraints pour que nos paroles n’aient pu être entendues, voire que nous ayons cessé de dire haut et fort quelque chose d’un engagement ?

Travailler dans le secteur public psychiatrique n’est pas un exercice aisé, cela suppose de jouer avec les discours et ceux qui les soutiennent.
Si en tant que sujet nous sommes dépendants des signifiants de notre histoire, en tant que citoyen nous sommes pris dans les discours qui animent notre quotidien. L’institution que constitue un secteur de pédopsychiatrie est conditionnée par un certain nombre de discours. En qualité de clinicien dans l’espace d’un secteur nous sommes individuellement soumis aux discours qu’y s’y pratiquent. Une question se pose alors quelles sont, pour chacun d’entre nous, nos possibilités d’action ? Comment articuler ses actions avec les autres acteurs ?

L’intersecteur de psychiatrie est aux confins de nombreux discours. Chaque service avec son médecin chef prend position par rapport à tous ces discours. Et chaque clinicien se positionne dans le cadre du service dans lequel il travaille. Chaque clinicien est aussi soumis plus ou moins à l’étiquette de son diplôme et de sa formation. Même dans le meilleur des cas, l’adhésion ne peut être constante et totale à la ligne directrice choisie par le médecin responsable. Chaque clinicien est donc lui-même pris dans ce jeu des discours, il a à se positionner à l’intérieur même de l’institution dans laquelle il travaille. Autrement dit le positionnement se fait aussi bien dans l’institution de soin que dans le champ social dans son ensemble.

L’intersecteur est à la croisée des chemins, de l’éducatif, du pédagogique, du social, du médical, du psychologique, du psychiatrique, du psychanalytique, du juridique, du politique et du financier. L’intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile est un organisme public financé par des fonds publics et soumis à la politique de soin du ministère de la santé. Quelle marge de manœuvre avons-nous face à des préconisations émanant du ministère. Il est instructif de se prêter à la lecture des différents rapports, circulaires etc. qui sont en ligne sur le site du Ministère de la santé et des sports.

Nous avons à nous positionner en rapport avec la mission dont est chargée la psychiatrie publique et avec l’orientation que nous souhaitons donner à nos actes. L’exercice est rarement aisé.
Dans le rapport de septembre 2003, du Docteur Philippe Clery-Merlin assisté des docteurs Jean-Charles Pascal et Viviane Kovess-Mafety, on peut lire par exemple qu’il est préconisé de « former la communauté éducative 2à la promotion de la santé mentale et au repérage des problèmes ». Un partenariat des CMP des intersecteurs et de l’éducation nationale est recommandé, je cite : « que ces dépistages (des enfants présentant des troubles relationnels) soient inclus dans tous les bilans faits en milieu scolaire et que ces troubles soient pris en compte dans toutes les enquêtes de santé faites dans ces milieux ». 3

Sur ces rapports et circulaire, qui sont en ligne sur le site du ministère, on dicte aux professionnels la façon dont ils doivent agir. Il est par exemple préconisé, avec les familles qui auraient un enfant susceptible d’être autiste, de les diriger vers les espaces spécialisés pour le diagnostic de l’autisme mais on ne doit pas leur dire que leur enfant est autiste. Autrement dit on met les professionnels qui vont accueillir l’enfant face à une situation impossible. Comment espérer voir évoluer certains petits enfants si un lourd signifiant vient les marquer dés avant toute tentative de travail avec eux ?

Si dans la pratique tant au quotidien que dans des réunions institutionnelles on n’interroge pas ces recommandations voire les directives ministérielles, à quoi participe-t-on ? L‘enfant, les enfants se retrouvent au centre d’un dispositif de bilan et d’évaluation. Nous faisons ainsi de l’enfant l’objet de nos pratiques et non plus le sujet.

Autrement dit quels liens pouvons-nous entretenir avec les différents acteurs du terrain où évolue l’enfant pour que notre action soit éminemment politique ? Politique au sens où il y a lieu de défendre dans la cité une parole qui se défalque un tant soit peu des discours du pouvoir, d’un pouvoir administrant en l’occurrence. Un pouvoir qui saurait peut-être ce qu’est la santé mentale.
Comment trouver un chemin qui ne soit pas directement contre, qui ne soit pas contre le pouvoir, dans un jeu de miroir ? Comment trouver un chemin autre, décalé ?

Peut-être avons à travailler à l’intérieur même des institutions nos rapports aux discours ? Les travailler ces rapports au sein même de l’institution mais aussi avec tous ceux, qui comme nous, accueillent des enfants. Essayons de poursuivre et d’inventer, poursuivons le débat dans des lieux de parole comme celui d’aujourd’hui mais aussi au sein des institutions.

Il ne suffit pas de dire que l’on peut écouter autrement un enfant, sa famille, en permettant le travail de l’inconscient. Il est nécessaire d’inscrire le travail de l’intersecteur dans le tissu social par notre parole et par la façon dont nous la faisons jouer et circuler dans la cité. La psychanalyse est politique quand elle dynamise la circulation des différents discours et permet au sujet de s’y repérer.

1.Collectif Maurice Florence. Archives de l’infamie. Les prairies ordinaires. Paris 2009. 
2. C’est moi qui souligne.
3. On peut lire aussi par exemple pour ce qui concerne « l’autisme »: « PLAN AUTISME 2008-2010 : Dossier de presse, Vendredi 16 mai, Construire une nouvelle étape de la politique des troubles envahissants du développement (TED) et en particulier de l’autisme(…)
9. Elaborer des recommandations de pratique professionnelle et évaluer leur mise en œuvre : La HAS et l’ANESMS seront chargées, chacune pour ce qui les concerne, d’élaborer ces recommandations. Pour évaluer les pratiques, un programme d’évaluation sera mis en œuvre par la HAS à destination des professionnels de santé. De leur côté, les établissements médico-sociaux seront encouragés à entamer des recherches actions, avec l’appui de partenaires scientifiques extérieurs, afin d’évaluer leurs procédures de prises en charge. (…)
13. Expérimenter un dispositif d’annonce du diagnostic qui facilite l’orientation et l’accompagnement des familles : l’annonce du diagnostic doit être l’occasion pour les familles d’être informées sur les prises en charge existantes, les aides possibles et d’obtenir un soutien psychologique si elles le souhaitent. Un cahier des charges national sera conçu et donnera lieu à un appel à projet pour des expérimentations locales et permettront de concevoir différents supports d’information à destination des parents lors de l’annonce du diagnostic. (c’est moi qui souligne)

Françoise L. Meyer
Psychanalyste
Intersecteur de Saint-Denis 93

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Notes sur les débats du Forum du 3 juin à Ville Evrard

Un intervenant :

A l’hôpital psychiatrique on en vient à ce qui se passe sur une chaîne d’ouvriers, c’est la libre concurrence et ceux qui écoutent sont eux-mêmes en souffrance.
Il existe une concurrence entre services autour de la T2A, de la production de chiffres….

L. Vassal :

Avant on était des équipes.
Les fiches de signalement d’évènements indésirables sont des outils fascinants de délation, là où ça semblait être fait pour améliorer les choses. C’est inutile car personne ne connaît les évènements à signaler…Une dame a rendu un rapport surréaliste sur l’ensemble du recueil de ces fiches, c’est complètement incroyable et surréaliste…
Le manque de colère [en rapport avec l’intervention de Mr Constant] mais tout ça paraît tellement surréaliste… Petit à petit se crée de la délation, sans que l’on s’en rende compte, que quelqu’un s’est fait tapé sur les doigts parce qu’il n’a pas changé une ampoule…
Là l’humour a toute sa place.

Patrick Coupechoux :

L’optimisme.
La folie doit pouvoir redevenir une question importante. Derrière la folie il y a le sujet, et on est dans une société de l’individu roi, où il n’y a plus de société mais que des individus. [une référence à M. Thatcher]
L’individu roi c’est celui qui gagne, le sujet c’est celui qui manque, qui sait qu’il peut perdre son boulot….
Des questions politiques ont été un peu abandonnées sous prétexte que le collectif serait dangereux. C’est le collectif même qui disparaît. Les gens ne travaillent plus ensemble, les équipes n’existent plus…l’individu se trouve pieds et poings liés.
Comment inventer une nouvelle dialectique de l’individu et du collectif ?

Antoine Machto :

La colère [toujours par rapport à l’intervention de Mr Constant]
Le collectif des 39 s’est formé autour de personnes qui se sont retrouvées après le discours de Sarkozy, puis il y a eu 2500 signataires, ce sont 2500 personnes en colère et indignées.
Penser, prendre la parole sont des actions politiques, qui se situent en chacun quand on se pose ces questions.
Se battre pour que des mots ne soient pas enterrés demande un courage, une volonté très importante.
D’où la nécessité de se réunir en collectif pour ramener cette énergie dans nos secteurs. Le désir et la passion sont là. Nous restons déterminés.

Serge Klopp :

Je me bats contre la position de victime des collègues. Le manque de temps : combien de temps on passe à écrire, devant les ordinateurs, en réunion pour faire des évaluations, des transmissions ciblées…Là ou ça risque de conduire, comme à Maison Blanche, où on a prévu un protocole de mise à l’isolement au nom de l’efficacité, avec l’interdiction de détacher un patient, même pour manger, ou c’est une faute.
Les priorités sont d’abord éthiques et soignantes.

Emmanuel Constant

Mon interpellation des médecins sur la question de la colère est une interpellation tendre. Les élus interpellent aussi de temps en temps… J’ai des attentes vis à vis du monde de la psychiatrie. Lors de la contestation autour de la loi Bachelot, quels médecins étaient dans la rue ? Qui a entendu ? Les médecins doivent pouvoir élire des représentants pour représenter la totalité du champ médical. J’étais énervé de ne voir que des médecins du champ MCO. Même si on sait que la presse est aux mains de certains.
Les médecins ont décidé de boycotter les instances. Moi aussi j’ai pris cette décision. A compter de ce jour, il n’y a plus de CA qui va se tenir. La question des budgets [ de leur vote ? ] va se poser. C’est en contestation à la loi HSPT, en soutien à la lutte contre cette loi que j’ai décidé de ne pus tenir les CA ;

Une syndicaliste :

C’est une étape, un signe aux tutelles et aux directeurs d’établissement.
Pour les repas de nuit, le personnel s’est mobilisé, il y a eu une rencontre avec Mr Lamoureux, les repas ont été rétablis.
Quand on résiste, quand on se tient debout malgré les pressions, on y arrive. Quand on devient sujet de soi-même, de son travail, de sa lutte, on y arrive et on peut obtenir des choses.
Les amendements de la loi Bachelot concernant la nouvelle gouvernance ne changeront pas grand chose. Il faut se mobiliser pour le retrait pur et simple de la loi.

On doit conclure …

Proposition d’un autre forum à la rentrée.
Quelqu’un pose la question de la place des patients dans cette association ? [le collectif des 39 du 93]

Paul Machto :

Ce n’est pas une association mais un collectif ouvert, ouvert à tous ceux qui se sentent concernés, pas seulement les professionnels.

Henriette Zoughébi

La population du coin, qui voit cette grande route avec les deux hôpitaux de part et d’autre est concernée de manière profonde.
On pourrait l’y associer, avoir une contribution, inviter la population à y contribuer. Ces choix ont des conséquences sur ce qui se passe ici. Je suis partante pour essayer de faire des ponts. Ce qu’on dit sur le travail, ça se partage. Que chacun ne reste pas dans son métier et qu’on crée des ponts.

Mathieu Bellahsen

Le soin psy s’oppose à l’évaluation. Pourquoi pas une journée sans ordi, et une journée de la relation.

P. Machto

Il faut vraiment qu’on s’arrête.
On refait donc un forum après la rentrée, et à l’extérieur de Ville Evrard.

Ce qu’a apporté Patrick Coupechoux  est important et lourd. On peut avoir des moments de pessimisme, mais on n’a pas oublié l’impact des 39 fin décembre. Suite à cet appel, fin janvier, Sarkozy essayait de rectifier le tir. Fin janvier, Sarkozy et Bachelot commençaient à annoncer une loi modifiant le rapport Couty pour le printemps. Les initiatives, les meetings suite à l’appel des 39 y sont pour quelque chose.
Nous sommes en train d’inventer quelque chose, on ne sait pas où l’on va mais on s’appuie sur des choses importantes.
Comme dans des partis ou différentes tendances s’opposent, il y a des différences, entre professions, entre psychiatres, entre soignants.
Une certaine omerta règne dans l’hôpital, où l’on connaît la présence de patients enfermés de façon scandaleuse. Il ne faut pas avoir peur d’interpeller, que chacun soit interpellé, puisse se retrouver dans une parole et se poser la question : qu’est ce qu’on est en train de faire ?

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Forum du Collectif des 39 du 93 du 3 juin 2009 : L’écrasement des professionalités

Anik Kouba

De tout ce que l’on vient d’entendre, on l’aura compris : Au-delà des détails, à travers les détails, c’est une véritable politique qui est en marche.

Avec la menace d’un retour à une psychiatrie au service de l’ordre public, et non plus d’abord et essentiellement soignante, et qui plus est soumise à une logique marchande. Ca fait beaucoup !

Sur le front du refus de cette psychiatrie-là, nous opposons :
Les pratiques aux procédures
L’équipe cad pluridisciplinarité Et complémentarité A la polyvalence, sous entendu interchangeabilité anonyme
Le singulier aux statistiques
L’éthique à la gestion

Négation de nos pratiques, mise à mal de notre identité de soignant, voilà de quoi justifier notre volonté de résister.
Mais ce qui est plus grave c’est que nous ne sommes pas les seuls à être malmenés de la sorte. Du coup, et c’est heureux, nous ne sommes pas, non plus, les seuls à résister.

« Ecrasement des professionnalités » est sans doute, pour moi, le maître mot de cette mise à mal. L’expression est de Denis Salas (…) pour parler de la justice et de la maltraitance actuelle des magistrats.
Je prendrai juste deux exemples pour illustrer les parallèles possibles avec ce que nous vivons.

Au nom d’une politique du résultat : chaque jour, l’écran géant du grand bureau du Ministère de la justice affiche combien de peines planchers pour les récidivistes ont été appliquées aujourd’hui. Dans quelles cours, ville par ville ? Par quels juges ?

« Quels juges ? », là on rejoint un élément qui nous parle aussi directement : la responsabilité individuelle. La personnalisation est un outil redoutable pour déployer une politique de la peur, de la soumission. Vous, Mr, Mme, vous là, n’avez pas répondu aux exigences attendues, vous serez mal noté, vous allez être muté, voire…

On se souvient qu’à Grenoble, après le meurtre du jeune homme, le Directeur de St Egrève a été suspendu ainsi que le Préfet. Ce n’est qu’un exemple parmi déjà de nombreux autres.

La disqualification. La suppression du juge d’instruction, pour laisser le Parquet seul maître des lieux, (les avocats en sont absents), souligne à quel point les compétences – au sens de l’exercice indépendant d’un savoir -, la recherche de la vérité, une enquête contradictoire sont de peu de poids au regard de procédures expéditives dont tous les protagonistes seront dans une stricte dépendance au pouvoir exécutif (pour leur nomination, leur avancement de carrière…) C’est dire !

Enfin, le projet du « plaider coupable » installerait la justice dans une logique clairement marchande, où toute fonction symbolique de la peine cèderait la place à du calcul, de la négociation.

Si on regarde du côté de l’éducation nationale, on retrouve les mêmes éléments. Les enseignants en grève, à l’initiative de multiples actions, souvent originales, dont la ronde des obstinés, résistent vaillamment.

Ils dénoncent les discours ministériels qui, sous couvert de pseudo exigences scientifiques plus élevées, cachent une logique d’économie budgétaire. Réduction des moyens pour plus de résultats. Ca nous dit quelque chose !!?

Ils dénoncent la création d’instances d’évaluation dont tous les membres sont nommés par le ministère de l’éducation nationale (aucun membre élu).
Et où l’évaluation se mesure A la « bibliométrie » : Combien de publications cette année ? Combien publiées dans des revues de langue anglaise ?
Mépris des recherches en cours, de la liberté du chercheur…

Quant à la presse c’est dramatique parce qu’on a l’impression qu’elle a déjà obtempéré à ces mots d’ordre de rentabilité, de libre concurrence et de soumission au pouvoir politique. Je me souviens quand j’étais jeune, on disait « quand la presse sera aux mains des marchands de canon, on sera foutus ». Et bien on y est ! Et il n’y a pas que Dassault.

A l’échelle nationale, nous avons les nominations directes, … par le président de la république, L’ami de tous les marchands, du président de la télé publique (pourtant le concurrent direct de son ami Bouygues !!!), de radio France et j’en passe.
Sur fond d’une haine de la culture. « Donnez leur des jeux, du sport et du fait divers » serait le slogan qui réunirait notre président et, de l’autre côté des Alpes, Berlusconi.

On en parle moins mais la pression du chiffre et du résultat touche un autre corps professionnel, la police. Depuis 2006-2007, les suicides de policiers augmentent, souvent sur leur lieu de travail et avec leur arme de service ( +_ un/semaine). Un délégué syndical, interviewé après le suicide d’un collègue, dira :« Avant on faisait équipe, maintenant c’est chacun pour soi ».

Mis bout à bout, tout ceci dessine une société effrayante : une société néo-libérale et autoritaire. Ce qui est une oxymore, a priori. Cette société néo-libérale, avec ce que cela suppose de violence de la libre concurrence, ET autoritaire, avec le contrôle centralisé par l’exécutif, réduit nos professions – que l’on soit juge, soignant, prof, journaliste…- à une peau de chagrin.

Et ce sont justement les métiers qui travaillent avec l’humain qui sont visés par cette volonté de domestication. Ces « professions intellectuelles» qui donnent consistance à la société civile et garantissent d’une certaine façon l’exercice de la démocratie. Avec leur disparition, en tant que contre-pouvoir potentiel, le risque est grand qu’il n’y ait plus rien entre un Etat inféodé au marché et l’individu.

La démocratie gît… aussi dans les détails.
Elle est en péril.

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Forum du Collectif des 39 du 93 du 3 juin 2009 : La fonction du cadre de santé entre gestionnaire et soignant

Serge Klopp
Cadre de Santé

Il est évident que je vais être très caricatural dans mon propos, quoique…

Quelle place ont aujourd’hui les cadres dans le dispositif de psychiatrie de Secteur ?
Il est évident que la plupart de mes collègues cadres, considèrent qu’ils ne sont plus soignants. Il y a quelques années on disait d’ailleurs aux postulants à l’école de cadres qu’ils devaient faire le deuil du soin.
Ce qui fait qu’ils se positionnent clairement du côté du management et de la gestion, délaissant la clinique.
Ce qui se révèle lorsque l’on observe le peu de formations continues cliniques suivies par les cadres.
Ce qui fait qu’ils sont de plus en plus courroie de transmission de la direction et particulièrement de la direction des soins et non plus dans une fonction de pivot centré sur la mise en lien et l’articulation entre les différents membres de l’équipe pluridisciplinaire. Du coup ils deviennent même un écran, voire un obstacle à cette articulation, au lieu d’être en étroite collaboration avec le corps médical.
Ils vont renforcer l’idée que l’équipe c’est l’équipe infirmière et que les autres professionnels (psychiatres, assistants sociaux, psychologue, etc…) sont en dehors.
Quel rôle jouent-ils dans l’institution ?
Ils sont de plus en plus souvent en opposition avec le corps médical, ou du moins génèrent cette opposition entre la filière infirmière et les autres professionnels.
Au nom de la valorisation du rôle propre infirmier ils vont mobiliser une part importante de leur énergie et de celle des équipes (au sens restreint de l’équipe infirmière) pour mettre en place des outils qui isolent la clinique des infirmiers de celle des autres membres de l’équipe pluridisciplinaire.
Notamment on va tout protocoliser. Mais ces protocoles ne visent pas à aider les jeunes collègues qui manquent d’expérience, puisqu’ils deviennent de plus en plus souvent opposables.
C’est-à dire que l’on ne répond plus à des situations singulières mettant en jeu l’histoire et la psychodynamique propre à chaque patient.
Du coup puisqu’à chaque situation correspond une réponse normalisée prédéfinie, les infirmiers deviennent totalement interchangeables.
Ce n’est plus la relation qui est thérapeutique c’est le protocole.
C’est la négation de sa position de sujet du patient mais également de la position de sujet du soignant.
Fut un temps, on aurait appelé cela une aliénation.
Tout ça au nom de la qualité des soins.

Pourtant, si l’on tient compte :
Que le statut des cadres est toujours : « infirmier cadre de santé ».
Que la fiche métier du Ministère concernant le cadre de santé sur une grille de priorité de 1 à 5 (1 étant la priorité la plus basse et 5 la plus haute) estime de niveau 1 les compétences à la gestion et de niveau 5 les connaissances cliniques et l’impulsion de la réflexion clinique des équipes !
Du fait que le Ministère reconnaît un déficit de formation initiale des infirmiers nouveaux diplômés exerçant en psychiatrie – ce déficit se situant évidemment du côté de la psychodynamique et du soin relationnel puisque les protocoles ils savent faire !
Du fait que les infirmiers ont encore, dans le rôle sur prescription, la possibilité de faire des entretiens et des activités à visée psychothérapique
Cela ouvre d’autres perspectives aux cadres.

Pour ma part, je considère que ma première fonction, ma tâche la plus essentielle c’est de veiller à la qualité des soins dispensés aux patients.

Si je me réfère à la Charte des usagers et à la loi sur le droit des usagers, la qualité des soins se détermine bien vis-à-vis du patient et non de l’efficacité à éradiquer les symptômes.
La nuance est fondamentale.
La qualité des soins dispensés dans ma structure va donc se mesurer qualitativement et non pas uniquement quantitativement sur la capacité de mon équipe au sens pluridisciplinaire à inventer des projets de soin individualisés propre à chaque patient et non au travers de la généralisation de protocoles.

Du coup, mes priorités en tant que cadre se déclinent sur deux plans :
Œuvrer pour que le dispositif permette cette créativité pour chaque patient
Œuvrer pour permettre aux membres de l’équipe d’élaborer collectivement ces projets, en dégageant des espaces temps de réflexion et en amenant des éléments théorico clinique

Ce qui implique :
de travailler en étroite collaboration avec le médecin responsable – il s’agit pour moi d’une réelle co-élaboration !
et de continuer à se former à la clinique pour pouvoir impulser la réflexion de l’équipe. Il ne s’agit bien évidemment pas de se mettre en position d’expert, mais si l’on veut impulser la réflexion des autres, il faut déjà commencer par la sienne.

Ce qui peut aller jusqu’à participer directement à certaines prises en charge ou modalités thérapeutiques.
C’est ce que je fais.
Mais c’est aussi parce que je ne sais pas faire de la théorie sans pratique, c’est la raison pour laquelle je ne suis pas enseignant dans un IFSI.
Aujourd’hui, si actuellement, je n’ai pas de prise en charge individuelle d’enfant , je participe en tant qu’accueillant aux deux séances d’accueil de l’espace ados que j’ai monté et je suis co-thérapeute au psychodrame pour adolescents qu’on mène dans le service.
Mais cette position me permet également de mieux tenir sur certaines exigences.
A l’accueil ados par exemple, le fait que je sois confronté au même titre que les collègues à certains ados qui nous mettent en difficulté, me permet de tenir lorsque tel ou tel membre de l’équipe considère que tel jeune est trop lourd et qu’il faudrait plutôt l’adresser à un groupe fermé.
Dernière anecdote.
A Maison Blanche lorsqu’il s’est agit de mettre en place le tutorat des nouveaux infirmiers, en comité de formation Permanente nous étions d’accord avec la Directrice pour considérer qu’un nombre important d’infirmiers qui avaient quelque chose à transmettre étaient aujourd’hui cadres. Il paraissait donc évident que les cadres seraient sollicités pour être tuteur. Or, le Directeur des Soins, s’appuyant sur la commission des soins a dit que ce ne serait pas possible.
Bien que je ne sois pas parano (c’est ce qu’ils disent tous) serait-ce parce que j’étais le seul cadre à avoir fait connaître son désir de participer au tutorat ?
Raison invoquée : étant donné que le tuteur suit un infirmier d’une autre unité que la sienne, cela pourrait mettre le cadre de cette unité en difficulté si le tuteur est un cadre.
Ce qui pose plusieurs problèmes :
les pratiques dans leur service sont-elles tellement peu éthiques qu’ils auraient quelque chose à cacher ?
sont-ils tellement peu convaincus de la justesse de ces pratiques qu’ils ne sauraient les défendre ?
S’ils considèrent le fait d’être bousculés dans leurs pratiques comme un danger, cela ne révèle-t-il pas le manque de pensée clinique de leur service ?
Pour ma part, je trouverais cela plutôt enrichissant puisque cela m’obligerait avec mon équipe à requestionner nos pratiques !
Ce qui aurait peut-être pour effet d’influer nos pratiques, ou, au contraire, de les conforter en leur donnant encore plus de sens.
Je ne demande pas à ce que tout le monde travaille avec les mêmes références théorico cliniques que moi. Mais au moins que chacun puisse défendre ses références. Et que le cas échéant on puisse les confronter.

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Forum du Collectif des 39 du 93 du 3 juin 2009 : « Partir des détails pour réinventer nos pratiques » Objet Inconnu

Dr Laurent Vassal

Tout d’abord je voudrais vous ou plutôt nous remercier d’être aussi nombreux aujourd’hui.
D’autant qu’on sait qu’il est difficile aux soignants de se mobiliser alors qu’ils sont souvent en effectif minimum.
Minimum ou de sécurité, on ne sait plus très bien. Le minimum n’est pas la sécurité !
Moi je ne suis pas contre une politique de soins psychiatriques plus sécuritaire !! A condition que cela se fasse par un renforcement des effectifs soignants. Non par celui des machines, des procédures et autres protocoles.
Je voulais aussi féliciter pour le titre de ce forum : ce projet de partir des détails pour repenser nos pratiques me semble un abord des plus pertinent d’autant plus si ces détails sont ceux de la clinique.
Ceux qui me connaissent savent mon goût pour les productions des patients. Non celles de l’arthérapie mais celles du symptôme. J’avais ainsi, il y a deux ans, aux journées de RIVE présenté l’intérieur d’un patient délirant, véritable mise en scène, décor de son délire de persécution.
Pour moi le symptôme est création et en tant que tel, œuvre. Ce n’est pas le désir du créateur qui fait œuvre, c’est le regard qu’on porte dessus. Une certaine lecture du symptôme en fait une œuvre et c’est à nous, thérapeute, de le lire comme telle pour permettre au patient de faire de même.
Je fais, dans ma pratique, le choix résolu de mettre sur la même scène œuvre d’art et symptôme psychiatrique. C’est la meilleure façon de passer au delà des logiques comptables procédurales et sécuritaires que l’on nous impose et dans lesquelles nous laissons sinon la clinique, comme dans tout discours pervers, s’engluer.
Aussi, je suis ravi que le premier forum du groupe des 39 se soit tenu chez Armand Gatti, à la maison de l’arbre à Montreuil, haut lieu du théâtre et que celui d’aujourd’hui se tienne, à Ville-Evrard aux Anciennes Cuisines, résidence de Frédéric Ferrer et de sa troupe, Vertical Détour, que je remercie de nous accueillir.
Profitez de l’architecture du lieu classé au registre des monuments historiques et sachez que là où vous êtes assis, en d’autres temps, bouillaient les marmites.
Un des symptômes typiques (pathognomonique dit-on en terme savant) de la schizophrénie est l’emploi de néologismes qui sont des mots créés ou inventés. La valeur poétique de ces créations est évidente, qu’il s’agisse du « Snark » de Lewis Carroll, du « syntome » de Jacques Lacan ou de la « nostalgérie » de Jacques Derrida.
En schizophrénie, de fait, les néologismes sont plutôt rares. Plus fréquents sont les paralogismes qui sont des termes employés dans un sens autre que celui reconnu, voire sans signification explicable par le patient. Un détournement de mot en quelque sorte.
Ainsi de tel patient qui se plaignait de ce que son coiffeur lui avait fait du « tiramisu » ; tout en reconnaissant que le tiramisu est un dessert et ne sachant expliquer ce que cela signifiait ici, pour lui. En tout cas, scandalisé de ce que ledit coiffeur lui avait fait là, il l’avait expédié au tapis et lui de finir en HO.
Le premier texte que j’ai écrit à partir de ce type de symptôme l’a été à partir d’une expression d’une patiente qui souffrant d’un automatisme mental se plaignait de ce qu’on lui fasse du « là on me dit ». Persécutée, furieuse contre ceux qui lui imposaient des idées, des voix, elle vociférait
contre eux. J’ai mis du temps à réellement entendre cette expression qu’elle répétait pourtant avec insistance.
Très « culture banlieue », « neuf-trois », cette jeune patiente et son « là on me dit » m’ont inspiré ce texte qui est à « slamer » :

Lorsque je lui ai lu ce texte, la question qui se posait alors à moi et que je lui posais était de savoir à qui il appartenait puisque si l’expression était d’elle ainsi que le personnage décrit, le travail d’élaboration (de sublimation pourrait-on dire) était de moi. Elle m’a répondu souhaiter que je le garde, qu’elle était surprise que j’écoute autant ce qu’elle disait et de m’en servir si cela pouvait aider à soigner d’autres jeunes en difficulté du fait de cette maladie.
Propos touchants non ?

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Forum du Collectif des 39 du 93 du 3 juin 2009 : « Partir des détails pour réinventer nos pratiques »

La crevette de Clichy sous Bois

Bernadette Boisse- Christine Manguin
Infirmières.

« Mais bon dieu, ils ne voulaient pas de pommes dauphines pour une fois ! »

Ce soir nous n’allons pas vous raconter l’histoire de la sardine qui boucha le port de Marseille mais celle de la crevette qui mit à mal le budget de l’hôpital.

Plantons le décor :

Un appartement thérapeutique et ses 3 résidents, 2 infirmiers, un dimanche de fin août.

Nous voilà partis au marché afin de préparer tous ensemble le repas thérapeutique dominical.
Liste des courses en main, nous allons d’étals en étals jusqu’à celui du poissonnier. La vue de belles crevettes, des gambas, nous ont mis l’eau à la bouche.
Quelle bonne idée …….
Les patients nous demandent si c’est possible ……
Certains n’en ont jamais mangé, voudraient goûter……
Alors pourquoi pas quelques crevettes bien roses …… Après tout, ça ne va pas chercher bien loin…. et puis c’est pour toutes les fois ou nous nous sommes contentés d’un jambon /beurre. Qu’à cela ne tienne, nous achetons en plus les crevettes, ce qui fera le repas à 14€50 par personne.

Trois mois plus tard, SCANDALE, le service économique a fait ses comptes et nous écrit :

« En dehors de la période pas très propice à la consommation de fruit de mer et du risque de rupture de la chaine du froid dans le transport, le montant de l’achat m’a paru élevé pour un produit qui n’est pas couramment utilisé en restauration collective (sauf en période de fête) »

Telle une crevette décortiquons ce texte :

1) « En dehors de la période pas très propice » : y a-t-il une saison pour les crevettes ?

2) « du risque de rupture de la chaine du froid dans le transport » Comment faire les courses avec les patients, si ce n’est comme tout un chacun ! Après le marché, nous rentrons à la maison avec notre petit panier au bras !

3) « le montant de l’achat m’a paru élevé » Certes si on considère le prix au kilo mais pas si nous ramenons au coût du repas par personne. De plus, nul n’a remarqué à la régie tous les pique-niques très peu onéreux, pris en cette période estivale … C’est aussi un élément de réalité, terme très à la mode en ce moment !

4) « pas couramment utilisé » … et pourquoi ? il faut faire comme tout le monde ???

5) « en restauration collective » Depuis quand faisons nous de la restauration collective à l’appartement thérapeutique ?

6) « sauf en période de fête » pourquoi ? il y a aussi des dates pour faire la fête ???

Mais que diable, arrêtez de casser notre énergie, il nous faut déjà une bonne dose de dynamisme, d’ingéniosité et de motivation, pour susciter du plaisir, de l’intérêt chez des personnes en souffrance, en panne de désir….
Il faudrait en plus se battre face à une administration comptable qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez ?

Il y a des personnes payées pour éplucher nos factures ?

Où donc est passé le temps, où notre compétence était reconnue ?

Rappelez-vous, il y avait des ouvriers qui marquait d’un poinçon le fruit de leur travail. Cette marque laissait une trace singulière et personnelle : le sceau de la qualité.
Nul ne vérifiait ensuite les pièces fabriquées par eux ….

AH……. MANGER….. !

Manger est un acte tellement ordinaire qu’on en oublie combien il est chargé de sens.
Le repas thérapeutique va au delà du choix d’un menu, de la gestion d’un budget et de l’organisation de l’espace et du temps.

Médiateur privilégié, le repas est un temps de convivialité, de partage, de plaisir. Il est l’occasion de stimuler, valoriser l’autre dans ses capacités.
Et, en plus, quand on mange, on parle ! Moment de socialisation…

Mais ma parole…. c’est un SOIN !

Nous devons souvent justifier notre travail.
Au nom de quelle connaissance du soin le comptable juge t-il, intervient il pour mettre en question cet acte ?
Réduire le repas thérapeutique à sa plus simple expression, c’est dénier le processus qui s’est construit autour et donc dénier l’acte soignant.

Et puis, tout soin à son plateau ……. Celui-ci, et bien, ce sont des crevettes !!!!!

« Si on traitait les autres comme on traite les objets qui nous tiennent à cœur, ce serait un progrès fantastique » disait Jean Oury

«  Monsieur le comptable », nous vous le disons :
Nous ne sommes pas diplômées en restauration collective !
La chaîne du froid n’est pas notre premier souci
Nous confondons peut-être les saisons
Celle des coquillages et celle des fêtes
Mais nous revendiquons d’être des soignants à part entière
Dans les actes que nous posons
Tant qu’ils s’inscrivent dans un projet thérapeutique
Défini et soutenu collectivement (ou par l’équipe ?)

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Forum du Collectif des 39 du 93 du 3 juin 2009 : Détails et Cuisines, des recettes ?

Docteur PROCA-KRIMPHOFF :

Je voulais commencer par une question qui concerne de façon aiguë l’Hôpital de Jour de Bondy dont je suis devenue le Praticien Hospitalier responsable, mais qui concerne également d’autres hôpitaux de jour.
La question est la suivante : qui mange demain à l’Hôpital de Jour ?
Pour compliquer un peu plus cette question épineuse (qui d’ailleurs, je m’en excuse, n’est pour moi en rien un détail mais au contraire un point essentiel), c’est sous forme de questions à choix multiples, à défaut d’avoir entièrement le choix des réponses.
Alors allons-y : qui mange demain à l’Hôpital de Jour ?

A – Des patients
C’est vrai qu’il y a des patients à l’HDJ (ce qui, à l’heure où l’on s’interroge sur à quoi sert un HDJ, peut paraître étonnant) et que, de surcroît, ils ont faim.
Certains disent : « Saine maladie ! » Ils voient vraiment la maladie partout, quoique les neuroleptiques que les confrères du C.M.P. prescrivent puissent contribuer à ouvrir l’appétit.
En tout cas, on a eu l’idée, je ne sais plus comment, que manger était peut-être bien une nécessité vitale, et que pour les patients, partir de cet ancrage dans la réalité quotidienne ça pouvait, à travers les différentes activités qui s’y rattachent, être un support à la relation thérapeutique.

B – Des soignants 
C’est vrai qu’il y a des soignants à l’HDJ (ce qui, à l’heure où l’on s’interroge sur à quoi sert un HDJ, peut paraître bien étonnant) et que, de surcroît, ils ont faim.
Mais toutes ces bouches à nourrir, est-ce bien raisonnable ? Sûrement pas !
Alors voici comment faire des économies et même combler les déficits, en trois points :
1- Réduire les effectifs soignants. Un poste vacant  = un poste supprimé, ni vu ni connu.
2- Réduire les effectifs soignants. Depuis une semaine, les repas (issus de la liaison froide) ne sont plus livrés que pour la moitié des soignants. L’autre moitié peut mourir de faim.
3- Réduire les effectifs soignants. Tous les soignants (ceux qui mangent et ceux qui ne mangent pas) voient ainsi la valeur et la qualité de leur travail au moment des repas mises en doute. Ils peuvent perdre l’envie de travailler ici dans ces conditions et partir.

C – Des patients et des soignants
Alors ça c’est la meilleure. Mais que font-ils là ensemble ? Pardon ? Ils mangent ensemble à la même table ? Le même repas ? Et ils causent ensemble ? Du jamais vu ! Pardon ? Un repas thérapeutique ?
Bon, ben voilà ça vient de sortir, ça fait même 30 ans que ça vient de sortir, depuis l’ouverture de l’HDJ de Bondy….

On a eu l’idée que, partager un repas en commun, patients et soignants, permettait de vivre un moment ensemble et de tenter d’entrer en relation avec autrui, socle de tout effet thérapeutique.
Bien qu’il s’agisse d’une pratique exigeante, requérant beaucoup d’attention et d’énergie, tous les soignants de l’HDJ de Bondy estiment que les repas thérapeutiques sont particulièrement intéressants et à certains égards irremplaçables tant en ce qui concerne la richesse clinique de ces moments, que leur potentialité thérapeutique.
Supprimer une partie des repas destinés aux soignants ou envisager de leur faire payer leurs repas est ainsi vécu comme une attaque des repas thérapeutiques qui non seulement font partie intégrante du travail, mais qui nécessitent en outre de redoubler de vigilance et de disponibilité psychique.
Les soignants de l’HDJ de Bondy demandent donc que les repas soient livrés comme précédemment à tous les soignants présents à l’HDJ, sans contrepartie autre que le travail soignant effectué.

D – Un cuisinier
Un cuisinier ? Et puis quoi encore ?
Petit détour par l’histoire :
Monsieur Jochel, cuisinier, travaillait antérieurement toute la semaine à l’HDJ de Bondy où toutes les étapes de la confection du repas (définition d’un menu, courses chez les commerçants du quartier, préparation du repas, etc…) se faisaient avec les patients de l’HDJ.
Certains y reconnaîtront un petit parfum de psychothérapie institutionnelle.
Depuis la mise en place brutale de la liaison froide, du lundi au jeudi (ce qui a fait perdre une partie de la richesse de ce qui se passait autour des repas), nous continuons à soutenir toutes les activités menées avec les patients en lien avec les repas : qu’il s’agisse d’une contribution destinée à améliorer le repas issu des barquettes de la liaison froide, ou de la préparation complète du repas le vendredi avec Monsieur Jochel. Mais sa présence vient de nouveau d’être remise en cause, sous forme d’anticipation de son départ à la retraite….
Donc à la question « Qui mange demain à l’HDJ ? » on peut dire : pas Monsieur Jochel puisque demain c’est jeudi, mais pour les vendredis à venir ce n’est pas sûr non plus.
Nous demandons donc à ce qu’il puisse continuer à travailler à l’HDJ les vendredis jusqu’à sa retraite.

E – Un chien
Non, non, c’est une blague !
Les services de l’hygiène en seraient tout retournés.

F – Personne
Parce que les repas livrés sont vraiment trop mauvais (il faut dire que le contraste avec les bons plats cuisinés par Monsieur Jochel tourne franchement à leur désavantage).
Et parce que personne n’apprécie le goût de ce qu’il vaudrait mieux appeler la dé-liaison froide.

Avis à tous ceux que cette question intéresse : je n’ai pas la réponse pour demain, mais peut-être vous pouvez nous aider à ce que demain ne soit pas comme aujourd’hui.
Je voulais vous lire un texte présenté par Jean Oury sur la symphonie inachevée de Schubert.

Un jour, un président de société reçoit en cadeau un billet d’entrée à un concert de la symphonie inachevée de Schubert. Ne pouvant s’y rendre, il donne l’invitation au responsable de l’étude des méthodes industrielles de sa société. Le lendemain matin, le président se voit remettre le rapport suivant :

1. Les quatre joueurs de hautbois demeurent inactifs pendant des périodes considérables. Il convient donc de réduire leur nombre et de répartir leur travail sur l’ensemble de la symphonie, de manière à diminuer les pointes d’inactivité.

2. Les douze violons jouent tous des notes identiques. Cette duplication excessive semblant inutile, il serait bon de réduire de manière drastique l’effectif de cette section de l’orchestre. Si l’on doit produire un son de volume élevé, il serait possible de l’obtenir par le biais d’un amplificateur électronique.

3. L’orchestre consacre un effort considérable à la production de triples croches. Il semble que cela constitue un raffinement excessif et il est recommandé d’arrondir toutes les notes à la double croche la plus proche. En procédant de la sorte, il devrait être possible d’utiliser des stagiaires et des opérateurs peu qualifiés.

4. La répétition par les cors du passage déjà exécuté par les cordes ne présente aucune nécessité. Si tous les passages redondants de ce type étaient éliminés, il serait possible de réduire la durée du concert de deux heures à vingt minutes.

Nous pouvons conclure, Monsieur le Président, que si Schubert avait prêté attention à ces remarques, il aurait été en mesure d’achever sa symphonie.

Ce texte évoque avec élégance comment une logique opératoire, uniquement guidée par des visées économiques restrictives (ce qui n’est pas du tout le cas actuellement dans cette période d’abondance et de prodigalité…) mais bref, si on est dans une logique opératoire, uniquement guidée par des visées économiques restrictives, cela conduit à être totalement hors sujet.
Ce qui est saisissant, c’est à quel point quelqu’un dans une telle logique peut écouter, et même écouter très attentivement, tout en étant complètement sourd, sourd à la dimension artistique et humaine.
Ce qui est pire encore, c’est que la surdité n’est pas seulement une perte pour qui se situe dans cette logique d’économie coûte que coûte, mais c’est une surdité destructrice pour tous ceux qui participent à une œuvre d’art, car la réduction projetée porte toujours en germe la mise en pièce, voire la mis à mort de l’œuvre, par ignorance, méconnaissance ou déni, quand ce n’est pas par malveillance.
Or un orchestre symphonique, composé de dizaines de musiciens, où chacun joue sa ligne mélodique sur son instrument, au service d’une symphonie à l’unisson, peut être une image du travail des équipes soignantes.

On sait bien l’importance de pouvoir, en tant que soignant, à la fois s’engager personnellement dans la relation à l’autre et jouer sa propre partition, ou plutôt trouver sa propre voix, et à la fois former une équipe où l’on s’écoute et l’on se coordonne, c’est-à-dire où l’on se met au diapason des autres.
L’enjeu est le suivant : comment aller vers une cohésion d’ensemble, tout en étant riche de nos différences ?
C’est déjà difficile de se rassembler quand surgissent des divisions, ce qui arrive tout le temps, dans tous les groupes humains.
C’est un défi – de l’ordre du soin – de se rassembler quand on est pris dans les effets morcelants de la psychose.
N’oublions pas que la personne psychotique dissociée ne peut qu’établir un transfert dissocié.
Toute la difficulté consiste alors à repérer et réunir ces investissements hétérogènes, à rassembler ces fragments projetés, pour permettre à la personne psychotique de se (re)donner cohérence.

Mais c’est un devoir de se rassembler pour faire face aux tentations, parfois exploitées sans vergogne, du « diviser pour mieux régner ».
À nous de refuser ce remaniement de tel avantage ou de telle prime quand ça vient cliver les uns contre les autres. À nous de rester solidaires les uns des autres.
C’est d’autant plus nécessaire que les règnes actuels ont une fâcheuse tendance à se faire despotiques, au mépris de la liberté intrinsèque de chacun.
Oui, bon, on ne va pas perdre son temps à lui demander son avis, à écouter ce qu’il dit, à attendre qu’il en finisse avec ses hésitations et ses propos décousus ! De toute façon, ce fou, dit n’importe quoi, sa parole ne compte pas, il ne compte pas.

J’espère que vos tympans ont perçu ces notes grinçantes et graves : ça devrait nous faire l’effet d’une sirène d’alarme qui nous écorche les oreilles, devant cette logique d’exclusion et d’élimination. Ça devrait nous faire sursauter, réfléchir et réagir :

Est-ce le fait… De phénomènes psychopathologiques? De l’écrasement sécuritaire? De protocoles de « pseudo » rationalisation économique des soins, qui ne tiennent pas compte de la personne humaine ?
En tout cas, comment en sommes nous venus à oublier à ce point notre humanité ?
Comment en sommes nous venus à oublier à ce point que nous partageons avec cet autre, ce fou, cet exclu, cette personne si différente… la même humanité ?

Et pourtant, les patients que nous recevons sont de fins détecteurs de ce qui sonne faux, de ce qui révèle l’exclusion, pour peu qu’on vieille bien les entendre. Mais ils en sont aussi malheureusement les premières victimes.

Alors voilà, ceci est un appel vibrant à ouvrir les écoutilles, à se rassembler en dépit de toutes les lignes de divisions (et je pense que le Collectif de la Nuit Sécuritaire peut permettre cela) et à résister, depuis là où nous sommes, debout face à toutes les menaces, pour garder notre humanité.

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Forum du Collectif des 39 du 93 du 3 juin 2009 : « Partir des détails pour réinventer nos pratiques »

« Les détails »
Docteur Evelyne Lechner :

Si le Président Obama a été plébiscité par ses concitoyens les plus déshérités, c’est, en grande part, pour sa volonté de réformer le système de santé libéral américain qui est non seulement inégalitaire mais économiquement défaillant : le premier au monde en terme de coût, mais le 37ème en terme de qualité des soins, selon l’estimation de l’OMS en 2000. Dans le même temps, le dispositif français, alors reconnu comme le meilleur mondial, va être fondamentalement chamboulé par la loi «  Hôpital, patients, santé, territoires » et sa logique purement financière et managériale. Notre Ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, affirme que bien manichéens sont ceux qui voient là une atteinte du service public hospitalier et un risque de marchandisation de la santé. Or, si nous ripostons, aujourd’hui, à Ville-Evrard, par la grève des instances et le refus de transmettre les données du RIMpsy à nos tutelles, contre ce projet de loi, c’est que nous en connaissons un avant-goût amer et en mesurons déjà les effets délétères sur notre pratique soignante quotidienne.
Bien que l’Etablissement Public de Santé de Ville-Evrard ne soit pas encore soumis à la tyrannie de la T2A et reste un des rares hôpitaux français à clore, depuis pas mal de temps, ses comptes annuels avec un à deux millions d’excédents, y règne actuellement un climat insidieux et rampant d’économie de bout de ficelle… A coup de notes de service lapidaires, mentionnant les sommes insensées qu’on espère ainsi économiser, ou subrepticement sans qu’on y prête garde, se multiplient les restrictions les plus infimes. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la suppression des bouteilles d’eau minérale remises jusque-là aux patients entrants et/ou en isolement : on sait combien nos malades, notamment sous neuroleptiques, risquent la déshydratation (à cela ne tienne : les bouteilles pourront être délivrées au compte-goutte sur prescription médicale) ; pour les autres, il y a la fontaine. Dans le pavillon de mon service, la fontaine a failli être retirée, l’an passé, comme « nid à microbes » ; elle a été décrétée totalement salubre, cette année, et chacun de s’y abreuver à plein goulot, faute de gobelet jetable. De même, les chiffonnettes destinées au ménage devaient, dans un but de prévention des maladies nosocomiales, être jetées après usage ; elles sont remplacées, cette année, par des lingettes à laver, impérativement, avant de resservir. Jusqu’à un certain type de culottes de dépannage en filet qui doivent, désormais, être soigneusement marquées au nom du malade et, elles aussi, lessivées pour réutilisation éventuelle… Nous sommes dans de beaux draps ! Le service de la laverie centrale mis à la disposition des patients a été fermé en fin d’année dernière et voilà plus de six mois que nous attendons, pour y suppléer, l’installation dans le pavillon d’une machine à laver. Du coup, le linge sale, notamment des patients régressés et incontinents, s’accumulent ; les familles, mises à contribution quand c’est possible, se découragent devant l’ampleur de la tâche et les malades chroniques préfèrent contourner la difficulté en revêtant les pyjamas de l’hôpital plutôt que leurs vêtements personnels. Il n’y a qu’à voir la belle exposition que la SHEREP consacre, en ce moment, à l’histoire des « vêtures d’asile » pour réaliser quelle régression cela suppose… Excusez la trivialité du propos, mais même les dépenses en seaux hygiéniques disposés, au besoin, dans les chambres d’isolement, ont été revues à la baisse ; qu’importe que ceux-ci aient des bords acérés et puissent si facilement se fendre en autant de débris tranchants. Enfin, signalons le système de chauffage confié, il y a quelques années, à une entreprise de sous-traitance peu réactive, nous obligeant parfois, par grand froid, à accueillir les patients dans des chambres plafonnant à 15° avec juste une couverture bien fine à se mettre sur le poil. Et les commandes de travaux 2009 qu’on nous demande de réduire de 20%, au nom des sempiternelles « tensions budgétaires », et qui, de toute façon, ne seront étudiées qu’en octobre prochain… Face à ces petites misères domestiques, aux sordides détails de cette économie de survie imposée à une population doublement stigmatisée, en tant que malades mentaux, et, trop souvent, en tant que précaires des fameux « quartiers » du 9-3, je ne peux m’empêcher de penser à Primo Lévi et à ses réflexions sur la dignité humaine…
Avoir fait tant d’études pour, au bout du compte, se débattre, au jour le jour, avec ces questions essentielles de torchons et de pots cassés, et, cahin-caha, essayer de sauver les meubles. Presque tous les courriers adressés à nos responsables restent lettre morte, le mépris affiché à l’encontre des soignants étant à la hauteur de celui dont souffrent les malades. Beaucoup de médecins ne touchent pas les primes auxquelles ils ont, statutairement, droit et il vient d’être décrété que les primes de responsable et de cadre assistant de pôle ne seront attribuées qu’à ceux qui sont prêts à signer, à la va-vite, sans concertation avec les acteurs de terrain, des pré-contrats de pôle avec la direction. Or, quand on sait que le Contrat d’Objectifs et de Moyens, ayant présidé à la création du 18ème secteur dont je m’occupe, n’a, à ce jour, pas été intégralement honoré, il y a de quoi être dubitatif… Aucune catégorie professionnelle n’est épargnée : les contrats à durée déterminée se multiplient… Les effectifs du service des spécialités et du laboratoire de biologie sont dangereusement menacés. Par manque d’ASH, on laisse croupir certains espaces dans un état d’incurie inimaginable, notamment le secrétariat du 18ème secteur, mais qu’importe : c’est là que siège la toute nouvelle équipe mobile « psychiatrie et précarité » ! Quant aux psychologues, les seuls professionnels du champ de la psychiatrie à abonder sur le marché, il est question de les faire travailler plus, pour mieux en diminuer le nombre et de ne plus les titulariser à l’avenir. La difficulté à embaucher des infirmiers est considérée par notre directeur comme un « effet d’aubaine » et, après une fastidieuse démarche de diagnostic partagé sur les besoins, il vient de nous être annoncé, comme une faveur, des recrutements sur même pas la moitié des postes infirmiers vacants alors que les mensualités de remplacement et le recours aux heures supplémentaires sont en forte diminution. Mais plus grave que les baisses de personnel, est le discrédit, dont ils sont victimes : les repas accordés aux infirmiers de nuit sont soudain arbitrairement remplacés par une légère collation et ceux pris dans le cadre des repas thérapeutiques, désormais facturés aux agents, comme s’ils n’avaient, jusque-là, sous le prétexte fallacieux des soins, fait que grignoter indûment les deniers de l’Etat. Mais qui décide de ce qui est thérapeutique ? Qu’est-ce que nos administratifs connaissent des nourritures un peu plus spirituelles, de l’échange et de la relation dans la grande cène du repas partagé avec les psychotiques ?
Certes, tous ces petits tracas quotidiens n’ont rien de mortel, mais on ne peut pas vivre que d’Haldol et d’eau du robinet ! Nos patients ont non seulement un corps, mais aussi un esprit, et l’ouverture sur l’extérieur, le lien avec l’autre, la parole, l’intelligence, ont, qu’on le veuille ou non, une valeur thérapeutique. L’IGAS a reproché aux soignants de Ville-Evrard de ne pas passer suffisamment de temps « au lit du malade ». Or, nos malades ne sont pas au lit : ils trainent devant de minables écrans de télévision, leur accès aux journaux est de plus en plus limité ; ils manquent de papier pour écrire et dessiner ;  s’ils commencent à pouvoir bénéficier, à titre « pédagogique », d’ordinateurs, c’est sans l’apport d’Internet. Les associations de soutien aux actions thérapeutiques, et en particulier aux précieux appartements associatifs, où patients et soignants sont engagés à parité, sont considérées avec méfiance et ont un mal fou à défendre, d’année en année, les modestes subsides que l’hôpital leur consent. L’Hôpital de Jour de Noisy-le Grand a demandé, en janvier 2009, projet thérapeutique à l’appui, l’autorisation d’accueillir en son sein un artiste plasticien prêt à intervenir bénévolement auprès des patients, mais cela ne nous a, à ce jour, pour une mesquine question de responsabilité civile, toujours pas été accordé. Ce n’est donc pas d’argent qu’il s’agit, mais bien d’idéologie !
La priorité n’est naturellement ni à la culture, ni à la citoyenneté, mais bien, encore et toujours, à surveiller et punir : un grand panopticon virtuel est en train de se mettre en place ! A force de rogner sur les postes soignants et les petits riens du quotidien, l’Hôpital de Ville-Evrard a thésaurisé de quoi se lancer dans les grands chantiers du Plan Hôpital 2012. La restructuration et l’humanisation des pavillons d’hospitalisation sur le site sont renvoyées aux calendes grecques. Mais l’informatique est à l’honneur et l’Etablissement a élaboré un schéma directeur du système d’information hospitalière s’élevant, investissements et fonctionnement compris, à pas moins de 35 millions d’euros sur les six ans à venir, pour mieux saisir, tracer, compter, calculer… L’initialisation de ce dispositif complexifie actuellement plus la communication qu’il ne la fluidifie et nous savons bien qu’aucune liste de chiffres, qu’aucune AVQ, ni mise en cases et en tableaux ne saura rendre compte de la subtilité de notre travail soignant. 2009 ressemble étrangement à « 1984 » d’Orwell si l’on songe, en outre, à cet autre cheval de bataille de notre Président Sarkozy qu’est la sécurité. A Ville-Evrard, des caméras vont fleurir, ça et là, dans le parc et l’on s’interroge sur le bien-fondé d’en installer jusque dans les chambres d’isolement. Qu’importe le risque de renforcer le délire de persécution de certains de nos malheureux malades en phase aiguë, l’important étant que rien n’échappe des moindres replis de leur intimité. Parallèlement, il est programmé la mise en place, à l’entrée et à la sortie du site de Ville-Evrard, d’un système de reconnaissance des plaques d’immatriculation des véhicules, entre autre « pour prévenir les fugues », comme si nos patients avaient la maladresse de se faire la belle en voiture. En quoi cette trouvaille améliorera-t-elle le sentiment de sécurité de nos patients au fin fond de leur pavillon ? Qui surveille qui et qui protège qui ? Alors que je tentais de pointer l’inanité d’une telle innovation, notre directeur s’étonnait de tant de formalisme, affirmant que cela se faisait partout et que ça ne représentait, somme toute, que peu de chose au regard du budget de l’ensemble de l’Etablissement… Et il a raison : 145.000 euros, tout compris, ça n’est jamais, grosso modo que l’enveloppe annuelle allouée à l’équipe mobile « psychiatrie et précarité » que l’Hôpital de Ville-Evrard est si fier d’avoir créée récemment à destination des personnes en situation de précarité et d’exclusion.
En conclusion, refusons d’être les complices du tout-économique et du retour des pauvres et des fous dans des hôpitaux-poubelle ! Ne cédons pas à la peur que les médias ont insensiblement instillée dans le monde des soignants, peur d’être pris en faute, d’être encore plus réduits à l’impuissance, peur de parler et peur d’agir. Or, les obstacles ont ceci de positif qu’ils aiguillonnent inlassablement notre énergie et notre ténacité et force est de constater que l’action, pas à pas, n’est jamais totalement stérile : les repas viennent d’être restitués aux infirmiers de nuit, le secrétariat de mon secteur est devenu miraculeusement propre, la providentielle machine à laver doit arriver d’un jour à l’autre… Donc, ne laissons passer aucune épine irritative et attachons-nous, sans complexe, aux petites choses : « Il n’y a pas de détail. Chaque infime partie contient tout » dit Barjavel. Si nous voulons préserver notre capacité thérapeutique, il nous faut apprendre à rester libre, libre de penser, d’avoir du temps pour ne rien faire, pour errer, manger, discuter, lire, écrire, jouer, désirer, créer, rêver, rire, éprouver du plaisir et tout simplement vivre avec ceux que nous soignons. Afin qu’ils puissent accéder à un vrai statut de sujet, exigeons, pour eux, tout à la fois, du pain et des roses, l’indispensable et puis le superflu…

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Forum du Collectif des 39 du 9-3 à Ville Evrard (ouverture)

Ouverture
Paul Machto.
Psychiatre

Merci à vous d’être là ce soir pour ce premier forum de notre Collectif, le Collectif des 39 du 9-3.

Tout d’abord il nous faut remercier Frédéric Ferrer et la compagnie Vertical Détour de nous accueillir ici, aux Anciennes Cuisines. Ce lieu de l’hôpital mis à la disposition de la Culture par la Direction, se prête très bien à cette rencontre, car la psychiatrie par le fait même de son objet est un fait de culture, doit se confronter avec le culturel et le social. Cette initiative d’affecter des lieux de l’établissement à la Création est un excellent choix qui rejoint ce que nous tentions d’avancer l’an dernier lors d’une rencontre sur l’Avenir de Ville Evrard.

Je tiens aussi à remercier la Direction de l’hôpital d’avoir permis que se tienne ici ce premier forum.

« Forum » : ce mot nous l’avons choisi au Collectif des 39 pour bien souligner notre désir de porter sur la place publique ce débat essentiel à propos de la place faite aux fous dans cette société. Il s’agit de débattre de la conception des soins aux malades mentaux. Nous voulons des pratiques dignes et humaines pour la psychiatrie. Nous voulons soutenir pour toutes celles et ceux qui sont concernés par la psychiatrie, le respect nécessaire de la responsabilité des professionnels, et la reconnaissance de leur place de sujet à ceux que l’on désigne comme « autre », y compris dans leur irresponsabilité même.

C’est à une véritable bataille des idées à laquelle nous sommes convoqués.
Notre responsabilité est immense car nous sommes confrontés à un moment où tout peut basculer.

Ce collectif de Seine-Saint-Denis s’est créé le 1er avril dernier.
Quelle belle date pour la création d’un mouvement ! Une blague, mais quelle blague à opposer à la violence, à la brutalité, à la bêtise aussi des gouvernants !
1er avril, cela me fait penser au « Rire de résistance », cette initiative de Jean Michel Ribes en … 2007. Déjà ! « Le rire désarme, ne l’oublions pas » disait Pierre Dac. Et Freud : « L’humour ne se résigne pas, il défie ! ».

Car de « résistance » il en est question, et depuis plusieurs années en psychiatrie, mais ailleurs aussi dans la société, dans les colloques, dans les différents mouvements de revendication des dernières années. « Résistance » invoquée de façon par trop incantatoire, comme dans un prolongement du discours de la plainte qui s’est développée, discours de la plainte, triste pendant de la servitude volontaire qui s’est installée face au rouleau compresseur de l’idéologie dominante : gestion, évaluation, déshumanisation, marchandisation.

Avec ce mouvement naissant, il s’agit de passer aux actes de résistance, à la construction d’un discours qui nous donne un cadre pour agir, pour soutenir les pratiques que nous avons mises en œuvre, et pour combattre les pratiques qui prennent les sujets comme des objets, combattre les pratiques qui abandonnent la dignité des individus en souffrance, et poussent à l’indignité les soignants.

Alors « rire » oui, 1er avril, oui ! Car il s ‘agit aussi de faire l’éloge du jeu, du plaisir dans notre métier, plaisir des rencontres, plaisir des inventions, plaisir de la créativité dans nos pratiques. Plaisir revendiqué dans cette confrontation avec la folie, avec les folies des hommes. Pour inventer des pratiques qui puissent accueillir la plus grande des souffrances, celle du psychisme, qui va jusqu’à envahir les corps, et exclure celui qui en est atteint d’abord de la cité, mais pire encore, l’exclure de lui-même.

C’est dans l’enthousiasme que nous avons organisé ce forum.
C’est dans l’enthousiasme que nous avons lancé l’appel des 39 « La Nuit Sécuritaire » le 15 décembre dernier dans un regroupement de toutes les catégories de soignants.
C’est dans l’enthousiasme des 25000 signatures réunies en trois semaines, que nous avons organisé ce meeting à la Parole Errante à Montreuil le 7 février, où 2000 personnes se sont rassemblées.
C’est dans l’enthousiasme encore, que nous avons lancé le Manifeste pour « un Mouvement pour la Psychiatrie ».

Des lettres ont été envoyées par des soignants et par des citoyens au Président de la République pour dire, chacun avec ses mots, son indignation en réaction à son sinistre discours du 2 décembre à l’Hôpital Erasme d’Antony. Érasme ce magnifique auteur de l’Éloge de la Folie, aurait pu entendre ces indignes propos fous de la fureur du rejet de l’autre, de la désignation de l’autre comme s’il s’agissait d’un monstre, comme si la part d’humanité dans la folie était déniée.
Ces lettres, il faut continuer à en envoyer, que ce soit aux élus, aux gouvernants, pour témoigner que nous refusons ce nouvel ordre sécuritaire.

Nous avons effectué un certain nombre de démarches auprès des partis politiques, des parlementaires, et nous continuons pour faire valoir notre exigence d’un moratoire pour que s’organise un grand débat national avant toute nouvelle législation sur la psychiatrie. Car il s’agit de défendre la politique de secteur mise en œuvre depuis près de 40 ans et tout particulièrement développée en Seine-Saint-Denis. Il s’agit de se battre contre son démantèlement comme le prévoit la loi H.P.S.T. ou encore le rapport Couty.

Depuis février, des collectifs nombreux se sont constitués dans le pays. Des forums se sont tenus :
– A Reims d’abord fin janvier, pour protester contre la suppression de l’enseignement de psychothérapie institutionnelle à la Faculté de psychologie de Reims.
– À Montreuil à nouveau en mars avec l’association UTOPsy qui réunit des jeunes psychiatres, des internes, des étudiants en psychologie, des éducateurs en formation des travailleurs sociaux.
– À Uzès, à l’hôpital du Mas Carreyron, à l’initiative de soignants
– À Montpellier, à l’initiative de l’association Isadora de la Clinique St Martin de Vignogoul,
– À Charleville-Mézières, à l’initiative de syndiqués de la C.G.T.

D’autres sont prévus :
– À Paris le 5 juin à l’initiative de l’association Pratiques de la Folie.
– À Marseille le 5 juin également, à l’initiative de l’association des Psychiatres Privés, l’A.F.P.E.P.
– À Reims, le 13 juin, avec la Criéé et le Diwan Occidental- Oriental.
– À Saint Alban le 20 juin.
– À Béziers le 28 septembre dans le cadre des journées annuelles des Croix – Marines.

À chaque fois c’est le désir de parole qui surgit. Le désir de dire nos pratiques, de dire les contraintes bureaucratiques, de dire la folie des protocolisations, de la normalisation, de l’homogène et soutenir la richesse de l’hétérogène dans les équipes, dans les institutions.

Car c’est bien la singularité qui est visée. La singularité des histoires individuelles mais aussi des histoires collectives qui ont été le terreau des innovations thérapeutiques institutionnelles. Avec ce discours du 2 décembre, c’est l’histoire même des pratiques psychiatriques des 50 dernières années qui est balayée.
À n’en point douter, en balayant l’Histoire, c’est bien le projet de ne plus prendre en compte l’histoire du sujet souffrant avec les pratiques centrées sur les comportements telles qu’elles se sont développées depuis une dizaine d’années.

Car ce discours présidentiel pour choquant et indigne qu’il soit ne doit pas nous détourner dans la facilité de la réaction. Ce discours est venu là, comme un effet de miroir sur ce qui s’est développé de façon si facile et insidieuse en psychiatrie à partir du milieu des années 90 : le retour à une médicalisation avec l’objectivation du malade, l’effacement de la pensée critique sur les pratiques, le développement énorme du recours aux médicaments, l’oubli des thérapeutiques institutionnelles, la mise à l’écart des psychothérapies, des soins psychiques, les réponses immédiates, le principe de précaution érigé en conduite à tenir, la banalité du recours aux chambres d’isolement, la banalité de la contention qui avaient complètement disparu dans les années 70- 90. À ceci il faut aussi bien sûr rajouter les ravages de l’accréditation, ce processus abêtissant du formatage normatif, l’idéologie de l’évaluation, la gestion comptable, la suspicion, voire le mépris des administratifs sur les pratiques soignantes et les professionnels, la dérive gestionnaire de la formation des cadres de santé dont certains ont oublié trop vite leurs engagements et leur fonction soignante, la frilosité de nombre de psychiatres.

Et pourtant vaille que vaille, dans les difficultés, dans l’adversité, dans le combat pied à pied, des équipes ont maintenu des pratiques dans lesquelles les patients sont acteurs de leurs soins, où la prise en compte de leur parole est essentielle, où l’on ne parle pas à leur place où pour eux, on sollicite leur engagement, plutôt que de vouloir leur bien, vouloir à leur place, les assister, faire dans l’occupationnel, l’éducatif ou l’assistance. Des pratiques où les soignants sont soutenus dans leurs initiatives, leurs engagements, ce qui ne peut qu’encourager leur sentiment de responsabilité, la reconnaissance de leur savoir-faire. Des pratiques qui se soutiennent de la créativité, de l’invention mais aussi du risque inhérent à l’humain, inévitable dans tout engagement thérapeutique.

Il nous appartient de mettre en avant, de penser, de repenser, ces questions fondamentales qui sont le socle de la psychiatrie humaine, désaliéniste, que nous faisons, que nous voulons développer encore plus, et que nous voulons défendre :
– L’accueil,
– L’hospitalité,
– Le Collectif.

Il nous faut avoir l’audace de nos idées, l’audace des théories et des pratiques qui nous ont été transmises, et que nous devons à notre tour porter et transmettre.

Parce que « L’essentiel se niche dans les détails », nous avons souhaité aborder par le biais des détails de nos pratiques, des difficultés rencontrées depuis quelque temps dans cet établissement, à l’occasion de ce premier forum à Ville Evrard, dans ce lieu de culture que sont devenues les anciennes cuisines.

J’espère qu’enfin vont s’ouvrir ce soir des perspectives fructueuses, des retrouvailles avec le débat, avec la confrontation, avec la remise au premier plan de la parole pour qu’enfin nous passions aux actions pour défendre ce qui nous a fait choisir ce métier.

Alors quelques mots de présentation de la soirée. Et excuser l’absence de l’U.N.A.F.AM. en la personne de Mr Thieuzard qui n’a pu être présent ce soir. Ce n’est que partie remise tant est important le débat à instaurer avec les patients, les familles et leurs associations.

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